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Date : 20040907

Dossier : IMM-5905-03

Référence : 2004 CF 1219

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                KONSTANTIN ALEK GADELIYA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 9 juillet 2003. Dans cette décision, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention en application de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Voici les questions en litige :

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait sa résidence habituelle en Géorgie au lieu de reconnaître sa citoyenneté géorgienne?

2.         Le membre de la Commission aurait-il dû se récuser en raison d'une crainte raisonnable de partialité?

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant à l'absence de crainte subjective de persécution de la part du demandeur?

4.         L'analyse de la Commission relativement à la crédibilité du demandeur et à la preuve documentaire était-elle manifestement déraisonnable?

[3]                Pour les motifs exposés ci-dessous, je réponds par l'affirmative à la première question, je réponds à la deuxième et à la troisième question par la négative et il n'est donc pas nécessaire que j'aborde la quatrième question. Par conséquent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

LE CONTEXTE

[4]                Le demandeur allègue qu'il a raison de craindre d'être persécuté en raison de ses opinions politiques et de sa nationalité abkhaze.


[5]                Des extraits du Formulaire de renseignements personels (le FRP) du demandeur seront utilisés pour décrire les faits allégués en l'espèce. Le demandeur est né à Tkvarcheli, en Abkhazie (URSS), en 1954. Il a travaillé en Sibérie pour la société Varioganeftegaz de 1979 à 1990. En 1990, l'Union soviétique l'a nommé vice-ministre au ministère abkhaze du Forage pétrolier. Il avait un bureau en Abkhazie et un autre à Moscou. Après l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, il a conservé son poste au sein du gouvernement abkhaze.

[6]                Le 14 août 1992, une guerre a éclaté entre l'Abkhazie et le gouvernement central de la Géorgie. Elle a duré seize mois. Le vice-ministre du gouvernement abkhaze a demandé au demandeur de soutenir financièrement l'armée abkhaze dans ses efforts à l'encontre du gouvernement géorgien. Le demandeur a refusé. Le vice-ministre a continué de demander de l'argent pendant les six mois qui ont suivi. Le gouvernement abkhaze a qualifié le demandeur de pro-géorgien. Il a démissionné de son poste au sein du gouvernement abkhaze en mars 1993 et a été engagé à titre de président de la société Rostneftlitsenzinvest en avril 1993, en Russie. En avril 1994, le demandeur a appris du maire de Sukhumi, la capitale de l'Abkhazie, qu'au cours de la dernière réunion du gouvernement abkhaze, le vice-ministre de l'Abkhazie avait pressé le ministre responsable des gardes-frontières pour qu'il lance un mandat d'arrestation à l'encontre du demandeur, ce qui a par la suite été fait. Le demandeur a continué de recevoir des appels du vice-ministre de l'Abkhazie tentant de le convaincre de revenir en Abkhazie, mais le demandeur n'y est jamais retourné.


[7]                En 1994, alors qu'il vivait en Russie, le demandeur a commencé à rencontrer des problèmes avec la mafia russe qui lui faisait des menaces et qui menaçait de kidnapper ses enfants. Il a déposé de nombreuses plaintes auprès de la police mais sans résultat. Il a donc organisé la venue de son épouse et de ses enfants au Canada pour leur protection.

[8]                En août 1996, six hommes armés, dont un portant un uniforme de policier, sont entrés de force dans la maison du demandeur et ont demandé de l'argent. Lorsque le demandeur a fait une autre plainte à la police, on lui a demandé de l'argent en échange de sa protection. Le demandeur est demeuré à Moscou afin de continuer à exploiter son entreprise, mais il avait peur de se faire tuer. Il a reçu de nombreux appels téléphoniques anonymes de menaces.


[9]                En juillet 1997, le demandeur a quitté Moscou pour le Canada, où il a rejoint son épouse et ses enfants. Il a présenté une demande d'asile qu'il a ensuite abandonnée, puisqu'il est retourné à Moscou afin de payer une rançon pour sa mère que la mafia ruse avait kidnappée. En février 1998, le demandeur est revenu au Canada et a fait une deuxième demande d'asile. Cette fois-ci, on a considéré qu'il y avait eu désistement de la demande en raison du fait qu'il ne s'était pas présenté à l'audience. Il affirme n'avoir jamais reçu l'avis de convocation. Le 22 février 1999, le demandeur a été renvoyé du Canada vers les États-Unis, où il a vécu pendant un an et onze mois et où il a présenté une demande d'asile. Le demandeur a quitté les États-Unis pour revenir au Canada sans attendre que se demande d'asile américaine soit traitée. Le demandeur présente maintenant une troisième demande en vertu de la Loi sur l'immigration.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[10]            La Commission est venue à la conclusion que le demandeur n'était ni un citoyen de la Russie ni de la Géorgie, ce qui fait de lui un apatride. Elle a décidé qu'elle analyserait la demande d'asile en se basant sur le fait que le demandeur avait sa résidence habituelle en Géorgie.

[11]            La Commission a conclu à l'absence d'une crainte subjective de persécution de la part du demandeur parce qu'il n'avait pas demandé l'asile en Russie où il a vécu de 1993 à 1997 après avoir fui l'Abkhazie, parce qu'il n'avait pas demandé l'asile lorsqu'il était retourné en Russie pour aider sa mère et parce qu'il avait demandé l'asile aux États-Unis, où il a vécu pendant un an et onze mois, et quitté pour le Canada sans attendre que sa demande d'asile soit traitée.

[12]            La Commission a également mentionné les deux aspects de l'histoire du demandeur où il y avait un manque de crédibilité. Enfin, la Commission a conclu que la preuve documentaire ne démontrait pas que les autorités géorgiennes persécutait les Abkhazes.


ANALYSE

La résidence par opposition à la citoyenneté

[13]            L'article Freedom in the World 2002; Georgia (pièce A-9) mentionne qu'il n'existe aucune entente finale à l'égard du conflit prolongé qui a débuté par la guerre en 1992 et que, par conséquent, l'Abkhazie fait toujours légalement partie de la Géorgie. Un ressortissant abkhaze est un citoyen de la Géorgie, comme le mentionnent la loi de la république de Géorgie relative à la citoyenneté géorgienne et la Constitution de la Géorgie.

[14]            L'avocate du demandeur affirme que tous s'entendaient que la demande d'asile du demandeur devrait être entendue en se basant sur sa crainte de retourner en Géorgie. Le demandeur reconnaît lui-même que sa crainte de retourner en Géorgie a été examinée par la Commission en dépit de l'erreur que celle-ci a commise entre la citoyenneté et la résidence. Par conséquent, cette erreur n'a aucun effet pratique en l'espèce (Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 63 F.T.R. 81 (C.A.F.)).

Récusation du membre de la Commission

[15]            Le demandeur allègue que le membre de la Commission aurait dû se récuser parce qu'il y avait une crainte raisonnable de partialité. En 1998, le même membre de la Commission avait rejeté la demande d'asile des enfants du demandeur et de son ex-épouse.

[16]            Le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité est celui de savoir si une personne renseignée penserait qu'il est fort probable qu'un décideur trancherait, consciemment ou non, la question de façon non équitable (Committee for Justice and Liberty c. L'Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 et Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623).

[17]            Le demandeur fait valoir qu'il y a des faits communs aux deux histoires, soit celle de son ex-épouse et de ses enfants ainsi que la sienne. Il fait également valoir que le membre de la Commission a fait mention du demandeur d'une manière défavorable dans la décision se rapportant à son ex-épouse et à ses enfants. Il convient de souligner qu'ils ne demandaient pas l'asile pour les mêmes motifs. En l'espèce, la décision a été rendue en juillet 2003; aucune mention n'a été faite de la décision relative à son ex-épouse et aucun des éléments de la demande d'asile de celle-ci n'a été pris en compte.

[18]            Dans l'arrêt Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, [2001] A.C.F. no 1091 (C.A.) (QL), la Cour d'appel fédérale a déclaré au paragraphe 8 :

[...] Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l'encontre d'un tribunal, est une allégation sérieuse. [...] Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d'un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. Pour ce faire, il est souvent utile et même nécessaire de recourir à des preuves extrinsèques au dossier. C'est pourquoi ces preuves sont admissibles en dérogation au principe qu'une demande de contrôle judiciaire doit porter sur le dossier tel que constitué devant le tribunal.

[19]            Je conclus qu'il n'y a pas suffisamment de preuves concrètes démontrant une crainte raisonnable de partialité. En d'autres mots, je crois qu'une personne bien renseignée ne penserait pas que le membre de la Commission n'a pas été équitable (Gonzales c. Canada (Secrétaire d'État), [1993] A.C.F. no 1305 (1re inst.) (QL)).

Absence de crainte de persécution

[20]            Le défendeur fait valoir, et je suis d'accord avec lui, que le demandeur n'a pas démontré qu'il avait une crainte subjective de persécution. Le demandeur a fui l'Abkhazie et est parti vivre en Russie de 1993 à 1997 sans jamais y demander l'asile. En plus, le demandeur est retourné en Russie après un séjour au Canada sans non plus saisir cette occasion de demander l'asile en Russie à ce moment-là. Le demandeur explique que les autorités russes ne l'ont pas aidé et qu'elles ne le protégeaient pas. J'estime que cela ne justifie pas son omission de demander l'asile, en particulier à la lumière du fait que le demandeur écrit lui-même dans son FRP qu'il [traduction] « est demeuré à Moscou afin de continuer à exploiter son entreprise » , ce qui démontre que sa situation n'était pas si désespérée puisqu'il y est demeuré pendant un bon nombre d'années pour des raisons économiques. Il a finalement quitté la Russie en juillet 1997 sans déclarer quel événement grave ou quelle situation lui avait fait prendre la décision de quitter.

[21]            De plus, le demandeur a vécu aux États-Unis pendant un an et onze mois, y a demandé l'asile mais n'a pas attendu que le processus de sa demande soit complété avant de venir au Canada. Apparemment, le demandeur n'était pas au courant qu'il pouvait revenir au Canada après un séjour de quatre-vingt-dix jours aux États-Unis. Son désir d'être avec ses enfants ne justifie pas le fait qu'il n'ait pas attendu les résultats de sa demande d'asile là-bas.

[22]            L'omission de la part du demandeur de demander l'asile en Russie et son omission d'attendre l'audition de sa demande d'asile aux États-Unis font ressortir une absence de crainte subjective. Puisque tous les demandeurs d'asile doivent démontrer l'existence d'une crainte objective et d'une crainte subjective de persécution, l'absence de crainte subjective porte un coup fatal à toute demande d'asile (Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593 et Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.)). Il n'est pas nécessaire que j'examine la question de savoir si la Commission a tiré d'autres conclusions quant à la crédibilité qui étaient manifestement déraisonnables ni celle de savoir si la Commission a effectué une analyse appropriée de la preuve documentaire.

[23]            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[24]            Les parties n'ont pas jugé opportun de proposer des questions graves de portée générale. Je suis convaincu qu'il n'y en a aucune qui découle de cette affaire. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

               « Michel Beaudry »             

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5905-03

INTITULÉ :                                        KONSTANTIN ALEK GADELIYA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 1er SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 7 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Eleanor K. Comeau                               POUR LE DEMANDEUR

Sherry Rafai Far                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eleanor K. Comeau                               POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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