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Date : 19981229


Dossier : T-932-986

OTTAWA (ONTARIO), LE 29 DÉCEMBRE 1998

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

     HARPAL BUTTAR,

     demandeur,

     et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AUTRES,

     défendeurs.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.



Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


Date : 19981229


Dossier : T-932-986

ENTRE :

     HARPAL BUTTAR,

     demandeur,

     et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AUTRES,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ :

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire met en cause la décision rendue par le président du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique du Canada (le Comité) dans le cadre de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique1 (la Loi) concernant la nomination de Larry Whitehouse à un poste de chercheur scientifique.

1. Les faits

[2]      Le demandeur (M. Buttar) occupe, à Santé Canada, un poste de chercheur ayant la classification SE-RES-04. Il avait postulé un avancement d'échelon afin de passer à la classification SE-RES-05. Le Comité sectoriel avait initialement examiné trois candidatures à l'avancement, concluant que M. Buttar était le plus qualifié et le recommandant au Comité d'examen ministériel.

[3]      Mais, M. Mattok, président du Comité sectoriel, fit savoir à son comité qu'il entendait proposer à l'avancement le nom d'autres chercheurs et le nom de M. Whitehouse était parmi ceux qu'il proposa effectivement. Cette démarche en vue de proposer d'autres noms a été considérée comme [traduction] " parfaitement irrégulière " mais le Comité sectoriel l'a acceptée toutefois à condition qu'on précise bien que M. Buttar était le candidat le plus apte.

[4]      Peu de temps après, le Comité d'examen ministériel nommait M. Whitehouse à l'échelon SE-RES-05, M. Buttar interjetant appel.

2. La décision du Comité

[5]      Deux membres du Comité sectoriel, MM. McGilveray et Neville vinrent témoigner, affirmant devant le Comité d'appel que le Comité sectoriel avait, à la majorité de ses membres, conclu que M. Buttar était nettement plus qualifié que les autres candidats et que c'est d'ailleurs pour cela qu'il avait été recommandé. Selon M. Neville, le Comité sectoriel avait examiné 15 dossiers de candidature et avait conclu que celui de M. Buttar était largement supérieur à celui des autres candidats.

[6]      Cela dit, les représentants du Comité d'examen ministériel affirment que les dossiers de M. Buttar et de M. Whitehouse ont été tous deux évalués individuellement par le Comité d'examen ministériel en fonction des normes de compétence en vigueur. M. Felix Li, président du Comité d'examen ministériel, a témoigné que, pour le Comité, les critères qui comptaient le plus étaient la réputation professionnelle et le nombre et la qualité des travaux publiés et que le Comité s'était uniquement fondé sur les documents contenus dans les dossiers des deux candidats. Selon lui, le Comité d'examen ministériel avait relevé que, dans les publications spécialisées, M. Buttar n'était pas souvent cité en tant qu'autorité internationale dans son domaine et que ne figurait dans son dossier aucune mention de récompenses ou de distinctions qui lui auraient été attribuées. En ce qui concerne les qualités d'animateur, le Comité d'examen ministériel a conclu que l'appelant ne répondait pas aux normes prévues pour l'échelon SE-RES-05, qui exigeaient que l'avis du scientifique en question soit fréquemment sollicité, aussi bien dans le secteur gouvernemental qu'à l'extérieur, dans plusieurs domaines spécialisés de la recherche et du développement ainsi que sur les grandes orientations à adopter en la matière. Le Comité d'examen ministériel a conclu que M. Whitehouse était considéré, au plan national et international, comme une sommité.

[7]      Le Comité se pencha sur le paragraphe 10(2) de la Loi ainsi que sur le paragraphe 4(2) du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique2, qui disposent que :

                 10.(2) Pour l'application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle-ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.                 
                 ...                 
                 4.(2) La sélection visée au paragraphe 10(2) de la Loi peut se faire dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes :                 
                 ...                 
                 c) la promotion d'un fonctionnaire à l'intérieur d'un groupe professionnel dans lequel les postes sont classifiés selon les qualités des titulaires;                 

[8]      Le Comité a interprété le paragraphe 10(2) de la Loi en ce sens :

                 [traduction]                 
                 Nul ne conteste qu'a été délégué au ministère, en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi, le pouvoir d'effectuer des nominations concernant les titulaires de postes de chercheur scientifique. La norme de compétence applicable est la norme de classification des chercheurs scientifiques. En pareil cas, le ministère offre à tous les chercheurs scientifiques la possibilité de faire valoir leurs qualifications devant les comités de sélection (sectoriel et ministériel) afin que leurs qualifications soient évaluées par rapport à la norme de compétence adoptée. Pour simplifier le processus administratif, le ministère évalue l'ensemble des candidats en même temps, mais l'examen de l'aptitude à l'avancement de chaque chercheur fait l'objet d'un processus de sélection individuel. La notion de mérite relatif, c'est-à-dire celle de choisir, parmi les candidats, la personne la mieux qualifiée, ne s'applique pas à ces processus de sélection.                 

[9]      Le Comité a conclu en les termes suivants :

                 [traduction]                 
                 Mon enquête doit par conséquent porter davantage sur la nomination de M. Whitehouse à l'échelon SE-RES-05 et sur la question de savoir s'il possède effectivement les qualités requises. Bien que la démarche de M. Mattok, président du Comité sectoriel, apparaisse parfaitement irrégulière, le Comité n'avait pas compétence pour lui-même décider de l'avancement. Sa mission consistait à recommander au Comité d'examen ministériel les chercheurs que l'on devrait, selon lui, envisager de promouvoir. Le Comité d'examen ministériel a conclu que M. Whitehouse avait les qualités requises pour passer à l'échelon SE-RES-05. Bien qu'aucune loi n'impose au Comité de produire des comptes rendus de ses délibérations, un comité de sélection agissant avec prudence le ferait néanmoins afin de pouvoir se rappeler de manière précise (parfois beaucoup plus tard) les fondements exacts des conclusions auxquelles il est parvenu. Cela dit, on ne m'a soumis aucune preuve convaincante que M. Whitehouse n'aurait pas les qualités requises pour être nommé à l'échelon SE-RES-05 et il y a donc lieu de rejeter l'appel interjeté de sa nomination.                 
                 Je comprends fort bien que l'appelant veille à une application uniforme du critère de compétence, mais ce n'est pas là une question sur laquelle je puisse me prononcer dans le contexte d'un appel interjeté en vertu de l'article 21 de la Loi. L'appelant devra par conséquent porter la question devant une autre instance.                 

3. Analyse

[10]      Il est clair que M. Buttar, qui avait été recommandé par le Comité sectoriel, accepte mal que le Comité d'examen ministériel ait fini par nommer M. Whitehouse. Précisons, cependant, qu'en raison de la modification, en 1992, du paragraphe 10(2) de la Loi3, la nomination en question ne résulte pas d'un examen comparé des mérites de M. Buttar et de M. Whitehouse. Selon les nouveaux paragraphes 10(2) de la Loi et 4(2) du Règlement, les candidats qui relèvent de ces deux dispositions ne sont pas jugés l'un par rapport à l'autre mais évalués séparément par rapport aux critères de compétence que la Commission de la fonction publique (la Commission) choisit d'établir. Autrement dit, le demandeur est tenu, non pas de démontrer qu'il est plus compétent que M. Whitehouse, le candidat choisi, mais bien que M. Whitehouse n'aurait pas dû être nommé à l'échelon en question. Le paragraphe 21(1.1) dispose que :

                 21.(1.1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à une sélection interne effectuée autrement que par concours, toute personne qui satisfait aux critères fixés en vertu du paragraphe 13(1) peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.                 
                 (non souligné dans l'original)                 

[11]      Le Comité a conclu qu'en l'occurrence le processus d'avancement était régi par l'alinéa 4(2)c) du Règlement, qui prévoit " la promotion d'un fonctionnaire à l'intérieur d'un groupe professionnel dans lequel les postes sont classifiés selon les qualités des titulaires ". C'est dire qu'il n'appartenait nullement au Comité d'effectuer une comparaison des compétences respectives de M. Buttar et de M. Whitehouse, mais simplement de dire si M. Whitehouse possédait les qualités requises pour l'échelon auquel il a été nommé.

[12]      En l'occurrence, le Comité a recueilli les observations aussi bien du Comité sectoriel qui a recommandé M. Buttar, que du Comité d'examen ministériel qui a nommé M. Whitehouse. Le Comité n'avait pas pour rôle de comparer un candidat à un autre, mais bien de vérifier si M. Whitehouse répondait aux critères de compétence fixés par la Commission. Le Comité a cependant cité les raisons pour lesquelles, en général, les candidats ne sont pas promus par le Comité d'examen ministériel, rappelant qu'en ce qui concerne M. Buttar, ce comité avait conclu en ce sens :

                 [traduction]                 
                 - le comité reconnaît une production très riche.                 
                 - recommande un renforcement de sa réputation internationale, et de ses qualités d'animateur (aucune indication de prestigieuses récompenses ou distinctions internationales).                 

[13]      Le Comité d'appel a également noté que [traduction] " le Comité d'examen a conclu que M. Whitehouse était, au plan national et international, reconnu comme une sommité ".

[14]      La Cour n'est pas sans connaître la jurisprudence relative aux nominations effectuées par la Commission en fonction du mérite4. La jurisprudence a consacré le principe suivant, établi par le juge Pratte dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Greaves, McNeill, Morris et Waddy5 :

                 J'estime que les exigences du principe du mérite sont toujours les mêmes. Elles ne varient pas selon la méthode de sélection choisie. Ce principe exige que la sélection soit faite " au mérite ", ce qui veut dire, " qu'il faut trouver les personnes les plus aptes à remplir les différents postes de la Fonction publique... " [Nanda c. Le comité d'appel établi par la Commission de la Fonction publique , [1972] C.F. 277, à la p. 297, le juge en chef Jackett]. En l'espèce, le Comité d'appel, si je comprends bien sa décision, n'était pas convaincu que la nomination avait été faite " au mérite " parce que les qualités du candidat choisi n'avaient jamais été comparées avec celles d'autres personnes qui, comme les intimés, auraient pu vouloir poser leur candidature pour le poste.                 

[15]      Mais, depuis, ce principe a été atténué par le paragraphe 10(2) de la Loi, selon lequel, dans certaines circonstances prévues au Règlement, la sélection au mérite peut s'effectuer non pas par rapport au mérite des autres candidats, mais par rapport aux normes de compétence fixées par la Commission. En l'espèce, M. Buttar n'affirme aucunement que M. Whitehouse n'est pas compétent au vu des critères de compétence fixés par la Commission et le dossier ne contient rien qui permettrait de penser que M. Whitehouse ne serait, effectivement, pas compétent.

[16]      En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

OTTAWA (Ontario)

Le 29 décembre 1998

    

     Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      T-932-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Harpal Buttar c. Procureur général du Canada et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 9 décembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      le juge Dubé

DATE :      le 29 décembre 1998

ONT COMPARU :

Dougald Brown      pour le demandeur

S. Ronald Stevenson      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan Power

Ottawa (Ontario)      pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)      pour le défendeur

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. P-33.

2      DORS/93-286.

3      L.C. 1992, ch. 54.

4      Charest c. Procureur général du Canada, [1973] C.F. 1217; Leckie c. Canada, [1993] 2 C.F. 473 (C.A.F.) et Peet c. Canada (Procureur général) (1995), 91 F.T.R. 284.

5      [1982] 1 C.F. 806.

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