Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

        


Date : 19981218


Dossier : IMM-1067-98

ENTRE:


André KOUAMA


Partie requérante


ET


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION DU CANADA


Partie intimée

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 11 février 1998 de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, Section du statut de réfugié, par laquelle on jugeait que le requérant n"est pas "réfugié au sens de la convention". Le requérant demande à cette Cour d"infirmer ladite décision et de renvoyer le dossier pour audience devant de nouveaux commissaires.


FAITS

[2]      Le requérant, André Kouama, né le 9 mai 1962, est citoyen du Congo, de l"ethnie Lari. Il est arrivé à l"aéroport de Montréal le 29 septembre 1996 et a revendiqué le statut de réfugié en raison de ses opinions politiques, de sa religion et de son appartenance à un groupe particulier.

[3]      Les faits décrits ci-dessous sont résumés dans la décision du 11 février 1998 rendue par la section du statut du réfugié. Le requérant a déclaré qu"en 1993 et 1994, les miliciens Ninja du Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral [MCDDI] de Monsieur Kolela l"ont invité à entrer dans leurs rangs. Son refus les a indisposés. En février 1994, le requérant, qui est très religieux, a commencé à organiser des réunions de prières dans sa maison. Les miliciens avertissent le requérant en 1996 de mettre fin à ces activités. Le 3 juillet 1996, les Ninja ont fait irruption dans la maison du requérant. Ils ont tabassé tout le monde et ont tenté de s"emparer du requérant qui a réussi à s"enfuir. Le même soir, il a traversé la frontière du Zaïre. Il a appris ensuite que ses biens avaient été saccagés et qu"un des fidèles du groupe était décédé à l"hôpital. Il a alors décidé de ne plus retourner dans son pays et de venir au Canada pour revendiquer le statut de réfugié.


Décision de la section du statut de réfugié

[4]      Les passages pertinents de la décision se lisent comme suit:

         Après avoir analysé toute la preuve, tant testimoniale que documentaire, le tribunal en est arrivé à la conclusion que le revendicateur n"est pas un "réfugié au sens de la Convention" pour les raisons suivantes.                 
         Les pièces A-6 et A-7 démontrent que les persécuteurs du demandeur sont mis hors de combat et qu"ils ne contrôlent plus rien à Brazzaville. Monsieur Nguesso a remplacé monsieur Lissouba à la tête du pays par les armes. Monsieur Lissouba est en exil. Son allié, monsieur Kolela, est lui aussi en exil. La milice Ninja de monsieur Kolela est démantelée. Monsieur Nguesso contrôle actuellement le pays avec une vive intention de le garder. Il a l"appui des Français et des Américains. Enfin, les persécuteurs du demandeur ne sont plus une menace actuellement.                 
         Dans ce contexte, le tribunal est d"avis que le demandeur n"a pas de possibilité raisonnable de persécution selon les termes de l"arrêt Adjei .                 

REPRÉSENTATIONS DES PARTIES

[5]      Le requérant allègue, sans trop insister, qu"il n"a pas eu droit à une audience juste et équitable parce que l"audience n"a durée que 20 minutes et qu"on ne lui a pas donné l"opportunité d"expliquer en quoi la conjoncture politique au Congo n"atténuait pas ses craintes de persécution au Congo. Plus précisément, le requérant, dans ses représentations écrites, soutient que les commissaires ont lu à haute voix des extraits de la question 37 du FRP, et lui ont posé une question concernant ses craintes de persécution depuis que le président Lissouba est en exil. Il soutient qu"en procédant de cette façon, les commissaires lui ont donné à croire qu"ils prenaient pour avérés les faits relatés et qu"il a répondu à cette question de façon satisfaisante sans toutefois avoir la possibilité de se faire entendre sur les autres faits en question.

[6]      Le requérant allègue aussi que la Commission a erré en ne tenant pas compte de toute la preuve documentaire et testimoniale qui démontrent que la conjoncture politique n"a pas pour effet d"atténuer ses craintes de persécution. En outre, le requérant soutient que la Commission a erronément conclu que les changements de circonstances au Congo niaient ses craintes de persécution.

[7]      L"intimé soutient que le temps alloué à l"audience n"a pas été écourté et que le requérant et sa procureure n"ont soulevé aucune objection au cours de l"audience et que le requérant n"a pas démontré que la durée de l"audience lui a été préjudiciable. En outre, l"intimé soumet que la durée d"une audience ne reflète pas la qualité du travail d"un tribunal et qu"un tribunal peut limiter le temps consacré à une audience, d"autant plus lorsqu"aucune objection n"est soulevée (Vorobia c. M.E.I. (1994), 28 Imm.L.R. (2d) 97 (C.F.)).

[8]      De plus, l"intimé soumet que la Commission n"a pas erré en tenant compte des nouvelles circonstances au Congo dans l"évaluation de la nouvelle situation du requérant et de ses craintes de persécution. La Commission est tenue d"évaluer si, compte tenu des changements, il existe une possibilité raisonnable de persécution advenant son retour au Congo (Stoyanov c. M.E.I. , (1993) 157 N.R. 394; Hassan c. M.E.I., 147 N.R. 317 (C.A.F.)). La conclusion de la Commission qu"il n"existait pas de possibilité raisonnable de persécution pour le requérant s"il retournait au Congo est fondée sur la preuve documentaire et testimoniale, notamment que les persécuteurs du requérant sont hors de combat et qu"ils ne contrôlent plus rien à Brazzaville. Ainsi, la Commission a correctement conclu que les craintes de persécution du requérant n"ont plus de fondement objectif. L"évaluation des motifs de crainte de persécution doit se faire au moment ou l"on statue sur sa revendication, et non pas dans le passé. En outre, l"évaluation des changements de circonstances est une question de fait avec laquelle la Cour ne devrait pas intervenir dans la mesure où elle trouve appui dans la preuve.

[9]      L"intimé allègue aussi que le requérant n"a pas réfuté la présomption que le juge des faits a tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis avant de tirer ses conclusions. Qui plus est, la Commission a la discrétion requise pour évaluer la valeur probante de la preuve ainsi que pour en tirer des inférences raisonnables.

QUESTION EN LITIGE

[10]      La Commission de l"immigration et du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit, ou enfreint un principe de justice naturelle, justifiant l"intervention de cette Cour?

ANALYSE

Audience juste et équitable

[11]      Le requérant soutient qu"il n"a pas eu droit à une audience juste et équitable parce que l"audience n"a duré que 20 minutes et qu"il n"a pas eu l"opportunité de se faire entendre. L"intimé soumet que la durée d"une audience n"est pas un gage de la qualité du travail d"un tribunal administratif, que la durée de l"audience n"a pas été écourtée, et que le requérant et sa procureure n"ont soulevé aucune objection au cours de l"audience.

[12]      L"intimé réfère la Cour à un passage du Juge MacKay dans Vorobieva , supra, concernant la procédure et le temps alloué aux audiences. À la page 100, le juge MacKay concluait :

         When Mrs. Vorobieva testified at the final hearing after the panel had indicated a limited time for testimony, no significant objection concerning the time available was raised. The applicants were advised through counsel that statutory declarations from other witnesses would be received and submissions from counsel were permitted and received following conclusion of the testimony and before the final hearing at which decision of the panel was rendered.                 
         I am not persuaded that in controlling its own process and limiting time available for testimony and where the time allocated does not appear to have been unreasonable, and the limits proposed were not strenuously objected to, that the panel denied a fair hearing, or violated subs. 46(3) of the Act.                 

[13]      À mon avis, le requérant soulève dans ses représentations deux questions connexes: la durée de l"audience et l"opportunité d"être entendu. En l"espèce, l"audience n"a duré que 20 minutes. Est-ce que cela suffit pour conclure qu"il y a eu déni de justice? Je suis convaincu que ce n"est pas le cas . En tant que tribunal administratif, la Commission du statut du réfugié détermine l"objet et la portée de ses audiences, pourvu qu"elle agisse de bonne foi ( Nouvelle-Écosse c. Marshall , [1989] 2 R.C.S. 788). En outre, le juge MacKay dans Vorobieva, supra, soulignait que la Commission du statut de réfugié régit sa procédure et le temps alloué pour chacune des audiences. Il va de soi que la Commission a la discrétion et l"expertise nécessaire pour évaluer le temps nécessaire pour le traitement des dossiers. À la lecture du présent dossier, j"ai constaté que les faits semblent relativement simples. En outre, il ressort aussi du dossier que le requérant et sa procureure n"ont soulevé aucune objection à la durée de l"audience. Je ne peux donc conclure que la durée de l"audience est déraisonnable ou équivaut à un déni de justice.

[14]      De plus, le requérant a aussi allégué qu"il n"a pas eu l"opportunité de se faire entendre lors de l"audience et que cela constitue un déni d"équité procédurale. Le requérant déclare, dans ses représentations écrites, que les commissaires ont lu à haute voix un passage de la question 37 du FRP, qu"ils lui ont ensuite posé une question sur ses craintes de persécution depuis que M. Lissouba est en exil, et qu"ils sont ensuite passés_à une autre question après avoir écouté sa réponse. Le requérant soutient qu"en procédant de cette façon, les commissaires lui ont laissé croire qu"ils tenaient pour avérés les faits qu"ils venaient de lire à haute voix et qu"il n"a pu se faire entendre sur ces faits.

[15]      À mon avis, le droit de se faire entendre exige, entre autres, d"un tribunal qu"il donne l"opportunité à une personne de répondre aux questions qui lui sont soumises ainsi que de faire des représentations sur chaque fait ou facteur qui est susceptible d"affecter la décision. En l"espèce, le requérant prétend qu"il y a eu une injustice du fait qu"il n"a pu se faire entendre, mais il n"a allégué aucun élément démontrant qu"il y a eu un déni de justice. Il n"a pas établi non plus qu"on l"a empêché de déposer tout autre élément de preuve. À mon avis, l"injustice qu"invoque le requérant, si injustice il y a eu, découle de son appréciation et de son interprétation personnelle du déroulement de l"audience. Le requérant a présumé qu"en lisant un extrait de la question 37, les commissaires avaient tenu ces faits pour avérés. À mon avis, il a eu l"opportunité de se faire entendre, mais ne s"en est pas prévalu. De plus, on a demandé expressément à la procureure du requérant si elle avait d"autres questions à poser et elle a répondu non. Je ne peux voir en quoi la Commission a commis une erreur, ou enfreint un principe d"équité procédurale ou de justice naturelle.

Appréciation de la preuve

[16]      Le requérant allègue aussi que la Commission a commis une erreur déraisonnable en concluant que le nouveau gouvernement de monsieur Nguesso est solidement implanté et qu"il a le contrôle du Congo. Le requérant allègue que la Commission a erré dans l"appréciation de la preuve documentaire. Selon lui, les documents crédibles et digne de foi qu"il a soumis en preuve démontrent que le Congo est en guerre civile et que des combats font rage entre les différentes milices, soit les Ninjas de Monsieur Kolelas et les Cobras du Président Nguesso. Selon le requérant, la preuve démontre que les milices sont armées et que le Congo est sur le point d"être plongé dans une longue guerre ethnique sanglante pour le pouvoir.

[17]      L"intimé invoque la présomption à l"effet que la Commission a considéré toute la preuve qui a été soumise à la Commission et qu"elle jouit de la discrétion pour analyser la preuve et en tirer des inférences raisonnables. En outre, l"intimé soumet que la présence d"éléments de preuve contradictoires ne justifie pas l"intervention de la Cour puisque la Commission peut valablement se fonder sur les éléments de preuve qu"elle préfère. La Commission était fondée de conclure que la situation actuelle au Congo enlève tout fondement objectif de crainte de persécution des miliciens Ninja. Cette Cour ne devrait intervenir que s"il y a erreur manifestement déraisonnable puisque l"appréciation des changements de circonstances constitue une question de faits ( Yusuf v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1995), 179 N.R. 11 (C.A.)).

[18]      Il est clair que la Commission a toute la discrétion voulue pour évaluer la preuve qui lui est soumise et pour en tirer des conclusions de fait et de droit raisonnables. Toutefois, dans l"éventualité où une erreur se serait glissée dans l"appréciation des faits, l"intervention de la Cour ne serait justifiée que si la décision de la Commission s"appuie sur cette prémisse de base. En l"espèce, il appert des motifs de la décision que la conclusion que les craintes de persécution du requérant ne sont pas fondées s"appuie sur plusieurs éléments dont le fait que M. Lissouba est en exil et qu"il a été remplacé par M. Nguesso, que la milice de M. Kolela est démantelée, et que M. Nguesso a l"appui des Français et des Américains. Je ne suis pas persuadé qu"une erreur concernant le contrôle effectif de M. Nguesso sur le Congo et son intention de maintenir ce contrôle, si erreur il y a eu, justifie l"intervention de la Cour. À mon avis, la conclusion que les craintes de persécution ne sont pas justifiées ne s"appuie pas uniquement sur cet élément de preuve.

Évaluation des motifs de crainte de persécution

[19]      Le requérant allègue que la Commission a commis une erreur en refusant de reconnaître que la crainte du requérant est fondée malgré l"exil du Président Lissouba. Le requérant soutient que les commissaires ont fait une analyse superficielle de la preuve documentaire. À cet égard, l"intimé soumet que la Commission était fondée de tenir compte des changements relatifs à la conjoncture politique pour déterminer, au moment de l"examen de la revendication, si les craintes de persécution du requérant étaient fondées. Il soumet en outre que les conclusions de la Commission relativement à la situation au Congo s"appuient entièrement sur la preuve dont elle était saisie.

    

[20]      Il est reconnu que l"évaluation du fondement de la crainte s"effectue à deux niveaux; le requérant doit démontrer que la crainte qu"il dit ressentir quant aux risques de persécution est bien fondée tant sur le plan objectif que subjectif. D"une part, la crainte subjective s"évalue à la lumière des faits allégués par le demandeur ou se déduit de la conduite du demandeur, et la seule question à trancher porte sur sa crédibilité. D"autre part, la crainte objective s"évalue objectivement à la lumière de la situation qui prévaut à la date de l"audience, compte tenu des changements de circonstances, par exemple, au niveau politique ou social. Je constate, à la lecture des motifs de la Commission, que les commissaires ont tenu compte des changements d"ordre politique et militaire au Congo ainsi que des appuis de la France et des États-Unis, pour déterminer si le requérant avait raison de craindre d"être persécuté s"il devait retourner au Congo. Il s"agit de l"évaluation du fondement objectif de la crainte au moment de l"audience et la crédibilité du requérant n"est pas en cause. La seule question est de savoir si, compte tenu de la situation qui prévaut au Congo, il y a une possibilité raisonnable ou une possibilité sérieuse que le requérant soit persécuté s"il retourne dans son pays d"origine. La Commission a conclut que cette crainte n"était pas justifiée. La Cour ne peut intervenir à moins que le requérant établisse que l"évaluation objective de la Commission est déraisonnable ou arbitraire. Le requérant allègue que la preuve au dossier démontre que ses craintes sont justifiées puisque les miliciens des différentes ethnies, dont les ninjas, sont armés et présents au Congo. Le requérant ne fait toutefois référence à aucun document précis et le dossier contient bon nombre d"articles de journaux rapportant la situation civile et politique au Congo. À la page 145, un article rapporte que le nouveau Président Nguesso a "mis en déroute les forces du président Pascal Lissouba" et d"autres articles se retrouvant aux pages 133 et suivantes du dossier rapportent que la guerre civile a pris fin. À la page 146, un article en date du 19 octobre 1997 rapporte aussi que des règlements de comptes continuaient entre cobras et partisans du président renversé Pascal Lissouba. À mon avis, la prépondérance des articles semble étayer les faits sur lesquels la Commission fonde sa conclusion. Je ne suis pas persuadé que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la preuve et son évaluation du fondement objectif des craintes du requérant est déraisonnable ou arbitraire qui justifie l"intervention de cette cour.

CONCLUSION

[21]      Le requérant ne met en preuve aucun élément permettant de conclure que la Commission a erré en droit ou en fait, ou a enfreint un principe de justice naturelle.

[22]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[23]      Les parties n"ont pas soulevé de question à certifier.

                             "Max M. Teitelbaum"

                        

                                 J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 18 décembre 1998

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.