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Date : 19990308


Dossier : IMM-4029-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 8 MARS 1999.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS

ENTRE :


BALJIT KAUR BAINS,

AKASHDEEP SINGH BAINS,


demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.


John M. Evans

                                             J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 19990308


Dossier : IMM-4029-97

ENTRE :


BALJIT KAUR BAINS,

AKASHDEEP SINGH BAINS,


demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.      INTRODUCTION

[1]      Il s"agit de demandes de contrôle judiciaire, fondées sur l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale , L.R.C. (1985), ch. F-7 [modifiée], par lesquelles les demandeurs cherchent à obtenir que la Cour annule une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Section du statut de réfugié), datée du 2 septembre 1997, qui a rejeté les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention qu"ils ont déposées au Canada. La demanderesse principale est la mère de l"autre demandeur, qui est un mineur. Or, comme la revendication déposée par l"enfant dépend de celle déposée par sa mère (la demanderesse), il n"est nécessaire d"examiner que la revendication de la demanderesse principale dans les présents motifs.

[2]      La demanderesse a revendiqué le statut de réfugiée au motif qu"elle craint d"être persécutée en Inde en raison de son appartenance à un groupe social particulier, en l"occurrence la famille par laquelle elle est liée à son frère, un homme bien connu soupçonné d"être un terroriste.

B.      LES FAITS

[3]      Dans la preuve documentaire qu"elle a fournie à la Section du statut de réfugié et la déposition orale qu"elle a faite devant cette dernière, la demanderesse a dit que des membres de sa famille avaient été détenus par les autorités policières du Panjab et qu"ils avaient subi d"autres formes de harcèlement aux mains de celles-ci depuis le début des années 80, du fait que son frère était un membre actif du All India Sikh Student Federation et, chose plus importante, qu"il était soupçonné d"avoir pris part à des actes de terrorisme. En 1990, son frère s"est enfui en Allemagne, mais il est rentré en Inde en 1994, époque à laquelle sa mère était malade. Il a par la suite été arrêté et, semble-t-il, il est toujours emprisonné à New Delhi.

[4]      La demanderesse a témoigné qu"avant l"emprisonnement de son frère, les autorités policières avaient arrêté et détenu son père et son époux à plusieurs occasions en vue d"obtenir des renseignements sur les activités et les allées et venues de son frère. Elle a également témoigné qu"après avoir été arrêté, battu et détenu pendant toute une journée, son époux a quitté l"Inde en 1994; par la suite, il a communiqué avec elle, depuis l"Italie. Cependant, elle n"a pas communiqué avec lui depuis 1996 et elle ignore où il se trouve.

[5]      La demanderesse a également dit que, bien qu"elle n"ait jamais elle-même été arrêtée, on lui a enjoint de se rendre à un poste de police en compagnie d"autres femmes de sa famille. En outre, des policiers se rendaient si souvent à l"école où elle enseignait pour l"interroger que le directeur de l"école a dû la congédier, en 1996. Un agent l"a aidée à quitté l"Inde pour le Canada en juillet 1996. À son arrivée, elle a revendiqué le statut de réfugiée.

C.      LA DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

[6]      La principale question que la Section du statut de réfugié devait trancher était de savoir si, compte tenu de la preuve dont elle disposait, la demanderesse avait établi que sa crainte d"être persécutée si elle retournait en Inde était fondée sur le plan objectif. La Section du statut de réfugié a entendu le témoignage d"un certain M. Somal, un avocat qui avait le droit de pratiquer en Inde, mais qui vivait au Canada depuis 1983. Il s"intéresse depuis longtemps au problème des abus de pouvoir commis par des policiers au Panjab, en raison des activités professionnelles qu"il a déjà menées et de son implication continue au sein d"organismes de défense des droits de la personne.

[7]      Dans ses motifs de décision, la Section du statut de réfuigé a résumé de la façon suivante le témoignage de M. Somal en ce qui concerne la crainte de la demanderesse d"être persécutée au Panjab :

                 [TRADUCTION] Il est d"avis que bien que les autorités policières commettent moins d"atrocités qu"avant au Panjab, les personnes qui, comme la revendicatrice, sont liées à des personnes soupçonnées d"être des militants, sont toujours en danger. Il dit que les personnes qui témoignent contre des policiers sont celles qui sont le plus en danger. À son avis, si la revendicatrice retourne en Inde, elle risquera d"être détenue et interrogée concernant les liens qui peuvent exister entre son frère et des terroristes qui se trouvent au Canada, et d"être arrêtée dans le but d"amener son époux à se livrer aux autorités policières.                 

[8]      Sans renvoyer expressément de nouveau à ce témoignage, la Section du statut de réfugié a conclu que la crainte de la demanderesse d"être persécutée n"avait pas de fondement factuel raisonnable. La Section du statut de réfugié a fondé cette conclusion de fait sur la preuve documentaire fournie par M. Brack, directeur adjoint du programme de l"immigration au Haut-commissariat du Canada à New delhi, et sur celle fournie par M. Brooks, du Service canadien de renseignement de sécurité, qui connaît directement la situation qui règne au Panjab en ce qui concerne les problèmes de sécurité. Leurs éléments de preuve étaient contenus dans les notes d"un discours que M. Brack avait prononcé lors d"une conférence sur le Panjab, à Montréal, en janvier 1997, et dans des entrevues menées à cette époque. La preuve documentaire contenait également le texte d"une entrevue que M. Ravi Nair, directeur exécutif du South Asia Documentation Centre, avait accordée à cette même conférence.

[9]      Les éléments de preuve fournis par ces trois personnes ont contredit le témoignage que M. Somal a fait à l"audition de la revendication de la demanderesse, devant la Section du statut de réfugié. Monsieur Brack a dit que [TRADUCTION] " les personnes qui ne sont pas notoirement soupçonnées d"être des militants ne sont pas en danger au Panjab à l"heure actuelle " et que [TRADUCTION] " les Sikhs qui sont liés à des militants, par exemple par l"entremise d"un membre de leur famille, ne sont pas présentement des cibles des autorités policières du Panjab ". La Section du statut de réfugié s"est fondée sur les déclarations de M. Brooks, selon lequel [TRADUCTION] " les personnes notoirement soupçonnées d"être des militants qui n"ont pas encore été arrêtées sont très peu nombreuses, et aucune de celles-ci ne réside, pour ainsi dire, au Panjab même ". Bien qu"il fût moins optimiste que M. Brack et M. Brooks pour ce qui est de la cessation des abus des droits de la personne par les autorités policières du Panjab, M. Nair a également dit qu"une personne appartenant à une famille dont un membre est soupçonné de mener des activités contre l"État n"est plus considérée comme un suspect principal.

[10]      Enfin, la Section du statut de réfugié a refusé d"accepter qu"un rapport d"un psychologue selon lequel la demanderesse souffrait de dépression et d"autres symptômes d"un état de stress post-traumatique, symptômes qui, selon le rapport, s"aggraveraient probablement si elle retournait en Inde, démontrait le bien-fondé de sa crainte.

D.      LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[11]      À l"audition de la demande de contrôle judiciaire, l"avocat de la demanderesse, M. Waldman, a signalé que la principale question litigieuse était le fait que la Section du statut de réfugié avait omis d"expliquer dans ses motifs pourquoi elle préférait la preuve documentaire fournie par M. Brack et M. Brooks au témoignage de M. Somal, un témoin expert qui avait déjà témoigné devant la Commission à plusieurs occasions concernant les abus de droits de la personne au Panjab.

[12]      En outre, M. Waldman a fait valoir que le fait que la Section du statut de réfugié avait omis de mentionner la preuve documentaire qui lui avait été soumise pour le compte de la demanderesse démontrait qu"elle avait indûment choisi les éléments de preuve sur lesquels elle s"était fondée pour tirer les conclusions de fait d"une importance cruciale. Par conséquent, a-t-il conclu, la Section du statut de réfugié a commis une erreur de droit lorsqu"elle a omis de remplir l"obligation, qui lui incombait en vertu de la loi, de fournir des motifs suffisants pour étayer sa décision, ou de tenir compte de tous les éléments de preuve.

[13]      Une question d"importance secondaire concernait le fait que la Section du statut de réfugié avait refusé d"accepter que le rapport du psychologue établissait que la crainte de la demanderesse était fondée. L"avocat a suggéré que le rapport était également pertinent en vue d"établir que [TRADUCTION] " il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de la demanderesse " de continuer de la considérer comme une réfugiée au sens de la Convention en vertu du paragraphe 2(3) de la Loi sur l"immigration, même si la situation a changé, de sorte que la crainte de la demanderesse d"être persécutée s"est estompée. Cependant, comme la demanderesse n"a jamais obtenu le statut de réfugiée, ce paragraphe n"est pas pertinent en l"espèce : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (C.F. 1re inst.; IMM-75-95, 4 juillet 1995).

[14]      En conséquence, les questions litigieuses à trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire peuvent être formulées de la façon suivante :

     1.      La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu"elle a rejeté la revendication de la demanderesse en se fondant sur des motifs qui n"expliquent pas pourquoi elle a préféré certains éléments de preuve documentaire au témoignage et à la preuve documentaire de témoins experts, et lorsqu"elle a omis de renvoyer à d"autres éléments de preuve documentaire soumis pour étayer la revendication?
     2.      La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu"elle a décidé que le rapport d"un psychologue selon lequel la demanderesse souffrait du syndrome de stress post-traumatique s n"était pas pertinent pour déterminer si sa crainte d"être persécutée était fondée?

E.      LE CADRE LÉGISLATIF

[15]      Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [modifiée].

18.1(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal [...] c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

18.1(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas_: [...] c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;


[16]      Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [modifiée].

2(1) "Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country [...] 69.1 (11) The Refugee Division may give written reasons for its decision on a claim, except that

(a) if the decision is against the person making the claim, the Division shall, with the written notice of the decision referred to in subsection (9), give written reasons with the decision;

(2) "réfugié au sens de la Convention" Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, 69.1 (11) La section du statut n'est tenue de motiver par écrit sa décision que dans les cas suivants_:

a) la décision est défavorable à l'intéressé, auquel cas la transmission des motifs se fait avec sa notification;


F.      L"ANALYSE

La première question litigieuse

[17]      Monsieur Waldman n"a pas laissé entendre que la Section du statut de réfugié avait commis une erreur de droit en appliquant un critère erroné pour déterminer si la crainte de la demanderesse d"être persécutée était fondée. Dans ses motifs, la Section du statut de réfugié mentionne à bon droit que la crainte doit être fondée tant sur le plan subjectif que sur le plan objectif, et que la demanderesse doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu"il y a une possibilité " supérieure à une possibilité minimale ou à une simple possibilité " qu"elle sera persécutée: Ponniah c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1993), 13 Imm. L.R. (2d) 241, à la page 245 (C.A.F.). Monsieur Waldman n"a pas non plus allégué que la Section du statut de réfugié avait interprété de façon indûment étroite le concept de " persécution ", bien qu"il ait mis en doute, pour ce motif, certains des éléments de preuve sur lesquels elle s"est fondée.

[18]      Monsieur Waldman n"a pas contesté les conclusions de fait de la Section du statut de réfugié au motif qu"elles étaient abusives. Cependant, il a pris soin de souligner, dans sa plaidoirie, les points forts du témoignage de M. Somal que la Section du statut de réfugié a rejetés, et les points faibles des éléments de preuve fournis par M. Brack et M. Brooks, qu"elle a acceptés. Cette analyse a constitué un fondement important de son argument selon lequel la Section du statut de réfugié a commis une erreur de droit lorsqu"elle a préféré, sans expliquer pourquoi, les éléments de preuve fournis par M. Brack et M. Brooks au témoignage de M. Somal.

[19]      À cet égard, il a présenté trois arguments. Premièrement, il a soutenu que M. Somal avait été reconnu en tant que témoin expert par la Section du statut de réfugié. Il lui incombait donc une obligation particulière d"expliquer pourquoi elle a rejeté son témoignage, surtout du fait que M. Somal a été interrogé à l"audition mais n"a pas été contre-interrogé, alors qu"elle a accepté des éléments de preuve enfouis dans la grande quantité de documents habituellement examinés dans le cadre d"une instance relative à une revendication du statut de réfugié.

[20]      Deuxièmement, M. Waldman a fait valoir qu"en se disant d"avis que personnne n"est [TRADUCTION] " en danger au Panjab ", sauf [TRADUCTION] " les personnes notoirement soupçonnées d"être des militants ", dont [TRADUCTION] " la personne considérée comme étant à la tête d"une organisation militante, ou la personne soupçonnée d"avoir commis une attaque terroriste ", M. Brack renvoyait peut-être seulement au risque d"être tué, torturé ou détenu et interrogé pendant une période prolongée. En d"autres termes, il se peut qu"il ait voulu que cette évaluation des dangers porte sur un nombre beaucoup plus restreint d"abus de droits de la personne que ceux visés par le concept de " risque de persécution ", au sens que le droit de la protection des réfugiés donne à ce concept. Or, ces abus peuvent comprendre le type de harcèlement à répétition auquel la demanderesse et des membres de sa famille ont été assujettis, selon le témoignage de cette dernière, aux mains des autorités policières du Panjab.

[21]      Troisièmement, M. Waldman a fait remarquer qu"il était difficile de comprendre comment la Section du statut de réfugié a pu concilier les témoignages de M. Brack et de M. Brooks avec celui de la demanderesse, qui a témoigné avoir été harcelée en 1996, soit à une époque pendant laquelle, selon la preuve acceptée par la Section du statut de réfugié, seules les peronnes notoirement soupçonnées d"être des militants étaient en danger. Je crois comprendre que l"argument de M. Waldman sur cette question est que l"existence de cette contradiction manifeste dans les déclarations des témoins méritait une explication.

[22]      L"avocate du défendeur, Mme O"Leary, a souligné que l"appréciation des éléments de preuve et le fait de tirer des conclusions de fait, y compris l"appréciation de la crédibilité des revendicateurs, étaient au coeur même de la compétence spécialisée de la Section du statut de réfugié. L"intervention judiciaire n"est donc justifiable que dans les cas les plus manifestes. En outre, un tribunal n"est pas tenu de renvoyer à chaque élément de preuve pour remplir l"obligation qui lui incombe en vertu de la loi de fournir les motifs de ses décisions.

[23]      À l"audition, l"avocate a semblé reconnaître que la Section du statut de réfugié avait considéré que la demanderesse était un témoin généralement crédible. Cependant, cela n"est pas l"interprétation que je donne à ses motifs de décision. Il me semble clair que la Section du statut de réfugié n"a pas cru la plupart du témoignage de la demanderesse. En effet, la Section du statut de réfugié énumère d"emblée dans ses motifs les aspects du témoignage de la demanderesse qu"elle considère " problématiques ", ce qui semble vouloir dire " inexacts ".

[24]      C"est ainsi que les membres de la Section du statut de réfugié ont dit : [TRADUCTION] " nous estimons qu"il est déraisonnable de croire " le récit de la revendicatrice concernant le départ de son époux de l"Inde, en 1994; le témoignage de la revendicatrice concernant le harcèlement de membres de sa famille [TRADUCTION] " ne paraissait pas digne de foi "; [TRADUCTION] " nous estimons qu"il est peu probable " que la demanderesse a été forcée de quitter son poste d"enseignante; [TRADUCTION] " nous estimons qu"il est fort peu probable " que des membres de la famille de la demanderesse se font présentement harcelés; et [TRADUCTION] " nous estimons qu"il est manifestement déraisonnable " de croire que la revendicatrice et les autres membres de sa famille continueront d"attirer l"attention des autorités policières du Panjab, vu l"emprisonnement de son frère et le déclin général des activités terroristes et des abus commis par des policiers.

[25]      Par contre, la Section du statut de réfugié a accepté, bien que, faut-il le souligner, quelque peu à contrecoeur, que la demanderesse était la soeur d"un militant emprisonné pour s"être adonné à des activités terroristes et s"être lié à des terroristes. Par conséquent, ayant conclu que certains aspects du témoignage de la demanderesse n"étaient pas crédibles, la Section du statut de réfugié devait apprécier le bien-fondé de sa crainte d"être persécutée en se fondant presqu"exclusivement sur des éléments de preuve relatifs à la question de savoir si les personnes qui se trouvent dans une situation semblable à celle de la demanderesse ont une crainte fondée d"être persécutées au Panjab.

[26]      La Section du statut de réfugié n"a pas cru le témoignage de la revendicatrice concernant le départ de son époux de l"Inde, car elle a estimé que son récit n"était fondamentalement pas plausible. Elle n"a pas non plus accepté les autres aspects du témoignage de la demanderesse, car ils lui semblaient incompatibles avec les éléments de preuve documentaire concernant les conditions générales qui régnaient au Panjab après le début des années 90. Bien que la Section du statut de réfugié n"ait tiré aucune conclusion explicite, favorable ou défavorable, concernant la crédibilité de la demanderesse, on peut déduire de ses conclusions plus particulières qu"elle n"estimait pas que cette dernière était un témoin très crédible.

[27]      La question est de savoir si la décision est erronée en droit parce que la Section du statut de réfugié a indûment choisi les éléments de preuve sur lesquels elle s"est fondée et parce qu"elle n"a aucunement expliquer pourquoi elle a rejeté le témoignage de deux témoins experts et les éléments de preuve documentaire fournis par ceux-ci, de même que d"autres éléments de preuve documentaire concernant les abus commis par les autorités policières à l"époque pertinente.

[28]      Dans la décision Gourenko c. Canada (Procureur général) (C.F. 1re inst.; IMM-7260-93; 4 mai 1995), le juge Simpson a identifié deux facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si le fait qu"un tribunal a omis de renvoyer à des éléments de preuve documentaire constitue une erreur de droit, soit la fiabilité de l"auteur, et la pertinence de l"élément de preuve en ce qui concerne les questions que soulève l"affaire. Ces facteurs me semblent pertinents pour répondre à la question de savoir si la Section du statut de réfugié a commis une erreur de droit lorsqu"elle a omis d"expliquer pourquoi elle a préféré d"autres éléments de preuve au témoignage de M. Somal.

[29]      En ce qui concerne l"allégation selon laquelle la Section du statut de réfugié a indûment choisi les éléments de preuve sur lesquels elle s"est fondée, on a reconnu qu"aucun tribunal n"était tenu de renvoyer à tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis. La question à laquelle il faut répondre, cependant, est celle de savoir si, du fait qu"elle a nettement préféré certains éléments de preuve à d"autres, la Section du statut de réfugié a mal interprété, voire déformé le fondement de la revendication déposée par la demanderesse : Penelova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (C.F. 1re inst.; IMM-6979-93; 17 novembre 1994).

[30]      J"ai conclu que la Section du statut de réfugié n"a pas commis d"erreur de droit, en comparant la force relative des éléments de preuve qu"elle a simplement résumées sans faire d"autre remarque (c"est-à-dire le témoignage de M. Somal) ou qu"elle n"a pas mentionnés de tout, et ceux sur lesquels elle a fondé sa décision.

[31]      Monsieur Somal a témoigné oralement, et il a été reconnu en tant que témoin expert; son témoignage, qui visait à traiter de la situation qui règne présentement au Panjab, portait en particulier sur le danger auquel étaient confrontés les membres de la famille élargie de personnes soupçonnées d"être des terroristes. Ces facteurs accordent certainement du poids à son témoignage.

[32]      Par contre, étant donné que M. Somal vit au Canada depuis plusieurs années, il va de soi qu"il n"est lié à l"Inde qu"indirectement, par l"entremise d"organismes de défense de droits de la personne et d"autres personnes qui ont une connaissance directe de la situation qui y règne. De plus, on pourrait dire qu"il n"est pas complètement désintéressé par la situation politique du Panjab; il a témoigné devant la Section du statut de réfugié pour le compte de la revendicatrice, dans le contexte des faits d"une affaire particulière.

[33]      Les éléments de preuve documentaire auxquels la Section du statut de réfugié n"a pas renvoyé me semblent moins convaincants que le témoignage de M. Somal. Les rapports faisant état de cas d"abus ne sont pas incompatibles avec une campagne d"abus, soutenue mais beaucoup moins intense, menée par les autorités policières du Panjab, et M. Brack n"a certainement pas soutenu que de tels incidents ne se produisaient plus. De tous les cas d"abus documentés auxquels on a renvoyé, un seul cas portait sur une personne qui semble avoir été détenue du seul fait qu"elle appartenait à la même famille qu"un terroriste. Cependant, étant donné que cette personne était apparentée à l"un des gardes du corps qui ont assassiné le premier ministre Indira Gandhi, il me semble que ce cas se situe à un tout autre niveau que le cas dont je suis saisi en l"espèce.

[34]      L"affidavit signé par M. Navtiran Singh dans le cadre d"une autre revendication du statut de réfugié concernait une personne qui, du fait qu"elle avait déposé une plainte contre les autorités policières, appartenait à un groupe particulièrement en danger, selon M. Somal. Or, la demanderesse n"appartient pas à ce groupe. Monsieur Waldman a soutenu que M. Somal avait témoigné que les personnes qui ont vu des policiers commettre des abus de droits de la personne risquaient de ce fait d"être persécutées lorsqu"elles étaient identifiées par les autorités policières. Malgré son caractère quelque peu ambigu, il me semble que le témoignage de M. Somal visait à établir que ce sont les personnes qui témoignaient dans des poursuites contre des policiers qui risquaient grandement d"être persécutées, et non celles qui avaient simplement été témoins d"abus commis par des policiers et avaient été identifiées par les autorités policières.

[35]      En ce qui concerne les témoignages étayant les conclusions tirées par la Section du statut de réfugié, je conviens qu"ils n"ont pas fait l"objet d"un contre-interrogatoire et, bien qu"ils n"aient pas soulevé de question de crédibilité, il ne fait aucun doute qu"un contre-interrogatoire aurait aidé à en identifer les limites et les nuances. Néanmoins, la preuve documentaire sur laquelle la Section du statut de réfugié s"est fondée portait sur l"époque pertinente, elle a été fournie par des hauts fonctionnaires du gouvernement canadien ayant une connaissance directe de la situation qui règne en Inde, et elle a été corroborée de façon très tangible par le directeur bien informé d"un organisme de défense des droits de la personne menant ses activités en Asie du Sud et se spécialisant dans l"étude de cette région.

[36]      Outre la preuve concernant le déclin général du nombre d"actes violents et d"abus commis par les autorités policières au Panjab, le témoignage de M. Nair selon lequel une personne n"est pas notoirement soupçonnée d"être une militante du seul fait qu"elle est membre d"une famille à laquelle appartient une personne soupçonnée d"être un terroriste était directement pertinent en ce qui concerne la présente affaire.

[37]      Après avoir apprécié les points forts et les points faibles des éléments de preuve dont disposait la Section du statut de réfugié, j"ai conclu qu"il y avait suffisamment d"éléments de preuve pour étayer les conclusions de fait qu"elle a tirées. De plus, il ressort des points forts et des points faibles relatifs de l"ensemble de la preuve que la Section du statut de réfugié n"a pas commis d"erreur de droit lorsqu"elle s"est contentée de résumer le témoignage de M. Somal sans le commenter, lorsqu"elle a préféré, sans expliquer pourquoi, les éléments de preuve documentaire sur lesquels elle s"est fondée aux autres éléments de preuve dont elle disposait, et lorsqu"elle a omis de renvoyer à d"autres éléments de preuve documentaire.

La deuxième question litigieuse

[38]      Je n"estime pas non plus que la Section du statut de réfugié a commis une erreur de droit importante lorsqu"elle a conclu que le rapport du psychologue n"était pas directement pertinent pour apprécier le bien-fondé de la crainte de la demanderesse d"être persécutée. De tels rapports ont déjà été jugés pertinents en ce qui concerne la question de la crédibilité du revendicateur du statut de réfugié. De plus, le fait qu"une personne souffre du syndrome de stress post-traumatique établit que la personne a vécu une situation de stress, et cela est compatible avec le fait que la personne a déjà été persécutée et qu"elle craint de l"être de nouveau, ou simplement qu"elle craint de l"être dans l"avenir: Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (C.F. 1re inst.; IMM-75-95; 4 juillet 1995).

[39]      En l"espèce, la Section du statut de réfugié n"a pas cru le témoignage de la demanderesse selon lequel des policiers l"ont harcelée elle-même et ont harcelé des membres de sa famille. La Section du statut de réfugié aurait donc pu tenir compte du rapport pour apprécier la crédibilité de la demanderesse. Cependant, étant donné que la Section du statut de réfugié a accepté que la demanderesse était la soeur d"un homme soupçonné d"être un terroriste, la crainte qu"elle ressentait tant à l"égard de son frère que pour elle-même pourrait expliquer les difficultés qu"elle éprouve présentement sur le plan psychologique. Vu la latitude dont dispose la Section du statut de réfugié en tant que juge des faits, j"estime que sa décision de ne pas accepter ce rapport ne constituait pas, dans les circonstances de la présente affaire, une erreur de droit importante.


[40]      Par ces motifs, les présentes demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

                                     John M. Evans

                                         J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 8 mars 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              IMM-4029-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      BALJIT BAINS et autre c. MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :          TORONTO

DATE DE L"AUDIENCE :          LE 6 OCTOBRE 1998

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE EVANS

EN DATE DU :              8 MARS 1999

ONT COMPARU :

M. Lorne Waldman                          POUR LA DEMANDERESSE

Mme Bridgete O"Leary                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates                  POUR LA DEMANDERESSE

Toronto

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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