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Date : 20041015

Dossier : T-2284-03

Référence : 2004 CF 1425

ENTRE :

                                             JAMES ANDREW DOHERTY

                                                                                                                          demandeur

                                                                      et

                                    PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                             défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]         La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 23 octobre 2003 par laquelle un sous-commissaire principal du Service correctionnel du Canada a rejeté le grief au troisième palier déposé par le demandeur au sujet de la réévaluation, en 2003, de sa cote de sécurité, qui est passée de moyenne à maximale, et par son transfèrement non sollicité de ltablissement à sécurité moyenne Mountain à ltablissement à sécurité maximale Kent. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l'affaire aux autorités compétentes pour qu'elles rendent une nouvelle décision.

[2]         Le demandeur est né le 29 mars 1965. Il est citoyen canadien. Le 11 janvier 1994, il a été condamné à l'emprisonnement à perpétuité après avoir été reconnu coupable de deux chefs de meurtre au premier degré. Le tribunal lui a imposé une période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle de vingt-cinq ans à compter de la date de son arrestation, le 30 mai 1992.

[3]         Avant son transfèrement non sollicité à ltablissement à sécurité maximale Kent, le demandeur a purgé la dernière période de six ans et demi de sa peine à ltablissement à sécurité moyenne Mountain, où il a été écroué le 10 novembre 1996.

[4]         Le 16 mai 2003, des troubles ont éclaté à ltablissement Mountain. Par le truchement de son avocat, le demandeur a, en réponse aux démarches visant à procéder à son transfèrement non sollicité, donné le compte rendu suivant de ses actes au cours de ces troubles :


[Traduction] En ce qui concerne les incidents survenus le 16 mai 2003, M. Doherty décrit de la manière suivante sa « participation » . Vers 20 h 30, il était au téléphone. Il a entendu par les hauts-parleurs l'ordre donné aux détenus de réintégrer leur cellule pour y êtres enfermés (isolement cellulaire). Il a terminé sa conversation téléphonique et a regagné sa cellule. Il se trouvait dans sa cellule lorsque l'agent Al Sadar (épellation phonétique) s'est présenté à la porte et lui a dit : « À l'intérieur ou à l'extérieur » . M. Doherty affirme que, lorsque d'autres ordres d'isolement cellulaire avaient été donnés, on avait offert aux prisonniers le choix de verrouiller leur cellule ou de sortir. Il a alors demandé à M. Sadar : « On peut sortir? » , ce à quoi M. Sadar a répondu par l'affirmative. M. Doherty affirme qu'il ignorait alors la raison pour laquelle l'isolement cellulaire avait été ordonné. Il a pensé qu'on manquait peut-être d'effectifs. Il a quitté sa cellule et a regagné l'enceinte. Il a vu un groupe de détenus attroupés devant la cuisine parmi lesquelles se trouvaient deux membres du comité des détenus. On lui a dit que l'isolement cellulaire avait été ordonné parce qu'un couteau avait disparu. Pendant une vingtaine de minutes, il a discuté (en sa qualité de président du comité des condamnés à perpétuité) avec les membres du comité des détenus de la possibilité de proposer à l'administration que les détenus réintègrent leur cellule au bout de quelques heures après avoir eu le temps de prendre une douche et de téléphoner à des membres de leur famille puisqu'ils seraient isolés dans leur cellule sans possibilité de visite pour au moins deux jours. Les membres du comité ont ensuite quitté les lieux. Malheureusement, d'autres détenus ont commencé à saccager les biens. M. Doherty explique qu'il ne voulait pas s'en mêler. Lorsqu'il a vu qu'un incendie avait été allumé dans une boîte en carton devant la cuisine, il est devenu encore plus préoccupé car il savait que la situation se détériorerait et que les démarches entreprises par le comité pour négocier avec l'administration s'en trouveraient d'autant compromises. Il a clairement exprimé son désaccord et a essayé dteindre l'incendie. Lorsqu'il a constaté que les fenêtres de la bibliothèque avaient été fracassées, il est retourné dans sa cellule. Il affirme que M. Sadar l'a vu rentrer dans sa cellule. M. Doherty soutient qu'il ntait d'accord avec aucun des gestes accomplis ce soir-là en réaction à l'ordre d'isolement cellulaire et il ajoute qu'il n'a incité ou autrement encouragépersonne à protester contre cette mesure ou à détruire ou voler des biens.

[5]         Le 22 mai 2003, à la suite des troubles qui avaient éclaté à ltablissement Mountain, le demandeur a fait l'objet d'un transfèrement d'urgence non sollicité à ltablissement Kent en vertu de l'article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi) et de l'article 13 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition, DORS/92-620 (le Règlement). Sa cote de sécurité est passée de la catégorie moyenne à la catégorie maximale et son transfèrement non sollicité à ltablissement de Kent a été approuvé.


[6]         Le demandeur a présenté sans succès un grief jusqu'au troisième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs du Service correctionnel du Canada (SCC) pour contester la réévaluation de sa cote de sécurité et son transfèrement non sollicité. Il soutient que plusieurs notes de service internes et avis sur lesquels était fondé le rejet de son grief au troisième palier n'ont pas été mis à sa disposition, le privant ainsi de la possibilité de répondre.

[7]         Le demandeur affirme depuis le début que son récit de ses actes à l'occasion des troubles en question n'a jamais été contredit par des éléments d'information fiables.

[8]         Le 23 mai 2003, le SCC a publié un avis de transfèrement non sollicité en vertu de l'article 29 de la Loi. Les motifs invoqués pour justifier les recommandations concernaient à la fois le présumé comportement problématique affiché par le demandeur depuis quelques mois et sa participation aux incidents susmentionnés :

[Traduction] Votre adaptation à ltablissement carcéral pose problème depuis plusieurs mois. On vous a remis le 11 février 2003 un accord sur le comportement attendu de vous dans le but de vous permettre de conserver votre cote de sécurité moyenne. Or, vous n'avez manifesté aucune volonté d'améliorer votre comportement. Le 16 mai 2003, de graves incidents sont survenus au cours desquels des biens de ltablissement ont été détruits et de nombreux détenus ont eu un comportement perturbateur. Suivant certains éléments d'information, vous auriez participé à ces incidents, ce qui a entraîné la révision des risques que vous représentez en tant que détenu à sécurité moyenne.


[9]         Le 22 mai 2003, le SCC a remis au demandeur une copie de la Révision annuelle de la réévaluation de la cote de sécurité du détenu et de lvaluation en vue d'une décision - Réévaluation de la cote de sécurité du détenu et transfèrement non sollicité à ltablissement à sécurité maximale Kent (lvaluation). Les auteurs de lvaluation ont recommandé l'attribution d'une cote de sécurité maximale, malgré les résultats informatisés obtenus avec lchelle de réévaluation du niveau de sécurité, qui donnait une cote de sécurité moyenne. Voici comment ils ont justifié cette « dérogation » :

[Traduction] Justification : Participation à des troubles ayant conduit à une altercation ou à des dommages à la suite d'un comportement perturbateur schelonnant sur une période suffisamment longue.

Observations : Le comportement de M. Doherty est devenu de plus en plus préoccupant. Il conteste constamment l'autorité et mine l'autorité du personnel de l'unité et de ltablissement. Il a été vu en train de participer à de graves troubles qui ont compromis la sécurité de ltablissement.

[10]       Sous la rubrique [traduction] « Évaluation globale du transfèrement et de la cote de sécurité » , les auteurs notent ce qui suit : [traduction] « Bien qu'il n'existe aucun élément d'information qui permette de penser que M. Doherty a été mêlé à quelque destruction matérielle que ce soit, il existe des éléments d'information fiables qui indiquent qu'il en était assurément un des instigateurs » . Les auteurs de lvaluation ont recommandé qu'il soit reclassé comme détenu à sécurité maximale et que l'on procède à son transfèrement non sollicité à ltablissement Kent.

[11]       Le 10 juin 2001, l'avocat du demandeur a réfuté par écrit l'avis et lvaluation. Cette réfutation contestait le compte rendu des agissements du demandeur lors des troubles ainsi que l'allégation que son comportement stait constamment détérioré.


[12]       On a remis au demandeur un addenda à lvaluation en vue d'une décision dans laquelle lui étaient communiqués des renseignements complémentaires au sujet du transfèrement. Son avocat a une fois de plus soumis des observations.

[13]       Le demandeur reproche au sous-commissaire principal de ne pas lui avoir communiqué une copie des divers rapports, résumés et observations sur lesquels reposait la décision rendue le 23 octobre 2003 en réponse à son grief au troisième palier. Le demandeur soutient qu'en conséquence, les droits que lui reconnaissent les paragraphes 27(1) et 27(2) de la Loi ont été violés et que le défaut de lui fournir ces documents avant de rendre la décision finale constitue un manquement aux principes de justice fondamentale.

[14]       Le défendeur soutient qu'on a fourni au demandeur les renseignements à l'appui de la recommandation de le transférer à ltablissement Kent. Dans une réponse datée du 10 juillet 2003, l'avocat du demandeur a réclamé que le transfèrement non sollicité soit révisé parce qu'il n'existait pas suffisamment de motifs pour justifier le transfèrement.


[15]       Le 26 juin 2003, le demandeur a également reçu un addenda à lvaluation en vue d'une décision qui lui fournissait des renseignements complémentaires au sujet de son transfèrement non sollicité. Le 10 juillet 2003, l'avocat du demandeur a déposé d'autres observations au soutien de l'opposition du demandeur à son transfèrement non sollicité, en faisant valoir une fois de plus qu'il n'y avait pas suffisamment de motifs pour justifier le transfèrement.

[16]       Le 29 juillet 2003, lquipe de gestion des cas du demandeur (lquipe) a révisé la cote de sécurité du demandeur. Lquipe a conclu que, d'après les calculs informatisés, la cote du demandeur était celle de « détenu à sécurité moyenne » , mais qu'il y avait lieu de déroger à cette évaluation. Le directeur par intérim de ltablissement Mountain écrit :

[Traduction] Le comportement de M. Doherty est devenu de plus en plus préoccupant. Il conteste constamment l'autorité et mine l'autorité du personnel de l'unité et de ltablissement. Il a été vu en train de participer à de graves troubles qui ont compromis la sécurité de ltablissement. Sa cote d'adaptation à l'établissement est ÉLEVÉE, son risque d'évasion est MODÉRÉ et le risque pour la sécurité du public est ÉLEVÉ.

Je suis d'accord avec les recommandations de lquipe. La cote d'adaptation de M. Doherty à ltablissement est ÉLEVÉE. Au cours de la dernière année, M. Doherty a été impliqué dans de nombreux incidents et il a accumulé une longue liste de sujets de préoccupation soulevés par le personnel de ltablissement. Malgré les nombreuses tentatives qui ont été faites pour intervenir en vue de l'aider à se corriger, il a constamment adopté une attitude agressive et fait preuve d'un mépris complet envers le règlement carcéral. Le 16 mai 2003, ltablissement Mountain a été le théâtre de troubles majeurs auxquels M. Doherty aurait pris part. Le risque dvasion de M. Doherty est MODÉRÉ. Bien qu'il n'y ait aucun information qui permette de penser que M. Doherty est en train de planifier son évasion, il lui reste une longue peine à purger et il a fait défaut de comparaître et défaut de se conformer. Ces faits, ajoutés aux comportements négatifs auxquels il est récemment retourné, laissent penser que M. Doherty n'a pas encore fait face à son problème de violence et que son comportement agressif et belliqueux systématique constitue un risque élevé pour le public.


[17]       Le 23 octobre 2003, le sous-commissaire a rejeté le grief au troisième palier du demandeur. Dans sa décision, le sous-commissaire a, en résumé, rappelé la détérioration du comportement du contrevenant, ses antécédents de violence, son risque élevé de récidiver et de commettre d'autres actes de violence, sa participation extrêmement limitée au programme et son apparente incapacité à sviter des ennuis. Le sous-commissaire a expliqué que tous ces facteurs justifiaient la dérogation. Il est admis que le rapport établi par le sous-commissaire le 9 octobre 2003 n'a pas été communiqué au demandeur avant que le sous-commissaire ne prenne sa décision au sujet du grief au troisième palier.

[18]       Le défendeur admet qu'aux termes de l'article 12 du Règlement, les Services correctionnels du Canada doivent aviser par écrit le détenu du transfèrement projeté et des motifs de cette mesure. Le détenu a alors la possibilité de présenter ses observations, ce qui a été fait en l'espèce, ne serait-ce que par le fait qu'on lui a remis un addenda qui renfermait des éléments d'information complémentaires auxquels il a ensuite répondu.

[19]       L'avocat du défendeur rappelle à la Cour qu'elle devrait être au courant des intérêts qui sont en jeu, y compris la sécurité de ltablissement et la sécurité du personnel et des détenus.

[20]       Le défendeur soutient que la norme de contrôle qui s'applique en l'espèce est celle de la « décision manifestement déraisonnable » et que les autorités ont bel et bien abordé la question de lquité procédurale et estimé qu'on avait donné au demandeur une possibilité suffisante de répondre à la recommandation de le transférer.


[21]       Le demandeur allègue que le sous-commissaire a violé son droit à lquité procédurale en se fondant sur un avis interne dont la teneur ne lui a pas été communiqué et auquel on ne lui a pas donné la possibilité de répondre.

[22]       Pour rejeter le grief au troisième palier du demandeur, le sous-commissaire a conclu :

[Traduction] Par conséquent, sur la foi des renseignements contenus dans le CD 006 et l'avis donné par la Direction générale des opérations de réinsertion sociale en établissement, nous estimons que la dérogation par laquelle votre cote de sécurité a été portée de moyenne à maximale était justifiée. Votre grief est par conséquent rejeté.

[23]       On trouve ce qui suit dans le Rapport d'observation ou déclaration de l'agent :

[Traduction] Suivant plusieurs indices, DOHERTY aurait été l'instigateur d' « incidents » survenus à ltablissement au cours desquels des détenus se sont rebellés [...]

La détérioration du comportement du contrevenant, ses antécédents de violence, son risque élevé de récidiver et de commettre d'autres actes de violence, sa participation extrêmement limitée au programme et son apparente incapacité à sviter des ennuis sont tous des facteurs qui justifient la dérogation par laquelle sa cote de sécurité a été portée à MAXIMALE le 22 mai 2003.

[24]       En résumé, le demandeur soutient que le sous-commissaire n'a pas porté à sa connaissance tous les éléments dont il a tenu compte avant ou après sa décision sur le grief au troisième palier. L'intimé affirme que ce faisant, le sous-commissaire a violé les droits reconnus au demandeur par les paragraphes 27(1) et 27(2) de la Loi, son droit à lquité procédurale reconnu en common law et son droit à la justice fondamentale garanti par l'article 7 de la Charte.


[25]       Voici les dispositions législatives applicables :

Loi sur le Système correctionnel et la mise en libertésous condition, L.C. 1992. ch. 20 :

27. (1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l'organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d'un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), cette personne ou cet organisme doit, dès que sa décision est rendue, faire connaître au délinquant qui y a droit au titre de la présente partie ou des règlements les renseignements pris en compte dans la décision, ou un sommaire de ceux-ci.

28. Le Service doit s'assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des éléments suivants :

a) le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s'y trouvent et du détenu;

b) la facilité d'accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu culturel et linguistique compatible;

c) l'existence de programmes et services qui lui conviennent et sa volonté d'y participer.

29. Le commissaire peut autoriser le transfèrement d'une personne condamnée ou transférée au pénitencier, soit à un autre pénitencier, conformément aux règlements pris en vertu de l'alinéa 96d), mais sous réserve de l'article 28, soit à un établissement correctionnel provincial ou un hôpital dans le cadre d'un accord conclu au titre du paragraphe 16(1), conformément aux règlements applicables.

30. (1) Le Service assigne une cote de sécurité selon les catégories dites maximale, moyenne et minimale à chaque détenu conformément aux règlements d'application de l'alinéa 96z.6).

            (2) Le Service doit donner, par écrit, à chaque détenu les motifs à l'appui de l'assignation d'une cote de sécurité ou du changement de celle-ci.

Règlement sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition, DORS/92-620


12. Sauf dans le cas du transfèrement demandé par le détenu, le directeur du pénitencier ou l'agent désigné par lui doit, avant le transfèrement du détenu en application de l'article 29 de la Loi :

                        a) l'aviser par écrit du transfèrement projeté, des motifs de cette mesure et de la destination;

b) après lui avoir donnéla possibilité de préparer ses observations à ce sujet, le rencontrer pour lui expliquer les motifs du transfèrement projeté et lui donner la possibilité de présenter ses observations à ce sujet, en personne ou par écrit, au choix du détenu;

c) transmettre les observations du détenu au commissaire ou à l'agent désigné selon l'alinéa 5(1)b);

d) l'aviser par écrit de la décision définitive prise au sujet du transfèrement et des motifs de celle-ci :

                                    (i) au moins deux jours avant le transfèrement, sauf s'il consent à un délai plus bref lorsque la décision définitive est de le transférer,

                                    (ii) dans les cinq jours ouvrables suivant la décision, lorsque la décision définitive est de ne pas le transférer.

17. Le Service détermine la cote de sécurité à assigner à chaque détenu conformément à l'article 30 de la Loi en tenant compte des facteurs suivants :

                        a) la gravité de l'infraction commise par le détenu;

                        b) toute accusation en instance contre lui;

                        c) son rendement et sa conduite pendant qu'il purge sa peine;

d) ses antécédents sociaux et criminels, y compris ses antécédents comme jeune contrevenant s'ils sont disponibles;

e) toute maladie physique ou mentale ou tout trouble mental dont il souffre;

f) sa propension à la violence;

g) son implication continue dans des activités criminelles.

18. Pour l'application de l'article 30 de la Loi, le détenu reçoit, selon le cas :

a) la cote de sécurité maximale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

                        (i) soit présente un risque élevéd'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une grande menace pour la sécuritédu public,

                        (ii) soit exige un degré élevé de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;


b) la cote de sécurité moyenne, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

(i) soit présente un risque d'évasion de faible à moyen et, en cas d'évasion, constituerait une menace moyenne pour la sécurité du public,

(ii) soit exige un degré moyen de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier [...]

80. (1) Lorsque le délinquant est insatisfait de la décision rendue au sujet de son grief par le directeur du pénitencier ou par le directeur de district des libérations conditionnelles, il peut en appeler au responsable de la région.

(2) Lorsque le délinquant est insatisfait de la décision rendue au sujet de son grief par le responsable de la région, il peut en appeler au commissaire.

(3) Le responsable de la région ou le commissaire, selon le cas, doit transmettre au délinquant copie de sa décision motivée aussitôt que possible après que le délinquant a interjeté appel.

(Non souligné dans l'original.)

[26]       La Cour est essentiellement appelée à décider si la décision de procéder au transfèrement non sollicité du demandeur était manifestement déraisonnable, compte tenu de l'ensemble des faits de l'espèce. La Cour doit décider si le demandeur s'est vu offrir une possibilité suffisante de répondre à la recommandation de son transfèrement. Pour ce faire, la Cour doit déterminer si le demandeur disposait de suffisamment dléments d'information pour formuler une réponse.


[27]       Le demandeur a d'abord reçu une évaluation en vue d'une décision qui comptait neuf pages. Le document insistait dès le départ sur la détérioration de sa conduite qui avait culminé avec l'incident qui se serait produit à ltablissement Mountain le 16 mai 2003. Le document précisait aussi que le demandeur ne stait inscrit à aucun programme offert par ltablissement depuis janvier 2002 et qu'il avait refusé de participer à d'autres séances de renforcement de la motivation. Le document expliquait qu'on s'inquiétait de plus en plus du comportement du demandeur car il contestait systématiquement l'autorité. On relatait ensuite en détail douze incidents, tous survenus en 2003, qui illustraient le manque de respect du demandeur envers le personnel de ltablissement.

[28]       Ainsi que le demandeur le souligne, le Rapport d'observation ou déclaration de l'agent contredit sa version des faits du 16 mai 2003 au cours desquels il affirme avoir réintégré sa cellule après avoir exprimé son désaccord avec les actes de destruction des biens de ltablissement. Il semble qu'il s'agisse là du point précis sur lequel le demandeur conteste la décision à l'origine de son transfèrement.

[29]       Je vais brièvement évoquer les mesures prises par l'intimé et énumérer les documents dans lesquels se trouvent les renseignements qui sont à la base de la décision qui ont été communiqués au demandeur :

A) Évaluation en vue d'une décision en date du 22 mai 2003. Il s'agit du premier document qui contenait la réévaluation de sa cote de sécurité et dans lequel étaient énumérées une douzaine d'infractions liées au comportement qui étaient imputées au demandeur.


B) Par lettre datée du 10 juillet 2003, l'avocat du demandeur a répondu à la première évaluation.

C) Addenda à lvaluation en vue d'une décision en date du 25 juin 2003.

D) Dans une lettre de quatre pages et demie datée du 10 juillet 2003, l'avocat du demandeur a répondu à l'addenda.

E) Recommandation interne en date du 1er août 2003 concernant le transfèrement et concluant que, malgré les nombreuses occasions qui lui avaient été offertes, le demandeur avait refusé d'examiner son comportement négatif à ltablissement Mountain et soulignant au demandeur que, même si les risques dvasion étaient modérés, les autorités de ltablissement avaient choisi d'exercer le pouvoir discrétionnaire que leur confère l'article 17 du Règlement en concluant qu'en cas dvasion, il constituerait une grave menace pour la sécurité du public (article 18 du Règlement).


F) Recommandation interne dans laquelle le directeur examine la réfutation soumise par l'avocat du demandeur et formule ses observations au sujet de la participation du demandeur à l'incident du 16 mai 2003 en expliquant que le transfèrement non sollicité ntait pas motivé par ces seuls faits mais aussi par divers exemples de comportement négatif du demandeur.

G) Réfutation soumise par le demandeur.

H) Décision concernant le rejet du grief au troisième palier du demandeur et confirmant son transfèrement.

[30]       La Cour a examiné à fond tous les documents mentionnés dans l'affidavit souscrit par le demandeur le 16 janvier 2004 qui, selon ce qu'il affirme, ne lui ont pas été communiqués et violaient l'article 27 de la Loi, ce qui constituait un manquement à l'obligation d'agir avec équité :

A) Une copie de la recommandation qui a été rédigée avant ou après son grief au deuxième palier. Ce document a été rédigé par Linda Stade.

B) Un document rédigé par Mary Ann Kane, gestionnaire de projet, Direction générale des opérations de réinsertion sociale en établissement, analysant la dérogation à la cote de sécurité attribuée au demandeur.


C) Le résumé rédigé par la Division des affaires des détenus et transmis à la personne chargée de rendre une décision sur le grief au troisième palier.

[31]       Après avoir attentivement examiné chacun de ces documents, la Cour est convaincue qu'ils ne renferment aucun élément d'information qui n'avait pas déjà été communiqué au demandeur et qu'ils n'imputent au demandeur aucun fait qui aurait pu influencer de façon défavorable la personne chargée de rendre une décision à son sujet.

[32]       Je suis convaincu que l'obligation imposée par le paragraphe 27(1) de la Loi, soit celle de communiquer au détenu tous les renseignements entrant en ligne de compte de la décision et de lui accorder un délai raisonnable pour y répondre, a été entièrement respectée en l'espèce. Les autorités ntaient nullement obligées de communiquer d'autres documents ou résumés à la suite de la décision sur le grief au premier palier, car je suis convaincu qu'aucun de ces documents ne contenait des éléments d'information supplémentaires qui auraient nui au demandeur ou influencé de façon défavorable la décision ultérieure. Ils ne renfermaient aucun fait nouveau qui n'avait pas déjà été divulgué au demandeur.


[33]       Il ne faut pas oublier que la décision de modifier une cote de sécurité et de transférer d'urgence un prisonnier est une décision purement administrative. Il est intéressant de constater que, dans les divers documents et les notes de service internes, les autorités tiennent pour acquis que le demandeur a participé à l'incident du 16 mai 2003, ce que le demandeur nie. Les autorités n'ont pas retenu sa version des faits. Ctait là une décision discrétionnaire. Or, sauf si on peut la convaincre que cette décision est déraisonnable, la Cour doit faire preuve de retenue lorsqu'elle est appelée à réviser une telle décision.

[34]       Ainsi que le juge Addy lcrit dans le jugement Re Cline (1981), dossier 894-81 (C.F. 1re inst.) :

J'aimerais ajouter que, sauf dans les cas les plus clairs et non équivoques d'injustice sérieuse où il y a mauvaise foi ou partialité, les juges, en règle générale, doivent résister à la tentation de faire usage dans l'atmosphère solennelle et feutrée du prétoire de leur sagesse ex officio et de substituer leur propre jugement à celui des administrateurs expérimentés des prisons.

[35]       En l'espèce, le demandeur a reçu tous les renseignements dont il avait besoin pour être en mesure de répondre et on lui a donné l'occasion de réfuter les allégations formulées contre lui.

[36]       Suivant la preuve non contredite portée à la connaissance des auteurs de la décision, c'est en raison de la détérioration constante du comportement du demandeur que la décision de modifier sa cote de sécurité et de le transférer a été prise. La Cour ne voit aucune raison de mettre en doute la justesse de ces opinions ou le bien-fondé de la décision finale.


[37]       Le demandeur fait valoir que la décision d'ordonner son transfèrement n'a pas été prise en conformité avec les principes de la justice fondamentale et de lquité procédurale, qui exigeaient qu'il soit dûment avisé et qu'on lui donne la possibilité de répondre aux allégations. Or, je suis convaincu que cette obligation a été remplie.

[38]       En ce qui concerne le moyen tiré de l'article 7 de la Charte des droits et libertés, je me permets de citer le sommaire du jugement Trono (Sous-commissaire, Région du Pacifique, Service correctionnel du Canada) c. Gallant, 68 C.R. (3d) 173, avec lequel je suis entièrement d'accord et dont voici le texte :

La décision de transférer l'intimé n'a pas été prise conformément aux principes de justice fondamentale, puisque l'intimé n'a pas vraiment eu la chance de répondre aux allégations portées contre lui. Pour ce qui est de l'article premier de la Charte, la Loi sur les pénitenciers donne au commissaire et à ses délégués le pouvoir discrétionnaire de transférer un détenu d'un établissement à un autre. Dans une société libre et démocratique, il est raisonnable et parfois même nécessaire de conférer pareil pouvoir discrétionnaire aux autorités carcérales. La décision de transférer l'intimé est donc sauvegardée par l'article premier.

[39]       La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

      JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 15 octobre 2004

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIER :                                 T-2284-03

INTITULÉ:                                 JAMES ANDREW DOHERTY c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :         Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :       Le 31 août 2004

MOTIFS :                                    MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :               Le 15 octobre 2004

COMPARUTIONS:                 

Garth Barriere                                                      POUR LE DEMANDEUR

Ed Brunet                                                              POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Garth Barriere

1027, rue Davie, bureau 129

Vancouver (C.-B.)

V6E 4L2                                                                POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)                                                   POUR L'INTIMÉ


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