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Date: 19980821


Dossier: IMM-3632-97

Entre :      LAVRES MUSANA, Joaquina Da Costa
         LAVRES MUSANA, Tesire Egidia
         LAVRES MUSANA, Arnaldo Duaguar

     Requérants

Et:          Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration,

     Défendeur

     MOTIFS d' ORDONNANCE et ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT


[1]      La requérante, une citoyenne rwandaise de la tribu Tutsi, et ses enfants mineurs (2 et 10 ans) demandent le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié (le Tribunal) qui a refusé de leur accorder le statut de réfugié qu'elles réclamaient.


[2]      La requérante a fui le Rwanda en 1973 alors qu'elle n'avait que 5 ans. À cette époque, le gouvernement dirigé par les Hutu attaquait les citoyens Tutsi. Elle a vécu en Angola avec ses enfants jusqu'à sa venue au Canada en décembre 1996 où elle a demandé le statut de réfugiée en raison de sa crainte d'être persécutée par les membres de la tribu Hutu si elle devait retourner au Rwanda.


[3]      Après avoir analysé la preuve, le Tribunal a conclu que la crainte de persécution des requérants en raison de leur identité tutsi n'était pas fondée. Constatant, de la preuve documentaire, que le Front patriotique rwandais (FPR) largement Tutsi avait pris le pouvoi après le génocide et la guerre civile de 1994 et que plus de 700,000 réfugiés Tutsi étaient retournés au Rwanda après de longs séjours à l'extérieur de leur pays, les commissaires ont énoncé ceci:

     Malgré des problèmes économiques et sociaux, les documents indiquent que le gouvernement du FPR contrôle fermement le pays. Aucune preuve ne permet de croire que les citoyens ordinaires Tutsi ou les réfugiés de retour Tutsi, peu importe la durée de leur expatriation, soient en danger aux mains de la population Hutu majoritaire."
     (C'est moi qui souligne)

[4]      L'avocate des requérants s'en prend à l'analyse de la preuve faite par la Section du statut: elle estime cette analyse de la preuve documentaire inexacte et incomplète en regard du témoignage jugé crédible de la requérante. Elle juge surtout absurde qu'eu égard aux conclusions de faits auxquelles ils en sont venus, les commissaires aient conclu qu'aucune preuve ne permettait de croire que les citoyens ordinaires Tutsi étaient en danger aux mains de la population Hutu majoritaire. Elle plaide enfin que les références par les commissaires à la prise de pouvoir par Laurent Kabila au Zaïre et l'anéantissement par ses forces des milices hutu et des forces armées ex-rwandaises situées au Zaïre n'ont pas fait l'objet de l'avis d'intention prévu au paragraphe 68(5) de la Loi sur l'immigration ni qu'on ait donné aux requérants la possibilité de présenter des observations à cet égard.

[5]      Je suis d'avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

[6]      En l'espèce, les commissaires ont reconnu lors de l'audition que le témoignage de la requérante faisant état de la guerre civile sévissant au Rwanda et des conflits opposant les Tutsi et les Hutu était crédible (page 317 du dossier du Tribunal). Ils semblent ne pas en avoir tenu compte dans leur décision. Ils ont plûtôt référé à la preuve documentaire décrivant la situation au Rwanda depuis 1994, date de la prise de pouvoir par le F.P.R. largement tutsi. Il va de soi que le Tribunal a l'autorité nécessaire pour accorder plus de poids à la preuve documentaire qu'au témoignage d'un requérant (M.E.I. c. Ting Yu Zhou, A-492-91). Je me dois cependant de constater que la conclusion du Tribunal à l'effet qu'il n'existe aucune preuve de danger pour les citoyens ordinaires Tutsi ou ceux de retour d'expatriation aux mains de la population hutu majoritaire, est tirée de façon abusive des éléments de preuve qui se trouvent au dossier. Un examen attentif de la preuve documentaire1 et en particulier les conclusions que le Tribunal en a tirées - "La violence interethnique se poursuit dans le pays..."; "Les documents sur le pays indiquent que certains Tutsis (sic), ... peuvent être attaqués par les milices hutues (sic)..." - démontrent le contraire.

[7]      Le Tribunal a aussi conclu que presque toutes les milices hutu et les forces armées ex-rwandaises situées au Zaïre avaient été anéanties ou mises en déroute par les forces de l'Alliance de Laurent Kabila pendant la prise de pouvoir au Zaïre et que celles-ci jouissaient de l'appui de l'armée rwandaise et entretenaient des liens étroits avec le gouvernement actuel du F.P.R. au Rwanda. Les commissaires ont sûrement tiré ces conclusions à partir de renseignements qu'ils détiennent comme membres d'un tribunal spécialisé: rien dans la preuve documentaire ne fait état de l'anéantissement au Zaïre des forces armées ex-rwandaises ni de l'appui ou des liens étroits entretenus par Laurent Kabila avec le F.P.R.. Le dossier ne contient que peu d'informations sur la situation au Zaïre alors qu'il fourmille de renseignements sur la situation au Rwanda et en Angola d'où provenait la requérante. Avant d'admettre ces faits, le Tribunal se devait de donner à la requérante, aux termes du paragraphe 68(5) de la Loi, un avis d'intention et lui donner la possibilité de présenter des observations à cet égard. La simple allusion à cette question qui a été faite par les commissaires à la fin de l'audition (page 305 du Dossier du Tribunal) ne remplit pas les exigences de la Loi.

[8]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Section du statut de réfugié en date du 18 juillet 1997 est annulée et une nouvelle audition devra avoir lieu devant une autre formation de la Commission d"immigration et du Statut de réfugié.

        

     J.C.F.C.

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     1      Entre autres rapports de presse, l'Agence France Presse rapportait le 16 juillet 1996: "Plus de 110 personnes, essentiellement des civils, ont été tués au Rwanda depuis la mi-juin, par des extrémistes hutu..." (pafe 176 du Dossier du Tribunal).

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