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Date : 20000405

Dossier : IMM-3149-99

ENTRE :

                                         AI JING DING,

                                                                                         demandeur,

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                          défendeur.

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]    Après avoir conclu que le demandeur s'était désisté de sa revendication du statut de réfugié, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « CISR » ) a refusé de rouvrir le dossier. La Cour est saisie en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire visant cette décision.


A. Contexte

[2]    Le 20 mai 1999, la CISR a tenu une audience sur le désistement du demandeur de sa revendication du statut de réfugié. Selon la transcription, le président de l'audience a dit ce qui suit :

[Traduction]Le demandeur Ai Jing Ding n'est pas présent. Le tribunal constate, à l'examen du dossier, que l'avocat du demandeur est Shelly Levine. Toutefois, il ne dispose pas non plus de renseignements au sujet de ce dernier, qui est également absent.

L'objet de l'audience tenue aujourd'hui est de déterminer le motif pour lequel le demandeur a omis de remplir puis de remettre son Formulaire de renseignements personnels au plus tard 28 jours après la signification du document. Le formulaire a été signifié le 10 février. Il appert du dossier que le FRP est parvenu au greffe le 7 mai 1999.

Vu l'absence du demandeur, nous ne pouvons déterminer le motif pour lequel il a omis de produire le FRP dans le délai de 28 jours imparti. L'omission du demandeur de le faire au plus tard 28 jours après la signification a amené la CISR à tenir une audience sur le désistement.

Le tribunal constate en outre que le demandeur a été appelé à se présenter à une audience de mise au rôle le 29 mars 1999. Le demandeur a omis de se présenter à cette date. Son absence a également incité le tribunal à tenir une audience sur le désistement.

Encore une fois, à cause de l'absence du demandeur à l'audience qui a lieu aujourd'hui, nous ne pouvons ni demander au demandeur la raison pour laquelle il ne s'est pas présenté à l'audience de mise au rôle ni obtenir quelque renseignement à ce sujet.[1]

[3]    Un avis de désistement daté du 20 mai 1999 a donc confirmé que le demandeur s'était désisté de sa revendication le 12 mai 1999. Le même jour, soit le 20 mai 1999, le demandeur a demandé à la CISR de rouvrir le dossier de sa revendication du statut de réfugié et, à l'appui, il a produit un affidavit portant sa signature et renfermant les données non contestées suivantes :


[Traduction]6. Je suis par ailleurs informé et j'ai tous les motifs de croire que M. Levine [l'avocat du demandeur] a contacté le bureau de la CISR à Montréal le 12 mai 1999, vers 10 heures, pour obtenir des renseignements sur mon dossier.

7.             Je suis informé et j'ai tous les motifs de croire que, après avoir parlé à différents préposés, M. Levine a enfin appris que le commis préposé à mon cas était Mme Aida Carribean.

8.             Je suis informé et j'ai tous les motifs de croire que M. Levine a obtenu le numéro de téléphone permettant de joindre directement Mme Carribean et qu'il lui a laissé un message détaillé dans sa boîte vocale lui demandant de le rappeler le plus tôt possible pour discuter du dossier.

9.             Je suis informé et j'ai tous les motifs de croire que, n'ayant reçu aucune réponse, M. Levine a laissé un deuxième message, avant le début de l'audition de ma demande, afin d'obtenir des précisions sur mon dossier.

10.           Je suis informé et j'ai tous les motifs de croire que M. Levine a finalement pu s'entretenir avec Mme Carribean le 12 mai 1999, vers midi, soit environ 45 minutes avant le début de l'audience.

11.           Je suis par ailleurs informé et j'ai tous les motifs de croire que M. Levine a informé Mme Carribean au téléphone qu'il souhaitait savoir où en était le dossier. Elle lui a dit qu'aucune décision n'avait encore été rendue.

12.           Je suis par ailleurs informé et j'ai tous les motifs de croire que M. Levine a expressément dit à Mme Carribean qu'il était disposé à s'adresser aux commissaires dans le cas où ils souhaiteraient obtenir un complément d'information quant à savoir si je revendiquais toujours le statut de réfugié.

13.           Je suis informé et j'ai tous les motifs de croire que Mme Carribean a dit à M. Levine qu'une décision serait rendue à l'audience sur le désistement et qu'elle le joindrait à son bureau dès qu'elle aurait de nouveaux renseignements.[2]

[4]                L'arbitre a invoqué le motif suivant à l'appui de sa décision de ne pas faire droit à la demande de réouverture[3] :

négligence dans la conduite de la reconsidération (negligence in the conduct of reconsideration)



B. Analyse

[5]                La demande de contrôle judiciaire vise le refus de rouvrir le dossier. Au sujet de la compétence de la CISR de rendre une telle décision, l'extrait suivant des propos du juge Le Dain dans Woldu c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration[4] a été cité avec approbation dans Gill c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[5] :

Nonobstant le principe général confirmé dans Lugano, à savoir qu'en l'absence d'autorisation expresse de la loi, un tribunal administratif n'a pas le pouvoir d'annuler sa propre décision, un courant de jurisprudence suggère que, lorsqu'un tribunal reconnaît n'avoir pas appliqué les règles de justice naturelle, il peut annuler sa décision et réentendre l'affaire. Voir Ridge c. Baldwin [1994] A.C. 40, à la page 79; R. c. Development Appeal Board, Ex Parte Canadian Industries ltd.(1970) 9 D.L.R. (3e) (727), aux pages 731 et 732, et comparer Posluns c. Toronto Stock Exchange [1968] R.C.S. 330, à la page 340.

[6]                Comme la CISR ne peut accueillir une demande de réouverture que s'il y a eu manquement à un principe de justice naturelle, il s'ensuit que l'omission de la CISR de reconnaître l'existence d'un tel manquement lorsqu'il a eu lieu constitue une erreur justifiant un contrôle judiciaire.


[7]                Dans la présente affaire, le tribunal devant lequel a eu lieu l'audience sur le désistement voulait obtenir des réponses à des questions pertinentes, mais aucune réponse ne lui a été fournie. J'arrive à la conclusion que l'absence de toute réponse est imputable à une faille de la procédure d'audition de la CISR, et non au demandeur ou à son conseil.

[8]                À cet égard, le défendeur invoque les propos suivants du juge Hugessen, J.C.A. dans Aubut c. Ministre du Revenu national[6] cités par le juge Joyal dans Perez c. Canada (Solliciteur général)[7] à l'appui de sa prétention voulant qu'il n'y ait pas eu d'entorse à l'application régulière de la loi :

Lorsqu'une partie fait défaut de se présenter devant un Tribunal, il est du devoir de celui-ci de s'enquérir si vraiment elle a été avisée de la date et du lieu de la séance. Mais son devoir ne va pas plus loin. Le Tribunal n'est pas obligé de mener une sorte d'enquête maison pour déterminer les motifs possibles de l'absence. Au contraire, il est en droit de s'attendre à ce que les parties respectent les rendez-vous régulièrement donnés. Si une partie fait défaut de se présenter, c'est à elle et non au Tribunal de faire valoir ses explications ou ses excuses, s'il en est.


[9]                Or, il ne s'agit pas en l'espèce que d'une simple omission du demandeur de se présenter à l'audience sur le désistement. Dans la présente affaire, le conseil du demandeur a informé la CISR, par l'entremise de l'agent d'administration directement responsable du dossier, qu'il pouvait au besoin répondre à des questions. Je conclus que l'omission de communiquer ce fait au tribunal devant lequel se déroulait l'audience sur le désistement, étant donné, plus particulièrement, le voeu exprimé par le président de l'audience d'obtenir des renseignements, a causé un préjudice injustifié au demandeur et, partant, équivaut à une entorse à la justice naturelle.

[10]            J'arrive donc à la conclusion que le refus de la CISR de rouvrir le dossier constitue une erreur ouvrant droit à un contrôle judiciaire.

                                        ORDONNANCE

[11]            Par conséquent, le refus de rouvrir le dossier est annulé et l'affaire est renvoyée à la CISR pour qu'elle réexamine la demande. Les options qui s'offrent à la CISR conformément aux présents motifs consistent à réexaminer soit la question du désistement, soit la revendication du statut de réfugié comme telle.

                                                                            Douglas R. Campbell           

                                                                                                           

                                                                                                     Juge                        

Toronto (Ontario)

5 avril 2000

Traduction certifiée conforme

            

Claire vallée, LL.B.                        


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                Avocats et procureurs inscrits au dossier

No du greffe :                                                                 IMM-3149-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                            AI JING DING c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE LUNDI 3 AVRIL 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE du juge Campbell

en date du mercredi 5 avril 2000.

ONT COMPARU :                                                       Me Shelley Levine

pour le demandeur

Me James Brender

pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :    Levine Associates

Avocats

Bureau 1400

Toronto (Ontario)

M5C 1C3

pour le demandeur

                                  Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                              Date : 20000405

                                                                                                           Dossier : IMM-3149-99

Entre :

AI JING DING,

                                                                                                                                          demandeur,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                            défendeur.

                                                 

MOTIFS DE l'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE

                                                 



     [1]       Dossier du tribunal, p. 52.

     [2]       Dossier du tribunal, pp. 25 à 27.

     [3]       Dossier du tribunal, p. 15.

     [4]       [1978] 2 C.F. 216 (C.A.F.), à la p. 219.

     [5]       [1987] 2 C.F. 425 (C.A.F.).

     [6]       126 N.R. 381, à la p. 383.

     [7]       93 F.T.R. 256.

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