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                                                                                                                                           Date : 20020610

                                                                                                                             Dossier : IMM-6543-00

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 654

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                        SOULEMAN OSMAN, Waberi

                                                       SOULEMAN OSMAN, Moussa

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) rendue le 29 novembre 2000 et selon laquelle les demandeurs, Waberi Souleman Osman et Moussa Souleman Osman, n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ainsi que cela est défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, (la Loi).


FAITS

[2]                 Les demandeurs, Waberi Souleman Osman, 66 ans, et son fils, Moussa Souleman Osman, 19 ans, sont des citoyens de la République de Djibouti. Le père est le représentant commis d'office du plus jeune demandeur, dont la revendication est basée sur la revendication de son père. La revendication de ces derniers est basée sur une crainte bien fondée de persécution due à leur race ou à leur nationalité, à leur appartenance à la tribu minoritaire Gadaboursi et à leurs opinions politiques présumées en tant qu'opposants au gouvernement de Djibouti.

[3]                 Les demandeurs craignent d'être harcelés et humiliés par les membres de la tribu Issa, qui constitue le parti prédominant et dirigeant à Djibouti, ainsi que d'être arrêtés et tués par les autorités gouvernementales s'ils retournent dans leur pays.

[4]                 La SSR a souligné que le demandeur mineur, en tant qu'enfant, avait été insulté et même battu par ses camarades de classe Issa et par ses maîtres Issa en raison de son appartenance à sa tribu.

[5]                 Le demandeur principal a appartenu à l'Armée française de 1957 à 1969 et a appartenu à l'armée de Djibouti de 1977 à 1995, dans laquelle il est devenu sergent chef. De 1969 à 1977, il a travaillé comme chauffeur d'autobus.


[6]                 À la fin de 1989, au plus fort de la guerre en Somalie, lorsque le demandeur principal était affecté à la base frontalière de Loyada, entre la Somalie et Djibouti, il a prétendu avoir été accusé par son commandant d'avoir secrètement laissé entrer des civils somaliens sur le territoire de Djibouti. On lui a ordonné de retourner à la ville de Djibouti, et il a été soumis à un régime de couvre-feu pendant cinq mois. Le demandeur principal prétend que, durant cette période, ses collègues l'ont humilié, se sont moqués de lui et l'ont insulté en faisant des blagues sur sa tribu.

[7]                 De 1990 à 1995, le demandeur principal a dirigé un petit camp militaire. Là encore, il prétend avoir été victime de nombreuses blagues relatives à sa tribu de la part de ses hommes et avoir été maltraité par des officiers supérieurs.

[8]                 En 1995, le demandeur principal a pris sa retraite de l'armée, puis il a été nommé l'un des 18 ou 20 anciens des Mahad'Ase, un sous-clan des Gadaboursis. Le demandeur principal n'a pas fait mention de cette nomination dans son FRP, mais il en a parlé lors de son audience.

[9]                 Le demandeur principal a témoigné que, chaque jour, il rencontrait les autres anciens de Gadaboursi afin de discuter de la situation générale de Djibouti. Il a déclaré qu'il encourageait leur clan à se joindre à des partis d'opposition de façon à ce que celui-ci puisse participer aux vies politique, économique et sociale du pays. Dans son témoignage, le demandeur principal mentionne le mot Maglis lorsqu'il parle des lieux de rencontre où ont été tenues ces discussions, c'est-à-dire un endroit où les gens se rendent tous les jours afin de « parler, de chanter et de mâcher du Khat » .


[10]            En mai 1996, le demandeur principal a été arrêté et amené à la « Villa Christophe » , un centre de détention, où il a été détenu pendant quatre mois. Selon le demandeur principal, on l'aurait torturé, battu et interrogé parce qu'il parlait trop et qu'il s'assoyait et discutait, avec les autres clans, du gouvernement et de ses activités.

[11]            Le 14 août 1997, les demandeurs ont quitté leur pays, pour demander l'asile au Canada, via la France et les États-Unis.

[12]            En avril 1999, le demandeur principal a appris qu'après son départ de Djibouti, la police s'était rendue à sa maison, qu'elle avait interrogé son épouse et qu'elle avait arrêté ses deux filles, puis les avait violées. À la suite de ces incidents, sa famille s'est exilée en Éthiopie.

DÉCISION DE LA SSR

[13]            La SSR a refusé aux demandeurs le statut de réfugié aux motifs que le demandeur principal n'était pas crédible quant à son implication politique et elle a aussi conclu qu'il n'y avait pas de chance raisonnable que celui-ci soit persécuté à Djibouti en raison de ses opinions politiques ou des opinions politiques qu'on lui attribuait.

[14]            La SSR a tiré les conclusions négatives suivantes quant à la crédibilité :

[traduction]


En conclusion, nous ne croyons pas que le revendicateur principal ait officiellement été élu ancien du sous-clan du Mahad'Ase, qu'il ait été soupçonné d'être un opposant politique, qu'il ait été arrêté en mai 1996, qu'il ait été torturé, qu'il ait été détenu pendant quatre mois et qu'en septembre 1997, l'épouse de ce dernier ait été interrogée à son sujet et que ses deux filles aient été arrêtées et violées. Nous croyons que le revendicateur principal est un sergent chef à la retraite respecté, qu'il se rendait jour après jour au maglis, où il discutait, entre autres sujets nébuleux, de politique, chantait et mâchait du khat.

[15]            Le demandeur principal a présenté un rapport psychologique daté du 20 juillet 2000 mentionnant qu'il souffrait d'un syndrome de stress post-traumatique, qu'il avait de la difficulté à dormir et qu'il rêvait encore de personnes qui le battaient. La SSR a estimé qu'on ne lui avait pas fourni d'éléments de preuve plausibles et fiables montrant un lien entre le syndrome de stress post-traumatique et les opinions politiques exprimées ou attribuées du demandeur principal.

[16]            En ce qui concerne la question de la persécution, la SSR a conclu que les actes de harcèlement et de discrimination subis par les demandeurs en tant que Gadaboursis de Djibouti n'équivalaient pas à de la persécution. En statuant ainsi, la SSR a examiné la preuve documentaire afin d'évaluer la situation des Gadaboursis de la société djiboutienne. Elle a découvert que les Gadaboursis étaient victimes de discrimination dans le milieu de l'emploi du secteur public et qu'ils avaient tendance à ne pas participer à la politique djiboutienne. Les personnes qui participent à la politique et qui s'opposent au gouvernement peuvent être maltraitées. La SSR a conclu que les Gadaboursis étaient victimes de discrimination, mais qu'ils ne subissaient pas de préjudices graves équivalant à de la persécution.


[17]            La SSR a estimé que les demandeurs n'éprouvaient pas de crainte subjective. Cette conclusion repose sur les faits suivants : le demandeur principal a attendu pendant une année après son arrestation et sa détention avant de quitter le pays, il n'arrivait pas à se souvenir du moment où il avait présenté sa demande de passeport et il n'avait pas demandé l'asile en France, aux États-Unis ou même dans un pays se situant plus près de Djibouti. Le demandeur principal a de plus déclaré à la SSR qu'il désirait venir au Canada parce que le Canada acceptait les réfugiés et qu'il les traitait bien. La SSR a conclu que les demandeurs n'étaient pas parvenus à établir une crainte subjective de persécution et qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

QUESTIONS EN LITIGE

1.         La SSR a-t-elle commis une erreur en tirant ses conclusions sur la crédibilité et la peur de la persécution des demandeurs sans tenir compte des éléments de preuve qui lui étaient présentés?

2.         La SSR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables de la preuve?

3.         La SSR a-t-elle commis une erreur lors de son évaluation de la preuve documentaire?

ANALYSE

1.         La SSR a-t-elle commis une erreur en tirant ses conclusions sur la crédibilité et la persécution sans tenir compte des éléments de preuve qui lui étaient présentés?

Crédibilité

[18]            La SSR a souligné sept conclusions sur lesquelles elle s'était fondée pour établir le manque de crédibilité du demandeur quant à sa participation politique et à sa peur subjective de persécution. La SSR a estimé que le compte rendu des événements suivants présenté par le demandeur principal était rempli d'invraisemblances ou de contradictions :


[traduction]

1.     Le demandeur a donné des réponses vagues, c'est-à-dire que les éléments de preuve présentés à la SSR n'étaient pas clairs quant au moment où il avait été élu ou à la manière dont il avait été élu ancien. De plus, le demandeur a omis de mentionner, dans son FRP, qu'il avait été élu ancien de Mahad'Ases.

2.     La SSR a conclu que les connaissances du demandeur concernant la politique de son pays étaient plutôt insuffisantes, voire contradictoires, et que celui-ci avait exprimé ses opinions politiques, peu importe lesquelles, uniquement dans le contexte informel du maglis.

3.     Le demandeur n'a pas été capable d'expliquer pourquoi il avait été personnellement arrêté. La SSR a aussi conclu que rien, dans les éléments de preuve qui lui avaient été présentés, n'indiquait que des personnes ayant participé à des discussions politiques nébuleuses et confuses alors qu'elles se trouvaient au maglis avaient été arrêtées et emprisonnées.

4.     La SSR a conclu que, si le demandeur avait été accusé d'être un opposant politique, il aurait connu les motifs de son arrestation, surtout après quatre mois de détention.

5.     La SSR a conclu qu'il semble peu plausible qu'un ancien d'un clan et sergent chef à la retraite ne tente pas d'obtenir l'aide de ses pairs après avoir été arrêté, torturé et détenu illégalement.

6.     Il y avait un certain nombre de contradictions dans le témoignage du demandeur quant à savoir s'il était retourné ou non au maglis après son arrestation.

7.     Il existe une certaine incohérence et une certaine confusion quant à savoir si la famille du demandeur a quitté Djibouti avant lui ou si celui-ci leur a simplement donné une somme et a quitté le pays avant que sa famille ne le fasse.

Les demandeurs contestent chacune de ces conclusions.

[19]            Le demandeur principal prétend que la SSR a commis une erreur en concluant qu'il n'était pas un ancien de Mahad'Ase parce qu'il n'avait pas pu décrire comment il était devenu un ancien. On prétend que le demandeur principal a décrit en détail, lors de son témoignage, la nomination, les tâches et le lieu de réunion des membres du sous-clan. Le demandeur principal prétend que la SSR cherchait à obtenir une réponse plus détaillée et qu'elle semble avoir fondé sa décision sur ce à quoi elle s'attendait plutôt que sur ce qui lui a été réellement fourni.


[20]            À l'appui de cette assertion, les demandeurs citent l'arrêt Khaled Ahmed c. Canada (M.C.I.), (1999), 168 F.T.R. 230, lequel contient des faits très similaires à ceux de la présente affaire. Le juge Cullen affirme, au para. 26 :

[26] Le demandeur a donné une réponse quant à ses fonctions au sein du parti et quant aux orientations de ce dernier. La Cour est d'avis que le tribunal cherchait à obtenir une réponse plus détaillée, et qu'il semble avoir fondé sa décision sur ce à quoi il s'attentait plutôt que sur ce qui lui a été fourni. [Non souligné dans l'original.]

[21]            Je n'accepte pas l'assertion des demandeurs. Dans l'arrêt Khaled Ahmed, précité, Monsieur le juge Cullen a estimé que la SSR avait tiré ses conclusions sans tenir compte des éléments de preuve et qu'elle n'avait pas donné de raisons suffisantes pour justifier ses conclusions. On ne peut pas en dire autant dans la présente affaire. Dans celle-ci, les motifs de la SSR sont détaillés et ils s'appuient sur les éléments de preuve. La SSR a estimé que le demandeur principal avait été évasif et déroutant dans les réponses qu'il avait données à l'audience quant à la présente question en litige, une conclusion relevant tout à fait de son expertise et de sa compétence comme tribunal spécialisé. Le défendeur soutient aussi que le fait que le demandeur principal ait omis de mentionner dans son FRP qu'il avait été nommé ancien du clan Mahad'Ase a justifié davantage la conclusion négative de la SSR. J'estime que, selon la preuve qui lui a été présentée, la SSR était raisonnablement fondée à conclure que le demandeur principal n'était pas un ancien du clan Mahad'Ase.


[22]            Les demandeurs avancent les mêmes arguments quant à l'appréciation que la SSR a effectuée de la connaissance du demandeur sur les partis politiques de Djibouti. La SSR a estimé que le demandeur principal hésitait à répondre aux questions concernant les détails sur les partis d'opposition de Djibouti et qu'il était perdu quant aux noms et aux chefs de ces partis. Je suis d'avis que, selon la preuve, la SSR était aussi raisonnablement fondée à conclure comme elle l'a fait quant à cette question.

[23]            Les demandeurs ont de plus prétendu que la SSR avait ignoré et mal apprécié certaines parties du témoignage du demandeur principal concernant son arrestation et sa détention. On soutient que la SSR a commis une erreur en concluant que celui-ci n'avait jamais été arrêté ou détenu. Le défendeur prétend que la SSR tentait raisonnablement de déterminer, à l'aide des circonstances, la raison pour laquelle le demandeur principal serait arrêté. Dans son propre témoignage, le demandeur principal a déclaré qu'il n'était affilié à aucun parti politique et, comme il l'a dit : [traduction] « Je n'ai jamais fait quoi que ce soit de mal. » De plus, la SSR a estimé que le demandeur avait été incapable de répondre avec précision ou de souligner un incident déclencheur particulier qui justifierait l'intérêt présumé que les autorités pourrait avoir à son égard. Le demandeur prétend que c'est en raison de l'atmosphère générale qui régnait dans la société à l'époque - et non pas en raison d'un incident particulier - qu'il a été arrêté. Je suis d'accord avec l'affirmation du défendeur selon laquelle, si le demandeur principal prétend qu'il n'a jamais fait quoi que ce soit de mal et qu'il n'a jamais été membre d'un parti politique, la SSR pouvait raisonnablement conclure qu'il n'y avait aucun motif expliquant qu'il ait été arrêté.


[24]            En ce qui concerne la crainte subjective, la SSR a conclu que l'explication du demandeur principal concernant le fait qu'ils aient attendu presque une année après la prétendue arrestation avant de quitter Djibouti n'était pas raisonnable et que ce retard n'était pas compatible avec une crainte de persécution. La SSR a décidé que, si le demandeur principal avait craint d'être persécuté à Djibouti, il aurait trouvé plus tôt une manière de quitter le pays pour sa famille. Le demandeur principal a affirmé, lors de son témoignage, qu'il n'avait aucune raison d'aller en Éthiopie, même si c'était là que le reste de sa famille avait abouti. Celui-ci a de plus répondu que le retard de son départ du pays constituait simplement un facteur à considérer parmi d'autres et qu'il n'était pas crucial quant à la détermination de la crédibilité. Je suis d'avis que la SSR pouvait raisonnablement en arriver à la conclusion à laquelle elle est parvenue concernant le retard du départ des demandeurs de Djibouti.

[25]            Monsieur le juge Cullen, dans l'arrêt Khaled Ahmed, précité, a déclaré ce qui suit au paragraphe 24 :

[24]    Une grande retenue judiciaire est de mise devant la SSR en ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité, car le tribunal est plus en mesure de les tirer que la Cour lors d'une procédure de contrôle. Lorsqu'il tire de telles conclusions, le tribunal se doit de donner des motifs clairs et qui sont raisonnables à la lumière de la preuve qui lui est soumise.

[26]            À mon avis, le défendeur a donné des raisons claires en ce qui concerne les raisons pour lesquelles il avait conclu que le demandeur n'était pas crédible. Dans l'arrêt Aguebor c. Canada (M.E.I.), 1993 160 N.R. 315, aux pages 316 et 317 (C.A.F.), paragraphe 4, la Cour ne laisse subsister aucun doute quant à la compétence de la SSR permettant d'apprécier la plausibilité d'un témoignage et de la norme de contrôle que la Cour devrait appliquer lorsqu'elle examine de telles conclusions :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.


[27]            Les conclusions de la SSR relatives à la plausibilité sont fondées sur des motifs clairs et les éléments de preuve qui lui ont été soumis.

Rapport psychologique

[28]            Le demandeur principal prétend de plus que la SSR a rejeté le rapport psychologique parce que celui-ci n'appuyait pas sa conclusion relative à la crédibilité du demandeur et que, par conséquent, elle a commis une erreur en ne lui accordant aucune importance.

[29]            Dans l'arrêt Boye c. Canada (Minister of Employment and Immigration) [1994] A.C.F. no 1329 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 4, le juge en chef adjoint Jérôme a confirmé que les questions ayant trait au poids de la preuve relevaient de la compétence de la SSR comme juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention :

[traduction]

... Pour commencer, les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence de la Section du statut de réfugié comme juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention...

[30]            Dans l'arrêt Al-Kahtani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 335, en ligne : QL, Monsieur le juge MacKay, de notre Cour, a traité de la question du poids que le tribunal devait accorder à un rapport de psychiatre. Il a déclaré, à la page 4, au paragraphe 14, de ses motifs :


... Je ne pense pas que la suite réservée par le tribunal au rapport soit déraisonnable. Mais à supposer même qu'elle le soit, ce rapport indique tout au plus que le requérant souffrait de syndrome de stress post-traumatique, mais ne corrobore pas les faits mêmes dont il dit qu'ils justifient sa crainte d'être persécuté. À mon avis, tel est le sens de la conclusion du tribunal au sujet du rapport, et on ne peut pas dire que cette conclusion soit déraisonnable ou erronée sur le plan juridique.

[31]            Le rapport psychiatrique est fondé sur l'acceptation d'une version des événements que la SSR a rejetée. La SSR pouvait raisonnablement estimer qu'elle ne disposait d'aucun élément de preuve crédible ou fiable lui permettant de lier le syndrome de stress post-traumatique aux opinions politiques exprimées ou attribuées. Je suis donc d'avis que la SSR n'a pas commis d'erreur en accordant peu d'importance au rapport ou en ne lui en accordant pas.

Persécution

[32]            Dans ses motifs, la SSR a déclaré ce qui suit concernant la persécution :

[traduction]

Pour être considérés comme de la persécution, les mauvais traitements subis ou anticipés doivent être sérieux, c'est-à-dire que l'on doit infliger un préjudice grave. De plus, pour être considérés comme de la persécution, les mauvais traitements subis ou anticipés doivent être infligés avec persistance, à répétition. La persécution, par conséquent, comporte une violation soutenue des droits fondamentaux de la personne jugés essentiels au maintien des intégrités physique et morale d'une personne.

[33]            Dans l'arrêt Sagharichi c. Canada (Minister of Employment and Immigration), 1993 A.C.F. no 796 (C.A.F.), paragraphe 3, Monsieur le juge Marceau, de la Cour d'appel fédérale, a expliqué la distinction entre les actes discriminatoires et les actes de persécution :

[traduction]


Il est vrai que la ligne de démarcation se trouvant entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à établir, d'autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, on a estimé que la discrimination pouvait très bien être considérée comme équivalant à de la persécution. Il est également vrai que la détermination de la persécution sous-jacente aux actes de discrimination ou de harcèlement n'est pas purement une question de fait, mais une question mixte de droit et de fait, des concepts juridiques y étant liés. Il n'en demeure pas moins que, dans tous les cas, c'est à la Commission de tirer la conclusion, dans un contexte factuel particulier, en analysant soigneusement la preuve présentée et en pondérant les divers éléments qu'elle contient et que l'intervention de notre Cour n'est pas justifiée, à moins que la conclusion à laquelle on est parvenu ne semble abusive ou déraisonnable.

[34]            La SSR a reconnu que la documentation sur le pays indiquait que le gouvernement de Djibouti exerçait de la discrimination à l'égard des membres de la tribu des Gadaboursis, mais elle n'a pas considéré cela comme de la persécution. Ce qui suit consiste en un extrait de l'ouvrage Ali Coubba, Djibouti, Une nation en otage, Paris, L'Harmattan, aux pages 178 et 187 :

... Or, par une politique de sape, de démoralisation et d'exclusion, ces deux familles Somalis [Gadaboursis et Ishaaks] ont subi la discrimination Issa autant que les Afars, mais de manière plus insidieuse.

...

... L'attribution préférentielle des postes de responsabilité à des Issas ont contraint les diplômés djiboutiens Gadaboursis et arabes, à tenter leur chance à l'étranger, notamment au Canada.


[35]            De la documentation sur le pays, la SSR a conclu que les personnes qui étaient maltraitées en raison de leurs opinions politiques étaient normalement celles qui étaient les plus activement opposées au régime et celles qui participaient à un niveau plus élevé de l'opposition politique [Djibouti : Traitement des membres du FRUD appartenant aux clans Issa et Afar qui ont des membres de leur famille dans les rangs de la faction rebelle du FRUD toujours en lutte contre le gouvernement, le 13 décembre 1999, DJI33396.E]. D'autres rapports sur le pays soutiennent que les membres des clans somaliens, y compris les Gadaboursis, ont toujours un accès limité aux postes importants du gouvernement de Djibouti [Djibouti : Groupe ethnique connu sous le nom de « Samaron » , y compris les groupes affiliés et les associations; le traitement de ses membres par le gouvernement et la population en général (depuis 1960), août 1999, DJI32533.FE]. La SSR se reporte aussi à la preuve documentaire indiquant que les relations entre les Issas et les Gadaboursis se sont améliorées.

[36]            La SSR a conclu que les actes auxquels les demandeurs avaient été soumis constituaient du harcèlement et de la discrimination, mais pas de la persécution. Un examen de la preuve documentaire tend à appuyer les conclusions de la SSR selon lesquelles les demandeurs ne seraient pas persécutés lors de leur retour à Djibouti. À la lumière de la preuve documentaire approfondie qui a été examinée par la SSR, je suis d'avis qu'il est raisonnable que le tribunal conclue que les demandeurs ne seraient pas persécutés s'ils retournaient dans leur pays.

2.         La SSR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables des éléments de preuve?

[37]            Les demandeurs prétendent que la SSR a commis une erreur en écartant les discussions politiques que le demandeur avait tenues au maglis simplement parce que l'on y consommait du khat à cette occasion. Les demandeurs soutiennent que l'interprétation de ces faits était viciée par des concepts occidentaux. Les demandeurs ont aussi soutenu que la SSR avait tiré sa conclusion selon laquelle certaines personnes ayant participé à des discussions au « maglis » n'avaient pas été arrêtées et détenues sans tenir compte des éléments de preuve lui ayant été présentés.


[38]            J'estime que l'argument des demandeurs n'est pas fondé. La SSR n'a pas écarté les discussions politiques tenues au maglis parce que l'on y consommait du khat ni conclu que certaines personnes ayant participé aux discussions tenues au « maglis » n'avaient pas été arrêtées ou détenues. Voici ce que la SSR a déclaré dans ses motifs :

[traduction]

... Aucun élément de preuve dont nous sommes saisis ne semble indiquer que des personnes ayant participé à des discussions politiques nébuleuses et confuses alors qu'elles se trouvaient au maglis aient été arrêtées et détenues.

À la lumière de la preuve présentée à la SSR, j'estime qu'une telle conclusion n'est pas déraisonnable.

[39]            Les demandeurs soutiennent de plus que la SSR a tiré une conclusion déraisonnable en concluant que le demandeur principal n'avait pas demandé l'aide de ses anciens pairs, aînés ou collègues de l'armée. On prétend qu'en l'absence d'éléments de preuve concernant les personnes auxquelles le demandeur était lié et concernant la manière dont ces personnes auraient pu l'aider, la SSR a supposé que l'on avait pu offrir de l'aide au demandeur.

[40]            Le défendeur n'a pas présenté d'argument sur cette question. Toutefois, à mon avis, il n'est pas déraisonnable que la SSR ait conclu qu'il était peu plausible qu'[Traduction] « un sergent chef à la retraite ne tente pas d'obtenir l'aide de ses pairs après avoir été arrêté, torturé et détenu illégalement » . La jurisprudence de notre Cour a établi que la SSR pouvait tirer des conclusions raisonnables de la preuve présentée, du bon sens et de la rationalité. Compte tenu du long service militaire passé du demandeur principal et des relations qu'il aurait pu établir alors qu'il était dans l'armée, la conclusion de la SSR n'était pas déraisonnable selon moi.


3.         La SSR a-t-elle commis une erreur quant à son appréciation de la preuve documentaire?

  

[41]            Les demandeurs ont soutenu que l'appréciation qu'avait effectuée la SSR relativement à la preuve documentaire concernant le mauvais traitement des opposants politiques était déraisonnable compte tenu de la preuve documentaire sur laquelle s'était fiée la SSR.

[42]            Il est bien établi qu'une cour ne peut pas substituer son appréciation des faits à celle de la SSR, à moins que la cour ne soit convaincue que le tribunal ait tiré une conclusion de fait manifestement erronée et que la conclusion ait été tirée « sans que l'on ne tienne compte de la preuve » . [Voir l'arrêt Cepeda-Gutierrez c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35.]

[43]            La jurisprudence de notre Cour a aussi établi que la détermination de l'importance qui devait être accordée à une preuve présentée à la SSR relevait de la compétence spécialisée de cette dernière. Il est aussi bien établi que la SSR a le droit de se fier à la preuve documentaire qu'elle préfère.

[44]            Il est utile de reproduire les commentaires faits par mon collègue, Monsieur le juge MacKay, dans l'arrêt Pehtereva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 103 F.T.R. 200. Monsieur le juge MacKay a déclaré ce qui suit au paragraphe 12 de cette cause :

... Le recours à ces sources ne saurait être qualifié d'erreur. Même si les articles soumis par la requérante donnaient des exemples qui étayaient indirectement sa revendication, il est établi que le poids à attribuer à des documents donnés ou à d'autres éléments de preuve relève de la compétence du tribunal en cause. Même si la cour de révision avait pu donner un poids différent ou tirer d'autres conclusions qui ne lui permettent pas d'intervenir lorsqu'il n'est pas établi que le tribunal a été abusif ou arbitraire ou que ses conclusions ne sont pas raisonnablement étayés [sic] par les éléments de preuve, je ne suis pas persuadé que les conclusions du tribunal puissent être classées dans cette catégorie. [Non souligné dans l'original.]


[45]            En l'espèce, la SSR a étayé sa conclusion selon laquelle les demandeurs ne feraient pas l'objet de persécution à leur retour à Djibouti avec des éléments de preuve tirés de nombreuses sources documentaires. De plus, le demandeur principal n'a fourni aucun élément de preuve pour établir que lui-même, un Gadaboursi n'étant lié à aucun parti ou à aucun mouvement politique, pourrait subir de graves préjudices équivalant à de la persécution. Par conséquent, je suis d'avis que la SSR n'a pas commis d'erreur susceptible de révision dans sa façon de traiter la preuve documentaire et qu'elle pouvait raisonnablement parvenir aux conclusions qu'elle a tirées en s'appuyant sur cette preuve.

CONCLUSION

[46]            Je conclus que la SSR a rendu sa décision en tenant compte de tous les éléments dont elle disposait et qu'il ne s'agit pas d'une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire. La SSR pouvait raisonnablement parvenir à sa conclusion.

[47]            Pour l'ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[48]            Les parties ont eu l'occasion de soulever une question grave de portée générale au sens de l'article 83 de la Loi sur l'immigration et elles ne l'ont pas fait. Par conséquent, je ne propose pas de certifier une question grave de portée générale.


                                                                     ORDONNANCE

NOTRE COUR ORDONNE QUE :

1.                    La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

   

                                                                                                                            « Edmond P. Blanchard »      

                                                                                                                                                                 Juge                         

   

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                                           IMM-6543-00

INTITULÉ :                                        SOULEMAN OSMAN, Waberi

SOULEMAN OSMAN, Moussa c. M.C.I.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 27 février 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 juin 2002

   

COMPARUTIONS :

Karla Unger                                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Lynn Marchildon                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bell, Unger, Morris                                                                         POUR LE DEMANDEUR

114, avenue Argyle

Ottawa (Ontario) K2P 1B4

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau 2206, Édifice commémoratif de l'Est

284, rue Wellington

Ottawa (Ontario) K2P 1B4

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