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Date : 20000210

Dossier : T-1940-98

Ottawa (Ontario), le 10 février 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

E n t r e :

VAN MELLE NEDERLAND B.V.

demanderesse

- et -

MAPLE LEAF MEATS INC.

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]                La demanderesse, Van Melle Nederland B.V. « Van Melle » , interjette appel de la décision par laquelle la Commission des oppositions des marques de commerce a rejeté l'opposition formée par Van Melle à l'enregistrement de la marque de commerce projetée FRUIT-ELLY de la défenderesse Maple Leaf Meats Inc. « Maple Leaf » au motif que cette marque crée de la confusion avec la marque de commerce déposée FRUITTELLA de Van Melle. Cette dernière marque a été enregistrée en liaison avec les marchandises suivantes :


des friandises, à savoir des bonbons, des dragées, du sucre cuit, de la gomme à mâcher, du caramel à la menthe poivrée, des bonbons et des dragées médicamenteux et de la réglisse, tous les produits susmentionnées ne contenant ni cacao ni chocolat.

[2]         L'enregistrement de FRUIT-ELLY est proposé en liaison avec des [TRADUCTION] « flans, parfaits et desserts à base de gélatine » . L'enregistrement de la marque FRUITTELLA au Canada remonte au 15 novembre 1968, tandis que la demande d'enregistrement de FRUIT-ELLY repose sur une utilisation projetée.

[3]         Dans sa déclaration d'opposition, Van Melle invoque de nombreux moyens dont le trait commun est celui de la confusion créée avec la marque de commerce déposée de Van Melle. M. David Martin, le commissaire de la Commission d'opposition des marques de commerce qui a examiné la demande en tant que délégué du registraire, a conclu que rien ne permettait de conclure à une probabilité de confusion.


[4]         La preuve soumise à la Commission à l'appui de l'opposition était constituée des affidavits de Ronald Korenhof et d'Alex Moore. Le premier est le directeur adjoint des Services internationaux de marketing de Van Melle alors que le second était, à l'époque, étudiant en droit stagiaire au cabinet d'avocats de Van Melle, en l'occurrence le cabinet Blake Cassels & Graydon. Les éléments de preuve produits au soutien de la demande d'enregistrement consistaient en l'affidavit souscrit par Geoff Silva, directeur du marketing chez Principal Marques Inc. (prédécesseur en titre de Maple Leaf), et de l'affidavit d'Andrew Currier, étudiant en droit stagiaire au cabinet d'avocats de Maple Leaf, le cabinet Gowling Strathy & Henderson. Van Melle a déposé deux autres affidavits en appel, celui de Shelley L. Cunningham, directrice administrative canadienne chez Van Melle Canada Ltd., ainsi que l'affidavit de Susan A. Woodward, comptable principal du distributeur ontarien de Van Melle. À la suite du contre-interrogatoire de Mme Cunningham au sujet de son affidavit, Maple Leaf a déposé un second affidavit souscrit par Geoff Silva.

[5]         La Commission des oppositions a conclu qu'il n'y avait aucun risque de confusion et a rejeté l'opposition. Elle a d'abord fait remarquer que, bien que les dates critiques varient selon les moyens d'opposition, en dernière analyse, la question de la date critique n'avait aucune importance. Pour se prononcer sur les risques de confusion, la Commission a estimé que la date critique était celle de la date de la décision de la Commission. Elle a également conclu que c'était à la requérante, Maple Leaf, qu'il incombait de démontrer qu'il n'y avait aucun risque de confusion. La Commission a ensuite examiné les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce (la « Loi » ) L.R.C. (1985), ch. T-13. Voici, en résumé, ses conclusions :

-            Caractère distinctif : FRUITTELLA et FRUIT-ELLY sont des mots inventés qui possèdent en conséquence un caractère distinctif inhérent, mais ni l'un ni l'autre n'est intrinsèquement fort en raison de l'utilisation du mot « fruit » dans les deux, mot qui évoque les marchandises vendues (ou à vendre) en liaison avec les deux marques.

-            Utilisation au Canada : aucun élément de preuve n'a été présenté pour démontrer que l'utilisation de la marque FRUIT-ELLY est devenue bien connue au Canada.


-            Période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage : ce facteur favorise l'opposante Van Melle, étant donné qu'au moment de la demande, l'utilisation de FRUIT-ELLY était à venir.

-            Nature des marchandises ou du commerce : les marchandises associées aux deux produits entrent dans la catégorie générale des produits alimentaires, qui est tellement large qu'elle est de peu d'utilité. Lorsque les produits FRUITTELLA sont vendus dans des supermarchés, il est probable que les deux produits sont vendus dans des rayons différents, mais il ressort de la preuve que les produits FRUITTELLA sont vendus davantage dans des dépanneurs, des magasins de vente au rabais, des kiosques à journaux que dans des supermarchés, où les produits FRUIT-ELLY seraient vendus. La Commission a conclu qu'il n'y avait aucun élément de preuve qui permettait d'étendre la portée d'une marque de commerce d'une catégorie de produits alimentaires à l'autre. Il y avait bien des éléments de preuve au sujet des quatre marques de commerce apposées sur deux produits alimentaires différents, mais aucun élément de preuve au sujet de l'utilisation de ces marques en liaison avec les produits en question.

-            Degré de ressemblance et idées suggérées : le degré de ressemblance est élevé, en grande partie à cause de l'emploi du mot « fruit » dans les deux marques.


-            Première impression et souvenir imparfait : la Commission a conclu qu'en raison des différences existant entre les marchandises et le commerce des parties et de la faiblesse inhérente des marques, la demanderesse s'était acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu'il n'y avait aucun risque de confusion.

[6]         L'affidavit de Mme Cunningham a été soumis à l'appui de la conclusion de la Commission suivant laquelle les produits de Van Melle étaient surtout vendus dans des dépanneurs, des magasins de vente au rabais et des kiosques à journaux. Les pièces jointes aux affidavits font état de listes de clients pour les années 1996 à 1998. Le nom du client ne permet cependant pas de déterminer le type de détaillant dont il s'agit. Mme Cunningham énumère les divers types de détaillants à qui des produits FRUITTELLA sont vendus, mais ne donne aucune ventilation en ce qui concerne le volume ou le pourcentage des diverses catégories en question. L'affidavit de Susan Woodward renferme également des renseignements au sujet des ventes, mais souffre de la même lacune que l'affidavit de Shelley Cunningham. Il ne ventile pas les ventes par catégorie de détaillant. Comme la Commission a conclu que les produits de Van Melle étaient vendus surtout dans des kiosques à journaux, des magasins de vente au rabais et des dépanneurs, il ne suffit pas de démontrer qu'il arrive parfois que ces produits soient vendus dans des supermarchés pour réfuter cette conclusion. Il ne s'agit pas de savoir si les marchandises sont vendues dans des supermarchés, mais plutôt de savoir si elles sont surtout vendues dans des supermarchés. Je conclus que cet élément de preuve supplémentaire n'a pas beaucoup de poids.


[7]         Dans son second affidavit, Geoff Silva confirme que Maple Leaf a commencé à vendre des marchandises sous la marque de commerce FRUIT-ELLY et fait remarquer que ces produits craignent la chaleur et sont par conséquent vendus dans le rayon des produits réfrigérés des épiceries.

[8]         Malgré le fait qu'il existe un droit incontestable d'interjeter appel de la décision de la Commission des oppositions, ainsi que celui de soumettre de nouveaux éléments de preuve, la décision de la Commission mérite un certain degré de déférence de la part de la Cour de sorte qu'à défaut de nouveaux éléments de preuve significatifs, cette décision ne doit pas être modifiée à moins qu'elle soit déraisonnable ou manifestement erronée[1]. C'est à la demanderesse qu'il incombe de démontrer que la décision est manifestement erronée, contrairement au fardeau de la preuve applicable devant la Commission des oppositions.

[9]         Van Melle formule plusieurs observations au sujet des conclusions tirées par la Commission des oppositions. Elle soutient que, si la Commission a conclu que les marques de Van Melle sont distinctives, elle n'aurait pas dû conclure que les marques de Maple Leaf sont elles aussi distinctives en raison de leur similitude avec les marques de Van Melle. Les éléments du caractère distinctif sont énoncés dans le jugement Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254, aux pages 269 et 270 (C.F. 1re inst.), une décision du juge Rouleau :

On voit également que le caractère distinctif comporte trois conditions : 1) la marque doit être reliée à un produit (ou marchandise) ; 2) le « propriétaire » doit utiliser ce lien entre la marque et son produit, en plus de fabriquer et de vendre ce produit ; 3) ce lien permet au propriétaire de la marque de distinguer son produit de celui d'autres fabricants.


[10]       Les propos de la Commission portaient sur le « caractère distinctif inhérent » , une notion analogue mais différente de celle du « caractère distinctif » [2]. Comme FRUITTELLA et FRUIT-ELLY sont tous les deux des mots inventés, ils possèdent tous les deux un caractère distinctif inhérent en ce sens qu'ils ne sont pas descriptifs. La juxtaposition des deux risque de créer de la confusion en raison de leur similitude, auquel cas la marque la plus récente sera considérée comme n'ayant pas un caractère distinctif suffisant.

[11]       Maple Leaf soutient par ailleurs que la Commission a commis une erreur en concluant que la marque FRUIT-ELLY évoquait des desserts composés de gélatine ou de gelée, étant donné qu'il n'y avait aucun élément de preuve en ce sens. Dans la mesure où cette conclusion reflète l'évaluation que la Commission a faite de l'effet de la marque sur le public, je ne serais pas porté à intervenir faute de preuve démontrant qu'elle s'est de toute évidence méprise. Cette question se situe au coeur de la compétence spécialité de la Commission. Elle reflète l'expérience que la Commission a accumulée au sujet de la réaction du public à certaines expressions. On aurait pu démontrer que la conclusion de la Commission est erronée en recourant à des sondages, mais tant qu'on ne le fera pas, je suis prêt à accepter sans réserve cette conclusion.


[12]       Van Melle affirme que ses marques devraient bénéficier d'une plus grande protection parce qu'elles sont utilisées depuis une quarantaine d'années. Elle fait également valoir que, comme les marchandises sont des articles plus petits et peu dispendieux, le risque de confusion est plus élevé, ce qui justifie une plus grande protection. La question qui se pose est donc celle du poids à accorder aux divers facteurs énumérés dans la Loi. La Commission a conclu que ces facteurs étaient subordonnés à d'autres facteurs. Il s'agit là encore d'une question qui relève de sa compétence que je ne suis pas disposé à modifier.

[13]       Van Melle fait valoir, en ce qui concerne la nature du commerce, que les deux types de marchandises seront vendus dans des épiceries et que les risques de confusion s'en trouvent d'autant augmentés. La Commission a conclu que les produits FRUITTELLA étaient surtout vendus dans des points de vente au détail autres que des épiceries. Les éléments de preuve complémentaires qu'a soumis Van Melle n'ont pas permis de réfuter cette conclusion. La Commission a également conclu que les marchandises seraient vendues dans des rayons différents du magasin. Cette conclusion est appuyée par le second affidavit de Geoff Silva qui démontre que les produits FRUIT-ELLY sont vendus exclusivement dans le rayon des produits réfrigérés des supermarchés.


[14]       À mon avis, l'argument le plus solide de Van Melle est celui qu'elle tire du degré de ressemblance entre les marques dans la présentation ou le son ou dans les idées qu'elles suggèrent ainsi que le prévoit l'alinéa 6(5)e) de la Loi. La Commission a reconnu qu'il existait un degré élevé de ressemblance à tous égards, mais n'en a pas tenu compte en raison de l'emploi courant du mot « fruit » en tant que premier élément de chacune des marques. Comme les deux marques sont employées en liaison avec des produits alimentaires, le mot « fruit » n'est pas distinctif (et est en fait probablement descriptif). La Commission a statué qu'aucune des deux parties n'avait le droit à l'usage exclusif du mot.

[15]       À mon avis, la Commission a commis une erreur en décortiquant trop finement les deux marques. Elle a conclu que la ressemblance qui existait entre les deux marques était attribuable à la présence du mot « fruit » comme premier élément de chacune des marques. En fait, cette ressemblance est attribuable à la présence du mot « fruit » et à la syllabe « ell » qui le suit. Le trait distinctif est la différence relativement mineure qui existe, dans la dernière syllabe, entre « il » et « la » (prononcés) ou « ly » et « la » (écrits). Dans les deux cas, les éléments distinctifs sont faibles et échappent facilement à l'attention. Lorsqu'on considère les marques dans leur ensemble, le degré de ressemblance est tel qu'il induit en erreur.

[16]       Cette méthode d'analyse de la similitude a été retenue par les tribunaux (voir les décisions British Drug Houses Ltd. v. Battle Pharmaceuticals (1944), 4 C.P.R. 48, [1944] R.C. de l'Éch. 239 et Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. et al. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413, [1991] A.C.F. No. 546 pour deux exemples).


[17]       Même si la Commission a commis une erreur sur cette question, en est-elle arrivée à une conclusion qui est manifestement erronée ? Après tout, on n'accorde pas la même valeur à tous les facteurs. Le poids à accorder à un facteur déterminé est une question qui relève de la compétence spécialisée de la Commission. La Commission a prétendu fonder sa décision sur les différences entre les marchandises et sur la faiblesse inhérente des deux marques. On ne saurait reprocher à la Commission l'évaluation qu'elle a faite au sujet de la nature des marchandises. La question de la faiblesse de deux marques soulève en fait la question du degré de protection à accorder à l'usage que Van Melle fait du mot « fruit » dans sa marque. Ainsi que je l'ai déjà souligné, la similitude qui existe entre les deux marques va au-delà de l'utilisation du mot « fruit » . La conclusion de la Commission suivant laquelle l'utilisation du mot « fruit » a droit à une protection limitée est bien fondée, mais s'applique de façon limitée aux faits de la présente affaire lorsqu'une nouvelle marque incorpore d'autres éléments de la marque originale et utilise un trait distinctif faible. Il ne s'agit donc pas de la valeur à accorder à un facteur déterminé, mais plutôt de l'application correcte d'un principe. En raison de cette erreur de principe, je conclus que la décision de la Commission est manifestement erronée.

                                        ORDONNANCE

            Par ces motifs, l'appel est accueilli et la décision rendue le 1er août 1998 par la Commission des oppositions des marques de commerce est annulée. La défenderesse est condamnée aux dépens, qui devront être liquidés.

                                                                          « J.D. Denis Pelletier »         

                                                                                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

        AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                               T-1940-98

INTITULÉ DE LA CAUSE : VAN MELLE NEDERLAND B.V. c. MAPLE LEAF MEATS INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 7 septembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE prononcés par le juge Pelletier en date du 10 février 2000

ONT COMPARU :

Me Brian Gray                                                               pour la demanderesse

Me James Buchan                                                                      pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon                                                         pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

Gowling, Stratry & Henderson                                       pour la défenderesse

Toronto (Ontario)



     [1]       Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., [1999] A.C.F. No. 1763 (C.F. 1re inst.).

     [2]         « Il ne faut pas confondre le caractère distinctif inhérent avec la condition déjà examinée suivant laquelle la marque de commerce doit constamment permettre de distinguer les marchandises ou les services de ses propriétaires » (Hughes on Trademarks, Butterworths, 1999 release (CD-ROM) art. 62).

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