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Date : 20041209

Dossier : T-1450-04

Référence : 2004 CF 1722

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                                                                 MAHESH BEDI

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de ne pas ordonner la semi-liberté de Mahesh Bedi (demandeur). Selon le demandeur, la décision initiale, l'examen effectué par les deux commissaires de la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) et la confirmation en appel par la Section d'appel de la Commission des libérations conditionnelles (Section d'appel) sont fondés sur une erreur de droit et sur des conclusions de fait erronées.


FAITS PERTINENTS

[2]                Le 13 août 2003, la Cour de justice de l'Ontario a déclaré le demandeur coupable de possession en vue d'un trafic, de possession de cocaïne, de quatre chefs d'accusation de possession d'une arme à feu prohibée et chargée, de deux chefs d'accusation de possession d'une arme à feu dont le numéro de série était oblitéré, de recel, de quatre chefs d'accusation de possession d'une arme à feu et de possession des produits de la criminalité. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement de quatre ans et demi dans un pénitencier fédéral.

[3]                Le 24 décembre 2003, le bureau de libération conditionnelle Peel a complété une évaluation en vue d'une décision dans laquelle il était recommandé que la CNLC ordonne une procédure d'examen expéditif en vue de l'octroi de la semi-liberté ou de la libération conditionnelle totale (la CNLC n'a pas examiné la possibilité d'une libération conditionnelle totale à ce moment-là).

[4]                Le 13 février 2004, un commissaire de la CNLC, en se fondant sur les observations écrites, a refusé d'ordonner la semi-liberté du demandeur, décision qui a par la suite été confirmée lors d'une audience devant la CNLC qui a eu lieu le 29 avril 2004.

[5]                Le 28 juin 2004, le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Le 3 août 2004, la Section d'appel a rejeté l'appel.

QUESTIONS EN LITIGE

[6]                1.        Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.        La CNLC et la Section d'appel ont-elles appliqué le critère opportun quand elles ont décidé de ne pas autoriser la semi-liberté?

ANALYSE

1.          Quelle est la norme de contrôle applicable?

[7]                Le demandeur prétend que dans la mesure où la CNLC a confondu le critère de la « propension » et celui de la « probabilité » , la Commission a commis une erreur de droit, ce qui voudrait dire que la norme de la décision correcte devrait être appliquée. Je ne crois pas que la norme qu'il faut appliquer soit aussi claire qu'on le prétend. Certes, une question de droit serait un facteur déterminant en faveur d'une moins grande retenue à l'égard de la CNLC, mais la nature de la question n'est pas le seul facteur dont il faut tenir compte en déterminant la norme applicable. Il faut également analyser la nature de l'appel, l'expertise relative de la Commission et l'objet de la loi.

[8]                Toutefois, la présente demande de contrôle judiciaire n'est pas nouvelle; cette même question ayant déjà été tranchée plusieurs fois. Cela étant, j'estime que l'analyse effectuée par mon collègue, le juge Russell, dans l'affaire McMurray c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [2004] A.C.F. no 565, s'applique en l'espèce :

¶ 40 Le demandeur indique que les juridictions canadiennes ont adopté une méthode pragmatique et fonctionnelle à l'examen des décisions administratives. Pour déterminer la norme de contrôle applicable selon cette méthode, les juridictions tiennent compte des quatre (4) facteurs suivants :

i) la présence ou l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi;

ii) l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige;

iii) l'objet de la loi et de la disposition particulière;

iv) la nature de la question.

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, aux paragraphes 23 à 38, Barrie Public Utilities c. Canadian Cable Television Assn., 2003 CSC 28, paragraphe 10.

¶ 41 Lorsque la Cour a examiné les conclusions de fait de la Section d'appel, lorsque celle-ci exerçait sa propre compétence d'examen aux termes du paragraphe 147(4) de la Loi, la Cour a fait preuve de retenue à l'égard des décisions de la Section d'appel et a utilisé la norme de la décision « manifestement déraisonnable » pour justifier une intervention judiciaire (Costiuc c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 241 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 6, Dupuis c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 508, aux paragraphes 21 à 23)

¶ 42 Cependant, lorsque la Section d'appel a exercé ses pouvoirs aux termes du paragraphe 147(4) de la Loi pour examiner les décisions prises par la Commission sur des questions de droit, la Cour a jugé bon d'appliquer une norme de contrôle plus rigoureuse basée sur la notion de décision « raisonnable » . Dans ce contexte, la Cour a déclaré que la décision a pour but de vérifier la « légalité » de la décision de la Commission. (Cartier c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, aux paragraphes 8 à 10)

[Non souligné dans l'original.]


Ainsi, j'estime que l'analyse susmentionnée respecte la jurisprudence la plus récente sur le sujet et qu'elle arrive correctement à la conclusion selon laquelle la norme de contrôle applicable sur des questions de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable et, sur des questions de droit, celle de la décision raisonnable.

2.          La CNLC et la Section d'appel ont-elles appliqué le critère opportun quand elles ont décidé de ne pas autoriser la semi-liberté?

[9]                En l'espèce, il s'agit de la décision de la CNLC de ne pas autoriser la semi-liberté, ainsi que de la décision de la Section d'appel confirmant l'ordonnance de ne pas autoriser la semi-liberté. Dans ces circonstances, la Cour doit analyser la décision de la CNLC et décider de sa légalité; elle ne doit pas analyser la décision de la Section d'appel :

La situation inusitée dans laquelle se trouve la Section d'appel rend nécessaire une certaine prudence dans l'application des règles habituelles du droit administratif. Le juge est théoriquement saisi d'une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d'appel, mais lorsque celle-ci confirme la décision de la Commission, il est en réalité appelé à s'assurer, ultimement (sic), de la légalité de cette dernière. (Cartier c. Canada, [2002] A.C.F. no 1386 (C.A.), au paragraphe 10.)

[10]            Le demandeur prétend que la CNLC a commis une erreur susceptible de contrôle en remplaçant le critère applicable qui est celui de la « probabilité » par celui de la « propension » . Après avoir soigneusement lu la décision de la CNLC, ainsi que celle de la Section d'appel, j'estime que le critère opportun, celui de la « probabilité » , a été appliqué.

[11]            Eu égard à la décision prise par les deux commissaires de la CNLB, la partie intitulée [traduction] « décision relative à l'examen expéditif » dit clairement :

[traduction]

La Commission est convaincue qu'il y a des motifs raisonnables de croire que, si vous êtes remis en liberté, vous allez probablement commettre une infraction de violence avant l'expiration de votre sentence et par conséquent, la Commission ordonne que vous demeuriez incarcéré. (Page 2 de la feuille de décision de la CNLB relative à la procédure d'examen expéditif.)

[Non souligné dans l'original.]

[12]            Et de nouveau, à la conclusion des motifs de la décision, le commissaire dit que :

[traduction]

En résumé, le jeu réciproque entre les actes criminels, les drogues, les armes dangereuses et le manque de programmes sur les valeurs et les attitudes criminelles ainsi que sur les aptitudes en prise de décision amène la Commission à conclure qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'il est probable que vous commettiez une infraction de violence avant l'expiration de votre peine. Par conséquent, la semi-liberté n'est pas autorisée. (Pages 3 et 4 de la feuille de décision de la CNLB relative à la procédure d'examen expéditif.)

[Non souligné dans l'original.]

[13]            J'ai n'ai trouvé aucune mention du critère de la « propension » lors de l'audience devant la CNLC. Quant à la décision écrite, le mot « propension » apparaît à deux reprises. Il apparaît pour une première fois dans l'évaluation du risque effectuée par les membres de la Commission. Voici le premier facteur :

[traduction]

a) signe d'un comportement révélant une propension à commettre une infraction de violence. (Page 2 de la feuille de décision de la CNLB relative à la procédure d'examen expéditif.)

[14]          Il s'agit d'une paraphrase de l'alinéa 125(3)c) de la Loi sur le système correctionnel

et la mise en liberté sous condition qui dit que :

(3) L'étude du dossier se fonde sur tous les renseignements pertinents qui sont normalement disponibles, notamment :

c) tout autre renseignement révélant une propension à la violence de sa part.

[Non souligné dans l'original.]

[15]            Ainsi, la loi exige que la CNLC tienne compte de signes de propension à la violence. J'estime que c'est précisément ce qu'elle a fait quand elle a mentionné que même si le demandeur était un délinquant primaire, ses infractions comprenaient diverses condamnations relatives à des armes, il avait participé activement au trafic de cocaïne et il avait des valeurs criminelles et des contacts avec des criminels. Tous ces faits révélaient qu'il avait une propension à commettre des crimes de violence.

[16]            En outre, le facteur « propension à la violence » apparaît non seulement dans la loi mais également à la page 7 du Manuel des politiques de la CNLC où il s'agit de l'évaluation des risques de récidive avec violence. Il est donc tout à fait clair que la CNLC devrait tenir compte de la propension à commettre des crimes de violence en décidant si la personne est susceptible de commettre une infraction de violence.

[17]            Le terme « propension » apparaît une deuxième fois au tout début des motifs de la décision :


[traduction]

Vous avez participé à des crimes graves, au trafic de crack. Comme nous en avons discuté pendant l'audience d'aujourd'hui, vos actes ont été la cause indirecte de beaucoup de souffrance et de propension à la violence. (Page 3 de la feuille de décision de la CNLB relative à la procédure d'examen expéditif.)

[18]            Je ne vois pas en quoi la Commission aurait confondu le critère de « probabilité » et celui de la « propension » . L'usage du terme « propension » dans cette affaire semble tout simplement viser l'un des critères dont la CNLC doit tenir compte en décidant si le détenu est susceptible de commettre une infraction de violence s'il est remis en liberté avant la fin de sa sentence. Cette analyse est appuyée par le fait que la CNLC a mentionné plusieurs critères (le jeu réciproque entre les crimes, les drogues et les armes dangereuses, l'absence de programmes, le manque d'aptitudes en prise de décision) en évaluant s'il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur était susceptible de commettre une infraction de violence avant la fin de sa peine.

[19]            Quant à la décision de la CNLC de ne pas autoriser la semi-liberté, puisque le critère opportun a été appliqué, il s'agit tout simplement d'une analyse des faits présentés à la CNLC. Puisqu'elle possède une expertise dans ce domaine, la Commission est la mieux placée pour analyser les faits qui lui sont présentés, ainsi que la crédibilité du demandeur pendant les audiences.


En premier lieu, il s'agit ici d'un contrôle judiciaire; la Cour appelée à exercer ce contrôle, et cette Cour en appel, ne peuvent pas simplement substituer leurs opinions sur les faits et le droit à celles du tribunal et tirer la conclusion qu'elles estiment exacte. Nous devons nous fonder sur le dossier tel qu'il nous a été présenté et nous limiter aux critères applicables au contrôle judiciaire, tout en nous rappelant à tout moment qu'il ne peut pas facilement être remédié à une violation des règles de justice naturelle dans le cadre de pareil contrôle. Nous devons nous assurer que le Tribunal agit d'une façon légitime, mais il appartient au Tribunal de rendre une décision sur les faits, une fois que ces faits ont été débattus devant lui de la façon appropriée (Canada c. (P.G.) c. McKenna, [1999] 1 C.F. 401, au paragraphe 6).

[20]            Pendant l'évaluation des faits qui lui ont été présentés, la CNLC a mentionné que le demandeur était responsable de crimes graves, savoir le trafic du crack. En outre, de grandes quantités de drogues, d'argent et d'armes mortelles ont été trouvées dans son appartement et certaines de ces choses avaient été déposées dans des endroits qui les rendaient facilement accessibles. La CNLC a également décidé que les réponses du demandeur n'étaient pas crédibles et que celui-ci tentait uniquement d'éviter toute responsabilité. Il y a également mention d'allégations concernant sa participation au trafic de la drogue au sein de l'établissement et de l'absence de programmes permettant de s'attaquer aux valeurs et aux attitudes criminelles, ainsi qu'aux habiletés en matière de prise de décision.

[21]            En outre, le demandeur prétend que contrairement à d'autres dossiers dans lesquels on a refusé la semi-liberté :

·        il a l'appui de la maison de transition qui exercerait une surveillance à son égard;

·        toutes les armes qui lui étaient accessibles ont été saisies par la police;

·        une ordonnance lui interdit de posséder des armes;

·        la surveillance de sa libération peut faire en sorte qu'il lui soit interdit d'avoir des contacts avec des criminels;

·        il a une femme et une famille qui peuvent l'appuyer au sein de la collectivité.

[22]            Même si, à première vue, ces motifs peuvent paraître quelque peu convaincants, il faut comprendre que la maison de transition exercerait une certaine surveillance, mais qu'elle ne saurait exercer un contrôle sur toutes les activités du demandeur; les armes qui ont été saisies ne sont certes plus accessibles mais la source de ces armes le demeure. Quant à l'interdiction de posséder des armes, les lois qui interdisent la possession d'armes prohibées ne l'ont pas empêché d'en acquérir. Enfin, pour ce qui concerne la surveillance de sa libération conditionnelle et l'appui de sa famille, la CNLC ne semblait pas convaincue de la crédibilité du demandeur et, par conséquent, elle a accordé l'importance qu'il fallait à ces éléments.

[23]            Puisqu'il s'agit d'un contrôle judiciaire, j'ai certaines fonctions et obligations, mais je n'ai pas le mandat de substituer mon opinion concernant les faits à celle de la CNLC. La CNLC a régulièrement examiné les faits qui lui ont été présentés et elle a expliqué sa décision dans ses motifs oraux et écrits.

[24]            Comme tel, j'estime que le critère de la « probabilité » a été appliqué en conformité avec la loi et la décision finale de la CNLC, fondée sur des faits, n'est pas déraisonnable. L'intervention de la Cour n'est donc pas justifiée.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                     « Pierre Blais »                     

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                      T-1450-04

INTITULÉ :                                                    MAHESH BEDI

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 6 DÉCEMBRE 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

John Hill                                                            POUR LE DEMANDEUR

Derek Edwards                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Hill                                                            POUR LE DEMANDEUR

127, avenue Bishop

Toronto (Ontario)

M2M 1Z6

Ministère de la Justice               POUR LE DÉFENDEUR

130, rue King Ouest

Pièce 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

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