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Date : 20020128

Dossier : IMM-6406-00

Référence neutre : 2002 CFPI 86

ENTRE :

                                               DANKOTUWAGE, Rupika Nirmalie et

                                                       JAYASINGHE, Shehan Malith,

                                                                                                                         Parties demanderesses

                                                                                  et

                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                Partie défenderesse

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [ci-après le « tribunal » ] rendue le 31 octobre 2000 selon laquelle la demanderesse ne rencontre pas la définition de « réfugié au sens de la Convention » .


FAITS

[2]                 La demanderesse principale, Rupika Nirmalie Dankotuwage, est une sri lankaise cinghalaise née à Colombo le 24 juillet 1968.

[3]                 Le 23 octobre 1990, elle s'est mariée avec George Prasad Jayasinghe, aussi un sri lankais cinghalais, et de cette union naquît un fils, Shehan Malith Jayasinghe.

[4]                 La revendication du fils mineur, l'autre revendicateur en l'instance, est basée sur ces mêmes faits.                        

[5]                 En 1992, la demanderesse allègue qu'elle s'est jointe au United National Party (UNP) pour que ce parti l'aide dans sa manufacture résidentielle de vêtements.

[6]                 En mai 1995, son mari a été arrêté par la police et accusé d'avoir entraîné des Tamouls appartenant aux Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE). Il a été torturé. Or, le 6 juillet 1995 grâce à un pot-de-vin payé à la police, il s'est enfuit.

[7]                 Il a alors quitté le Sri Lanka le 6 juillet 1995 et a revendiqué le statut de réfugié au Canada.


[8]                 Les policiers cherchaient le mari de la demanderesse chez elle et la harcelaient, la menaçaient et ont exigé qu'elle se présente au poste de police à trois (3) reprises afin qu'ils continuent leurs enquêtes.

[9]                 Par crainte des conséquences d'une arrestation par la police et à cause du harcèlement qu'elle subissait par un autre parti politique, la People Alliance (PA), la demanderesse s'est cachée et a décidé de quitter son pays.

[10]            Le 15 décembre 1999, la demanderesse a quitté le Sri Lanka. Elle a revendiqué le statut de réfugié le 18 décembre 1999 pour le motif qu'elle éprouve une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques.

QUESTION EN LITIGE

[11]            Le tribunal, se montre-t-il abusif dans sa remise en question de la crédibilité du témoignage de la demanderesse?


ANALYSE

[12]            Non, le tribunal ne se montre pas abusif dans sa remise en question de la crédibilité du témoignage de la demanderesse.

Norme de contrôle judiciaire applicable

[13]            Dans l'affaire Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 269 (C.F. (1ère inst.)), le juge Evans a énoncé:

[para 45] D'un autre côté, la décision de la section du statut de réfugié relativement à la question de savoir si les faits pertinents remplissent les exigences du critère de Rasaratnam, interprété comme il se doit, constitue une question mixte de droit et de fait, et n'est susceptible de contrôle judiciaire que si elle est déraisonnable.

[14]            Plus tard dans l'affaire Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (C.F. (1ère inst.)), le juge Pelletier a conclu:

[para 5] La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193.

[15]            En l'espèce, les conclusions tirées par le tribunal vis-à-vis la crédibilité de la demanderesse sont basées sur des faits. En conséquence, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de manifestement déraisonnable.


La crédibilité de la demanderesse

[16]            Dans l'affaire Aguebor c. Canada (MEI), [1993] A.C.F. no 732 (C.F.A.), la Cour d'appel fédérale a indiqué les circonstances justifiant une intervention judiciaire relativement aux conclusions d'un tribunal au sujet de la crédibilité d'un demandeur:

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[17]            Dans Razm c. MCI, [1999] A.C.F. no 373 (C.F. (1re inst.)), il fut indiqué:

Il est reconnu, et de fait il est maintenant de droit constant, que la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Étant donné que les motifs de la décision qu'elle a rendue au sujet de la crédibilité doivent être énoncés en des termes clairs et explicites, cette cour n'interviendra que dans des circonstances exceptionnelles.

[18]            En dernier lieu, dans l'affaire Cepeda-Gutierrez c. MCI, [1998] A.C.F. no. 1425 (C.F. (1re inst.)), le juge Evans a confirmé le fait que la Cour ne devrait pas intervenir dans une décision prise par la section du statut de réfugié sauf si elle est manifestement déraisonnable:


Il est bien établi que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l'espèce à celle de la Commission, qui a l'avantage non seulement de voir et d'entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d'expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l'allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d'enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu'elle en est venue à cette conclusion "sans tenir compte des éléments dont [elle disposait]".

Contradictions importantes entre l'entrevue initiale de la demanderesse au port d'entrée et son Formulaire de renseignements personnels (FRP)

[19]            Le tribunal a déterminé qu'il y avait une contradiction significative entre la preuve de la demanderesse, notamment entre son entrevue initiale au port d'entrée et son Formulaire de renseignements personnels (FRP) en ce qui concerne le statut de son mari. Le tribunal a statué à la page 2 de sa décision:

[...] In the claimant's Port of Entry interview, when asked about her husband and his whereabouts, the claimant testified that he was living in Gampa, Sri lanka. This however contradicts the entire premise of her refugee claim, which is based upon difficulties her husband had in 1995 and his departure from Sri Lanka.

The claimant in her PIF (Answer to Question 37) at the end of the question states as follows:

"[...] On my entry to Canada, at the port of entry I gave some incorrect information about my husband, as I was scared that I would be refuse [sic] to enter Canada. I am really terrified to return to my country.

When confronted by the Presiding Member as to what she meant the claimant recited a whole series of events, none of which had anything to do with the incorrect location of her husband which she gave in the Port of Entry. When confronted on that issue, the claimant indicated that she thought this was a different question. The panel does not accept such a vague explanation.

[20]            À l'audience, la demanderesse a témoigné à la page 11 de la transcription ce qui suit:


Q.           Why did you say in your Personal Information Form that you gave incorrect information about your husband?

A.           My knowledge of English was not that good. And so I answered the question in the way that I understood. And when I was asked about his date of birth, I gave that date of birth as I understood it. And also about his address and residence and other details, I didn't know much about it at the beginning, so I gave the name Gampha, G.A.M.P.H.A.

Q.           What do you mean you didn't know much about his residence at the beginning, what do you mean by that?

A.           He was living in Gampha, that I knew, but before that the question about his date of birth, so I thought the subsequent question was about his date of birth place.

[21]            Cette citation illumine la réponse vague dont le tribunal fait référence dans sa décision. Selon l'affaire Cepeda-Gutierrez, supra cette Cour n'est pas autorisée à substituer son opinion sur les faits en l'espèce à celle du tribunal. La demanderesse n'a pas démontré que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en appréciant les explications de la demanderesse et donc, cette Cour ne devrait pas intervenir sur ce point.

Raisons contradictoires pour l'adhésion de la demanderesse au UNP

[22]            Le tribunal a jugé contradictoires les raisons pour lesquelles la demanderesse s'est jointe au UNP. Le tribunal a encore douté de sa crédibilité à cause de cet élément. À la page 3 de sa décision, le tribunal a énoncé:


The claimant gave two different explanations as to why she joined the UNP. She initially stated it was to help her husband return home as they would do so if they gained power. Later in the testimony, she indicated that she joined the party in order to help her get some grants to help her business.

[23]            À l'audience, la demanderesse a témoigné à ce sujet à la page 17 de la transcription:

Q.           First of all, could you tell us why you got into politics and why you chose UNP?

A.           I joined the United National Party or started helping them, I wanted to bring my husband back to my country. And I thought that if I help them, they would help me, because they would improve the human rights situation in the country.

[24]            Et puis, à la page 38 de la transcription, la demanderesse offre une nouvelle raison pour son adhésion au UNP:

Q.           Okay. So what exactly were you doing with either human rights groups or the UNP from December 97 to December 99? What was your reason, raison d'être for doing this?

A.           So because they did not help me until that time, my plan was to have some kind of future for me and my child.

Q.           Do you wanna maybe explain to me or what you mean by that?

A.           I did not get enough money from my home sewing business, so I wanted to join the United National Party. I wanted to help the United National Party and through them I wanted to get a business place from where I could work

Q.           You're hoping for them to give you employment basically?

A.           They told me that if I work actively for the party, if they come to power, they would find a place in the area of Kotahena, K.O.T.A.H.E.N.A. for my work, for my business.

[25]            Le tribunal faisait face à un désaccord dans le récit de la demanderesse à ce sujet. Encore, l'affaire Cepeda-Gutierrez, supra est instructive. Cette Cour ne peut pas substituer son appréciation des faits en l'espèce à celle du tribunal.

Renseignements divergents au sujet des contacts entre la demanderesse et son mari

[26]            La demanderesse allègue que le tribunal a erré lorsqu'il a relevé une contradiction dans son témoignage lorsqu'elle a été interrogée à savoir quand était la dernière fois qu'elle avait contacté son mari. Le tribunal a énoncé à la page 3 de sa décision:

The claimant also gave contradictory evidence in her testimony. When she initially asked when she last contacted her husband the claimant testified that she had not heard from her husband since he left Sri Lanka. Then, when she was asked how she was aware that he came to Canada and made a refugee claim, the claimant testified that she had last heard from her husband in December 1997. Later in her evidence, it appeared that the claimant had regular contact on the telephone with her husband until December 1997.

[27]            Le défendeur soutient qu'il appert très clairement des motifs que lorsqu'on lui a demandé quand, pour la dernière fois, la demanderesse avait contacté son mari, elle a répondu qu'elle n'avait pas entendu parler de son mari depuis son départ du Sri Lanka. Si la demanderesse n'était pas d'accord avec cette affirmation du tribunal, elle devait tout au moins nier dans son affidavit avoir témoigné en ce sens, ce qu'elle n'a pas fait en l'espèce et alors, le tribunal a douté de sa crédibilité sur cet aspect de son récit.


Absence de crédibilité par rapport à la revendication du statut de réfugié du mari

[28]            En dernier lieu, le tribunal questionnait la crédibilité de la demanderesse par rapport à la revendication du statut de réfugié de son mari au Canada. Le tribunal a énoncé à la page 3 de sa décision ce qui suit :

Finally, the panel finds the claimant's explanation concerning her husband's claim to be implausible and non-credible. The claimant testified that she last spoke to her husband in December 1997. The claimant was asked what attempts she made following that date to contact her husband. The claimant could not provide any details. The panel finds it strange that in her conversations with her husband during 1995 and 1997, there was no discussion of the claimant coming to Canada to join her husband. [...]

The panel has serious doubts that if the claimant's husband made a refugee claim in Canada, she would not have been able to obtain news on his whereabouts since 1997. As a consequence, the panel finds that the basis of the claimant's overall story lacks credibility and trustworthiness.

Allégation d'une violation des principes de justice naturelle

[29]            La demanderesse allègue qu'elle a été la victime d'une violation des principes de justice naturelle, car elle n'a pas bénéficié de la chance d'avoir une audition juste et impartiale. Les paragraphes 7 et 9 du mémoire de la partie requérante, qui se trouve à la page 18 du dossier du demandeur, se lient:

7.            [...] Le membre de la C.I.S.R. aurait dû se pencher sur la question de savoir si la crainte de persécution du demandeur était fondée ou non.

9.            [...] En aucun moment ne s'est-il posé la question si les événements, non contredits, relatés par le demandeur, pourraient fonder une crainte raisonnable de persécution.


[30]            Or, ce que la demanderesse ignore est le fait que son témoignage était taché de contradictions, d'inconsistances, de désaccords et de divergences qu'en conséquence, le tribunal ne faisait plus confiance à la preuve qu'elle présentait.

[31]            Le tribunal s'est attardé suffisamment longtemps aux aspects essentiels du récit de la demanderesse. Le tribunal a passé à travers tous les faits pertinents avec une attention minutieuse. Le tribunal a motivé tous les aspects de sa décision en se référant à des exemples précis et clairs. Or, compte tenu de la quantité de détails non-crédibles du récit, le tribunal a jugé que la cause de la demanderesse ne méritait pas une analyse plus approfondie.

[32]            De plus, selon Re Tribunal des Droits de la Personne et Énergie Atomique Canada Ltée, [1986] 1 C.F. 103, le juge MacGuigan a énoncé à la page 113 qu'un demandeur doit soulever son allégation d'une violation des principes de justice naturelle à la première occasion, sinon il existe une présomption qu'il a renoncé à ses droits:

Toutefois, même si l'on écarte cette renonciation expresse, toute la manière d'agir d'EACL devant le Tribunal constituait une renonciation implicite de toute affirmation d'une crainte raisonnable de partialité de la part du Tribunal. La seule manière d'agir raisonnable pour une partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité serait d'alléguer la violation d'un principe de justice naturelle à la première occasion. En l'espèce, EACL a cité des témoins, a contre-interrogé les témoins cités par la Commission, a présenté un grand nombre d'arguments au Tribunal et a engagé des procédures devant la Division de première instance et cette Cour sans contester l'indépendance de la Commission. Bref, elle a participé d'une manière complète à l'audience et, par conséquent, on doit tenir pour acquis qu'elle a implicitement renoncé à son droit de s'opposer.

(mon soulignement)


[33]            La question de la violation des principes de justice naturelle n'a pas été soulevée pour la première fois devant le tribunal, mais plutôt en contrôle judiciaire. La demanderesse, en ne soulevant pas ces arguments à la première occasion, a renoncé à ceux-ci.

[34]            En conséquence, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire.

[35]            Les parties n'ont soumis aucune question pour certification.

Pierre Blais                                          

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 28 janvier 2002


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE LA COUR: IMM-6406-00

INTITULÉ: DANKOTUWAGE RUPIKA NIRMALIE ET AUTRE c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE: 16 JANVIER 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS EN DATE DU 28 JANVIER 2002

COMPARUTIONS

ME DAN M. BOHBOT POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

ME CAROLINE DOYON POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DAN M. BOHBOT POUR LA PARTIE DEMANDERESSE MONTRÉAL (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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