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Date : 19990506


Dossier : IMM-2316-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 6 MAI 1999.

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE EVANS                     

ENTRE :

     MYLVAGANAM RAWINDRARAJ,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


John M. Evans

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme :

Laurier Parenteau


Date : 19990506


Dossier : IMM-2316-98

ENTRE :

     MYLVAGANAM RAWINDRARAJ,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS :

A.      Introduction

[1]      Le demandeur, Mylvaganam Rawindraraj, est un Tamoul originaire de Batticaloa dans l'est du Sri Lanka. Il était propriétaire d'une entreprise de soudure à cet endroit. À son arrivée au Canada, il a demandé le statut de réfugié au motif qu'il avait raison de croire qu'il serait persécuté du fait de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social donné, savoir les Tamouls de Batticaloa.

[2]      À ses dires, il aurait été l'objet de pressions et de menaces de mort de la part des Tigres tamouls à Batticaloa, pour avoir refusé de se rendre à leur demande de leur fabriquer des armes dans son atelier de soudure. Il a aussi témoigné qu'il avait été arrêté, emprisonné et battu par des soldats de l'armée sri lankaise qui le soupçonnaient d'avoir fourni des armes aux terroristes. La Section du statut a rejeté sa demande pour défaut de vraisemblance. Elle a trouvé que les parties de son témoignage allant au coeur de sa réclamation de statut de réfugié n'étaient pas plausibles.

B.      Questions et analyse

[3]      Dans sa demande de contrôle judiciaire, l'avocat du demandeur a cherché à mettre en cause la conclusion de la Section du statut quant à la crédibilité du demandeur. Il est abondamment clair que les conclusions de faits sont au coeur même de la compétence spécialisée de la Section du statut et que, lors d'une demande de contrôle, la Cour doit être convaincue avant d'intervenir que le tribunal a tiré ses conclusions de façon déraisonnable, sans tenir compte de la preuve, ou de façon contraire à la loi. De plus, comme la Section du statut répartit les affaires à entendre sur une base géographique, le comité qui a rejeté la requête du demandeur avait une connaissance approfondie des demandes de statut de réfugié présentées par des citoyens du Sri Lanka.

[4]      Je vais examiner les quatre fondements de la conclusion de la Section du statut, portant que le témoignage du demandeur était mensonger et que sa demande de statut de réfugié n'était pas fondée.

i)      La persécution par les Tigres tamouls

[5]      Tout d'abord, la Section du statut n'a pas ajouté foi à la déclaration du demandeur que les Tigres tamouls lui avaient rendu visite à deux occasions dans le but d'obtenir sa coopération et l'usage de son équipement de soudure dans la production d'armes à leur usage, et que se voyant opposer un refus ils auraient quitté en lui déclarant qu'il serait tué s'il continuait à refuser d'obtempérer lors d'une prochaine visite. Le comité a fait le raisonnement suivant :

     [traduction]

     Les Tigres sont beaucoup plus brutaux. [pièce 1, bulletin no 12]         
     Ils ont pratiqué des exécutions publiques, des massacres,         
     la conscription des enfants et l'enlèvement.         

[6]      L'avocat du demandeur a présenté deux arguments au sujet de cette conclusion. Premièrement, il a déclaré que la Section du statut n'avait pas à sa disposition le bulletin no 12, document sur lequel ils ont déclaré s'appuyer pour conclure que les Tigres étaient trop brutaux pour qu'il soit crédible qu'ils quittent sans rien obtenir à deux occasions, se limitant à avertir le demandeur qu'il serait tué s'il continuait à refuser d'obtempérer à leurs demandes. Il a donc plaidé, par conséquent, que le comité est arrivé à cette conclusion sans tenir compte de la preuve devant lui, ou sans respecter le devoir d'équité, le demandeur ne s'étant pas vu accorder la possibilité de présenter un point de vue contraire.

[7]      Il a aussi plaidé que la brutalité excessive des Tigres tamouls n'était pas un fait que le comité pourrait admettre d'office. Comme la Section du statut n'avait pas donné au préalable l'avis d'intention prévu au paragraphe 68(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, de se fonder sur le contenu du bulletin no 12, elle ne pouvait s'appuyer sur le paragraphe 68(4) pour prendre en compte la brutalité des Tigres tamouls à titre de renseignements qui sont du ressort de sa spécialisation.

[8]      À mon avis, même si le demandeur a raison à ce sujet, l'erreur qu'aurait commise la Section du statut n'a aucun impact sur sa conclusion de vraisemblance. En effet, la Section du statut pouvait raisonnablement déduire de la preuve des massacres, exécutions publiques, enlèvements et conscription des enfants par les Tigres, que ces derniers étaient d'une brutalité excessive.

[9]      L'avocat du demandeur a cherché à mettre cette conclusion en cause en plaidant que les faits précités ne se sont pas produits dans la partie est du Sri Lanka, où les combats n'ont pas été aussi violents, et qu'ils ne visaient pas les Tamouls, sauf ceux qui étaient considérés comme des traîtres. Le comité n'avait à sa disposition qu'une preuve de nature générale, et non la preuve que dans la région est les Tigres avaient tué sans avertissement les Tamouls qui ne se rendaient pas à leurs exigences. Au contraire, la preuve documentaire citait des cas où les Tigres avaient donné un avertissement avant d'attaquer.

[10]      Cet argument ne me convainc pas, du fait qu'il m'amènerait à examiner la preuve devant la Section du statut de façon beaucoup trop détaillée. Ceci serait peu approprié, étant donné le rôle résiduel de la Cour face aux conclusions du comité quant à la crédibilité d'un demandeur. En d'autres mots, le demandeur ne m'a pas convaincu que la conclusion de la Section du statut quant au caractère non plausible des témoignages sur le modus operandi des Tigres n'était pas une conclusion raisonnable.

ii)      Emprisonnement par l'armée

[11]      Deuxièmement, la Section du statut n'a pas considéré plausible la déclaration du demandeur que lui et ses employés avaient été arrêtés, emprisonnés et battus par des soldats de l'armée du Sri Lanka après la deuxième visite des Tigres, parce qu'ils étaient soupçonnés de fabriquer des armes pour les terroristes. Le demandeur a témoigné qu'il avait été relâché deux jours après son arrestation, alors que ses employés étaient restés en prison.

[12]      Le comité a conclu qu'il n'était pas plausible que les soldats relâchent le demandeur, qui était le principal suspect en tant que propriétaire de l'entreprise de soudure, alors qu'ils retenaient ses employés. Lorsque le comité a fait valoir ce point de vue au demandeur, ce dernier n'a pu offrir aucune explication.

[13]      L'avocat du demandeur a présenté deux arguments quant à cette conclusion. Premièrement, il a plaidé que comme le demandeur ne pouvait connaître les motifs des agissements des soldats, la Section du statut avait commis une erreur de droit en considérant que son défaut de répondre avait un impact négatif sur sa crédibilité.

[14]      Cet argument ne me convainc pas. En posant cette question au demandeur, le comité a simplement voulu lui donner l'occasion de clarifier une partie de son témoignage qui semblait non plausible à ses yeux. La conclusion négative quant à la crédibilité du demandeur était fondée sur son témoignage antérieur que les soldats l'avaient relâché alors qu'ils gardaient ses employés en prison, et non sur le fait qu'il n'avait pu donner une réponse satisfaisante à ce sujet. Il me semble que le comité aurait été plus critiquable s'il n'avait pas exprimé ses réserves à ce sujet, ne laissant ainsi aucune chance au demandeur de donner une certaine crédibilité à la partie de son témoignage mise en cause par les membres du comité.

[15]      L'avocat du demandeur a fait valoir qu'il pouvait y avoir d'autres raisons pour que les employés restent en prison longtemps après que le demandeur eut été relâché. À titre d'exemple, il a fait valoir que les jeunes Tamouls pouvaient être considérés par les soldats comme plus susceptibles d'être complices des Tigres que le demandeur, un homme d'affaires dans la quarantaine. Cet argument est hautement spéculatif et je ne peux m'y arrêter.

[16]      Au vu de la preuve dont elle était saisie, la Section du statut n'a pas agi de façon déraisonnable en concluant que le témoignage du demandeur au sujet de l'arrestation et de l'emprisonnement de lui-même et de ses employés n'était pas plausible. Quant à savoir si cette conclusion est la bonne, il s'agit d'une toute autre question dont cette Cour n'a pas à se préoccuper dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

iii)      La carte nationale d'identité

[17]      Troisièmement, la Section du statut n'a pas trouvé plausible que le demandeur ait pu traverser plusieurs contrôles militaires entre Batticaloa et Colombo alors qu'il n'avait sur lui qu'une carte nationale d'identité délivrée en 1974, et qu'il n'était pas détenteur d'un laissez-passer délivré par l'armée.

[18]      La Section du statut est arrivée à cette conclusion en se fondant sur la preuve qui démontre que les cartes nationales d'identité du Sri Lanka expirent après 10 ans et qu'en conséquence, le demandeur n'aurait pas été autorisé par l'armée à se déplacer jusqu'à Colombo en 1996 avec une carte nationale d'identité expirée depuis 1984.

[19]      La preuve documentaire sur cette question provient du gouvernement du Sri Lanka et du Refugee Council, un organisme non gouvernemental dont le siège social est au Royaume-Uni. Toutefois, d'autres éléments de preuve portaient que la carte du demandeur n'aurait pas eu de date d'expiration. Ce témoignage a été apporté par un travailleur communautaire de Montréal qui est impliqué dans le milieu des réfugiés en provenance du Sri Lanka, ainsi que par le Haut commissariat du Canada à Colombo.

[20]      Je ne suis pas convaincu que la Section du statut a commis une erreur de droit en choisissant sa preuve, non plus qu'en n'expliquant pas sa conclusion, au vu des sources de ladite preuve et du fait qu'elle ne portait que sur l'un de plusieurs fondements de la conclusion de la Section du statut quant au manque de crédibilité.

[21]      L'avocat du demandeur s'est aussi appuyé sur le fait qu'après l'audition, la Section du statut avait demandé des renseignements sur la période de validité des cartes nationales d'identité et, comme elle n'avait par reçu les renseignements demandés dans un délai utile, elle avait pris sa décision sur le dossier.

[22]      L'avocat du demandeur a plaidé que ce faisant, le devoir d'équité envers ce dernier avait été enfreint par la Section du statut parce qu'il n'avait pas eu l'occasion de réagir à l'information que cette dernière aurait obtenue si elle avait attendu plus longtemps.

[23]      Cet argument est sans fondement. La Section du statut a fondé sa décision sur la preuve qui lui était présentée, preuve à laquelle le demandeur avait bien évidemment eu amplement l'occasion de réagir. Si le comité a jugé que l'avantage potentiel d'obtenir plus de renseignements quant à la validité de la carte nationale d'identité était moins important que le coût d'attendre plus longtemps pour prendre une décision, c'est là une question qu'il est en droit de décider en tant que maître de sa propre procédure.

[24]      Finalement, l'avocat du demandeur a plaidé que le comité a commis une erreur de droit en fondant sa conclusion quant à l'absence de crédibilité au moins partiellement sur le fait que le demandeur a témoigné avoir été autorisé à traverser les contrôles de l'armée alors qu'il n'était pas détenteur d'un laissez-passer de l'armée lui permettant de voyager. La seule preuve présentée à la Section du statut sur le besoin d'être détenteur d'un laissez-passer de l'armée portait sur des déplacements à Colombo à partir du nord du Sri Lanka et non à partir de l'est. À mon avis, comme aucune preuve ne porte spécifiquement sur cette question, je suis d'avis que la déduction faite par le comité au vu de la preuve, savoir que des laissez-passer étaient aussi nécessaires pour voyager à partir de Batticaloa, n'était pas déraisonnable.

iv)      Vente des propriétés et de l'entreprise

[25]      Quatrièmement, la Section du statut a conclu qu'il n'était pas plausible que le demandeur ait pu vendre ses propriétés et son entreprise de soudure à Batticaloa alors qu'il se trouvait lui-même à Colombo, et ce presque tout de suite après avoir donné instruction à sa femme de procéder à la vente. La Section du statut a conclu que plusieurs aspects du témoignage du demandeur au sujet de cette transaction jetaient un doute sérieux sur sa véracité.

[26]      Par exemple, à un moment le demandeur a déclaré que la vente avait été effectuée trois jours après qu'il eut donné ses instructions, alors qu'à un autre moment la vente semblait avoir été faite un jour seulement après ses instructions. Lorsque la Section du statut a demandé comment cette vente avait pu se faire alors que le demandeur n'était pas présent pour signer les contrats de vente, le demandeur a déclaré, lorsque l'audience a repris après un ajournement, que la propriété appartenait à son épouse. Or, il n'avait jamais mentionné ce fait.

[27]      Le demandeur a déclaré qu'il était seulement le propriétaire enregistré de l'entreprise, qu'il a vendue telle quelle sans aucune documentation formelle. Le comité a aussi trouvé étrange qu'on puisse vendre aussi rapidement une entreprise qui avait attiré l'attention des Tigres tamouls. L'explication du demandeur portant que les propriétés avaient été acquises à des fins résidentielles à un très bon prix n'était pas clairement appuyée par la preuve.

[28]      En écoutant l'avocat du demandeur alors qu'il cherchait à justifier ces incohérences, ainsi que certains autres aspects peu satisfaisants de la preuve concernant cette transaction, j'en suis arrivé à la conclusion que quelle que soit la validité de la conclusion de la Section du statut que cette preuve n'était pas plausible, il est clair qu'elle était raisonnable.

C.      Conclusion

[29]      La conclusion de la Section du statut que le témoignage du demandeur, soit au cas par cas ou, encore plus, dans son ensemble, n'était pas crédible du fait des aspects non plausibles susmentionnés, était une conclusion raisonnable. La décision de ne pas accorder le statut de réfugié au demandeur ne constitue donc pas une erreur de droit.

[30]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

OTTAWA (ONTARIO)                          John M. Evans

    

Le 6 mai 1999                                  J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme :

Laurier Parenteau

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


NOM DES AVOCATS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-2316-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      MYLVAGANAM RAWINDRARAJ c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 28 avril 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE EVANS

EN DATE DU :              6 mai 1999

ONT COMPARU :

M. Mylvaganam Inparajah                  POUR LE DEMANDEUR

M. Michael Beggs                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Mylvaganam Inparajah                  POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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