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Date : 20040716

Dossier : T-67-03

Référence : 2004 CF 996

ENTRE :

                                                     BRIAN C. BRADLEY

                                                                                                                              demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, à l'égard d'une décision datée du 16 décembre 2002 par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (TACRA) a refusé la demande de pension d'invalidité que le demandeur avait présentée en application du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6, au motif que le problème médical dont il souffre, soit une radiculopathie cervicale 5-6, n'était pas consécutif ou rattaché directement au service militaire qu'il a accompli en temps de paix. La radiculopathie cervicale 5-6 dont le demandeur se plaint donne lieu à des douleurs à la colonne cervicale, qui se compose des sept premiers os de la colonne vertébrale, c'est-à-dire des douleurs au cou et dans la région supérieure du dos.

Faits à l'origine du litige

[2]         Le demandeur est né le 4 août 1949. Il a servi dans la milice du 5 mars 1966 au 15 août 1966. Il a ensuite servi dans la force de réserve du 14 juillet 1988 au 9 décembre 1988, puis dans la force régulière du 14 décembre 1988 au 30 mars 1993.

[3]         Le 14 juillet 1990, le demandeur était un officier subalterne en formation et se trouvait à bord du navire canadien de Sa Majesté « Qu'Appelle » , qui était immobilisé à Vancouver. Le demandeur a déclaré qu'il a passé quelque temps au mess, où il a consommé trois ou quatre bières sur une période de deux ou trois heures, et que, au début de la soirée, il a quitté cet endroit pour aller prendre une douche. Alors qu'il prenait sa douche, il a perdu l'équilibre et a heurté la cloison, se cognant le dos et se tordant le bras. L'adjoint médical qui s'est occupé de lui a constaté que le demandeur était en proie à de violents spasmes au niveau de la région lombaire. Le demandeur a été hospitalisé et a été cloué au lit jusqu'à ce que le navire rentre à son port d'attache à Esquimalt (Colombie-Britannique), quelques jours plus tard.


[4]         À son retour à Esquimalt, le demandeur a été transféré dans un hôpital militaire le 19 juillet 1990. Au cours de son séjour à l'hôpital, il s'est plaint de spasmes musculaires au dos et de douleurs à la région médiane lombaire avec sensibilité au toucher au niveau de la colonne vertébrale. Selon un rapport daté du 4 août 1990, le demandeur souffrait d'une lombalgie aiguë lorsqu'il a quitté l'hôpital le 24 juillet 1990.

[5]         Le 28 mars 1996, le demandeur a présenté une demande de pension d'invalidité en vertu de la Loi sur les pensions, soutenant qu'il souffrait d'une radiculopathie cervicale 5-6 à la suite de l'accident qu'il avait subi dans la douche à bord du navire Qu'Appelle à Vancouver. Le 4 février 1997, le ministère des Anciens combattants a refusé la demande de pension.

[6]         L'appel que le demandeur a interjeté devant le comité d'examen de l'admissibilité a été rejeté le 8 mai 1997, tout comme l'appel qu'il a par la suite interjeté devant le TACRA le 3 décembre 1997. Le demandeur a ensuite déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision du TACRA devant la Cour fédérale du Canada.

[7]         Le 27 janvier 1999, le juge Blais a infirmé la décision du TACRA et renvoyé la demande de pension au Tribunal pour nouvelle audition et nouvelle décision par une formation composée d'autres membres.


[8]         Une nouvelle formation du TACRA a réexaminé la demande de pension du demandeur et l'a refusée par une lettre portant la date du 18 mai 1999. Le demandeur a ensuite soumis un nouveau rapport médical et quelques décisions rendues dans d'autres affaires et a demandé au Tribunal de réexaminer sa décision, ce que le Tribunal a refusé de faire par lettre datée du 25 novembre 1999. Le demandeur a alors déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada.

[9]         Le 13 juillet 2001, le juge MacKay a annulé la décision du Tribunal et renvoyé la demande pour nouvelle audition et nouvelle décision par une formation composée d'autres membres.

[10]       Après avoir réentendu l'affaire le 12 août 2002, le TACRA a rejeté la demande de pension du demandeur dans une décision datée du 16 décembre 2002, d'où la présente demande de contrôle judiciaire.

Dispositions législatives applicables

Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6

2.              Les dispositions de la présente loi s'interprètent d'une façon libérale afin de donner effet à l'obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d'indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

21.            (2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l'armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

                            a)          des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie - ou son aggravation - consécutive ou rattachée directement au service militaire;

. . .


(3) Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie - ou son aggravation - est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

                                ...

f)           d'une opération, d'un entraînement ou d'une activité administrative militaires, soit par suite d'un ordre précis, soit par suite d'usages ou pratiques militaires établis, que l'omission d'accomplir l'acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces.

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel)

L.C. 1995, ch. 18

3.              Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

39.            Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

                                a)             il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

                                b)             il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

                                c)             il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

Questions en litige

(1)         Quelle est la norme de contrôle applicable à une décision du TACRA?

(2)         La conclusion du TACRA selon laquelle l'accident du demandeur n'était pas consécutif ou rattaché directement à son service militaire au sens de l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions était-elle déraisonnable?


(3)         La conclusion du TACRA selon laquelle la preuve médicale dont il a été saisi ne démontrait pas que l'accident avait causé les blessures pour lesquelles le demandeur réclamait une pension était-elle manifestement déraisonnable?

Analyse

(1)         Quelle est la norme de contrôle applicable à une décision du TACRA?

[11]       Il est bien reconnu que la norme de contrôle applicable aux décisions du TACRA est celle qu'a énoncée le juge Evans dans McTague c. Canada (Procureur général), [2000] 1 C.F. 647 (C.F. 1re inst.), et que le juge MacKay a appliquée dans Bradley c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 793. Cette norme est celle du caractère raisonnable simpliciter, sauf lorsque la question litigieuse concerne une conclusion ou une interprétation tirée d'éléments de preuve médicale contradictoires ou non concluants quant à savoir si l'invalidité du demandeur a été en fait causée ou aggravée par le service militaire. Dans ce dernier cas, la norme de contrôle applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable.

(2)         La conclusion du TACRA selon laquelle l'accident du demandeur n'était pas consécutif ou rattaché directement à son service militaire au sens de l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions était-elle déraisonnable?

[12]       Lorsqu'il s'est demandé si l'accident que le demandeur a subi dans la douche alors qu'il était à bord du navire canadien Qu'Appelle était consécutif ou directement rattaché à son service militaire, le TACRA a souligné ce qui suit :

[TRADUCTION]


...Les faits indiquent que, le 13 juillet 1990, l'appelant était un officier subalterne à bord du navire canadien Qu'Appelle et terminait alors la phase quatre de sa formation d'officier. Le 13 juillet 1990, le navire Qu'Appelle était immobilisé à l'installation portuaire située dans le nord de l'Île de Vancouver. Un examen de la preuve entourant les activités que l'appelant a poursuivies avant sa chute dans la douche indique qu'il avait terminé ses tâches militaires proprement dites. L'heure exacte à laquelle il a terminé ses tâches de la journée n'est pas précisée dans l'exposé des faits.

Cependant, il appert clairement des renseignements contenus au dossier que, depuis quelques heures avant l'accident en question, l'appelant était libre de son emploi du temps. Ce soir-là, il a choisi de passer quelque temps au mess pour se détendre et rencontrer des gens après le repas du soir. L'appelant se rappelle avoir consommé trois ou quatre bières sur une période de deux ou trois heures alors qu'il se trouvait au mess. Selon l'appelant, il aurait quitté le mess après deux ou trois heures et c'est à ce moment qu'il a décidé de prendre une douche. Il avait l'intention de prendre une douche, puis d'aller passer le reste de la soirée à l'extérieur du navire...

. . .

Le Tribunal souligne que l'accident en cause s'est produit sur un navire à bord duquel l'appelant travaillait et qui lui servait aussi de logement. Cependant, même si ce facteur est important, il ne donne pas automatiquement droit à une pension en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi, parce que le simple fait qu'une blessure s'est produite à l'intérieur ou autour d'installations fournies par l'armée ne signifie pas automatiquement que toute invalidité causée par la blessure est directement rattachée au service militaire. La question à trancher est de savoir si les circonstances entourant l'activité à laquelle l'appelant s'adonnait lorsque l'accident s'est produit indiquent que le service militaire a été une cause directe ou primaire de l'accident. Les raisons pour lesquelles l'appelant s'adonnait à l'activité et la suite des événements qui ont mené à celle-ci sont tous des facteurs à prendre en compte pour trancher cette question. Dans la présente affaire, le Tribunal a passé en revue la suite des événements qui ont mené à l'accident survenu dans la douche et la preuve relative à l'accident lui-même et formule les observations suivantes.

Les faits entourant l'ensemble des événements ou circonstances qui ont mené à l'incident dans la douche en 1990 n'indiquent pas que les activités auxquelles l'appelant s'est livré immédiatement avant de prendre sa douche avaient un lien ou rapport important ou direct avec le poste qu'il occupait comme officier subalterne à bord du navire. Aucun élément de preuve n'indique que l'appelant a reçu l'ordre de prendre une douche. La décision de prendre une douche à ce moment-là semble avoir été une décision volontaire et la preuve n'indique nullement que cette activité découlait directement, pour une raison ou pour une autre, d'un aspect des tâches militaires de l'appelant. L'appelant aurait été tenu de prendre une douche indépendamment de la question de savoir s'il était ou non membre des forces. Il s'agit d'une activité foncièrement personnelle plutôt que d'une activité découlant directement de responsabilités militaires. La raison pour laquelle l'appelant est allé prendre sa douche à ce moment précis ne peut être considérée comme une raison liée, expressément ou tacitement, à l'accomplissement du service militaire. En fait, la preuve indiquerait plutôt que l'activité que l'appelant entendait poursuivre après sa douche était une activité de nature sociale et personnelle, puisqu'il avait l'intention de passer le reste de la soirée en dehors du navire pour des raisons personnelles.


La preuve indique qu'au cours des heures qui ont précédé l'accident survenu dans la douche, l'appelant était libre de son emploi du temps et pouvait fort bien s'attarder au mess pour rencontrer des gens et se détendre. Le fait que l'appelant pouvait consommer des boissons alcoolisées pendant qu'il se trouvait dans le mess ce soir-là indique clairement qu'il n'était pas tenu de rester disponible pour l'accomplissement de tâches militaires. Bien entendu, cette activité conviendrait uniquement pour l'officier qui a terminé ses tâches du jour et qui n'était plus tenu de rester disponible pour exécuter des ordres ou pour accomplir d'autres tâches liées à son service militaire. La preuve indique que les activités auxquelles l'appelant s'adonnait au moment de l'accident et pendant quelque temps auparavant étaient plutôt des activités personnelles que des activités professionnelles liées au service militaire.

. . .

Le Tribunal souligne également que, même si le fait que l'accident se soit produit à bord du navire canadien Qu'Appelle a une importance majeure, les autres faits et circonstances de l'affaire ne donnent pas à penser que l'accident a été causé par un élément particulier ou précis de l'environnement à bord dudit navire. Même si les comptes rendus de la façon dont l'accident s'est produit varient à certains égards, il semble généralement admis que l'accident est survenu lorsque l'appelant a perdu l'équilibre pendant qu'il se lavait. La preuve ne permet pas de dire si la consommation d'alcool a joué un rôle important dans cette perte d'équilibre. Cependant, ce fait et l'intention qu'il avait de prendre une douche, puis de sortir du navire pour se divertir sont une autre indication du contexte général dans lequel l'accident s'est produit, soit la poursuite d'activités personnelles plutôt que d'activités pouvant être directement rattachées au service militaire.

De plus, aucun élément de preuve n'indique que le fait de prendre une douche à bord du navire canadien Qu'Appelle ce soir-là serait considéré comme une activité foncièrement plus dangereuse que le fait de prendre sa douche ailleurs, comme dans une habitation personnelle ou dans un endroit privé ou public. Selon la preuve, le navire en question était immobilisé au quai. Il ne semble pas qu'il naviguait sur une mer agitée ou qu'il y avait des circonstances environnementales, climatiques ou autres qui en faisaient un endroit plus propice aux accidents de cette nature. Le Tribunal doit souligner à nouveau que, d'après la preuve, l'accident s'est produit lorsque l'appelant a perdu l'équilibre alors qu'il tentait de se laver une jambe, ce qui ne donne pas à penser qu'une condition ou caractéristique extraordinaire de l'environnement du navire est à l'origine de l'accident. Sur ce point, le Tribunal doit préciser que les faits et la preuve ne permettent pas de conclure que, si l'appelant ne s'était pas trouvé à bord du navire Qu'Appelle, il n'aurait pas fait une chute dans la douche. Le fait que l'accident en l'espèce se soit produit à bord du navire Qu'Appelle ne semble qu'être un facteur accessoire lié à l'emplacement ou à l'endroit en cause. Les circonstances entourant l'accident lui-même ne permettent pas de déduire que l'environnement à bord du navire Qu'Appelle a constitué une cause directe ou primaire de l'accident. Le Tribunal ne peut raisonnablement déduire que l'environnement militaire dans le cadre duquel l'accident s'est produit a joué un rôle direct ou primaire dans la blessure en question.

En conséquence, après avoir passé en revue l'ensemble de la preuve, des renseignements, des faits et des circonstances entourant l'accident survenu en 1990 dans la douche à bord du navire canadien Qu'Appelle, le Tribunal ne peut conclure, suivant l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), que l'accident était consécutif ou directement rattaché au service militaire de l'appelant au sens du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions.


[13]       Le demandeur soutient que le TACRA a commis une erreur en omettant de tenir compte du paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions, étant donné que l'accident en cause a eu lieu alors qu'il était en période de formation à bord du navire canadien Qu'Appelle et que, comme tous les autres officiers à bord, il devait être propre lorsque le navire était immobilisé (quel que soit le port). Essentiellement, le demandeur fait valoir que cette exigence de propreté a donné lieu à sa chute dans la douche, parce qu'elle est directement rattachée à son service en temps de paix.

[14]       Un examen de la décision visée par la demande de contrôle indique que le TACRA n'a pas isolé l'activité à laquelle le demandeur s'adonnait (le fait de prendre une douche) des circonstances entourant son service militaire lorsqu'il en est venu à la conclusion qu'il a tirée. Je conviens avec le défendeur que, si le TACRA avait considéré le fait que le demandeur suivait une formation à bord du navire Qu'Appelle comme un facteur déterminant du lien de cause à effet entre l'accident et le service militaire, il aurait commis une erreur de droit. Cependant, le TACRA a passé en revue l'ensemble de la preuve et les décisions pertinentes pour en arriver à la conclusion qu'il a tirée et n'a donc pas commis d'erreur lorsqu'il a statué que l'accident en question n'était pas consécutif ou rattaché directement au service du demandeur en temps de paix.

(3)         La conclusion du TACRA selon laquelle la preuve médicale dont il a été saisi ne démontrait pas que l'accident avait causé les blessures pour lesquelles le demandeur réclamait une pension était-elle manifestement déraisonnable?


[15]       Le demandeur soutient que le TACRA s'est fondé sur certaines parties choisies de la preuve médicale et a ignoré d'autres avis médicaux professionnels qui attribuent la radiculopathie cervicale 5-6 dont il souffre à sa chute dans la douche, ce qui constituerait un manquement aux principes d'équité procédurale.

[16]       Dans sa décision, le TACRA a examiné et commenté longuement la preuve médicale du demandeur :

[TRADUCTION] En conséquence, le Tribunal est saisi d'une abondante documentation médicale indiquant que l'appelant a demandé des soins médicaux en raison de la lombalgie aiguë dont il souffrait depuis sa chute en 1990. Le dossier ne renferme aucun élément de preuve indiquant que l'appelant se plaignait de douleurs au cou ou qu'il a demandé des soins médicaux en raison de problèmes de cette nature ou encore qu'il a fait l'objet d'un examen médical connexe. De plus, les documents médicaux versés au dossier renvoient à un accident d'automobile qui s'est produit en 1969 et par suite duquel l'appelant a été gravement blessé dans les régions médiane et supérieure du dos ainsi qu'au cou et à la tête.

. . .

Compte tenu de la preuve médicale objective, les déclarations plutôt sommaires formulées dans les avis médico-légaux des Drs Coady et Killeen sur ce sujet ne permettent pas de concilier de façon crédible les incohérences entre les souvenirs actuels de l'appelant quant aux circonstances dans lesquelles ses douleurs aux épaules et au cou se sont manifestées pour la première fois et la documentation indiquant que les douleurs physiques dont il s'est plaint lors de l'accident de 1990 concernaient uniquement son problème de lombalgie et faisant état des répercussions de l'accident d'automobile survenu en 1969. Le Tribunal conclut que les avis médico-légaux présentés à l'appui de l'assertion de l'appelant selon laquelle la radiculopathie cervicale dont il souffre est une invalidité découlant de l'accident qu'il a subi en 1990 ne sont pas crédibles, au plan de la relation de cause à effet, parce qu'ils sont manifestement fondés sur une version des faits qui est incompatible avec la preuve médicale objective qui se trouve ailleurs au dossier.

. . .


Même s'il est évident que les avis des Drs Killeen ou Coady visent à appuyer la position de l'appelant, qui attribue ses problèmes dégénératifs à l'événement de 1990 qu'il leur a décrit, aucun médecin n'a étoffé son opinion au moyen d'une analyse ou d'explications convaincantes pouvant appuyer cette conclusion. La plus récente preuve objective disponible au sujet des douleurs cervicales que l'appelant évoque à l'heure actuelle indique que la radiculopathie cervicale dont il est atteint provoque des changements dégénératifs au niveau C5-6. De plus, certaines études d'électromyogrammes indiquent une compression des racines nerveuses au niveau cervical. Il n'est pas contesté que le processus de vieillissement s'accompagne de changements dégénératifs. D'après la dix-septième édition de l'ouvrage The Merck Manual, un changement dégénératif est observé chez la plupart des personnes dès leur 40e année. Dans la présente affaire, l'appelant est âgé de plus de 50 ans. Selon le chapitre 52 de ce même ouvrage, qui porte sur les maladies dégénératives articulaires et l'ostéoarthrose, ce sont là des causes connues de la compression des racines nerveuses et de la radiculopathie de la colonne cervicale.

Néanmoins, les avis médico-légaux ne renferment aucune explication sur la façon dont le processus dégénératif naturel pourrait avoir des répercussions sur les problèmes que l'appelant éprouve au cou et à l'épaule. De plus, les deux médecins indiquent simplement dans leur avis que les douleurs actuelles que l'appelant éprouve au cou et à l'épaule sont liées à la chute de 1990 sans donner d'explications à ce sujet, ce qui rend les avis en question moins convaincants. Plus précisément, le Dr Coady ne décrit nullement les principes qui inciteraient un orthopédiste à conclure que les problèmes de l'appelant seraient liés valablement à la chute qu'il a faite dans la douche en 1990.

. . .

Contrairement aux opinions des Drs Coady et Killeen, l'avis médico-légal du Dr Reardon n'était pas fondé sur des hypothèses contredites par d'autres éléments de preuve au dossier et ses conclusions sont crédibles et raisonnables. Cependant, cet avis n'appuyait pas de façon concluante l'allégation de l'appelant et indiquait également que les douleurs actuelles de celui-ci étaient « multifactorielles » , ce qui signifierait qu'elles sont imputables à plusieurs causes plutôt qu'à un événement précis et isolé comme la chute survenue en 1990. Le Dr Reardon a conclu qu'il n'avait pas suffisamment de renseignements en main pour se faire une opinion au sujet du lien de cause à effet. Le Tribunal estime que cette opinion est neutre en ce qu'elle n'appuie pas la thèse de l'appelant, mais ne la réfute pas non plus. Toutefois, du même coup, la preuve ne renferme aucun autre élément susceptible d'appuyer l'argument de l'appelant selon lequel la radiculopathie cervicale dont il se plaint aujourd'hui est liée à l'accident survenu en 1990. Comme le Tribunal l'a déjà expliqué avec force détails, les conclusions formulées dans les avis médico-légaux des Drs Coady et Killeen quant au lien de cause à effet relatif aux problèmes de l'appelant ne sont ni crédibles ni raisonnables, parce qu'elles sont fondées sur un compte rendu non fiable des faits qui est contredit sur des aspects importants par le reste de la preuve au dossier. Par conséquent, ces avis médico-légaux n'appuient pas de façon convaincante ou crédible la thèse selon laquelle c'est la chute survenue en 1990 dans la douche du navire qui est directement responsable des douleurs dont l'appelant se plaint actuellement, notamment la radiculopathie cervicale 5-6, les changements dégénératifs présents à ce niveau ou la compression des racines nerveuses au niveau cervical.

Le Tribunal doit conclure qu'un examen de l'ensemble des faits et circonstances de l'affaire ainsi que de la preuve et des avis médicaux qui lui ont été présentés sur cette question ne permet pas raisonnablement d'affirmer l'existence d'un lien de cause à effet direct entre l'accident de 1990 survenu dans la douche et la radiculopathie cervicale 5-6 dont l'appelant se plaint aujourd'hui...


[17]       Le TACRA est le mieux placé pour apprécier la crédibilité de la preuve présentée à l'appui d'un appel et le tribunal de révision ne devrait pas modifier ces conclusions, à moins que celles-ci ne soient manifestement déraisonnables.

[18]       Comme l'a souligné l'avocate du défendeur, les documents médicaux qui ont été préparés vers la date de l'accident du demandeur indiquent que les douleurs que celui-ci a dit éprouver après la chute se situaient dans la région de la colonne lombaire (dans le bas du dos) et non dans la région cervicale (le cou), comme il le soutient maintenant.

[19]       D'après les documents médicaux versés au dossier, le demandeur s'est plaint principalement de douleurs dans la région lombaire après sa chute. Selon le Rapport d'urgence daté du 14 juillet 1990, le demandeur était en proie à de violents spasmes du côté droit de la région lombaire et il a été établi qu'il souffrait de lombalgie. De plus, sur la Fiche de court séjour qui a été remplie après l'admission du demandeur à l'hôpital militaire, il est mentionné que celui-ci a été admis parce qu'il souffrait de douleurs au côté droit depuis six jours. Par ailleurs, d'après les données consignées lors du séjour du demandeur à l'hôpital, celui-ci s'est plaint de douleurs à la région médiane lombaire avec sensibilité au toucher au niveau de la colonne vertébrale et d'une légère entorse lombaire.


[20]       Au cours du séjour du demandeur à l'hôpital militaire, des radiographies ont été prises et, selon la Demande de radiographie et de rapport en date du 19 juillet 1990, aucune anomalie n'a été observée dans la région de la colonne vertébrale du demandeur, si ce n'est un léger tassement cunéiforme au niveau de la vertèbre 12, qui était lié à un traumatisme antérieur. Sur le formulaire d'enrôlement qu'il a rempli, le demandeur a déclaré qu'il avait subi des blessures à la tête et au cou ainsi que des crises par suite d'un accident d'automobile survenu en 1969. Ainsi, le léger tassement au niveau de la vertèbre 12, que le radiologiste a reconnu comme un tassement lié à un traumatisme antérieur, est probablement attribuable à l'accident d'automobile en question. Il n'est nullement fait état, dans le rapport de radiographie, d'une anomalie ou d'une lésion de la colonne cervicale du demandeur, soit le problème dont il se plaint aujourd'hui.

[21]       Selon un rapport daté du 4 août 1990, le demandeur souffrait de lombalgie aiguë lorsqu'il a quitté l'hôpital le 24 juillet 1990. Le demandeur a plus tard été dirigé vers un centre de physiothérapie offrant des traitements à cet égard et les rapports de physiothérapie subséquents continuent à faire état d'un problème de lombalgie.


[22]       Dans les notes prises lors de l'examen médical que le demandeur a subi avant d'être libéré des forces le 4 janvier 1993, il est fait mention de douleurs dorsales chroniques au niveau thoracique T4-T5. En ce qui a trait à la tête et au cou du demandeur, il est noté qu'il avait une amplitude complète du mouvement cervical avec une colonne cervicale non sensible au palper. Même si le médecin fait allusion aux douleurs dorsales que le demandeur éprouvait constamment, il précise que l'examen n'a permis de déceler aucune anomalie au niveau de la colonne vertébrale et qu'il y avait amplitude complète du mouvement ainsi qu'une démarche et une posture normales. Ce n'est qu'en mai 1997 que la radiculopathie cervicale 5-6 est mentionnée, lorsque le demandeur a présenté une demande de pension fondée sur ce problème médical.

[23]       Le TACRA a mené une analyse approfondie de la preuve dont il était saisi et a commenté explicitement la crédibilité du témoignage et des opinions présentés par les Drs Coady, Reardon et Killeen. Il était loisible au TACRA de préférer la preuve médicale objective présentée vers la date de l'accident du demandeur à celle des avis que les Drs Coady, Reardon et Killeen ont exprimés plusieurs années plus tard et qui étaient fondés sur la version que celui-ci a donnée de l'accident, laquelle est différente des rapports médicaux alors préparés, notamment quant au fait que le demandeur se serait blessé non seulement au dos, mais au cou par suite de l'accident. Les conclusions concernant le lien de cause à effet entre l'accident du demandeur et son problème médical ne sont pas manifestement déraisonnables et, par conséquent, la Cour n'interviendra pas.


[24]       Enfin, le demandeur reproche au TACRA d'avoir commis une erreur en refusant de trancher toute incertitude en sa faveur, comme l'exige l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Le demandeur a raison de dire que l'article 39 revêt une importance particulière, parce qu'il énonce que le Tribunal « doit tirer des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci, accepter tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci qui lui semble vraisemblable en l'occurrence et trancher en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande » .

[25]       Cependant, dans sa décision, le TACRA a reconnu l'importance de l'article 39 :

[TRADUCTION] Au moment de soupeser la preuve et de tirer des conclusions et déductions en l'espèce, le Tribunal est également conscient de l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article 39 de la Loi sur le TACRA, soit de tirer des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possibles à l'appelant. Selon l'article 39, le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) doit tirer les conclusions les plus favorables au demandeur qui semblent raisonnables à la lumière de la preuve et des circonstances de l'affaire. Cependant, l'appelant doit, quant à lui, présenter suffisamment d'éléments de preuve à l'appui des conclusions favorables qu'il recherche. Comme la Cour a conclu dans Tonner c. Canada (Ministre des Anciens combattants) (1995), 94 F.T.R. 146 (conf. par la Cour d'appel fédérale, [1996] A.C.F. n ° 825), l'article 39 de la Loi ne signifie pas que les membres du Tribunal doivent accepter automatiquement tous les arguments de l'appelant, quels qu'ils soient. Seuls les arguments et assertions appuyés par des éléments de preuve crédibles doivent être retenus.


[26]       Comme l'a souligné le TACRA, seuls les arguments et assertions appuyés par des éléments de preuve crédibles doivent être retenus. Même si le demandeur a présenté une preuve médicale abondante, le TACRA a conclu qu'une bonne partie de la preuve invoquée au soutien de la cause du demandeur n'était pas crédible ou, dans le cas de la preuve présentée par le Dr Reardon, qu'elle était neutre. Le TACRA a expliqué de façon détaillée les raisons pour lesquelles il a rejeté la preuve médicale dont il a été saisi et, ce faisant, il n'a pas porté atteinte au principe fondamental énoncé à l'article 39, selon lequel il doit trancher toute incertitude en faveur du demandeur. Après avoir examiné avec soin l'ensemble de la décision du TACRA, j'estime que celui-ci s'est conformé à l'article 39 au cours de son appréciation de la preuve et qu'il n'a pas fait un simple examen superficiel de celle-ci.

[27]       En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

          « P. Rouleau »             

       Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 16 juillet 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-67-03

INTITULÉ :                                        Brian C. Bradley c. Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 8 juin 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                       le 16 juillet 2004

COMPARUTIONS :

Brian C. Bradley                                                            POUR LE DEMANDEUR

Lori Rasmussen                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Ministère de la Justice Canada

Halifax (N.-É.)                                                  POUR LE DÉFENDEUR


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