Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision





Date : 20001020


Dossiers : T-2816-96

T-2817-96

T-2819-96

T-2820-96

T-2821-96

T-2822-96

T-2823-96

T-2824-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 OCTOBRE 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER


ENTRE :


COMPAGNIE GÉNÉRALE DES ÉTABLISSEMENTS

MICHELIN - MICHELIN & CIE


appelante



- et -



CONTINENTAL GENERAL TIRE CANADA INC.


intimée



MOTIFS ET DISPOSITIF DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]      La Compagnie Générale des établissements Michelin - Michelin & Cie (Michelin) interjette appel de la décision par laquelle le registraire de la Commission des oppositions des marques de commerce a rejeté son opposition à l'enregistrement de huit marques de commerce par Continental General Tire Canada Inc. (General Tire). Les marques de commerce dont General Tire demandait l'enregistrement étaient les suivantes : XP 2000, XP 2000 MS, XP 2000 AS, XP 2000 V, XP 2000 H, XP 2000 Z, AMERI WAY XT & DESSIN, AMERI XL 4 & DESSIN. Chacune de ces marques a fait l'objet d'un appel distinct. Tous ces appels ont été entendus ensemble et les présents motifs s'appliquent à chacun d'entre eux. Michelin soutient que les marques de commerce en question créent de la confusion avec une ou plusieurs de ses marques de commerce enregistrées qui comportent la lettre X et qu'elle appelle, comme je le ferais, ses marques X. Ces marques comprennent la lettre X, habituellement comme premier élément, accompagnée par une ou deux autres lettres, comme par exemple ZX, XF, XM, TRX, XAS, XVS, XCA.

[2]      Michelin et General Tire fabriquent tous les deux des pneus et les vendent à des distributeurs qui, à leur tour, les vendent aux consommateurs. Leurs produits sont souvent vendus côte à côte dans les mêmes établissements.

[3]      La genèse de la procédure de l'opposition n'a rien de remarquable et il n'est pas nécessaire de la répéter.

[4]      Michelin a soulevé les quatre moyens d'opposition suivants :
     1)      General Tire ne s'est pas conformée à l'article 30 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi), L.R.C. (1985), ch. T-13, étant donné qu'elle :
         -      n'a jamais employé les marques ;
         -      avait abandonné les marques ;
         -      ne pouvait être convaincue qu'elle avait le droit d'utiliser les marques.
     2)      les marques ne sont pas enregistrables parce qu'elles créent de la confusion avec une ou plusieurs marques X de Michelin.
     3)      General Tire n'a pas droit à l'enregistrement parce qu'à la date de leur premier emploi, les marques en question créaient de la confusion avec des marques déjà utilisées ou révélées au Canada par Michelin ou par son prédécesseur en titre.
     4)      Les marques de General Tire ne sont pas distinctives de ses marchandises parce que :

    

         -      Michelin a utilisé et révélé sa marque ;
         -      le droit aux marques dont l'enregistrement est demandé appartient à deux ou à plusieurs personnes par suite d'une cession et ces personnes ont exercé leurs droits.
         -      General Tire a permis à des tiers d'employer les marques pour lesquelles l'enregistrement est demandé sans se conformer aux dispositions de la Loi relatives à l'octroi de licences.

[5]      Le registraire a rejeté l'opposition de Michelin. Il s'est prononcé sur les huit demandes et les huit oppositions dans une seule décision. Le registraire a commencé par rejeter le moyen d'opposition tiré de l'inobservation de l'article 30 de la Loi au motif qu'il ne disposait d'aucun élément de preuve sur ces questions. Il a également rejeté pour la même raison les [TRADUCTION] « deuxième et troisième volets du quatrième moyen d'opposition » , qui portaient sur le droit d'utilisation des marques General Tire par des tiers. Le registraire a ensuite conclu que la façon dont il trancherait la question de la confusion déciderait du sort des autres moyens.

[6]      Le registraire a examiné les dates critiques en ce qui concerne les diverses questions en litige et a conclu que la question de la date critique n'avait aucune incidence. Il a toutefois choisi de faire reposer sa décision sur la date du premier emploi des marques par General Tire, 1985, parce que c'était la date la plus avantageuse pour Michelin.

[7]      Le registraire s'est dit convaincu, sur le fondement des éléments de preuve portés à sa connaissance, que Michelin s'était acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu'à la date à laquelle General Tire avait employé ses marques pour la première fois, Michelin employait ses marques X et qu'il n'avait pas renoncé à l'utilisation de ces marques à la date de la publication de la demande d'enregistrement de General Tire (décembre 1991), ce qui démontrait que l'allégation de confusion avait un certain fondement.

[8]      Le registraire s'est ensuite penché sur le critère de la confusion qui est énoncé au paragraphe 6(5) de la Loi :


(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or le registraire, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;


(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

[9]      Le registraire a conclu que les marques des deux parties ne possédaient pas un caractère distinctif très marqué, étant donné qu'elles étaient constituées de lettres et de chiffres. Il a ensuite examiné les éléments de preuve relatifs aux chiffres de ventes des pneus, les marchandises associées aux marques. Il a constaté que, malgré le fait que son chiffre d'affaires était élevé, Michelin n'avait pas ventilé ce chiffre selon ses diverses marques X. Un examen de la publicité de Michelin l'a amené à faire observer que le message principal qui en ressort est que le consommateur achète un pneu Michelin et que [TRADUCTION] « la marque X spécifique a une importance secondaire » . La publicité de General Tire lui semblait reposer sur la même prémisse. Le registraire en a conclu que l'emploi des marques en question était secondaire par rapport à l'utilisation du nom commercial (MICHELIN, GENERAL TIRE) par les deux parties.

[10]      La période pendant laquelle les marques avaient été en usage favorisait de toute évidence Michelin, étant donné que la demande de General Tire était fondée sur un premier usage remontant au moins à 1983, et jusqu'à 1990, selon le produit.

[11]      La nature des marchandises et de l'entreprise était identique, étant donné que les deux parties fabriquent des pneus qu'elles vendent à des distributeurs qui sont susceptibles de vendre leurs produits côte à côte par les mêmes voies commerciales.

[12]      Le registraire a également conclu que les marques se ressemblaient sur le plan visuel et sur le plan auditif, du fait de leur emploi commun de la lettre X. Les marques ne suggèrent aucune idée particulière [TRADUCTION] « sinon peut-être un genre de code qui pourrait permettre de reconnaître les caractéristiques de la marchandise » .

[13]      Dans le cadre de son examen des autres circonstances de l'espèce, le registraire a examiné les éléments de preuve relatifs à l'état de registre. Il a commencé par reconnaître que les éléments de preuve relatifs à l'état du registre ne sont pertinents que lorsque celui-ci contient un grand nombre d'enregistrements. General Tire avait soumis au registraire des éléments de preuve concernant douze autres enregistrements semblables. Le registraire a écarté cinq enregistrements pour diverses raisons, retenant sept enregistrements faits au nom de quatre propriétaires différents. Il a écarté ces éléments de preuve au motif qu'ils ne comportaient pas assez de détails au sujet des enregistrements et de la demande. Le registraire a finalement conclu qu'il n'était pas convaincu que les marques incorporant la lettre X étaient couramment utilisées dans le cas des pneus de voitures, bien qu'il ait effectivement signalé qu'au moins une autre entreprise vend des pneus au Canada en employant une marque qui incorpore la lettre X. Il s'agit d'Uniroyal Goodrich Tire Company, qui a cédé en 1994 à Uniroyal Goodrich Canada Inc. ses deux marques contenant la lettre X. Comme Uniroyal Goodrich Canada Inc. est « sous le contrôle financier » de Michelin, elle prétend que ces marques étaient employées par une compagnie affiliée. Le registraire a retenu l'argument de General Tire suivant lequel Uniroyal Goodrich Canada Inc. ne pouvait être un usager licencié des marques de Michelin, étant donné que les marques en question avaient été cédées à Uniroyal Goodrich Canada Inc. Elle était donc la propriétaire des marques et non un usager licencié. Le registraire a par conséquent considéré l'utilisation par Uniroyal Goodrich Canada des marques incorporant la lettre X comme une utilisation par une autre entité.

[14]      Finalement, le registraire a souligné que, malgré les importantes ventes de produits General Tire qui avaient eu lieu sous les marques de cette dernière entre 1985 et 1992, aucun cas concret de confusion n'avait été signalé. Tout en reconnaissant qu'il n'est pas nécessaire de faire la preuve d'une confusion réelle pour pouvoir conclure à la confusion, le registraire a ajouté qu'il s'agissait là d'un facteur parmi de nombreux autres dont il pouvait tenir compte.

[15]      Le registraire a conclu, tout bien pesé, que General Tire s'était acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu'il n'y avait pas de confusion entre ses marques et celles de Michelin. Les facteurs dont le registraire a tenu compte pour en arriver à cette conclusion étaient l'absence de caractère distinctif inhérent des marques, l'emploi des marques comme marques secondaires, l'absence de quelque élément de preuve tendant à démontrer que les marques de Michelin avaient acquis un caractère distinctif appréciable, l'emploi d'une marque incorporant la lettre X par un tiers et, finalement, l'absence de preuve de confusion réelle malgré un emploi simultané important.     

[16]      Ces conclusions valaient pour les six marques dont l'enregistrement était demandé et qui étaient composées des lettres et des chiffres XP 2000 employés seuls ou en combinaison ou en conjonction avec une autre lettre. Quant aux marques incorporant le mot AMERI de même que la lettre X, le registraire a fait remarquer que le mot AMERI constituait un élément distinctif tant sur le plan visuel que sur le plan auditif. Se fondant sur ces motifs de même que sur d'autres motifs qu'il a exposés, le registraire a également rejeté l'opposition en ce qui concerne ces deux marques.

[17]      Michelin interjette appel de ces conclusions. Au soutien de son appel, il soumet de nouveaux éléments de preuve, ainsi que le paragraphe 56(5) de la Loi le lui permet.

[18]      Les nouveaux éléments de preuve sont composés des affidavits souscrits par Michel Savard, Pascale Goyer, Régent Gaudreau et Robert Hiebel respectivement.

[19]      Dans son affidavit, M. Savard a abordé plusieurs questions, dont l'enregistrement par Michelin de quelque 27 autres marques contenant la lettre X que le registraire n'a pas admises en preuve en raison de leur dépôt tardif. Il a déposé devant la Cour plusieurs extraits de textes publicitaires de Michelin démontrant l'emploi des marques Michelin. Il a également soumis des chiffres de ventes concernant deux produits déterminés qui portent la marque X. Il a également précisé le prix de vente des pneus Michelin dans son affidavit.

[20]      Dans son affidavit, Pascale Goyer a fait la preuve de l'enregistrement des marques de commerce de Michelin.

[21]      L'affidavit souscrit par Régent Gaudreau visait à mettre à jour les éléments de preuve relatifs à l'état de registre que General Tire avait soumis au registraire lors de la procédure d'opposition. Il en ressortait que certains des enregistrements avaient été radiés et qu'un enregistrement avait été transféré à Michelin Recherche et Technique S.A.

[22]      L'affidavit de Robert Heibel portait sur les relations entre Michelin et Canadian Tire. Michelin s'était opposée à la demande présentée par Canadian Tire en vue de faire enregistrer les marques MOTOMASTER XGS, XG et XTS. Le règlement de cette opposition a conduit à une entente entre Canadian Tire, Uniroyal et Michelin par laquelle Canadian Tire convenait de renoncer à employer un certain nombre de marques incorporant la lettre X, en échange de quoi Canadian Tire se voyait octroyer une licence lui permettant d'utiliser les marques de commerce XGS, MOTOMASTER XGS, XTS et MOTOMASTER XTS à condition de les utiliser conjointement avec des pneus achetés à Uniroyal. Canadian Tire s'est également vue octroyer une licence d'utilisation des marques de commerce XG, XT, XT75, MOTOMASTER XG, MOTOMASTER XT et MOTOMASTER XT75 en liaison avec des pneus achetés à d'autres fabricants.

[23]      Ce dernier affidavit a été souscrit en réponse à l'affidavit déposé au nom de General Tire par James McDermott, qui y affirmait que General Tire Canada Inc. (le prédécesseur de l'intimée) avait fabriqué pour Canadian Tire des pneus devant être vendus sous les marques MOTOMASTER XG, MOTOMASTER XL, MOTOMASTER XT et MOTOMASTER XT75.

[24]      General Tire a également déposé les affidavits souscrits par Robert McDerment et Carol Groves. Ces affidavits montrent l'enregistrement de marques de commerce incorporant la lettre X par d'autres fabricants de pneus, dont Goodyear (INTREPID XNW, INVICTA GL XNW), Firestone (MUD KING XT, FIREHAWK FTX, FIREHAWK FT X02 RADIAL ATX) B. F. Goodrich (DEFENDER SRX +4, DEFENDER HRX) et Motomaster (ainsi qu'il a déjà été précisé).

[25]      Michelin invoque les moyens suivants au soutien de son appel de la décision du registraire :

     1-      General Tire ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu'il n'y avait aucun risque de confusion entre ses marques et les marques X enregistrées de Michelin.
     2-      Les éléments de preuve relatifs à l'état du registre ne permettent pas de conclure que de nombreux tiers ont utilisé des marques de type X en liaison avec la vente de pneus.
     3-      La distinction entre marques principales et marques secondaires n'est pas utile lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la question de la confusion dans le cadre de procédures d'opposition.

[26]      À titre préliminaire, Michelin se dit d'avis qu'en raison des nouveaux éléments de preuve qui ont été versés au dossier et qui n'avaient pas été portés à la connaissance du registraire, l'appel constitue essentiellement une nouvelle audience. La Cour ne devrait pas s'en remettre au registraire et elle devrait reprendre l'affaire depuis le début. La charge de la preuve qui incombe à celui qui demande l'enregistrement consiste à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'y a aucun risque de confusion entre les marques dont il demande l'enregistrement et les marques déposées de l'opposant. Ce fardeau incombe en tout temps à l'appelant.

[27]      Michelin convient que les marques des parties ne possèdent pas de caractère distinctif inhérent. Il est d'accord avec le registraire pour dire que le critère de la durée de l'emploi joue fortement en sa faveur. Il convient aussi que la nature des marchandises et du commerce en cause est identique. Il convient finalement que le critère du degré de ressemblance est celui de la première impression et du souvenir imparfait.

[28]      Le point sur lequel Michelin n'est pas d'accord avec le registraire est celui des circonstances de l'espèce. Michelin soutient qu'il n'y a pas suffisamment d'enregistrements pour permettre l'utilisation d'éléments de preuve relatifs à l'état du registre. De plus, le seul tiers qui a employé des marques de type X, Uniroyal, a cédé sa marque XLM à Michelin Recherche et Technique S.A. En conséquence, il n'y a aucun élément de preuve qui démontre que d'autres personnes que les parties ont employé des marques de type X. Certaines marques qui contiennent un X comme RADIAL ATX, TIGER PAW XTM et XTREAM possèdent un caractère distinctif, parce que la lettre X ne constitue pas le premier élément de leur marque de commerce. C'est la position du X au début de la marque qui crée un risque de confusion.

[29]      Quant à la question des marques principales et des marques secondaires, Michelin souligne que General Tire ou Michelin pouvait cesser de faire de la publicité au sujet de ses pneus en liaison avec son propre nom commercial. En pareil cas, les deux marques se feraient concurrence côte à côte, créant ainsi de la confusion (voir à cet égard l'arrêt Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91, (1987), 19 C.P.R. (3d) 3 (C.A.F.), (1987) 81 N.R. 257).

[30]      Finalement, Michelin reproche au registraire de s'être fondé sur l'absence de preuve de confusion pour en arriver à sa conclusion. Michelin affirme que la décision du registraire va à l'encontre de l'arrêt Mr. Submarine, précité, de la Cour d'appel fédérale.

[31]      General Tire appuie pour sa part la décision du registraire. Elle commence par souligner que, bien que l'appelante ait la charge de démontrer au registraire qu'il n'y a pas de risque de confusion, il incombe aussi à l'appelante de démontrer que le registraire a commis une erreur. Les nouveaux éléments de preuve soumis à la Cour ne sont pas significatifs et ils ne justifient pas l'intervention de la Cour et la modification de la décision du registraire.

[32]      General Tire soutient que la décision du registraire quant au risque de confusion est bien fondée et qu'elle repose sur la preuve. En particulier, le registraire était justifié de conclure qu'il y avait eu emploi de marques de commerce de type X en liaison avec des pneus dans au moins un cas. Il ressort de la preuve produite par General Tire que de telles marques ont été employées par des tiers, ce que Michelin ne conteste pas. Quant à l'absence de preuve de confusion réelle, ce facteur n'est pas déterminant, bien que le registraire ait le droit d'en tenir compte.

[33]      J'en suis venu à la conclusion que la décision du registraire est bien fondée et qu'elle ne doit pas être modifiée.

[34]      Sur la question des nouveaux éléments de preuve, je suis d'accord avec le juge Evans, qui s'est penché sur la question de la présentation de nouveaux éléments de preuve dans l'affaire Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., [1999] F.C.J. 1763, (1999), 3 C.P.R. (4th) 224, où il déclare ce qui suit, aux paragraphes 37 et 38 :

     [par. 37] Les conséquences à l'égard de la norme de contrôle qu'entraîne le dépôt en appel d'une preuve additionnelle seront largement fonction de la mesure dans laquelle cette autre preuve a une force probante plus grande que celle des éléments fournis au registraire. Si l'élément apporté a peu de poids et ne consiste qu'en une simple répétition des éléments déjà mis en preuve sans accroître la force probante de ceux-ci, la présence de cet élément additionnel ne devrait avoir aucune incidence sur la norme de contrôle appliquée par la Cour en appel.
     [par. 38] Par contre, lorsque la preuve additionnelle va au-delà de ce qui a déjà été établi devant le registraire, la Cour doit alors se demander si, à la lumière de cette preuve, le registraire a rendu la mauvaise décision à l'égard de la question sur laquelle porte ces éléments de preuve et, peut-être, si la décision au fond est elle-même justifiée. Plus les éléments de preuve additionnels ont un poids important, plus la cour d'appel sera portée à tirer elle-même une conclusion de fait.

[35]      Il s'ensuit que la Cour doit vérifier si les nouveaux éléments de preuve vont beaucoup plus loin que ce qui a déjà été établi devant le registraire, pour déterminer si elle doit modifier les conclusions de fait tirées par le registraire. En l'espèce, je fais miennes les observations de l'avocat de General Tire suivant lesquelles les affidavits complémentaires n'ajoutent rien d'appréciable à la preuve déjà versée au dossier.

[36]      Dans l'affidavit qu'il a souscrit le 17 décembre 1996, Michel Savard a soumis à la Cour une série d'autres enregistrements de marques Michelin qui comportent la lettre X. Il a également versé au dossier des exemples de publicités de Michelin qui ne diffèrent pas en substance de celles qui avaient déjà été portées à la connaissance de la Cour. Dans son affidavit, M. Savard attribue des chiffres de ventes à certaines des marques soumises à l'examen de la Cour. La preuve soumise au registraire ne comportait pas de ventilation des chiffres de ventes de marques déterminées. Ces éléments de preuve visent à démontrer que les marques ont été utilisées dans le commerce, ce qui a déjà été établi par les éléments de preuve relatifs aux chiffres de ventes de l'ensemble des marques. Finalement, M. Savard précise dans son affidavit le prix de vente des pneus Michelin, qui commencent à 100 $. Dans la mesure où les consommateurs sont présumés faire preuve de plus d'attention lorsqu'il s'agit de distinguer entre des marchandises chères (voir l'arrêt Bagagerie SA c. Bagagerie Willy Ltée, (1992), 45 C.P.R. (3d) 503, aux pages 509 et 510, (1992) 148 N.R. 125), la preuve appuierait l'argument de General Tire suivant lequel aucune confusion ne serait créée dans l'esprit des consommateurs. Ces éléments de preuve ne permettent toutefois pas de conclure que le registraire a commis une erreur lorsqu'on tient compte de tous les autres éléments de preuve.

[37]      L'affidavit de Pascale Goyer établit l'enregistrement des marques de commerce Michelin. Devant le registraire, la question de l'enregistrement n'a pas soulevé de débat, bien que le registraire ait formulé des observations sur la façon dont la preuve de l'enregistrement devrait être faite.

[38]      Dans son affidavit, Régent Gaudreau a fourni les renseignements les plus récents au sujet de l'état du registre en ce qui concerne les enregistrements portés à l'attention de la Cour par l'un des déposants de General Tire. Il en ressort que certaines marques ont été radiées ou annulées. Bien qu'il s'agisse là d'un fait nouveau, cet élément n'est pas important, étant donné que le registraire n'était pas disposé à tenir compte des éléments de preuve relatifs à l'état du registre, compte tenu du nombre peu élevé d'enregistrements. Quant aux éléments de preuve relatifs au transfert d'une marque de commerce d'Uniroyal à Michelin Recherche et Technique S.A., ils ne sont d'aucun secours pour Michelin, étant donné que la question soumise au registraire était celle de la confusion entre les marchandises de l'intimée (et non les marchandises d'une autre compagnie) et celles de l'appelante.

[39]      Dans son affidavit, Robert Hiebel explique les rapports qui existaient entre Uniroyal, le groupe Michelin et Canadian Tire et qui se sont traduits par la conclusion d'une entente aux termes de laquelle Canadian Tire était autorisée à utiliser certaines appellations comportant un X en vertu d'une licence concédée par Michelin. Cet élément ne change en rien les éléments de preuve déjà présentés au sujet de l'emploi, avant 1993, de marques de commerce incorporant la lettre X par Uniroyal et Canadian Tire.

[40]      Tout bien pesé, il m'est impossible de trouver dans les affidavits qui ont été déposés depuis le prononcé de la décision du registraire des éléments qui me justifieraient de considérer le présent appel comme une nouvelle audience et de reprendre l'affaire depuis le début.

[41]      Quant à la question de la confusion en général, le raisonnement qu'a suivi le registraire et l'analyse qu'il a faite des facteurs dont il faut tenir compte aux termes du paragraphe 6(5) de la Loi me paraissent irréprochables.

[42]      Plus particulièrement, en ce qui concerne les éléments de preuve relatifs aux circonstances de l'espèce, Michelin soutient que le registraire a commis une erreur en concluant qu'au moins une autre entreprise vend au Canada des pneus incorporant la lettre X. Il s'agit d'Uniroyal Goodrich Tire Company. M. Gaudreau affirme, dans son affidavit, qu'Uniroyal emploie les marques XLM en vertu de la licence que lui a octroyée Michelin Recherche et Technique S.A. Cela ne change en rien les éléments de preuve relatifs à l'emploi de la marque TIGER PAW XTM par Uniroyal Goodrich Tire Company, lequel emploi demeure un emploi par une entité qui ne fait pas partie du groupe Michelin. Les éléments de preuve relatifs à un emploi par une autre entité que Michelin avant 1993 demeurent incontestés.

[43]      Pour ce qui est des éléments de preuve relatifs à la confusion réelle ou à l'absence de tels éléments de preuve, Michelin affirme que le fait de tenir compte de l'absence de confusion réelle constitue une erreur. Elle s'appuie pour ce faire sur l'arrêt Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., précité, de la Cour d'appel fédérale. À mon avis, cet arrêt n'appuie pas la proposition avancée par Michelin. Dans cette affaire, le débat portait sur la question de savoir si la marque de commerce MR. SUBMARINE de l'appelante était contrefaite par l'utilisation par l'intimée des marques MR. SUBS'N PIZZA et MR. 29 MIN. SUBS'N PIZZA. Une des conclusions de fait tirées par le juge de première instance était qu'au cours des dix ans pendant lesquels les marques avaient été employées dans la même région, aucun cas de confusion réelle n'avait été signalé.

[44]      La Cour d'appel fédérale a mentionné à deux reprises l'absence de preuve de confusion. À la page 9 [à la page 99 du recueil C.F.], le juge en chef Thurlow fait remarquer que « [s]auf en ce qui concerne l'absence d'une preuve de confusion réelle, j'estime que la critique par l'appelante des motifs du juge de première instance est justifiée » . On peut en conclure que la conclusion du juge de première instance au sujet de l'absence de preuve de confusion réelle était irréprochable. Le second passage qui nous intéresse se trouve à la page 14 [à la page 105 du recueil C.F.] :


     Compte tenu des circonstances révélées, j'arrive à la conclusion, et ce malgré le fait important, mentionné par le juge de première instance, que, dans les dix années d'exploitation des deux entreprises dans la région de Dartmouth, antérieurement à l'instruction de l'action, aucun cas de confusion réelle ne s'était révélé, que l'emploi par l'intimée de ses marques de commerce ou noms commerciaux Mr. SUBS'N PIZZA et MR. 29 MIN. SUBS'N PIZZA et l'emploi de la marque MR. SUBMARINE par l'appelante dans la même région sont susceptibles de faire conclure que les marchandises et services de l'intimée sont vendus ou exécutés par la même personne que ceux vendus par l'appelante.

[45]      L'absence de preuve de confusion réelle est qualifiée de « fait important » . Cette caractérisation ne suggère pas que c'est un fait dont on ne devrait pas tenir compte. La conclusion de confusion que la Cour d'appel fédérale a tirée malgré l'absence de preuve de confusion réelle sert uniquement à démontrer que ce facteur n'est pas déterminant, ce qu'admet le registraire. Il était loisible au registraire de tenir compte du fait objectif que constituait l'absence de preuve de confusion réelle.

[46]      Le registraire a également conclu que les deux parties avaient tendance à employer leurs marques comme marques secondaires conjointement avec leurs marques principales, MICHELIN et GENERAL TIRE. Michelin a raison d'affirmer que la protection conférée par l'enregistrement ne se limite pas à un emploi déterminé, de sorte que Michelin aurait parfaitement le droit d'employer à son gré ses marques X enregistrées. Il s'agit là d'un aspect intrinsèque du monopole conféré par l'enregistrement de la marque. L'idée d'une marque de commerce secondaire dont l'emploi se limite à son association à une marque mieux connue semble donc dépourvue de tout fondement. La protection conférée par l'enregistrement vaut pour toutes les marques de commerce, indépendamment de la façon dont elles sont effectivement employées, étant donné que le mode d'utilisation peut varier (voir la décision Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., précitée). En conséquence, toute allégation qu'une marque de commerce ne crée pas de la confusion en raison de la façon dont elle est employée est vouée à l'échec, étant donné que la marque est quand même protégée, même si la façon dont elle est utilisée varie.

[47]      Ceci étant dit, lorsqu'une marque est composée uniquement de lettres ou de lettres et de chiffres, qui sont disposés de manière à suggérer un numéro de modèle ou [TRADUCTION] « un genre de code qui pourrait permettre de reconnaître les caractéristiques de la marchandise type » , il se peut que les risques de confusion dans l'esprit des consommateurs soient moins élevées. Il arrive fréquemment que les numéros de modèles et les codes de produits soient des combinaisons de chiffres et de lettres et que les petites différences revêtent une grande importance. Les consommateurs peuvent fort bien faire preuve de plus d'attention lorsqu'ils ont affaire à ce genre de marques qu'ils ne le feraient dans le cas de marques qui décrivent mieux les marchandises auxquelles elles sont associées.

[48]      Le passage suivant du jugement GSW Ltd. c. Great West Steel Industries Ltd. et al., (1975), 22 C.P.R. (2d) 154, a été rédigé dans le contexte de l'utilisation d'initiales comme marque de commerce, mais il nous est utile en l'espèce.

     En bref, lorsqu'un commerçant s'approprie des lettres de l'alphabet comme dessin-marque sans autre signe distinctif et tente d'empêcher d'autres commerçants de faire de même, la protection à donner à ce commerçant doit être plus réduite que dans le cas d'une marque de commerce unique et des différences relativement minimes suffisent à éviter la confusion. On s'attend normalement, dans ces circonstances, à ce que le public manifeste beaucoup plus de discernement.


[49]      Qui plus est, comme un numéro de modèle ou un code de produit est choisi par le fabricant des marchandises auxquelles les marques sont associées, les consommateurs peuvent fort bien rechercher une marque qui identifie plus clairement le fabricant. C'est cette tendance à renvoyer à une autre marque qui pourrait justifier l'emploi de l'expression « marque secondaire » , non pas parce que le commerçant ne pouvait pas employer la marque originale sans adjonction, mais parce que la nature même de la marque fait en sorte que les consommateurs recherchent des indices plus clairs au sujet de la provenance des marchandises. Le fait que les marques X de l'appelante soient toujours employées en liaison avec la marque Michelin pourrait être considéré comme une reconnaissance de cette tendance.

[50]      En conséquence, je ne considère pas que le registraire faisait référence à un mode d'emploi qui évitait la confusion quand il a mentionné les marques secondaires -- une conclusion qui serait injustifiée -- , j'y vois plutôt une reconnaissance du fait qu'en raison de la nature des marques de l'appelante et de l'intimée, les consommateurs rechercheront une identification plus claire de la provenance des marchandises, étant donné que les marques elles-mêmes suggèrent davantage un modèle déterminé de pneu que la provenance même du pneu.

[51]      Finalement, les marques AMERI XL 4 & DESSIN et AMERI WAY XT & DESSIN se distinguent des marques de l'appelante en raison de l'utilisation du préfixe AMERI. L'appelante reconnaît elle-même que c'est l'utilisation de la lettre X (X étant le premier élément de la marque) qui tend à créer de la confusion, étant donné que le premier élément d'une marque saute davantage aux yeux du consommateur que ses éléments subséquents. Si tel est le cas -- et la jurisprudence va dans ce sens --, les marques AMERI XL 4 & DESSIN et AMERI WAY XT & DESSIN seraient moins susceptibles de créer de la confusion que les autres marques dont l'appelante demande l'enregistrement.

[52]      Par ces motifs, je ne crois pas que le registraire a commis une erreur ou qu'il ne s'est pas fondé sur le bon principe. Pour cette raison, l'appel sera rejeté avec dépens, lesquels devront être liquidés.


ORDONNANCE

     Pour les motifs exposés, l'appel est rejeté avec dépens, lesquels devront être liquidés.





     « J.D. Denis Pelletier »

     Juge


Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.