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Date : 20060314

Dossier : IMM-1998-05

Référence : 2006 CF 324

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

- et -

ASIF SARTAJ

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

LE JUGE O'KEEFE

[1]         La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), qui vise une décision en date du 8 mars 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que le défendeur était un réfugié au sens de la Convention.

[2]         Le demandeur sollicite une ordonnance qui annule la décision de la Commission relativement au défendeur et qui renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'une nouvelle décision soit rendue.

Contexte

[3]         Asif Sartaj (le défendeur) est un citoyen du Pakistan qui prétend craindre avec raison d'être persécuté dans ce pays par le Sipah-e-Sahaba Pakistan (SSP) parce qu'il est un musulman chiite actif. Il prétend aussi avoir été persécuté par le père de sa femme au Costa Rica, où il était résident permanent, en raison de son mariage et de la conversion de sa femme à l'islam.

[4]         Le défendeur a vécu en République dominicaine de 1996 à 1999, où il a obtenu un diplôme en médecine. Il est ensuite retourné au Pakistan pour y faire sa résidence en médecine. Il a travaillé dans un hôpital du Pakistan de février à juin 1999; pendant cette période, il a été physiquement agressé par le SSP pour ses activités religieuses. En octobre 1999, il est retourné au Costa Rica pour exercer la médecine et, en février 2002, est devenu un résident permanent de ce pays. Il a aussi épousé en secret une Costaricaine. Sa femme, qui était catholique, s'est convertie à l'islam. Le père de sa femme, lorsqu'il a pris connaissance du mariage et de la conversion de sa fille à l'islam, a menacé le défendeur et l'attaqué.

[5]        Le défendeur et sa femme ont vécu au Costa Rica jusqu'à leur arrivée au Canada en mai 2002. Ils ont par la suite fait une demande d'asile au Canada. Dans une décision en date du 8 mars 2005, la Commission a rejeté la demande d'asile de l'épouse du défendeur, mais a accueilli la demande du défendeur. C'est la décision d'accueillir la demande du défendeur qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire.

Analyse et décision

[6]         Il s'agit de déterminer si la Commission a commis une erreur en concluant que le défendeur ne pouvait pas bénéficier de la protection accordée aux réfugiés au titre de la section 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et en concluant que le défendeur était un réfugié au sens de la Convention après avoir établi qu'il ne pouvait pas bénéficier de la protection au titre de la section 1E.

[7]         Un examen de la décision de la Commission montre que celle-ci a d'abord conclu que le défendeur ne pouvait pas bénéficier de la protection accordée aux réfugiés au titre de la section 1E de la Convention relative au statut des réfugiés. Pour plus de commodité, cette section est reproduite ci-après :

Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

[8]         Également pour plus de commodité, voici l'article 98 de la LIPR :

98. La personne visée aux sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[9]         Dans la décision Shamlou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 103 F.T.R. 241 (T.D.), le juge Teitelbaum indique ceci au paragraphe 29 :

Lorne Waldman, dans son ouvrage Immigration Law and Practice, vol. 1, avance que:

[traduction]

[...] une personne devrait être exclue de l'application de la Convention en application de la section E de l'article premier seulement quand il est clair que cette personne a obtenu tous les principaux droits fondamentaux rattachés à la nationalité d'un pays. Bien qu'il ne soit pas possible de dresser une liste exhaustive de ces droits, ces derniers doivent comprendre au minimum le droit de retourner au pays, le droit d'y résider pour une période indéterminée, le droit d'y faire des études, d'y travailler et d'y avoir accès aux principaux services sociaux.

[10]       En l'occurrence, la Commission a vérifié si le défendeur répondait à ces critères. Elle a conclu par l'affirmative, car le défendeur a témoigné que, pendant son séjour au Costa Rica, il était libre de voyager entre ce pays et l'Arabie saoudite ou le Pakistan; il pouvait travailler librement comme médecin; il avait accès aux services sociaux sans restriction; il n'était pas privé du droit de faire des études.

[11]       La Commission a tiré la conclusion suivante :

Conclusion

Compte tenu de l'analyse susmentionnée et de l'absence de preuve du contraire, j'accepte la preuve prima facie qui a été présentée par le conseil du ministre et détermine que le demandeur d'asile est exclu au titre de la Section 1E de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés.

[12]       La Commission a ensuite conclu que le défendeur était un réfugié au sens de la Convention en se fondant sur sa demande d'asile à l'égard du Pakistan. Le demandeur soutient que cette conclusion est erronée du fait que, si la Commission juge que le défendeur est exclu au titre de la section 1E, le dossier est clos, car l'article 98 de la LIPR fait que le défendeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[13]       Selon le défendeur, le membre de la Commission n'a pas voulu dire qu'il était exclu pour de bon et l'expression prima facie devrait être déplacée pour que l'on puisse lire « exclu prima facie » . Le défendeur fait aussi valoir que son statut de résident permanent au Costa Rica a expiré pendant qu'il était au Canada, de sorte qu'il n'a pas le droit d'y retourner.

[14]       Je souscris à la conclusion de la Commission selon laquelle la section 1E s'applique au défendeur. La preuve non contredite étaye cette conclusion. Je ne suis pas d'accord sur le fait que les mots figurant dans la décision de la Commission peuvent être déplacés. La Cour doit interpréter la décision telle qu'elle a été rédigée. En outre, suivant la jurisprudence de la Cour, c'est la date de la demande d'asile qui sert à déterminer si la personne visée a le droit de retourner dans un pays, en l'occurrence le Costa Rica (voir Hakizimana c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) CFPI 2003, paragraphes 13 à 15). Dans la présente affaire, le défendeur était encore un résident permanent du Costa Rica lorsqu'il a présenté une demande de protection au Canada. Les critères de la décision Shamlou ont été satisfaits.

[15]       La question qu'il reste à trancher est de savoir si, après avoir conclu que le défendeur était exclu au titre de la section 1E, la Commission pouvait établir qu'il était un réfugié au sens de la Convention. Je suis d'avis que la Commission a commis une erreur de droit en concluant que le défendeur était un réfugié après avoir conclu que l'exclusion s'appliquait. L'article 98 de la LIPR dispose très clairement qu'une personne exclue aux termes de la section 1E ne peut pas avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[16]       Dans l'arrêt Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 646, la Cour d'appel fédérale a déclaré, après étude d'un cas d'exclusion visé par la section 1Fa) :

À mon avis, rien dans la Loi ne permet à la section du statut de réfugié d'apprécier la sévérité de la persécution potentielle au regard de la gravité de la conduite qui l'a amenée à conclure qu'il s'agissait d'un crime visé par la section Fa) de l'article premier. L'exclusion de la section Fa) de l'article premier fait, en vertu de la loi, partie intégrante de la définition. Quel que soit par ailleurs le bien-fondé de sa revendication, le demandeur ne peut aucunement être un réfugié au sens de la Convention si l'exclusion s'applique.

[17]       La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu'une nouvelle décision soit rendue.                           

[18]       Aucune des parties n'a proposé la certification d'une question grave de portée générale.


JUGEMENT

[19]       IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu'une nouvelle décision soit rendue.                           

« John A. O'Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Lucie Boisvenue, trad. a.


ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

            L'alinéa 95(1)b) de la LIPR prévoit que l'asile est la protection accordée à quiconque se voit reconnaître par la Commission la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

95. (1) L'asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

95. (1) Refugee protection is conferred on a person when

[. . .]

. . .

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

(b) the Board determines the person to be a Convention refugee or a person in need of protection; or

            L'article 98 de la LIPRexclut certaines personnes de la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

98. La personne visée aux sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

            La section 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés est la suivante :

Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1998-05

INTITULÉ :                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

-          et -

                                                            ASIF SARTAJ

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 2 FÉVRIER 2006

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                       LE 14 MARS 2006

COMPARUTIONS :

Catherine Vasilaros

POUR LE DEMANDEUR

Max Berger

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

Max Berger Professional Law Corporation

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

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