Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision





Date : 20000809


Dossier : IMM-4029-99


OTTAWA (ONTARIO) LE MERCREDI 9 AOÛT 2000

DEVANT M. LE JUGE GIBSON


ENTRE

        

     SOON JA CHO, HA NUL KANG,

     DAN BEE KANG et HAT SAL KANG,

                                     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA

     CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                     défendeur.



     ORDONNANCE


     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.


                             __________________________

                             J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.





Date : 20000809


Dossier : IMM-4029-99



ENTRE

        

     SOON JA CHO, HA NUL KANG,

     DAN BEE KANG et HAT SAL KANG,

                                     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA

     CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                     défendeur.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON :


[1]          Les présents motifs concernent la demande de contrôle judiciaire présentée à l'égard d'une décision de la section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié par laquelle la SSR a déterminé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention tels que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. La décision de la SSR est datée du 12 juillet 1999.

[2]          Soon Ja Cho (la demanderesse principale) est une citoyenne de la Corée du Sud. Les trois (3) autres demandeurs sont ses enfants qui au moment de l'audition de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention devant la SSR étaient tous mineurs (les revendicateurs mineurs). Les demandeurs fondent leurs revendications sur une crainte fondée de persécution s'ils étaient obligés de retourner en Corée du Sud à cause de leur appartenance à un groupe social particulier, ce groupe étant, pour la demanderesse principale, celui des femmes victimes de violence conjugale en Corée du Nord, et pour les demandeurs mineurs, celui des enfants des femmes victimes de violence conjugale en Corée du Sud.

[3]          Les circonstances de l'affaire peuvent se résumer brièvement de la façon suivante.

[4]          La demanderesse principale soutient que son deuxième époux, le père de ses deuxième et troisième enfants, est un alcoolique qui l'agresse verbalement et physiquement chaque fois qu'il est ivre. Elle soutient également que son aîné, un enfant, issu de son premier mariage, a également été victime de violence verbale et physique.

[5]          Il est arrivé à la demanderesse principale de demander en 1996 la protection de la police. La police s'est rendue chez elle et a essayé d'amener la demanderesse principale et son époux à se réconcilier. Lorsque son époux s'est endormi, la police a recommandé à la demanderesse principale de le laisser dormir pour qu'il se dégrise et d'essayer de résoudre son différend avec son époux, parce qu'il s'agissait d'une affaire qui ne regardait que la famille. La demanderesse principale n'a jamais redemandé à la police de la protéger.

[6]          La SSR avait devant elle un rapport psychologique concernant la demanderesse principale qui contenait le diagnostic et les commentaires suivants :

[TRADUCTION]
Les éléments recueillis pour le diagnostic clinique indiquent que Mme Cho souffre de symptômes d'anxiété et de dépression grave. Cette pathologie découle des mauvais traitements qu'elle a subis.
Il convient de reconnaître que Mme Cho ne verbalise pas facilement ses sentiments; elle semble parfois presque paralysée. Son manque d'énergie et son incapacité à réagir indiquent cependant qu'elle souffre d'une dépression grave et profonde.
Les femmes battues ont plusieurs traits en commun et Mme Cho n'est pas une exception. On retrouve souvent une croyance inébranlable dans le caractère sacré du mariage et l'importance que les enfants aient un père. Ces femmes éprouvent souvent le sentiment irréaliste que l'agresseur va changer et ont tendance à ne retenir que les faits de la relation matrimoniale qui indiquent un changement positif (comme dans ce cas-ci, le fait que l'époux de Mme Cho n'était pas agressif quand il était sobre). Ces femmes conservent ce point de vue quelles que soient la gravité et la fréquence des agressions (ce qui renforce leur tendance à poursuivre la vie commune). Presque toutes les femmes battues éprouvent un sentiment d'impuissance, et ont une faible estime de soi - sentiments qui sont souvent exprimés par des déclarations au sujet du monde en général, par exemple, « Personne ne peut m'aider » , « Je ne pouvais pas faire autrement » , etc.
Dans le cas de Mme Cho, son estime de soi était tellement compromise qu'elle avait du mal à préserver les certitudes et le sentiment de sa propre valeur qui lui auraient permis de sortir de cette relation. Comme celle de la plupart des femmes battues, la situation de Mme Cho est devenue tellement intolérable qu'elle a finalement estimé n'avoir pas d'autre choix ou du moins qu'elle devait choisir entre partir ou risquer d'être gravement blessée ou d'être tuée. Il est important de reconnaître que cette ambivalence est un trait que l'on retrouve chez la plupart des femmes battues..2

[7]          La SSR a apprécié l'opinion du spécialiste que nous venons de citer dans les termes suivants :

Le tribunal est prêt à accepter que la revendicatrice a souffert d'un cycle de violence aux mains de son époux, particulièrement lorsqu'il était ivre. Le tribunal reconnaît en outre que la violence familiale a eu des répercussions négatives sur l'estime que la revendicatrice a d'elle-même, ce qui a donné lieu à des périodes d'ambivalence, d'anxiété et de dépression majeure. Cependant, le tribunal trouve que l'État offre une protection et que la revendicatrice et ses enfants peuvent y avoir accès.3

[8]          La SSR a reconnu que la demanderesse principale avait tenté de demander à la police de la protéger contre son époux. La SSR a écrit :

Le tribunal trouve que ce n'est pas une preuve suffisamment convaincante pour démontrer que la police ne peut pas offrir une protection aux victimes de violence conjugale. Même si des gens d'autres pays -- dont le Canada -- qui revendiquent posséder une connaissance approfondie de la dynamique de la violence familiale et avoir mis au point des programmes d'intervention psychosociale de pointe -- peuvent percevoir la police sud-coréenne comme étant très naïve en n'intervenant pas plus fortement qu'elle ne l'a fait dans ces situations, il n'est pas raisonnable que quiconque condamne la tentative de la police d'essayer d'en arriver à ce qui semble être une façon de résoudre le conflit. À ce point, le tribunal note que, même au Canada, avec toutes ses revendications légitimes relatives à un niveau plus raffiné de compréhension du phénomène complexe de la violence conjugale -- les chercheurs sociaux, les criminologues et d'autres experts sur l'effondrement des relations humaines continuent à débattre de la question à savoir quand une intervention, dans les cas de violence conjugale, devrait être plus musclée ou quand il faudrait avoir recours en premier lieu une autre manière de résoudre le conflit. Le tribunal trouve que, dans le cas de la revendicatrice, la preuve ne démontre pas de façon suffisamment convaincante que la police n'a pas pris en compte très sérieusement la bataille entre la revendicatrice et son époux..4

[9]          La SSR a ensuite examiné les preuves documentaires soumises et a noté que celles-ci « ... indique[nt] que, juste au moment où les revendicateurs partaient pour le Canada, deux lois sud-coréennes ayant pour objet d'éliminer la violence familiale sont entrées en vigueur - l'une ayant trait au châtiment du délinquant et l'autre à la prévention et à la sécurité des victimes. » La SSR note que la loi relative à la sécurité des victimes visait aussi bien les enfants que les conjointes. La SSR a signalé les limites des changements apportés au droit. Elle écrit :

Par contre, le tribunal est prêt à admettre que le gouvernement de la Corée du Sud doit encore relever le grand défi qui consiste à apporter d'autres améliorations à sa série innovatrice de lois et de règlements visant la prévention de la violence familiale, étant donné qu'il a frôlé récemment la faillite économique et qu'il est assujetti aux restrictions fiscales inhérentes imposées par le Fonds monétaire international. Le tribunal reconnaît en outre que la police doit continuer à se former de manière intensive à l'égard de l'application efficace des lois. Cependant, le tribunal trouve que ces imperfections n'altèrent en rien le fait que le gouvernement possède les mécanismes appropriés pour protéger les victimes, ou les victimes potentielles, contre la violence familiale. Après tout, la protection par l'État n'a pas besoin d'être parfaite, il suffit qu'elle soit suffisante. Par ailleurs, il est révélateur qu'une preuve documentaire souligne aussi que les groupes de femmes sud-coréennes ont fait l'éloge des lois de leur pays ayant trait à la violence conjugale en disant qu'elles constituaient un grand pas en avant dans le combat contre la violence conjugale.5

[10]          La SSR conclut dans les termes suivants :

Après avoir pris en compte tous les éléments de preuve, le tribunal est convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, il n'y a raisonnablement aucun risque ni de possibilité sérieuse que la revendicatrice soit persécutée si elle retourne en Corée du Sud, en raison de son appartenance à un groupe social (les victimes de violence conjugale en Corée du Sud) ou de tout autre motif énoncé dans la définition de réfugié au sens de la Convention. ...
Dans la même veine, après avoir pris en compte tous les éléments de la preuve, le tribunal est convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, il n'y a raisonnablement aucun risque ni de possibilité sérieuse que les revendicateurs mineurs soient persécutés s'ils retournent en Corée du Sud en raison de leur appartenance à un groupe social (la famille de victimes de violence conjugale en Corée du Sud) ou de tout autre motif énoncé dans la définition de réfugié au sens de la Convention.6

[11]          Les demandeurs soutiennent dans leur mémoire de fait et de droit déposé avec leur demande que la SSR a commis une erreur en arrivant à une conclusion de fait dénuée de fondement parce qu'elle n'a pas utilisé le « critère de la protection efficace et durable » en matière de protection accordée par l'État et parce qu'elle n'a pas tenu suffisamment compte du rapport psychologique qui lui avait été soumis.

[12]          Je conclus que la SSR n'a commis aucune erreur susceptible d'être contrôlée judiciairement.

[13]          L'avocat du demandeur a invoqué la décision que j'ai prononcée dans l'affaire D'Mello c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)7 dans laquelle j'ai signalé que la SSR avait omis, dans la décision attaquée, de faire référence à la preuve documentaire qui avait été soumise et qui traitait des difficultés que rencontraient les femmes habitant en Inde lorsqu'elles voulaient utiliser les dispositions législatives et procédurales pour lutter contre la violence faite aux femmes. J'avais également noté que la SSR en était arrivée à sa conclusion en l'espèce [TRADUCTION] « ... principalement en utilisant de façon sélective la preuve documentaire concernant la situation du pays... » . Je suis convaincu qu'il n'est pas possible d'affirmer la même chose ici. Comme je l'ai noté plus haut, dans la décision attaquée, la SSR a reconnu les difficultés de mise en oeuvre auxquelles faisaient face tant les représentants du gouvernement que les policiers en Corée du Sud. Je suis en outre convaincu que l'on ne peut qualifier de « sélectif » l'usage qu'elle a fait de la preuve documentaire.

[14]          L'avocat a également cité la décision que j'ai prononcée dans l'affaire Elcock c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)8 où j'ai écrit au paragraphe 15 :

Tant dans l'affaire Cuffy que dans l'affaire D'Mello, la cour, siégeant en révision de décisions de la SSR fondées sur la conclusion voulant que les revendicatrices ne se soient pas acquittées du fardeau de prouver l'absence de protection de l'État, a annulé les décisions. J'estime qu'il doit en être de même en l'espèce, et que la SSR a commis une erreur donnant ouverture à révision en omettant d'examiner effectivement non seulement s'il existait des mécanismes légaux et procéduraux de protection mais encore si l'État, par l'intermédiaire de la police, était disposé à mettre ces mesures en oeuvre. Non seulement le pouvoir protecteur de l'État doit-il comporter un encadrement légal et procédural efficace mais également la capacité et la volonté d'en mettre les dispositions en oeuvre.

[15]          J'en arrive à une autre conclusion en l'espèce. Je suis convaincu que l'analyse à laquelle la SSR a procédé dans la décision contestée ici ne s'appuie sur aucune conclusion de fait injustifiée et est le fruit d'un examen approfondi et objectif de la situation actuelle en Corée du Sud, tant pour ce qui est du cadre législatif et réglementaire destiné à protéger les victimes de violence familiale et leurs enfants que pour ce qui est de la capacité et de la volonté de l'État de mettre en oeuvre ces dispositions. En outre, l'appréciation faite par la SSR du rapport psychologique déposé en instance était tout à fait approprié et correct.

[16]          Dans Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca9, le juge Hugessen écrit :

Aucun gouvernement qui affirme vouloir défendre les valeurs démocratiques et protéger les droits de la personne ne peut garantir à tous ses citoyens qu'ils seront toujours protégés. Dès lors, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. Le terrorisme au service d'une idéologie perverse est un fléau qui afflige aujourd'hui de nombreuses sociétés; ces victimes, bien qu'elles puissent grandement mériter notre sympathie, ne deviennent pas des réfugiés au sens de la Convention simplement parce que leurs gouvernements ont été incapables de supprimer ce mal.

On peut dire exactement la même chose au sujet du mal que représente la violence conjugale.

[17]          L'analyse qui précède m'amène à conclure, avec regret, qu'il y a lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Les demandeurs disposent peut-être d'autres recours qui leur permettraient de demeurer au Canada. Le raisonnement qu'a tenu la SSR en l'espèce lorsqu'elle a conclu que la protection accordée aux réfugiés au sens de la Convention ne pouvait être étendue aux demandeurs montre que cette conclusion était fondée.

[18]          La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucun avocat n'a demandé qu'une question soit certifiée. Aucune question ne sera certifiée.


                             __________________________

                             J.C.F.C.


Ottawa (Ontario)

9 août 2000

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DE GREFFE :              IMM-4029-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      SOON JA CHO ET AUTRES et MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 14 JUILLET 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU 9 AOÛT 2000


ONT COMPARU :

S. PREEVANDA                  POUR LES DEMANDEURS
M. ZORIC                      POUR LE DÉFENDEUR


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

MAX BERGER et associés              POUR LES DEMANDEURS

TORONTO

MORRIS ROSENBERG              POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


__________________

1      L.R.C. 1985, ch. I-2.

2      Dossier du tribunal, pages 91 et 92.

3      Dossier du tribunal, page 5.

4      Dossier du tribunal, page 6.

5      Dossier du tribunal, pages 8 et 9.

6      Dossier du tribunal, page 10.

7      [1998] F.C. J. No. 72 (Q.L.) (C.F. 1re inst.).

8      (1999), 175 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.).

9      (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.F. 1re inst.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.