Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041104

Dossier : T-754-01

Référence : 2004 CF 1560

ENTRE :

                                                    BAUER NIKE HOCKEY INC.

                                                                                                                                   demanderesse/

                                                                                                       défenderesse reconventionnelle

                                                                             et

                                                                 PAUL REGAN

                                                                             

                                                                                                                                          défendeur/

                                                                                                              demandeur reconventionnel

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:

[1]                Il s'agit en l'espèce d'une requête de la demanderesse et défenderesse reconventionnelle (la demanderesse) afin que soit tranchées en sa faveur une série de questions (au total de 130, ci-après la Liste), que la demanderesse a fait parvenir au défendeur et demandeur reconventionnel (le défendeur).


Contexte

[2]                Le défendeur est l'inventeur et le propriétaire du brevet canadien no 2219072 (le brevet 072), qui a été délivré le 22 août 2000. L'invention révélée dans le brevet 072 est un maillot de hockey muni d'un protège-poignet et d'un protège-cou intégrés, ce qui permet au joueur de hockey de s'habiller et de se déshabiller plus rapidement et simplifie l'entretien et le rangement des vêtements de hockey et des dispositifs de protection.

[3]                La demanderesse fabrique et vend apparemment des produits qui comportent certains éléments et certaines caractéristiques de l'invention révélée par le brevet 072.

[4]                La demanderesse a signifié au défendeur une déclaration d'action dans laquelle elle sollicite notamment les réparations suivantes :

a)          un jugement déclarant que les produits de la demanderesse ne contrefont pas les revendications du brevet 072;

b)          un jugement déclarant invalides certaines des revendications du brevet 072.

[5]                Le défendeur rejette cette prétention, et il allègue dans une demande reconventionnelle que trois des produits de la demanderesse contrefont le brevet.


Analyse

[6]                Cette requête de la demanderesse se doit d'être rejetée pour des questions de fond ainsi qu'en raison du caractère tardif de cette requête. C'est ce dernier motif qu'il convient d'aborder dans un premier temps.

[7]                L'idée que la demanderesse fasse parvenir la Liste au défendeur a pris naissance en quelque sorte, en premier lieu, lors de l'interrogatoire au préalable du défendeur les 7 et 8 avril 2003, puis lors de discussions entre les parties entourant l'audition le 8 octobre 2003 de requêtes portant sur des questions non répondues lors de l'interrogatoire au préalable d'avril 2003. Il appert qu'il fut convenu alors que les questions présentement en litige à la Liste ne seraient pas abordées en avril ou octobre 2003 mais feraient l'objet d'une liste de questions, sous réserve du droit du défendeur d'y répondre ou non et, en corollaire, du droit de la demanderesse de présenter une requête pour que soient tranchées en sa faveur lesdites questions.

[8]                La liste a été envoyée au défendeur vers la fin novembre 2003.

[9]                Par la suite, la demanderesse a pressé à plusieurs reprises (soit de novembre 2003 à avril 2004) le défendeur à prendre position quant à la Liste.

[10]            Il est vrai que le défendeur a pris un certain temps à faire connaître sa position, mais, néanmoins, le 5 mai 2004 la demanderesse était avisée que le défendeur n'entendait pas répondre aux questions listées par la demanderesse. Le 7 mai 2004, la demanderesse avisait le défendeur qu'elle allait lui revenir à courte échéance (shortly) quant à ce refus du défendeur.

[11]            La demanderesse ne manifestera réellement sa position que le 24 août 2004 par la signification de la requête à l'étude.

[12]            Toutefois, dans l'intervalle, une ordonnance modifiant l'échéancier quant aux étapes restant à compléter dans le dossier fut émise le 25 mai 2004 suite à une requête de la demanderesse. Cette ordonnance se lit comme suit :

                                                                 ORDER

Upon motion by the Plaintiff/Defendant by Counterclaim under Rule 369 of the Federal Court Rules, 1998, and upon reading the Consent of the solicitors for the parties;

IT IS HEREBY ORDERED that:

1.              Paragraph 2 of the Order of Mr. Morneau dated October 28, 2003, as amended pursuant to the Order of Mr. Morneau dated January 22, 2004, is further amended as follows:

Paragraphs 9, 10, 11 and 12 of the Order of the Court dated December 17, 2002, regarding the timetable for the completion of steps in this action shall be replaced by the following paragraphs:

9.              Follow up examinations of both parties shall be completed no later than June 30, 2004;

10.            Settlement discussions shall be completed no later than July 31, 2004;

11.            Bauer shall file a requisition for pre-trial conference no later than August 15, 2004;


12.            The deadlines noted in this Order are extendable, by up to two weeks, by mutual consent of the parties and upon written notice being provided to the Court.

2.              Parties and counsel shall note that the above extension shall be considered final unless special circumstances are evidenced.

3.              There shall be no costs of this motion.

[13]            Tel qu'on le constate à l'économie de cette ordonnance du 25 mai 2004, la demanderesse n'a pas cherché à faire inscrire alors à cette ordonnance (ou même par la suite dans les jours suivants par une demande de modification de l'ordonnance) la possibilité de faire trancher par requête le refus du défendeur quant à la Liste, et ce, bien que ce refus était connu depuis à tout le moins le 7 mai 2004. Au contraire, la seule étape pertinente prévue à ladite ordonnance est celle touchant simplement la poursuite des interrogatoires des parties. De fait, l'interrogatoire du défendeur s'est poursuivi le 14 juin 2004 et il ne semble pas alors, de plus, que la Liste et le refus du défendeur à son égard furent abordés.

[14]            Ce n'est donc que lors de la signification de la requête présentement à l'étude que la demanderesse a ravivé son intérêt quant à la Liste. Cette requête fut produite à la toute fin de l'échéancier contenu à l'ordonnance du 25 mai 2004 alors que la Cour avait pris grand soin d'indiquer de façon claire à cette ordonnance que l'échéancier contenu à cette ordonnance du 25 mai 2004 était final sauf circonstances spéciales.


[15]            On doit donc conclure face à cet historique que la requête de la demanderesse est tardive et vient bouleverser l'échéancier qui tient entre les parties depuis et de par l'ordonnance du 25 mai 2004. Ces motifs seraient à mes yeux de gestionnaire de l'instance suffisants pour rejeter la requête de la demanderesse.

[16]            Dans cet ordre d'idées, il semble que la Cour d'appel fédérale reconnaisse que le responsable de la gestion d'une instance « jouit d'une discrétion assez vaste » pour faire avancer un dossier puisque dans l'arrêt Sawridge Band v. Canada, [2001] F.C.J. No. 1684, au paragraphe 11, elle adopte la position suivante exprimée par la Cour d'appel de l'Alberta:

We would take this opportunity to state the position of this Court on appeals from orders of case management judges. Case management judges must be given latitude to manage cases. This Court will interfere only in the clearest case of a misuse of judicial discretion. This approach was well stated by the Alberta Court of Appeal in Korte v. Deloitte, Haskins and Sells (1995), 36 Alta. L.R. (3d) 56, at 58, and is applicable in these appeals. We adopt these words as our own.

[...] This is a very complicated lawsuit. It is the subject of case management and has been since 1993. The orders made here are discretionary. We have said before, and we repeat, that case management judges in those complex matters must be given some "elbow room" to resolve endless interlocutory matters and to move these cases on to trial. In some cases, the case management judge will have to be innovative to avoid having the case bog down in a morass of technical matters. Only in the clearest cases of misuse of judicial discretion will we interfere. [...]

(Voir également la décision du juge Gibson dans Microfibres Inc. v. Annabel Canada Inc. et al., 2001 FCT 1336, décision du 5 décembre 2001.)

[17]            Toutefois, advenant que l'on doive considérer que la requête à l'étude de la demanderesse n'est pas irrecevable pour les motifs qui précèdent, je considère pour les motifs qui suivent et qui touchent au mérite de cette requête que cette dernière doit également être rejetée.

[18]            La Liste fut divisée par la demanderesse en deux grandes catégories, A et B, et c'est sur la base des titres accordés à ces deux catégories que les parties ont abordé la présente requête. C'est donc en fonction de cette approche que l'analyse suivante est tenue.

[19]            Quant à la catégorie A, elle porte sur des questions touchant les produits du défendeur. En l'espèce, il faut toutefois se rappeler que ce sont les produits de la demanderesse et non ceux du défendeur qui font l'objet de reproches en contrefaçon.

[20]            Dans un premier temps, il est bien reconnu qu'il est impertinent dans une telle dynamique d'interroger le défendeur quant à ses produits. Ce sont les produits de la demanderesse qui importent quant à la contrefaçon alléguée par le défendeur et le brevet de ce dernier quant à la validité de ce brevet (voir, entre autres, l'arrêt Lapierre v. Echochem International Inc., [2002] A.C.F. no 839).

[21]            D'autre part, bien que le défendeur soit l'inventeur du brevet en litige et qu'il possède également plusieurs années d'expérience dans le domaine de l'équipement de hockey, il m'apparaît que l'exercice ultime que la demanderesse cherche à faire jouer au défendeur de par ses questions dépasse la simple identification de termes techniques et tombe plutôt indirectement dans l'interprétation du brevet en litige; rôle qui ne revient pas au défendeur qui n'est pas interrogé comme expert.

[22]            Pour ces motifs, les questions de la catégorie A à la Liste n'ont pas à recevoir une réponse.

[23]            Quant à la catégorie B, les questions y listées portent sur les produits de la demanderesse que le défendeur dans sa demande reconventionnelle allègue contrevenir à son brevet. Il est reconnu en principe, comme ce fut le cas dans l'affaire Leithiser et al. v. Pengo Hydra Pull of Canada Limited (décision du juge Heald du 29 juin 1972, dossier T-1738-71), que le défendeur aurait pu être requis d'élaborer sur les faits matériels soutenant ses allégations de contrefaçon. Tel que le révèlent les passages suivants dans Leithiser, c'est uniquement cela et rien de plus que la Cour a enjoint le demandeur d'accomplir alors :

On this examination for discovery, defendant sought to ask the plaintiff, George Leithiser, who is also the licensee of the plaintiffs' Canadian patent, the devices in the defendant's machines which, it is alleged, incorporate certain features of the various claims in the plaintiffs' patents.

[....]

I believe also that counsel for the defendant is entitled to discovery on the particulars of infringement and that is what he is seeking to establish by this line of questioning. It is not sufficient for the plaintiffs to say that their patent claim is infringed; the defendant is entitled to full particulars of the alleged infringement (see Dow Chemical Co. v. Kayson (1967) 1 Ex. C.R. 71).

[Non souligné dans l'original.]


[24]            Ici, ce type ou degré de précisions n'est pas ce que recherche la demanderesse par ses questions. Il serait étonnant qu'elle ait besoin de précisions de la nature de celles octroyées dans l'affaire Leithiser puisqu'elle-même a pris action soutenant que ses produits ne contreviennent pas au brevet en litige. La demanderesse est donc elle-même capable de comparer ses produits au brevet en litige.

[25]            Par la catégorie B, la demanderesse cherche indirectement une interprétation du brevet en litige puisque ses questions collent de très près au libellé employé aux revendications dudit brevet. Or, il est bien connu qu'une telle interprétation ne peut être recherchée lors de l'interrogatoire au préalable d'une partie ou de son représentant.

[26]            Pour tous ces motifs, cette requête de la demanderesse sera rejetée avec dépens.

[27]            La demanderesse devra signifier et produire sa demande de conférence préparatoire dans les quinze (15) jours de la date de l'ordonnance accompagnant les présents motifs.

Richard Morneau

protonotaire

Montréal (Québec)

le 4 novembre 2004


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :


T-754-01

BAUER NIKE HOCKEY INC.

                                                                    demanderesse/

                                           défenderesse reconventionnelle

et

PAUL REGAN

                                                                          défendeur/

                                                 demandeur reconventionnel


LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal et Toronto, par vidéo-conférence

DATE DE L'AUDIENCE :                25 octobre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Me Richard Morneau, protonotaire

DATE DES MOTIFS :                       4 novembre 2004

ONT COMPARU:


Me François Guay

pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle

Me Gregory A. Piasetzki

Me Sam El-Khazen

pour le défendeur/demandeur reconventionnel


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Smart & Biggar

Ottawa (Ontario)

pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle

Piasetzki & Nenniger

Toronto (Ontario)

pour le défendeur/demandeur reconventionnel


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.