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     IMM-2348-96

ENTRE :

     MICHELE COSCIA,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

         Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire concernant une décision, rendue pour le compte de l'intimé en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration1, selon laquelle l'intimé est d'avis que le requérant constitue un danger pour le public au Canada. Cette décision, qui porte la date du 23 mai 1996, a été transmise au requérant le 27 juin suivant, à l'Établissement de Collins Bay du Service correctionnel du Canada.

         Le contexte factuel est, en bref, le suivant. Le requérant, né en Italie le 30 mars 1960, a été admis au Canada le 6 août 1966, à titre d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement. Depuis cette date, il a vécu de façon continue au Canada, et la quasi-totalité des membres de sa famille se trouvent dans ce pays. Il est marié et a deux enfants. Il parle l'italien, mais ne lit pas ou n'écrit pas cette langue.

         Le 8 septembre 1995, le requérant a été reconnu coupable à Toronto de trois infractions et condamné à une période d'emprisonnement totale de 14 ans. Les infractions en question étaient les suivantes : complot en vue d'importer un stupéfiant (de la cocaïne), recyclage des produits de la criminalité, et remise d'une arme à feu (une mitraillette) à une autre personne sans détenir un certificat de port d'arme. Les condamnations faisaient suite à une vaste enquête policière clandestine.

         Le requérant a été avisé que l'intimé envisageait d'émettre contre lui un avis de danger pour le public au Canada, et des exemplaires des documents sur lesquels l'intimé se proposait de se fonder lui ont été fournis. Des observations ont été faites à l'intimé pour le compte du requérant, mais malgré ces dernières, la décision faisant ici l'objet d'un contrôle judiciaire a été rendue.

         Au vu de la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Williams2, seules deux questions ont été plaidées devant moi. La première consistait à savoir si la décision visée par le contrôle judiciaire reposait sur des conclusions de fait erronées tirées d'une manière inique ou arbitraire ou sans tenir compte des documents que le délégué de l'intimé avait en mains. La seconde est celle de savoir si le délégué de l'intimé a agi de bonne foi en considérant l'ensemble des documents qui lui avaient été soumis.

         Le juge Strayer a écrit ce qui suit dans l'arrêt Williams :

     Il est frappant que le paragraphe 70(5) dispose que ne peut faire appel l'intéressé qui constitue un danger " selon le ministre " et non " selon le juge ". Par ailleurs, le législateur n'a pas formulé la disposition de manière objective, c'est-à-dire en prescrivant qu'une attestation interdisant un autre appel peut uniquement être délivrée s'il est " établi " ou " décidé " que l'appelant constitue un danger pour le public au Canada. Le législateur a plutôt eu recours à une formulation subjective pour énoncer le pouvoir de tirer une telle conclusion : le critère n'est pas celui de savoir si le résident permanent constitue un danger pour le public , mais celui de savoir si, " selon le ministre ", il constitue un tel danger. Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence. En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur, et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier.         

Plus loin dans ses motifs, en commentant l'opinion souvent citée qu'il est " préférable " de motiver les décisions comme celles qui sont ici soumises à un contrôle judiciaire, le juge Strayer ajoute ceci :

     Ce qui a été reconnu, c'est que lorsque la décision discrétionnaire d'un tribunal est manifestement absurde ou lorsque les faits qui ont été soumis au tribunal exigeaient manifestement un résultat différent ou étaient dénués de pertinence mais ont apparemment eu un effet déterminant sur le résultat, il se peut qu'une cour de justice doive, en l'absence de motifs qui auraient pu expliquer comment le résultat est effectivement justifié ou comment certains facteurs ont été pris en considération mais rejetés, annuler la décision pour l'un des motifs reconnus de contrôle judiciaire comme l'erreur de droit, la mauvaise foi, la prise en considération de facteurs dénués de pertinence et l'omission de tenir compte de facteurs pertinents. Dans de telles circonstances, la décision du tribunal est annulée non pas parce qu'elle n'est pas motivée, mais parce que sans motifs il n'est pas possible de surmonter l'obstacle que constitue la conclusion d'absurdité ou d'erreur dérivée du résultat ou des circonstances entourant la décision. [citations omises]         

         En l'espèce, aucun motif n'a été fourni à l'égard de la décision rendue. Ont été soumis au délégué du ministre, pour le compte du requérant, de nombreux documents indiquant que le requérant a vécu au Canada la majeure partie de sa vie, et certainement toute sa vie adulte, qu'il a des liens étroits avec le Canada et y bénéficie d'appuis, de la part de membres de sa famille ainsi que d'autres personnes, et que le requérant subirait des difficultés considérables s'il fallait qu'il retourne en Italie. Dans les documents que j'ai en mains, rien ne prouve que le délégué a négligé de tenir compte de ces renseignements avant de se prononcer. De la même façon, dans les documents soumis au délégué de l'intimé, de nombreuses preuves étayaient la décision qu'il a rendue. Dans les circonstances, je ne puis tout simplement pas conclure que la décision en question a été rendue d'une manière inique ou arbitraire ou sans tenir compte des documents soumis au décisionnaire.


         Dans une pièce jointe à un affidavit lui-même déposé dans cette affaire, le requérant a présenté des extraits de l'enregistrement sonore d'un colloque tenu le 19 juin 1996 par l'Association du Barreau canadien - Section de la citoyenneté et de l'immigration. Le colloque en question était intitulé [TRADUCTION] " Danger, danger, qui est un danger ". Les extraits indiquent qu'un fonctionnaire du ministère intimé, bien au fait de l'élaboration et de l'application de la procédure menant à des décisions similaires à celle qui est soumise à un contrôle judiciaire en l'espèce, a fait des déclarations de ce genre : [TRADUCTION] " Ce que le Ministère veut, ce sont des renvois. C'est la raison pour laquelle nous le faisons... Nous le faisons parce qu'il y a des gens dont nous ne voulons plus au Canada "; et : [TRADUCTION] " Il est important de comprendre que lorsque le gestionnaire signe une directive, le danger n'entre pas en ligne de compte, le gestionnaire a décidé qu'il veut que le type quitte le pays. C'est ce que nous voulons, nous ne perdons pas de temps ". Je n'attache aucun poids à cette information à cause de la façon dont elle apparaît dans le dossier présenté en l'espèce. Il ne s'agit pas d'un affidavit déposé auprès de la Cour, mais simplement d'une pièce qui accompagne un tel document. La signataire de l'affidavit était effectivement à l'abri d'un contre-interrogatoire. De plus, même s'il avait été possible de contre-interroger cette personne, elle ne se trouvait pas au colloque. Il n'y avait aucun moyen qu'elle puisse attester soit du contexte dans lequel les propos cités avaient été faits, soit de l'atmosphère régnant au colloque qui aurait pu contribuer à la formulation de ces propos3.

         Compte tenu de ce qui précède, et en faisant référence à la première citation qui précède, extraite des motifs du juge Strayer dans l'arrêt Williams, je suis d'avis que rien ne me permet de conclure qu'en l'espèce, le décisionnaire a agi autrement que de bonne foi et en tenant compte de la totalité du dossier qui lui avait été soumis, car je n'ai été saisi d'aucune preuve contraire à laquelle j'accorde une importance quelconque.

         En fin de compte, la présente demande de contrôle judiciaire a été rejetée. Aucun des deux avocats n'a recommandé qu'une question soit certifiée, et aucune ne l'a été.

     FREDERICK E. GIBSON

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 26 mai 1997

Traduction certifiée conforme :         
                             F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              IMM-2348-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      MICHELE COSCIA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 16 MAI 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              26 MAI 1997

ONT COMPARU

Me Ruth Cameron                          POUR LE REQUÉRANT

Me Stephen H. Gold                          POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Me Ruth Cameron                          POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

Me George Thomson                          POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

__________________

1.      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2.      11 avril 1997, nos du greffe A-855-96 et IMM-3320-95 (décisions non publiées) (C.A.F.).

3.      Voir les motifs que j'ai prononcés dans l'affaire Zaman c. le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, nE du greffe : IMM-1730-96, 16 mai 1997 (décision non publiée) où il est question d'une autre circonstance dans laquelle je n'accorde aucun poids à un affidavit joint à titre de pièce à un affidavit déposé auprès de la Cour.

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