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Date : 20190801


Dossiers : T‑943‑18

T‑982‑18

Référence : 2019 CF 1034

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er août 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

Dossier : T‑943‑18

ENTRE :

VINCENT BAILINI, RANDALL BARRS, GEOFFREY BELCHETZ, ROBERT BERGER, STEVEN BLACK, CLEMENTE CABILLAN, WAYNE CARMAN, DAVID DE SILVA, JOYCE DOYLE, WILLIAM EASTON, TIMOTHY FELTIS, SANDRA GERTNER, JOSEPH GOTTDENKER, ROBERT HILL, NIZAR KANJI, ANASTASSIOS KARANTONIS, FRANK KOSAR, HENRY KUTZKO, FRANK MAGNUS, MARIO MASELLIS, ALAN MCFADYEN, LA SUCCESSION DE FEU DAVID MCINNIS, STUART MITCHELL, FRANN RASMINSKY‑MITCHELL, JAMES RATHBUN, JOHN NKANSAH, NARH OMABOE, GAIL PALERMO, IAN BRUCE ROBINSON, LOUIS SCHEINMAN, HOWARD SIDSWORTH, MICHAEL SLOCOMBE, MICHAEL SPIVAK, MALCOLM STAFFORD, ROBERT TAUTKUS, DAVID THOMAS, GARY THORNTON, JOSEPH TRAGER, EDWARD VALLEAU, WALTER VOGL et WILLIAM WILKINSON

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE (représentée par le ministre du Revenu national, en sa qualité de ministre responsable de la Loi de l’impôt sur le revenu), L’AGENCE DU REVENU DU CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : T‑982‑18

ET ENTRE :

LORENZO BRANDIMARTE

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE (représentée par le ministre du Revenu national, en sa qualité de ministre responsable de la Loi de l’impôt sur le revenu), L’AGENCE DU REVENU DU CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  L’affaire a une longue histoire qui s’étend sur quelque 35 ans.

[2]  Dès 1984, les demandeurs ont souscrit des parts de l’un des trois types de sociétés en commandite dont Overseas Credit and Guaranty Corporation [OCGC] faisait la promotion et la mise en marché. OCGC affirmait que par l’entremise de ces sociétés en commandite il était possible d’investir dans une entreprise d’affrètement de yachts de luxe procurant aux investisseurs des avantages fiscaux attrayants en les exposant à un risque personnel restreint. Cette entreprise, appelée « Fantaseas », s’est avérée être un trompe‑l’œil; il s’agissait d’une fraude dont les demandeurs et l’Agence du revenu du Canada ont été les victimes.

[3]  En 1986, l’ARC a entrepris une vérification des activités d’OCGC ainsi que des déclarations de revenus des demandeurs. Au bout du compte, après des appels interjetés devant la Cour canadienne de l’impôt, qui ont duré plus de deux décennies, un délégué du ministre du Revenu national [le délégué] a rejeté la demande des demandeurs visant l’annulation des intérêts ou la renonciation à ceux‑ci en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC  (1985), c 1 (5e suppl.), dans sa version modifiée [LIR].

[4]  Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision du délégué, en vertu du paragraphe 18.1(2) Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7. Ils demandent à la Cour de donner certaines directives au ministre ou, subsidiairement, de rendre une ordonnance enjoignant au ministre de réexaminer leur demande visant l’annulation des intérêts ou la renonciation à ceux‑ci conformément aux directives que la Cour estime justes.

I.  Contexte

[5]  OCGC intervenait comme commandité pour chaque société en commandite dans laquelle les demandeurs ont investi. M. Einar Bellfield était l’âme dirigeante d’OCGC.

[6]  Les prétendus avantages fiscaux étaient liés au transfert de pertes résultant d’importantes dépenses de démarrage et à la possibilité de demander une déduction pour amortissement à l’égard des yachts avant la production de revenus. Les demandeurs étaient également censés avoir la possibilité de déduire les intérêts payés sur des billets à ordre émis par eux aux sociétés en commandite ainsi que des honoraires professionnels. Les demandeurs ont demandé chacune de ces déductions dans leurs déclarations de revenus de 1984 à 1990.

[7]  En octobre 1986, l’ARC a entrepris la vérification des activités d’OCGC ainsi que des déclarations de revenus des demandeurs. L’ARC en est venue à croire qu’OCGC se livrait à des activités frauduleuses dans toutes les sociétés en commandite. Entre juillet et novembre 1987 (et aussi en 1988 et 1989), l’ARC a envoyé des lettres dites d’[traduction] « interception » (lettres d’interception) aux demandeurs pour les informer que leurs déclarations de revenus avaient été mises en suspens jusqu’à la fin de la vérification de l’ARC et que s’ils souhaitaient que les cotisations fondées sur leurs déclarations soient établies sans les déductions en question, ils devaient demander à la Direction des programmes et de la vérification de le faire. Le ministre a refusé la totalité des déductions à l’égard de pertes, d’intérêts et d’honoraires professionnels que les demandeurs avaient demandées. Tous les demandeurs ont reçu des avis de cotisation les informant du montant de l’impôt et des intérêts payables.

[8]  En 1994, l’Unité des enquêtes spéciales de l’ARC (en collaboration avec la GRC) a porté des accusations, dont deux chefs d’accusation de fraude, contre le directeur d’OCGC, M. Bellfield, et deux autres personnes. Les procédures criminelles ont pris fin en 2004.

[9]  Environ 600 investisseurs avaient participé au stratagème d’OCGC. Au fil des ans, plusieurs offres de règlement ont été présentées. En 1994, une entente de règlement semblait avoir été conclue, mais l’ARC s’en est retirée afin de ne pas compromettre les procédures criminelles. D’autres offres ont été faites en 1996 et 2004. Environ 300 investisseurs ont conclu un règlement avec l’ARC. Ceux qui n’ont pas conclu d’entente ont interjeté appel des cotisations devant la Cour canadienne de l’impôt en septembre 1991.

[10]  À la suite de la décision rendue par la Cour de l’impôt en janvier 2014, de nombreux demandeurs ont demandé un allègement en application du paragraphe 220(3.1) de la LIR, invoquant comme principale raison les retards attribuables à l’ARC. Dans certains cas, il s’agissait d’une demande renouvelée puisqu’un groupe de demandeurs avait fait une demande initiale en 2004. Pour ce qui est des demandes d’allègement présentées en 2004, la période à l’égard de laquelle le ministre pouvait accorder un allègement d’intérêts n’était pas limitée; par contre, les demandes présentées en 2014 ne pouvaient viser plus de dix années suivant la fin d’une année d’imposition en raison d’une modification apportée au paragraphe 220(3.1) en 2005. Les demandes d’allègement concernent donc deux groupes de demandeurs : ceux qui ont demandé un allègement d’intérêts avant la modification du paragraphe 220(3.1) [les demandeurs de 2004], et ceux qui ont présenté des demandes après la modification de 2005 [les demandeurs de 2014].

[11]  Un membre de la Division des appels de l’ARC a effectué un examen de premier niveau des demandes d’allègement d’intérêts des demandeurs en 2015. Pour les demandeurs de 2004, les intérêts courus sur une période d’environ 14 années ont été annulés. Pour les demandeurs de 2014, les intérêts courus sur une période d’environ 51 mois ont été annulés.

[12]  Insatisfaits des résultats de ce premier examen, à partir d’octobre 2015 et jusqu’au début de 2016, les demandeurs ont présenté des demandes d’examen de deuxième niveau. Ils ont fait valoir cinq motifs pour justifier un deuxième examen : (i) l’examen de premier niveau n’a tenu compte que de périodes précises de retard; (ii) les demandeurs se sont vu imposer des intérêts avant de connaître le solde dû; (iii) l’ARC a répudié le règlement de 1994 pour accorder la priorité aux procédures criminelles; (iv) le premier examen a été retardé; (v) la distinction injuste faite entre les demandeurs de 2004 et ceux de 2014.

[13]  Des lettres de décision ont été envoyées à chaque demandeur entre la fin de mai et le début de juin 2017. Un membre de la Direction générale des appels de l’ARC a déterminé que, pour la plupart des demandeurs, il y avait lieu d’annuler les intérêts courus sur une période additionnelle d’environ 12 mois pour tenir compte du retard à nommer un agent d’examen pour procéder à l’examen de premier niveau et à effectuer les rajustements s’y rapportant. Ces périodes de retard ont touché les deux catégories de demandeurs. Pour les demandeurs de 2004, le ministre a annulé les intérêts courus sur une période d’environ 15 années. Pour les demandeurs de 2014, le ministre a annulé les intérêts courus sur une période d’environ 63 mois.

[14]  Les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire afin que la Cour évalue le caractère raisonnable de la décision rendue au deuxième niveau. Cette demande a précipité la conclusion d’une entente de règlement entre les demandeurs et les défendeurs en octobre 2017. Le règlement comportait une clause prévoyant que le ministre procéderait à un autre examen indépendant par l’entremise d’un agent qui n’avait pas participé auparavant aux décisions touchant les demandeurs. Il comportait également une clause prévoyant que les demandeurs conservaient le droit de demander le contrôle judiciaire de la décision rendue à l’issue du troisième examen.

[15]  Dans le cadre du troisième examen, les demandeurs soutenaient qu’ils devaient se voir accorder un allègement d’intérêts pour les raisons suivantes : (i) l’examen de premier niveau n’avait tenu compte que des retards; (ii) le retard global occasionné et d’autres considérations d’équité; (iii) l’ARC avait répudié le règlement de 1994; (iv) ils n’avaient pas été mis au courant des soldes dus avant 1990; (v) les procédures criminelles l’ont emporté sur les intérêts des demandeurs; (vi) les intérêts payables par d’autres contribuables ayant participé à d’autres stratagèmes fiscaux ont été annulés. Dans une lettre du 23 avril 2018, le délégué a rejeté les demandes d’allègement supplémentaires à l’égard des intérêts sur les arriérés présentées par les demandeurs.

II.  Décision du délégué

[16]  Les lettres de décision rejetant les demandes présentées en vue de faire annuler la totalité des intérêts payables par les demandeurs divergeaient quelque peu, en ce que les lettres envoyées aux demandeurs de 2014 contenaient un paragraphe énonçant qu’elles ne visaient qu’une période de dix ans à partir de la date de leur première demande. Les lettres étaient fondées sur un rapport intitulé [traduction] Rapport relatif au troisième examen indépendant portant sur les demandes d’allègement des contribuables ayant participé au stratagème d’OCGC. Ce rapport traitait des observations des demandeurs sous sept rubriques.

A.  Retards dans l’établissement des cotisations ou des nouvelles cotisations relatives aux déclarations de revenus

[17]  Le délégué a fait remarquer que, bien que le paragraphe 152(1) de la LIR exige que le ministre agisse avec diligence, au moment d’établir les nouvelles cotisations, la LIR permettait à l’ARC d’établir une nouvelle cotisation dans les trois ans suivant la date de la cotisation initiale ou d’établir un avis indiquant qu’aucun impôt n’était payable pour une année d’imposition. Le délégué a conclu que les déclarations de revenus avaient fait l’objet d’une nouvelle cotisation dans le délai fixé par la LIR. Le délégué a constaté que les procédures de vérification ont commencé en octobre 1986 et que les déclarations de revenus pour l’année d’imposition 1984 devaient être produites le 30 avril 1985 ou, pour les contribuables qui étaient des travailleurs autonomes, le 15 juin 1985.

[18]  Le délégué a également souligné que des lettres d’interception avaient été envoyées dès 1987, informant les demandeurs que l’examen de leurs déclarations de revenus relatives à l’année 1986 avaient été mises en suspens pendant la vérification dont faisaient l’objet les sociétés en commandite. L’ARC a indiqué dans ces lettres que les demandeurs pouvaient demander que leurs déclarations soient établies sans les déductions demandées. (Des lettres semblables ont été envoyées en 1988 et en 1989 quant à des déclarations subséquentes). Les lettres fournissaient les coordonnées des vérificateurs auxquels les demandeurs pouvaient s’adresser pour obtenir plus de renseignements. Le délégué a reconnu que, même si les lettres d’interception ne donnaient pas le détail du solde dû, les demandeurs s’étaient vu offrir la possibilité de produire des déclarations faisant abstraction des pertes et de recevoir leur avis de cotisation et leur solde dû.

[19]  Le délégué a relevé que, dans les premier et deuxième examens, le retard mis par l’ARC à établir les cotisations et les nouvelles cotisations relatives aux déclarations de revenus a été pris en compte et qu’un allègement a été accordé pour toute période au cours de laquelle la vérification ne se poursuivait pas activement. Le délégué a conclu qu’aucun retard indu dans l’établissement des cotisations ou des nouvelles cotisations relatives aux déclarations ne justifiait un allègement supplémentaire à l’égard des intérêts sur les arriérés, autre que celui qui avait déjà été accordé.

B.  Le MRN n’a pris en compte aucun facteur en dehors des retards attribuables à l’ARC

[20]  Le délégué reconnaît qu’une période de 30 ans est un long laps de temps, mais que les retards causés par les oppositions et les appels étaient attribuables aux deux parties. Le délégué poursuit :

[traduction] [...] le laps de temps de 30 ans sans que soit pris en compte les circonstances attribuables aux contribuables va à  l’encontre des principes des dispositions d’allègement pour les contribuables [...] Certes, l’établissement des nouvelles cotisations à l’égard des déclarations des contribuables et le retrait des pertes réclamées ne relevaient pas de leur volonté, en ce sens que les contribuables ont été amenés à croire par les instigateurs du programme que les demandes de déduction étaient valides, mais il reste qu’ils ont choisi de continuer d’y participer au cours des années suivantes. C’était aussi le choix des contribuables de s’opposer à leurs cotisations et à leurs nouvelles cotisations et ultérieurement d’interjeter appel devant les tribunaux.

[…]

[...] des soldes ont été mentionnés aux contribuables et ils ont eu la possibilité de les régler afin de réduire au minimum l’accumulation continue d’intérêts. Par conséquent, il est permis de conclure que le fait que les intérêts aient continué à courir pendant les procédures d’opposition et d’appel n’était pas indépendant de leur volonté, malgré le laps de temps qui s’est écoulé avant qu’ils reçoivent une décision définitive.

[21]  De l’avis du délégué, l’ARC ne pouvait être tenue responsable des actions des promoteurs d’OCGC qui avaient fourni de faux états financiers.

C.  Le retrait du règlement de 1994 justifie un allègement

[22]  Le délégué a conclu qu’un allègement avait déjà été accordé dans la décision rendue à l’issue de l’examen de premier niveau en vue de tenir compte du retrait du règlement de 1994 de par l’annulation des intérêts à compter du 24 février 1992 (moment où les négociations de règlement ont commencé) jusqu’au 31 mars 1996 (moment où le règlement de 1996 a été proposé). Le délégué a fait référence à une décision rendue en 2005 dans la présente affaire selon laquelle l’ARC était légalement autorisée à répudier l’entente de règlement et qu’il n’y avait aucune sanction que le tribunal puisse imposer.

[23]  Le délégué a fait remarquer que les demandeurs avaient eu la possibilité d’accepter un règlement proposé en 1996 suivant lequel ils auraient obtenu le montant exact de l’impôt exigible et qu’en tout temps pendant le litige devant la Cour de l’impôt ils auraient pu communiquer avec l’ARC pour demander des états de compte afin d’obtenir le montant exact des intérêts courus et des soldes impayés s’ils souhaitaient payer les sommes exigibles. Le délégué a fait observer que les demandeurs ont consciemment choisi de ne pas accepter la proposition de règlement de 1996 et de poursuivre les oppositions et, plus tard, leurs appels à la Cour de l’impôt.

D.  Retard dans le traitement du premier examen administratif

[24]  Après avoir résumé les circonstances ayant mené à la décision de premier niveau et après avoir examiné la décision elle‑même, le délégué a déclaré :

[traduction] La décision de deuxième niveau a pris en compte les périodes au cours desquelles le premier examen n’a pas été mené activement en raison d’autres priorités dans la charge de travail de l’agent responsable du dossier. Le deuxième examen a mené à la conclusion qu’il y avait eu deux périodes de retard, soit du 4 août 2014 au 2 septembre 2014 et du 12 novembre 2014 au 26 janvier 2015, et à la décision d’accorder un allègement pour ces laps de temps considérés comme des retards dans le traitement de la demande par l’ARC. Dans la décision de deuxième niveau, un allègement a en outre été accordé pour la période du 17 septembre 2016 jusqu’à la date de la lettre de décision pour couvrir la période de temps consacré au traitement du deuxième examen. Toutefois, en ce qui concerne certains contribuables l’annulation des intérêts pour cette période était superflue puisque la décision de premier niveau relative à l’annulation des intérêts accordait un allègement pour la période de mise en œuvre de la mesure d’annulation prévue dans celle‑ci.

[25]  Le délégué a conclu que les décisions de premier et de deuxième niveau avaient déjà pris en compte plusieurs des périodes de retard mentionnées par les demandeurs. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les lettres de décision ne faisaient pas état du montant dû après allègement, le délégué a estimé que cette omission n’avait guère d’incidence sur la capacité des demandeurs de payer le solde de leur cotisation ou de leur nouvelle cotisation relatives à leurs déclarations de revenus. Le délégué a souligné que les demandeurs avaient reçu des avis de cotisation ou de nouvelle cotisation indiquant des soldes détaillés entièrement recouvrables jusqu’à ce que des oppositions soient reçues et les soldes contestés. Le délégué a également souligné que les demandeurs avaient effectivement été avisés du montant des soldes dus dans des relevés donnant le détail des soldes des années précédentes et dans des lettres de recouvrement émanant de l’ARC. Le délégué a fait remarquer que l’offre de règlement de 1996 précisait ce qu’il en était de l’annulation des intérêts si les demandeurs acceptaient l’offre de règlement.

[26]  Le délégué a conclu cette section du rapport en déclarant ce qui suit : [TRADUCTION] : « Attendre de payer les soldes jusqu’à ce les intérêts aient été annulés et les relevés de compte établis relevait du libre choix des contribuables et n’était pas indépendant de leur volonté ».

E.  Priorité a été accordée aux procédures criminelles

[27]  Le délégué a souligné qu’en octobre 1994, le ministère de la Justice a envoyé une lettre à l’ARC pour l’informer que le règlement ne devrait pas être conclu parce qu’il pourrait nuire aux procédures criminelles. L’ARC a retiré l’offre de règlement en novembre 1994.

[28]  Le délégué a conclu que les procédures criminelles concernant OCGC n’avaient pas eu d’incidence sur la capacité des demandeurs de produire des déclarations exactes au moment de la production initiale, d’accepter que leurs déclarations soient traitées telles qu’elles ont été produites sans les déductions relatives à OCGC, ou de payer les soldes dus au moment de l’établissement de la cotisation et de la nouvelle cotisation relatives à leurs déclarations.

F.  Créer l’égalité entre les demandeurs

[29]  Après avoir examiné la modification apportée au paragraphe 220(3.1) et à un paragraphe d’une circulaire d’information sur les dispositions d’allègement pour les contribuables, le délégué a conclu que les demandeurs de 2004 et les demandeurs de 2014 ne pouvaient pas être considérés de la même façon. Le délégué a déterminé que cette disposition ne permettait pas au ministre de considérer que tous les demandeurs avaient présenté une demande d’allègement avant décembre 2004. Le délégué a constaté que ni le paragraphe 220(3.1) ni la circulaire d’information ne permettait l’annulation des intérêts courus avant le 1er janvier 2004 pour les demandes présentées par les demandeurs de 2014.

G.  Autres considérations d’équité

[30]  Le délégué a conclu qu’il était peu utile de comparer les ententes de règlement relatives à d’autres abris ou stratagèmes fiscaux. Selon le délégué, la position adoptée par l’ARC et le ministère de la Justice à l’égard des donateurs ayant participé à l’abri fiscal Global Learning Gifting Initiative [GLGI] [les donateurs de GLGI] n’a eu aucune incidence sur l’examen, l’analyse ou la décision concernant OCGC. Le délégué a mentionné que l’ARC traite tous les dossiers séparément.

[31]  En ce qui concerne la situation des demandeurs individuels, l’agent a souligné que l’entente de règlement de 2017 énonçait expressément qu’un examen global devait être effectué à l’égard de l’ensemble des retards. Le délégué a affirmé ce qui suit :

[traduction] [...] Je dois effectuer un examen global de l’ensemble des retards dans le dossier OCGC. Les contribuables avaient la possibilité de présenter des demandes relatives à leur situation particulière dans le cadre des premier et deuxième examens, et des décisions ont été prises relativement à ces circonstances particulières. Toutefois, mon examen révèle que ces circonstances particulières étaient évitables. Les contribuables étaient en mesure de se soustraire à l’incertitude et au stress liés à OCGC en effectuant des paiements sur les soldes en attendant la résolution de leurs oppositions et de leurs appels. Mon examen n’a pas permis d’établir en quoi l’âge ou la capacité actuelle d’un contribuable de payer est lié à sa capacité de régler les soldes au moment de la cotisation initiale.

[32]  Le délégué a conclu le rapport en mentionnant que les dispositions d’allègement pour les contribuables ne devaient pas être utilisées pour négocier le paiement des soldes d’impôt.

III.  Norme de contrôle

[33]  La norme de contrôle applicable à une décision rendue en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR est celle du caractère raisonnable (Agence du revenu du Canada c Telfer, 2009 CAF 23, par. 24 et 25 [Telfer]). Le caractère indéfini du pouvoir conféré au ministre au paragraphe 220(3.1) de la LIR milite contre un examen en profondeur du processus décisionnel (Telfer, par. 40).

[34]  L’application de la norme de la décision raisonnable exige que la Cour examine les décisions administratives en s’intéressant principalement « à la justification de la décision, [ainsi qu’]à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et qu’elle détermine « [leur] appartenance […] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47). Ces critères sont respectés si « [les motifs] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 16).

[35]  La norme de la décision correcte s’applique aux allégations de manquements aux règles d’équité procédurale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, par. 79). La Cour doit déterminer si la démarche ayant mené à la décision visée par le contrôle était empreinte du degré d’équité requis, eu égard aux circonstances de l’affaire (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, par. 115).

[36]  Une question d’équité procédurale « n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier » (Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, par. 74). La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit : « [M]ême s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [TRADUCTION] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte” » (Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par. 54).

IV.  Les observations des demandeurs

[37]  De l’avis des demandeurs, le retard a été le seul facteur pris en compte par le délégué malgré les observations qu’ils ont présentées sur d’autres questions. Selon les demandeurs, les motifs de la décision de refuser d’autres mesures d’allègement des intérêts témoignent de l’approche restrictive appliquée par le délégué et supposent à tort que l’examen de deuxième niveau concerne principalement les retards. Les demandeurs affirment que le délégué a mal compris et a dénaturé la vaste portée du troisième examen, qui devait être un nouvel examen indépendant et non un simple examen s’apparentant à un appel des décisions antérieures.

[38]  Les demandeurs mentionnent le paragraphe 26 de la circulaire d’information IC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables [la circulaire], qui énonce que les pénalités et les intérêts peuvent faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation s’ils découlent principalement d’actions de l’ARC – telles que des retards de traitement – ayant fait en sorte que le contribuable n’a pas été informé d’une somme due dans un délai raisonnable. En l’espèce, les demandeurs se plaignent que les retards de traitement ont fait en sorte que l’ARC ne les a pas informés qu’un montant était dû et qu’elle ne pouvait pas sciemment permettre qu’un solde existe avant l’établissement des avis de cotisation en 1990. Les demandeurs affirment que les retards dans l’établissement des avis ont également fait en sorte que des sommes continuent d’être versées à OCGC, que des demandes de déductions et de pertes continuent d’être effectuées (puisque les demandeurs croyaient qu’il s’agissait de véritables sociétés en commandite) et que d’importants frais soient engagés au titre des intérêts composés quotidiennement, accumulés de 1984 à 1990.

[39]  Selon les demandeurs, le délégué a lui aussi mal qualifié les lettres d’interception. Selon les demandeurs, le délégué s’est, de manière déraisonnable, fié à ces lettres pour appuyer la conclusion selon laquelle l’ARC n’avait pas tardé à les informer de l’existence d’un solde dû, tout en reconnaissant que les lettres ne donnaient pas de précisions à cet égard. Les demandeurs déclarent que les lettres d’interception ne les avisent aucunement que les pertes demandées seront refusées par l’ARC ni ne permettent de conclure qu’ils savaient qu’une somme était payable à l’ARC.

[40]  Les demandeurs affirment que le libellé utilisé par le délégué dans les motifs de la décision montre qu’il a limité sa décision aux situations précises énoncées dans la circulaire et qu’il n’a pas tenu compte des principes généraux d’équité entrant en jeu dans l’application du paragraphe 220(3.1) ou du fait que les intérêts payables avaient commencé à largement éclipser le montant de l’impôt exigible au moment où les avis de cotisation ont été établis. Du point de vue des demandeurs, le délégué a suivi servilement la circulaire.

[41]  Les demandeurs affirment également qu’en 1994 l’ARC avait reconnu sur le fondement de principes établis que l’équité exigeait que le ministre renonce à tous les intérêts jusqu’au 31 décembre 1989 et que le différend fiscal devait prendre fin. Selon les demandeurs, aucune raison – et le délégué n’en a fourni aucune – ne justifiait que l’approche fondée sur des principes appliquée en 1994 ne s’applique pas également au stade du troisième examen, de sorte que l’allègement des intérêts aurait dû être accordé intégralement. De l’avis des demandeurs, si l’ARC n’avait pas accordé la priorité aux procédures criminelles et n’avait pas renié une entente de règlement légale et dûment conclue, l’affaire aurait pris fin en 1994, ils auraient bénéficié d’une renonciation complète aux intérêts pour la période se terminant le 31 décembre 1989 et aucun intérêt n’aurait couru après novembre 1994.

[42]  Selon les demandeurs, le délégué s’en est tenu à une formule rigide pour appliquer les dispositions relatives à l’équité pour déterminer les intérêts payables pour la période commençant en 1990 jusqu’à la décision de la Cour de l’impôt en 2014. Les demandeurs soutiennent que le délégué a rendu la mesure d’allègement tributaire de la question de savoir si les intérêts courus découlaient de circonstances indépendantes des demandeurs et il n’a fait aucune mention des principes généraux d’équité qui sous‑tendent le paragraphe 220(3.1). Les demandeurs affirment que le délégué n’a pas tenu compte des questions qu’ils ont soulevées et que, de fait, il a machinalement approuvé les décisions d’examen antérieures.

[43]  Les demandeurs affirment que le délégué leur a fait porter le blâme pour une fraude complexe, à grande échelle, dont ils sont les victimes innocentes, ainsi que pour les importantes sommes payables à l’égard desquelles ils ont demandé un allègement, et qu’il a aussi omis de reconnaître qu’ils n’étaient pas au courant du montant des sommes payables. Selon les demandeurs, le délégué n’a jamais pris en considération les principes généraux d’équité à la lumière de l’historique particulier de l’affaire, y compris le fait que des intérêts ont couru entre 1984 et 1990 sans que les demandeurs sachent qu’ils devaient quoi que ce soit à l’ARC.

[44]  Selon les demandeurs, l’équité exige qu’ils bénéficient tous du même allègement, peu importe qu’ils aient présenté une demande avant ou après la modification du paragraphe 220(3.1), parce que tous les demandeurs étaient des investisseurs ayant participé au stratagème d’OCGC, tous ont réclamé des déductions et pertes dans leurs déclarations de revenus au cours de périodes d’imposition semblables ou identiques, et tous ont été victimes de fraude et ont été victimes des mêmes types de retards qui ne leur étaient pas attribuables.

[45]  Les demandeurs prétendent qu’ils auraient dû obtenir un allègement parce qu’ils devraient être traités de la même façon que les autres contribuables dans la même situation, à savoir ceux que l’on désigne les intouchables de KPMG. Ils soulignent qu’en l’occurrence ils sont les victimes innocentes d’une fraude, alors que les intouchables de KPMG avaient sciemment participé à un stratagème fiscal extraterritorial suspect mis en œuvre dans l’île de Man. Les demandeurs font valoir que l’équité commande notamment qu’on réserve le même traitement à toutes les personnes se trouvant dans une situation semblable lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a lieu d’accorder un allègement d’intérêts en application du paragraphe 220(3.1), et ils renvoient à l’affaire des intouchables de KPMG et aux dossiers de GLGI où des contribuables se sont vu accorder un allègement complet des intérêts malgré leur participation aux stratagèmes fiscaux en cause. La décision est muette à ce sujet, et selon les demandeurs, cela indique que le délégué n’a pas dûment examiné cette observation.

V.  Allégations des défendeurs

[46]  Les défendeurs soutiennent que le délégué a dûment tenu compte de chacun des motifs soulevés dans les observations des demandeurs. De l’avis des défendeurs, les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve ou argument valable selon lequel le délégué n’a pas tenu compte de leurs observations ou en a fait abstraction. Il ressort du procès‑verbal relatif aux ententes de règlement de 2017 que c’est d’abord et avant tout en raison des retards que la décision d’effectuer un troisième examen a été prise.

[47]  Il était raisonnable, selon les défendeurs, que le délégué examine les décisions rendues à l’issue des examens de premier et de deuxième niveau puisque l’avocat des demandeurs en a fourni des copies au délégué et a présenté de nombreuses observations étayant la thèse que le raisonnement appliqué dans les décisions antérieures était erroné. Le défendeur souligne que le délégué a tenu compte de la répudiation de l’entente de règlement de 1994 et qu’il a raisonnablement conclu qu’un allègement d’intérêts suffisant avait déjà été accordé concernant l’entente de règlement de 1994 lors de l’examen de premier niveau.

[48]  Le défendeur souligne en outre qu’une offre semblable visant à régler les appels en convenant d’accorder un allégement d’intérêts a été faite en 1996, mais que les demandeurs ont choisi de ne pas l’accepter. Le défendeur souligne également qu’à ce moment-là les demandeurs avaient reçu un relevé indiquant le solde exigible s’ils acceptaient le règlement proposé. Selon les défendeurs, les demandeurs auraient pu payer le solde dû en tout temps après l’établissement des cotisations.

[49]  De l’avis des défendeurs, les motifs du délégué s’appuyaient sur l’objet du paragraphe 220(3.1), qui est de pallier les manquements indépendants de la volonté du contribuable. Les défendeurs affirment que l’analyse du délégué était étayée par les faits et, par conséquent, raisonnable.

[50]  Pour ce qui est des lettres d’interception, les défendeurs font valoir que, par celles‑ci, les demandeurs ont été informés qu’en ce qui concerne OCGC il y avait quelque chose d’irrégulier et que l’ARC ne pouvait être blâmée pour leur décision de continuer d’investir auprès de OCGC.

[51]  Selon les défendeurs, le délégué n’a pas conclu que les demandeurs n’avaient qu’eux‑mêmes à blâmer. Il a plutôt conclu qu’il n’y avait pas de circonstances indépendantes de leur volonté les ayant empêchés de respecter leurs obligations. Autrement dit, les défendeurs soutiennent que le délégué n’a pas restreint ni entravé le pouvoir discrétionnaire accordé en vertu du paragraphe 220(3.1).

[52]  Les défendeurs affirment que le délégué ne pouvait faire fi des dispositions de la LIR. Selon les défendeurs, avant 2005, le ministre pouvait accorder un allègement d’intérêts pour des périodes illimitées en application du paragraphe 220(3.1). Toujours selon des défendeurs, le paragraphe 220(3.1) autorise désormais le ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire uniquement pour renoncer aux intérêts accumulés ou les annuler pour toute année d’imposition se terminant au cours des dix années précédant la demande d’allègement du contribuable indépendamment du moment où la dette fiscale sous‑jacente a pris naissance.

[53]  Les défendeurs affirment également que le traitement réservé à d’autres contribuables est dépourvu de pertinence sur le plan juridique lorsqu’il s’agit de déterminer le bien‑fondé de la demande présentée par le contribuable actuel. Les défendeurs estiment que les demandeurs n’ont pas établi de rapport entre eux et les intouchables de KPMG ou les donateurs de GLGI. Leurs demandes concernent l’annulation d’intérêts et le délégué a raisonnablement conclu qu’une comparaison avec les ententes de règlement relatives à d’autres stratagèmes fiscaux présentait peu d’intérêt.

VI.  Analyse

[54]  Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que le délégué a examiné tous les motifs présentés par les demandeurs. Il était raisonnable que le délégué se reporte aux examens précédents, et ce n’est pas parce qu’il a fait référence à ces examens qu’il n’a pas procédé à un examen de novo.

[55]  Je suis également d’accord avec les défendeurs pour dire que l’ampleur des retards ne justifiait pas automatiquement un allègement des intérêts. À mon avis, le délégué a procédé à un examen holistique de tous les retards et autres facteurs soulevés par les demandeurs. Le délégué a raisonnablement tenu compte de la durée des retards et reconnus qu’il ne convenait pas d’accorder un allègement d’intérêts pour certaines périodes et que d’autres périodes avaient déjà été prises en compte dans les examens précédents. Dans l’ensemble, j’estime que l’analyse que le délégué a faite des demandes d’allègement d’intérêts présentées par les demandeurs était raisonnable.

[56]  Il était également raisonnable que le délégué conclue que, puisqu’un allègement d’intérêts avait déjà été accordé en ce qui concerne l’entente de règlement de 1994 ayant été répudiée, il n’y avait lieu d’accorder aucun autre allègement découlant de ce règlement dans le cadre du troisième examen.

[57]  Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire qu’aucune circonstance indépendante de la volonté des demandeurs ne les empêchait de respecter leurs obligations de payer l’impôt. Si les demandeurs avaient accepté l’offre, figurant dans les lettres d’interception, que leurs déclarations fassent l’objet de cotisations sans les crédits d’impôt et autres déductions transférés, ils auraient reçu des avis de cotisation auxquels ils auraient pu s’opposer au motif que les cotisations n’incluaient pas de crédits et de déductions qu’ils croyaient sincèrement valides. S’ils avaient payé le montant d’impôt exigible indiqué dans les cotisations, ils auraient évité l’accumulation des intérêts. Si les oppositions avaient finalement été acceptées et que les crédits d’impôt et les déductions transférés avaient été jugés valides, les demandeurs auraient pu recevoir rétroactivement les crédits et les déductions avec intérêts et ils auraient été rétablis dans leur situation antérieure.

[58]  Pour ce qui est de créer l’égalité entre les demandeurs, à mon avis, le délégué a, à juste titre, refusé l’allègement des intérêts au‑delà de 10 ans pour les demandeurs de 2014. En vertu du paragraphe 220(3.1), le ministre n’a plus le pouvoir discrétionnaire d’annuler des intérêts ou d’y renoncer au‑delà de dix ans avant la demande d’allègement d’un contribuable, peu importe le moment où la dette fiscale sous‑jacente a pris naissance (Bozzer c Canada, 2011 CAF 186, par. 12 et 58 et 59).

[59]  Enfin, je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que la comparaison avec les intouchables de KPMG ou les donateurs de GLGI n’est ni pertinente sur le plan factuel ni permise sur le plan juridique. Dans l’arrêt Ludco Enterprises Ltd c Canada, [1994] ACF no 2007, la Cour d’appel fédérale a conclu que les éléments de preuve concernant d’autres contribuables ayant bénéficié d’une déduction d’intérêts pour des prêts obtenus dans des circonstances identiques à celles des appelants étaient inadmissibles :

30  Les appelants veulent faire la preuve qu’à l’occasion d’emprunts contractés dans des circonstances identiques d’autres contribuables ont bénéficié de la déduction des intérêts en vertu de l’alinéa 20(1)c) de la Loi. Ils en tirent l’argument que le ministre a été coupable de discrimination à leur égard.

31  À mon avis cette allégation ne donne pas ouverture aux conclusions de la demande et en conséquence la preuve n’en est pas recevable. Dans Hokhold (A.N.) c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 99 (C.F. 1re inst.), où il s’agissait précisément d’une requête en rejet d’allégations le juge Rothstein s’exprime à ce sujet (à la page 106) :

Le demandeur semble se préoccuper de ce que d’autres contribuables ont connu un traitement différent de celui que Revenu Canada lui a réservé. Quels que soient les motifs de l’action de Revenu Canada à l’égard d’autres contribuables, ils ne se rapportent pas au cas du demandeur.

32  Dans la même décision, après avoir cité Ford Motor Co. of Canada c. Canada (Ministre du Revenu national — M.R.N.) [(1994), 85 F.T.R. 116] qui affirmait le même principe dans une affaire semblable, il ajoutait (à la page 106) :

Bien qu’on comprenne que le demandeur trouve injuste le fait que Revenu Canada semble avoir traité différemment les contribuables se trouvant dans des circonstances semblables, cela ne peut constituer le fondement de l’appel du demandeur. Le demandeur ou bien a droit, selon une interprétation raisonnable du texte du sous-alinéa 110(1)f)(iii) de la Loi de l’impôt sur le revenu, à la déduction d’assistance sociale ou bien n’y a pas droit. J’ai conclu que, à l’évidence, il n’y a pas droit.

VII.  Conclusion

[60]  En l’espèce, la décision du délégué était raisonnable. Les motifs de cette décision sont intelligibles, transparents et justifiables, et la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les demandes de contrôle judiciaire des demandeurs sont par conséquent rejetées.

[61]  À l’audience, les défendeurs ont indiqué qu’ils ne demandaient pas de dépens. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS T‑943‑18 et T‑982‑18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées; une copie du présent jugement est versée dans chacun des dossiers de la Cour T‑943‑18 et T‑982‑18; aucuns dépens ne sont adjugés.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de septembre 2019.

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑943‑18

 

INTITULÉ :

VINCENT BAILINI, RANDALL BARRS, GEOFFREY BELCHETZ, ROBERT BERGER, STEVEN BLACK, CLEMENTE CABILLAN, WAYNE CARMAN, DAVID DE SILVA, JOYCE DOYLE, WILLIAM EASTON, TIMOTHY FELTIS, SANDRA GERTNER, JOSEPH GOTTDENKER, ROBERT HILL, NIZAR KANJI, ANASTASSIOS KARANTONIS, FRANK KOSAR, HENRY KUTZKO, FRANK MAGNUS, MARIO MASELLIS, ALAN MCFADYEN, LA SUCCESSION DE FEU DAVID MCINNIS, STUART MITCHELL, FRANN RASMINSKY‑MITCHELL, JAMES RATHBUN, JOHN NKANSAH, NARH OMABOE, GAIL PALERMO, IAN BRUCE ROBINSON, LOUIS SCHEINMAN, HOWARD SIDSWORTH, MICHAEL SLOCOMBE, MICHAEL SPIVAK, MALCOLM STAFFORD, ROBERT TAUTKUS, DAVID THOMAS, GARY THORNTON, JOSEPH TRAGER, EDWARD VALLEAU, WALTER VOGL et WILLIAM WILKINSON c SA MAJESTÉ LA REINE (représentée par le ministre du Revenu national, en sa qualité de ministre responsable de la Loi de l’impôt sur le revenu), L’AGENCE DU REVENU DU CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

ET DOSSIER :

T‑982‑18

 

INTITULÉ :

LORENZO BRANDIMARTE c SA MAJESTÉ LA REINE (représentée par le ministre du Revenu national, en sa qualité de ministre responsable de la Loi de l’impôt sur le revenu), L’AGENCE DU REVENU DU CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JUIN 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER AOÛT 2019

 

COMPARUTIONS :

Howard Winkler

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Samantha Hurst

Andrea Jackett

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Winkler Dispute Resolution

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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