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Date : 20190724


Dossier : IMM‑3251‑18

Référence : 2019 CF 982

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

WEI, ZHIMING

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27) [la LIPR] de la décision par laquelle une agente d’immigration [l’agente], d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a refusé la demande de résidence permanente au Canada de Zhiming Wei [le demandeur], au titre de la catégorie des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 101(1) et des définitions pertinentes du paragraphe 88(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur est un citoyen chinois qui a présenté une demande de résidence permanente au titre de  la catégorie des travailleurs autonomes le 10 juin 2016. La valeur nette de son patrimoine serait de près de 20 millions de dollars canadiens.

[4]  Son expérience de travail est variée et touche principalement l’industrie culturelle; expérience dans  l’achat et la vente de séries dramatiques et de films télévisés, et expérience de production, d’édition et de réalisation à la télévision. Dans sa demande, il a exprimé son intention d’établir une entreprise à Vancouver pour la communication de la culture cinématographique et télévisuelle ou de participer à la gestion de l’exploitation d’une production dramatique télévisuelle, produisant du contenu destiné aux auditoires chinois, apportant du contenu chinois aux auditoires canadiens et présentant des émissions de télévision canadiennes en Chine.

[5]  Le 22 mars 2018, on a demandé au demandeur de présenter des documents liés à son expérience pertinente en tant que travailleur autonome ainsi que des formulaires à jour.

[6]  Le 5 juin 2018, le demandeur a participé à une entrevue à Hong Kong, à laquelle il a apporté des documents supplémentaires et à partir desquels l’agente a préparé quatre pages de notes détaillées. Le lendemain, sa demande de résidence permanente a été refusée au motif que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la catégorie des travailleurs autonomes.

III.  Décision contestée

[7]  Dans la lettre de refus, l’agente a conclu que le demandeur n’avait pas de plan d’affaires concret concernant son travail autonome dans sa destination prévue de Vancouver de manière à satisfaire à la définition de travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1) de la LIPR. L’agente a noté que le demandeur avait visité le Canada, mais qu’il avait mené des recherches limitées sur son projet de travail autonome au Canada, qu’il n’avait aucune idée des coûts de son projet d’entreprise au Canada, qu’il n’était pas au courant de la concurrence, du marché du travail et des salaires actuels, qu’il n’avait aucune idée de la façon de trouver des clients potentiels et de promouvoir son entreprise à Vancouver, et qu’il ne parlait ni l’une ni l’autre des langues officielles.

[8]  L’agente a également noté qu’il semblait que le demandeur compterait sur l’aide d’amis et de sociétés de liaison pour effectuer son travail autonome à Vancouver.

[9]  En conclusion, l’agente a indiqué qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur avait établi qu’il avait une expérience utile ou qu’il avait l’intention et était en mesure de créer son propre emploi et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada, selon les exigences décrites dans le RIPR.

[10]  Comme le demandeur ne respectait pas la définition de travailleur autonome énoncée au paragraphe 88(1) du RIPR, sa demande de résidence permanente a été refusée en vertu du paragraphe 100(2) du RIPR et du paragraphe 11(1) de la LIPR.

[11]  La décision contestée était étayée par de nombreuses notes d’information obtenues lors d’une entrevue avec le demandeur. Les notes indiquent qu’il avait l’expérience pertinente requise pour deux périodes d’un an d’expérience dans le travail autonome et les activités culturelles. Toutefois, les notes décrivaient en détail son incapacité de fournir des renseignements pertinents lorsqu’on l’a interrogé sur sa capacité et son intention d’être un travailleur autonome de la manière indiquée.

[12]  Le demandeur a déposé un affidavit auquel le défendeur a répondu avec celui de l’agente. Le demandeur a contre‑interrogé l’agente, le défendeur n’a pas contre‑interrogé le demandeur.

IV.  Cadre législatif

 Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (paragraphe 12(2)).

Sélection des résidents permanents

Selection of Permanent Residents

Immigration économique

Economic immigration

(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

(2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

[Je souligne.]

[My emphasis.]

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (paragraphe 100(1))

Travailleurs autonomes

Self‑employed Persons Class

Qualité

Members of the class

100 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs autonomes est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 88(1).

100 (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the self‑employed persons class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who are self‑employed persons within the meaning of subsection 88(1).

[Je souligne.]

[My emphasis.]

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (paragraphe 88(1) : Définitions)

travailleur autonome Étranger qui a l’expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada. (self‑employed person)

self‑employed person means a foreign national who has relevant experience and has the intention and ability to be self‑employed in Canada and to make a significant contribution to specified economic activities in Canada. (travailleur autonome)

expérience utile

relevant experience, in respect of

a) S’agissant d’un travailleur autonome autre qu’un travailleur autonome sélectionné par une province, s’entend de l’expérience d’une durée d’au moins deux ans au cours de la période commençant cinq ans avant la date où la demande de visa de résident permanent est faite et prenant fin à la date où il est statué sur celle‑ci, composée :

(a) a self‑employed person, other than a self‑employed person selected by a province, means a minimum of two years of experience, during the period beginning five years before the date of application for a permanent resident visa and ending on the day a determination is made in respect of the application, consisting of

(i) relativement à des activités culturelles :

(i) in respect of cultural activities,

(A) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans un travail autonome relatif à des activités culturelles,

(A) two one‑year periods of experience in self‑employment in cultural activities,

(B) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans la participation à des activités culturelles à l’échelle internationale,

(B) two one‑year periods of experience in participation at a world class level in cultural activities, or

(C) soit d’un an d’expérience au titre de la division (A) et d’un an d’expérience au titre de la division (B),

(C) a combination of a one‑year period of experience described in clause (A) and a one‑year period of experience described in clause (B),

(ii) relativement à des activités sportives :

(ii) in respect of athletics,

(A) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans un travail autonome relatif à des activités sportives,

(A) two one‑year periods of experience in self‑employment in athletics,

(B) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans la participation à des activités sportives à l’échelle internationale,

(B) two one‑year periods of experience in participation at a world class level in athletics, or

(C) soit d’un an d’expérience au titre de la division (A) et d’un an d’expérience au titre de la division (B),

(C) a combination of a one‑year period of experience described in clause (A) and a one‑year period of experience described in clause (B), and

(iii) relativement à l’achat et à la gestion d’une ferme, de deux périodes d’un an d’expérience dans la gestion d’une ferme;

(iii) in respect of the purchase and management of a farm, two one‑year periods of experience in the management of a farm; and

[Je souligne.]

[My emphasis.]

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (paragraphe 100(2))

Exigences minimales

Minimal requirements

(2) Si le demandeur au titre de la catégorie des travailleurs autonomes n’est pas un travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1), l’agent met fin à l’examen de la demande et la rejette.

(2) If a foreign national who applies as a member of the self‑employed persons class is not a self‑employed person within the meaning of subsection 88(1), the application shall be refused and no further assessment is required.

V.  Question en litige

[13]  Le demandeur soutient que sa demande soulève une seule question, à savoir si l’agente a commis une erreur en concluant que le demandeur n’est pas admissible à titre de « travailleur autonome » conformément au paragraphe 88(1) du RIPR parce qu’il n’a pas l’expérience utile ni l’intention et n’est pas en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

VI.  Norme de contrôle

[14]  Les parties n’ont pas présenté d’observations en ce qui concerne la norme de contrôle applicable. Bien que la question de savoir si le demandeur est admissible à titre de travailleur autonome en vertu du paragraphe 88(1) du RIPR puisse être considérée comme une conclusion mixte de fait et de droit, dans la plupart des cas, les conclusions se rapportent à des constatations factuelles relatives aux conditions permettant de démontrer qu’il s’agit d’un travail autonome, lesquelles le demandeur était tenu de respecter.

[15]  Les questions mixtes de fait et de droit, et plus particulièrement les conclusions de fait, sont examinées selon la norme de la décision raisonnable, et ce, avec une très grande retenue. La Cour n’est pas habilitée à soupeser à nouveau la preuve, et dès lors qu’il y a des éléments de preuve à l’appui des conclusions, les conclusions de fait ne peuvent être infirmées que dans les cas les plus manifestes (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12; Njeri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 291, au paragraphe 12).

[16]  En ce qui concerne l’approche de la Cour à l’égard de la qualité des motifs, il est bien entendu que la Cour doit d’abord chercher à compléter les motifs avant de tenter de les contrecarrer, et l’agente est présumée avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 12).

VII.  Analyse

A.  Caractère suffisant des éléments de preuve à l’appui de l’évaluation des faits par l’agente.

[17]  Les notes de l’agente concernant l’entrevue du demandeur démontrent qu’il a joué un rôle minimal dans la production d’un film à Vancouver qui a été réalisé par un ami, ou qu’il n’avait aucun plan concret pour démontrer qu’il avait les moyens ou l’intention de procéder à la production d’une série dramatique télévisée concernant des étudiants étrangers au Canada. Les notes de l’agente, qui portent en partie sur d’anciens films et d’éventuelles séries dramatiques télévisées à Vancouver, sont les suivantes :

[traduction

Déclare qu’une équipe a déjà commencé à faire des prises de vue à Vancouver à la fin de 2017. Le demandeur principal (DP) déclare qu’au cours de leur visite en 2016, lui et l’ami ont choisi des emplacements à Vancouver pour les prises de vue. Le (demandeur principal) a présenté le scénario et une liste de réservations pour les membres de l’équipe. J’ai demandé au DP de fournir des renseignements détaillés sur son rôle et ses responsabilités dans cette production, comme des détails sur les membres de son équipe, des détails sur leurs visas de travail, au besoin, les coûts de production au Canada, etc.

Le DP affirme qu’il n’a pas de renseignements détaillés sur la partie production au Canada. Il déclare que les artistes et les acteurs/actrices sont tous embauchés en Chine; il déclare qu’il n’a aucune idée en ce qui concerne les membres de l’équipe, leur salaire. Il affirme qu’en réalité, son ami est le principal responsable de la production au Canada. Il déclare qu’il a participé au scénario, qu’il a aidé à trouver des acteurs en Chine, que tous les acteurs/actrices devraient provenir de Chine. Il déclare qu’il n’y a eu que peu de prises de vue à Vancouver.

Cependant, il déclare qu’il prévoit aussi une autre série dramatique télévisée sur les étudiants étrangers au Canada. Il déclare qu’il y aura 30 épisodes télévisés qui seront nommés « Road to Study Abroad » (En route pour étudier à l’étranger), et il a présenté un plan de projet. Le DP n’a pas encore de renseignements détaillés. Il déclare qu’il envisage de poursuivre ce projet après l’approbation de sa demande. Il déclare que tous les travailleurs et acteurs seront originaires de Chine. Il peut prévoir d’embaucher des travailleurs temporaires au Canada, au besoin. Aucun détail ne peut être fourni. Aucune preuve de la présence de clients potentiels au Canada jusqu’à maintenant. Il n’y a pas encore de preuve de la participation réelle du DP à cette production. Il déclare qu’il projette de choisir l’emplacement de Toronto pour cette production. Il déclare qu’il ne participe pas encore activement, car il en est encore aux premières étapes de la planification.

Il prévoit diffuser à la station de télévision au Canada. Aucun détail pour le moment. Il n’a aucune idée des coûts de sa production, comme l’équipement de tournage, les salaires. Il déclare qu’il exportera son équipement de tournage de la Chine. Il n’a aucune idée de ce qu’est une demande de visa de travail pour son équipe de la Chine, au besoin.

Il déclare qu’une fois qu’il aura immigré à Vancouver, il aura plus de projets de travail autonome à Vancouver. Il déclare qu’il communiquera avec des sociétés de liaison pour sa production et sa promotion de séries dramatiques télévisées. Il déclare que d’anciens amis qui sont maintenant au Canada peuvent lui donner des détails sur les sociétés de liaison au Canada. Il déclare qu’il paie déjà une société de liaison en Chine pour s’occuper de la partie de l’établissement des contacts pour lui. Il déclare qu’avec l’aide des sociétés de liaison de Vancouver, il a confiance qu’il pourra réaliser son plan d’affaires projeté sans grands problèmes.

[18]  En l’espèce, l’agente avait beaucoup d’éléments dans les notes qu’elle a prises à ce moment-là démontrant l’incapacité du demandeur de fournir des renseignements sur les divers éléments énumérés dans sa lettre de décision. Comme elle l’a indiqué en contre‑interrogatoire, elle n’avait [TRADUCTION] « aucune idée de ce qu’il ferait dans l’avenir et que tout dépend de l’approbation de sa demande après son déménagement au Canada. Le plan d’affaires est constitué de quatre pages dans lesquelles il exprime ses convictions et ses plans, et il y a peu de preuve concrète au dossier permettant de démontrer à quel moment et dans quelle mesure il serait prêt à y donner suite ».

[19]  Les notes de l’entrevue constituent une preuve suffisante pour appuyer les conclusions de l’agente selon lesquelles le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences du paragraphe 88(1) du RIPR en se fondant sur son intention et sa capacité d’être un travailleur autonome et de contribuer de manière importante à l’activité économique du cinéma au Canada.

[20]  Le demandeur conteste le contenu des notes prises lors de cette entrevue figurant dans le SMGC. Il soutient que le contre‑interrogatoire démontre que l’agente n’a pas compris certains des termes qu’elle utilisait, qu’elle comprenait peu son travail et qu’elle contestait son recours à des sociétés de liaison figurant dans les notes. Je ne vois aucun fondement à ces critiques sur lesquelles je me pencherai ci‑après. Toutes les questions posées au cours de l’entrevue étaient tout à fait pertinentes quant aux questions en litige, et les réponses du demandeur démontrent qu’il n’avait que des plans très vagues et qu’aucune mesure concrète n’avait été prise pour les mettre en place.

[21]  Le demandeur fait valoir que, puisque le défendeur ne l’a pas contre‑interrogé sur ses affirmations selon lesquelles l’agente a menti en décrivant leur entrevue, ces affirmations doivent être acceptées. En particulier, cet argument est présenté en ce qui concerne les notes indiquant qu’il se fiait à des sociétés de liaison pour mener à bien la plupart des activités, ce que le demandeur [TRADUCTION] « nie catégoriquement ». Avec égards, il s’agit d’une allégation grave contre un agent des visas.

[22]  Son argument selon lequel l’agente n’a pas dit la vérité du fait qu’elle a choisi de ne pas le contre‑interroger ne prouve rien. Très souvent, les avocats choisissent de ne pas contre‑interroger si ce n’est pas nécessaire. Il s’agissait clairement d’une de ces situations, puisque les notes de l’agente indiquent un défaut d’étayer les allégations à l’égard de tous les aspects de la demande, c.‑à‑d., l’incapacité de donner des détails sur les clients potentiels auxquels il avait rendu visite en 2014 ou en 2016; l’incapacité de fournir des renseignements détaillés sur son rôle et ses responsabilités dans la production de 2017; il a indiqué qu’il n’avait pas de renseignements détaillés et que son ami était la principale personne responsable de la production au Canada, etc. Cette question a été suivie de diverses autres questions, lesquelles demeurent sans réponse dans les quatre pages de notes détaillées consignées dans les notes du SMGC.

[23]  En général, il s’agit d’un cas très rare où un demandeur qui est animé par des motivations fortement intéressées pourra convaincre la Cour qu’un agent des visas formé a falsifié des documents dans les notes qu’il a prises lors de l’entrevue, et ce, sans preuve très claire à l’appui de l’allégation. La Cour doit s’en remettre à un employé qui a acquis une expertise dans ces types de demandes à caractère économique et qui est en mesure de déterminer qu’il n’y a pas suffisamment de preuves convaincantes pour conclure qu’il est probable que le demandeur donne suite à ses plans d’affaires après avoir obtenu la résidence permanente. Agir autrement obligerait la Cour à réévaluer la preuve.

[24]  De plus, en ce qui concerne l’iniquité procédurale, et particulièrement la mauvaise foi, les demandeurs sont autorisés à déposer des documents supplémentaires démontrant les actes reprochés en cause. Tout ce que le demandeur avait à faire, c’était de fournir des éléments de preuve à l’appui des questions restées sans réponse dans les notes de l’agente, mais aucun n’a été fourni. Cela est particulièrement nécessaire dans les circonstances où les notes font mention à maintes reprises de la confiance qu’il a accordée à ses amis et à d’autres en ce qui concerne sa participation à des tournages de films à Vancouver, mais aussi quant à ses intentions de produire la série de films à Toronto plus tard. Sans parler des agents de liaison, il y a très peu d’éléments de preuve concrets, détaillés, objectifs et corroborants de ce que le demandeur a fait lors des tournages à Vancouver, ou de la façon dont il pourrait organiser la production cinématographique future à Toronto sans trop compter sur les autres, c’est‑à‑dire des sociétés de liaison qui servent à cette fin.

[25]  Il ne l’a pas fait et a plutôt fourni seulement ce dont il se souvenait de ses commentaires pendant l’entrevue. Par exemple, dans son affidavit déposé auprès de la Cour, il a fait part de ses souvenirs de la discussion sur la série de productions cinématographiques prévue en réponse aux questions de l’agente.

[traduction

De plus, voici comment je me souviens de notre discussion de mon projet actuel :

L’agente : Quel est votre prochain plan d’affaires?

Moi : Je planifie maintenant le scénario de la pièce « Road to Study Abroad » (En route pour étudier à l’étranger) qui est le reflet de la vie des étudiants chinois au Canada.

L’agente : Y a‑t‑il des différences par rapport à « Always with you » (Toujours avec vous)?

Moi : « Always with you » raconte les études à l’étranger du point de vue des pères et des mères, tandis que « Road to Study Abroad » met davantage l’accent sur les perspectives des enfants.

L’agente : Quel est votre rôle?

Moi : La pièce en est maintenant à l’étape de l’écriture de scénarios, et je participerai plus tard à des investissements et à la production ainsi qu’à la diffusion.

L’agente : Quand aura lieu le tournage?

Moi : Il commencera quand le scénario sera prêt.

L’agente : Votre entreprise embauchera‑t‑elle des Canadiens pour travailler pour vous dans le futur?

Moi : Oui (bien sûr)

L’agente : Savez‑vous combien vous devez payer pour le salaire?

Moi : Selon ce que je le sais, environ 4 000 dollars canadiens par mois.

L’agente : Vous les embaucheriez pour faire quoi exactement?

Moi : Liaison et coordination.

L’agente : Avez‑vous enregistré l’entreprise? Loué des bureaux? Embauché du personnel?

Moi : Pas encore.

[26]  De plus, la longueur et les détails des notes de l’agente, dont la plupart se rapportaient au fait que le demandeur n’avait pas répondu aux questions et qu’il n’a répondu à aucune d’entre elles par la suite, donnent à penser que les notes représentent bien le contenu de l’entrevue, de sorte à remettre en question la crédibilité du demandeur, et non celle de l’agente.

[27]  En outre, en ce qui concerne la question de savoir qui est crédible, le passage suivant des notes de l’agente concernant la condamnation du demandeur pour corruption en 2016 fondée sur des renseignements publics de source ouverte ne vient pas en aide à l’observation du demandeur :

[traduction

J’ai informé le demandeur principal des renseignements obtenus de source ouverte sur ses entreprises et j’ai demandé au DP de fournir des explications : (Site Web du jugement en ligne). Le DP a été reconnu coupable de corruption et a été condamné à six mois de détention et à une suspension d’un an. L’affaire s’est terminée le 1er septembre 2016. Les renseignements indiquaient que le demandeur principal avait agi à titre de directeur général de Shanghai Sky Advertising Communication et de Shanghai Donghan Culture and Development Co Ltd. J’ai demandé au demandeur principal de fournir des détails et les raisons pour lesquelles il n’a pas divulgué ces renseignements dans sa demande actuelle : Le demandeur principal reconnaît les renseignements ci‑dessus, il affirme toutefois qu’ils ne concernent que les entreprises et un membre du personnel impliqué dans la corruption. Il déclare qu’il ne l’a pas divulgué dans sa demande parce qu’il n’était pas impliqué. J’ai précisé au demandeur principal qu’il est le principal actionnaire de la Shanghai Donghan Culture and Development Co Ltd. Son épouse détient également des actions dans Shanghai Sky Advertising Communication. Le demandeur principal affirme que l’accusation ne visait que l’employé impliqué, et non lui. Il déclare qu’il a une attestation de police vierge délivrée le 29 mars 2018 qu’il a présentée dans sa demande. Le demandeur principal n’est pas disposé à fournir plus de détails et se montre évasif pour donner des renseignements, à savoir s’il a été condamné à la détention.

[28]  Je rejette complètement toute prétention selon laquelle l’agente ne s’est pas acquittée convenablement de ses fonctions de façon indépendante et impartiale en interrogeant le demandeur, ou n’a pas pris de notes exactes au moment de l’entrevue sur lesquelles la Cour peut se fonder en toute confiance.

B.  Intention de créer son propre emploi au Canada et capacité à ce faire

[29]  Le demandeur fait valoir que l’agente a appliqué la mauvaise définition de l’expression « est en mesure », qui, selon lui, diffère de la norme, ce qui fait en sorte que ses motifs manquent de transparence et d’intelligibilité. En plus de répondre à cette question concernant le sens de l’expression « est en mesure », je tiendrai compte du sens et de l’application du terme « intention », qui doit également être considéré comme un critère pour être un « travailleur autonome » au sens du paragraphe 88(1) du RIPR. Le demandeur ne semble pas avoir tenu compte de la question de savoir si sa demande démontrait de quelque façon que ce soit son intention de réaliser une série de films télévisés au Canada qui apporteraient une contribution importante aux activités économiques culturelles au Canada.

[30]  Toutefois, avant de le faire, je souligne de nouveau que la question en l’espèce ne porte pas sur la définition des termes, mais plutôt sur le caractère suffisant des éléments de preuve versés au dossier. La preuve démontre que le demandeur n’a pas été en mesure de fournir autre chose que de vagues déclarations sur sa participation limitée aux productions cinématographiques antérieures, ainsi que sur un minimum de recherches pour les 30 épisodes prévus d’une série dramatique télévisée, en comptant, comme dans le cas de la production de Vancouver, sur d’autres productions à venir. J’examine les définitions des termes « être en mesure » et « intention » seulement parce que le demandeur semble avoir peu d’idée de ce qui est nécessaire pour répondre à la définition d’un travailleur autonome qui peut contribuer de façon importante à une activité économique culturelle déterminée au Canada.

[31]  Aux fins de l’interprétation de ces termes et à l’exception du terme « expérience » qui ne prête pas à controverse, je reproduis la définition de « travailleur autonome » en mettant l’accent sur les expressions clés :

« travailleur autonome » Étranger qui a l’expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[32]  Les termes « est en mesure » et « intention » doivent être interprétés en contexte. Le dictionnaire Oxford définit ainsi la « capacité » comme le mentionne le demandeur : [traduction] « Possession des moyens ou de l’aptitude à faire quelque chose [non souligné dans l’original.] » De plus, l’application du terme « capacité » est liée à la réalisation attendue d’une « contribution de manière importante à des activités économiques déterminées (en l’occurrence culturelles) au Canada ».

[33]  Dans ce cas précis, l’activité consiste à produire des films qui mobilisent un nombre considérable d’employés et d’organismes différents qui travaillent en « équipe » pour atteindre l’objectif commun d’une série de films rentables sur le plan financier. Par sa nature même, la production cinématographique d’une série de 30 épisodes pour la télévision est un produit à livrer complexe qui nécessite une planification et une coordination exhaustives de tous genres d’activités associées à l’écriture, à la production et à la mise en marché d’un film, comme on le constate chaque fois que se défile la liste de tous les participants qui ont rendu un film possible. Dans le cas du demandeur, c’est quelque chose qui se produira dans l’avenir. De plus, pour apporter une contribution importante à la culture canadienne, à moins que cela ne soit par ailleurs essentiel, il n’y a pas lieu de faire participer des acteurs chinois de la Chine, ni de recourir aux installations chinoises du demandeur en Chine pour appuyer la réalisation de films. Afin de contribuer de manière importante au milieu économique culturel canadien, tous les aspects de la production des films devraient se faire le plus possible au Canada.

[34]  Par conséquent, lorsque la définition de la capacité indique que le demandeur doit posséder les moyens de produire des films au Canada, il faut, par définition, démontrer une planification et des détails exhaustifs sur les moyens d’exécution. Le fait qu’il puisse produire des films en Chine est surtout lié à l’expérience. La capacité est un aspect différent pour les projets de cette nature, où la démonstration de la possession des moyens pour être en mesure d’exécuter le projet est visée par l’objet du paragraphe 88(1) du RIPR, qui, dans le cas de la production cinématographique par définition implicite, supposera un certain nombre de capacités et de talents différents.

[35]  Par conséquent, il n’y a aucune raison de critiquer l’agente pour la partie de son explication qui exigeait des précisions de la part du demandeur sur la façon dont le projet allait se dérouler, puisque, de toute évidence, la réalisation d’un tel projet exige la participation de nombreuses autres personnes, comme démonstration raisonnable de la capacité de produire une série de films télévisés. Ses réponses étaient entièrement fondées sur le fait que d’autres personnes étaient responsables de la plus grande partie du travail, sans aucune indication utile, en réalité, sur la façon dont le projet allait se dérouler.

[36]  Le rôle du demandeur est de rédiger le scénario, à un moment donné dans l’avenir, après quoi il pourrait jouer un rôle indéterminé dans l’investissement, la production et la commercialisation du projet, clairement fondé sur le fait que d’autres ont la responsabilité de l’exécution de ces activités qui sont essentielles au succès économique du film, sans jamais mentionner la participation de Canadiens dans le cadre de ce projet.

[37]  La preuve est telle qu’il n’est même pas clair que la résidence permanente est nécessaire pour que le projet réussisse. La production précédente du film à Vancouver n’exigeait pas la résidence permanente du demandeur pour qu’il soit réalisé. La notion sous‑jacente à un travailleur autonome en vertu du paragraphe 88(1) est que le statut de résident permanent est nécessaire au succès du projet, non pas que le projet puisse réussir autrement, mais que le demandeur devrait être récompensé par la résidence permanente si le projet aboutit. L’intention est que le demandeur soit un travailleur autonome au Canada dans le but de contribuer de manière importante à une activité économique déterminée.

[38]  De plus, un demandeur ne peut pas obtenir le statut de résident permanent s’il a pris l’engagement d’accomplir une seule tâche dans le cadre d’une production et d’une commercialisation assorties de tâches multiples en demandant à d’autres de réaliser un projet au Canada. Dans cette perspective, les réponses de l’agente qui ont été critiquées semblent tout à fait raisonnables en ce qui concerne le sens pratique de la capacité en ce qui concerne les exigences du paragraphe 88(1) du RIPR, qui sont les suivantes :

[traduction

La capacité dépend de ce que le demandeur ‑‑ les choses qu’il propose -- de mettre en œuvre au Canada lui‑même, par lui‑même, et ne compte pas sur quelqu’un d’autre pour faire le travail pour lui, et il doit participer de son propre chef.

[... ]

Il doit aussi avoir la capacité de me dire ce qu’il pense ou ce qu’il propose pour mettre en œuvre son plan, sa proposition, il doit avoir les connaissances et l’information, les détails pour me dire ce qu’il va faire et qu’il est réaliste qu’il puisse le faire tout seul.

[39]  De plus, je n’accepte pas que le critère « être en mesure » soit pris en compte sans qu’il soit nécessaire de démontrer « l’intention » de mener à bien un projet visant à réaliser une série de films télévisés au Canada. En effet, parmi les deux termes, je pense que le mot « intention » est peut‑être l’exigence la plus importante en ce qui concerne la difficulté de répondre aux critères relatifs au terme « travailleur autonome » prévu au paragraphe 88(1). Le demandeur n’y a pas répondu.

[40]  Il est bien connu que l’intention est un attribut mental et que, par conséquent, son existence ne peut être constatée que par l’examen de la preuve d’une conduite externe antérieure, au sens large, ce qui prouve que la fin ou le but de la conduite est probable. En l’espèce, la conduite doit prouver qu’il y a une probabilité que le demandeur déploie tous les efforts nécessaires et qu’il prenne l’engagement mental requis pour produire une série de films à l’intention de la télévision au Canada qui contribuent de manière importante aux activités cinématographiques du pays.

[41]  Prouver l’intention d’un résultat qui s’est déjà produit est très différent de prouver l’intention de faire quelque chose dans l’avenir. Bien que la preuve des deux formes d’intention soit en quelque sorte rétrospective du fait qu’elle s’appuie sur une conduite externe antérieure pour prouver que les engagements futurs seront respectés, il n’y a pas d’événements concrets menant à la réalisation des engagements. De plus, contrairement à l’intention criminelle, les déclarations joueront peu de rôles dans la démonstration d’une intention de respecter les engagements, à moins qu’elles ne soient étayées de façon convaincante par une conduite antérieure.

[42]  Étant donné que l’avenir est difficile à prédire dans le meilleur des cas, alors que les mots ont si peu de valeur lorsqu’il y a l’avantage indirect très précieux de l’obtention de la résidence permanente au Canada comme résultat précédant la réalisation de l’engagement, l’intention de respecter un engagement futur dépend de la preuve d’un engagement passé important qui contribue grandement à la réalisation du projet.

[43]  Par conséquent, le critère énoncé au paragraphe 88(1) du RIPR, qui pourrait être décrit comme un « engagement ou une intention promise », combiné à la prise en compte des facteurs d’expérience et de capacité applicables, obligerait le demandeur à démontrer de façon convaincante les efforts antérieurs et un engagement suffisamment important pour que l’agent puisse conclure que le demandeur a établi qu’il continuera probablement à titre de travailleur autonome après avoir obtenu le statut de résident permanent pour mettre en œuvre le projet, ce qui contribuera de façon importante à l’activité culturelle déterminée au Canada. Dans des circonstances normales, il faudra démontrer que des efforts importants ont été déployés avant la présentation de la demande en vue de faire progresser un projet bien conçu, bien documenté et bien exécuté, qui indique une possibilité sérieuse de réussite économique, de sorte qu’il soit probable que le demandeur aille de l’avant avec le projet dans la mesure où la résidence permanente est obtenue pour que cela se produise dans des circonstances normales.

[44]  En guise de conclusion sur le sujet, la façon dont les trois exigences relatives à l’expérience, à la capacité et à l’intention se conjuguent pour démontrer la viabilité d’une entreprise économique variera selon les circonstances. En l’occurrence, le projet de réalisation d’une série de films pour la télévision est une entreprise polyvalente faisant intervenir de nombreuses formes d’activités culturelles et d’autres métiers associés à la production et à la commercialisation d’un film à grand succès. Les projets à plus petite échelle peuvent mieux tirer parti de l’expérience personnelle et permettre d’établir des probabilités de succès dans une activité économique culturelle déterminée, puisqu’ils exigent des engagements antérieurs moins importants pour démontrer une intention probable de donner suite à l’activité. Toutefois, un élément fondamental de toute demande est la démonstration que les projets ont été conçus en détail et que des mesures concrètes ont été prises pour assurer la mise en œuvre qui mènera à une activité économique réussie afin de répondre aux exigences imposées à un travailleur autonome immigrant au sens du paragraphe 88(1).

[45]  Enfin, on ne peut pas reprocher à l’agente d’avoir remarqué que le demandeur ne parlait ni l’une ni l’autre des langues officielles, surtout lorsqu’il s’agit d’un facteur dans l’évaluation globale du travailleur autonome. Le demandeur cherche à obtenir le statut de résident permanent dans un pays où il ne parle ni l’une ni l’autre des deux langues officielles et propose d’entreprendre un projet très complexe en même temps. Les compétences linguistiques sont toujours un facteur pertinent de réussite au Canada. C’est d’autant plus vrai pour les personnes qui souhaitent entrer au pays pour devenir des résidents permanents, où elles sont censées passer le reste de leur vie à contribuer au Canada, c’est‑à‑dire de façon permanente. La promesse du demandeur d’apprendre l’une des deux langues officielles seulement une fois qu’il deviendra résident permanent est l’une des indications les plus claires et aussi vides que le reste de sa demande de l’absence de toute preuve d’engagement envers le Canada. Le moment et l’endroit pour commencer à apprendre la langue se décident bien avant la présentation de la demande; ou il faut établir une quelconque preuve de réussite d’une formation intensive. La dernière chose qu’un demandeur devrait faire, c’est de critiquer l’agente pour avoir fait son travail en notant que les exigences n’avaient pas été respectées, lesquelles constituaient une considération pertinente justifiant le refus de la demande.

VIII.  Conclusion

[46]  La demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3251‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour d’août 2019

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3251‑18

INTITULÉ :

WEI, ZHIMING c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER AVRIL 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JUILLET 2019

COMPARUTIONS :

Me Annabel E. Busbridge

POUR LE DEMANDEUR

Me Evan Liosis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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