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                                                                                                                                           Date : 20011012

                                                                                                                             Dossier : IMM-3046-01

                                                                                                        Référence neutre : 2001 CFPI 1111

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                          ELIZABETH ONWUTUEBE

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]                 Voici les motifs pour lesquels j'ai refusé de suspendre l'exécution du renvoi d'Elizabeth Onwutuebe. La requête en suspension d'exécution de cette mesure a été entendue et tranchée le 21 juin 2001; j'ai fourni des motifs de vive voix ce jour-là et voici les motifs écrits.


[2]                 Mme Onwutuebe reconnaît qu'elle est arrivée au Canada en provenance du Nigéria avec un faux passeport. Elle affirme qu'elle a été poussée à agir de cette façon à cause des mauvais traitements qu'elle a reçus aux mains de son mari. Les documents qu'elle a déposés à l'appui de sa requête en suspension de l'exécution contiennent de nombreux faits indiquant que son mari la maltraitait. Il la frappait, il la ridiculisait et finalement, il l'a battue avec un instrument en bois et l'a grièvement blessée. Mme Onwutuebe avait une amie qui lui a fait rencontrer un intermédiaire qui lui a fourni un faux passeport du Swaziland. D'après son affidavit, l'intermédiaire lui avait dit qu'elle devait « entrer [au Canada] avant de revendiquer le statut de réfugiée » parce qu'elle serait simplement renvoyée chez elle si elle présentait cette demande à l'aéroport. Armée de ce document et de ces instructions, Mme Onwutuebe a quitté le Nigéria et est arrivée à l'aéroport international Pearson, le lundi 7 mai 2001.

[3]                 L'agent d'immigration qui a parlé en premier à Mme Onwutuebe a vu ses soupçons éveillés par le fait que Mme Onwutuebe prétendait vouloir visiter le Canada, mais n'avait aucune idée de ce qu'elle voulait voir au Canada. Elle n'avait aucune famille ou amis au Canada, elle n'avait pas de réservations d'hôtel et n'avait sur elle qu'une somme d'argent modeste (800 $). L'agent lui a demandé de produire son billet d'avion qui ne mentionnait aucunement le Swaziland, pays d'où Mme Onwutuebe affirmait être venue. Le vol sur lequel elle était arrivée au Canada était un vol de la compagnie Korean Airlines, qui était parti de Séoul, en Corée du Sud.


[4]                 Compte tenu de tout cela, l'agent d'immigration a demandé à Mme Onwutuebe de passer une seconde entrevue plus poussée avec un deuxième agent d'immigration. Cet agent, M. Hunziker, a constaté que le passeport avec lequel voyageait Mme Onwutuebe était un faux puisque les marques de sécurité figurant sur le passeport s'effaçaient, ayant été apposées au-dessus et non en dessous de la surface laminée du passeport. M. Hunziker a interrogé Mme Onwutuebe pendant un certain temps sur d'autres sujets et a conclu qu'elle n'était pas une visiteuse de bonne foi.

[5]                 Au cours de l'entrevue, Mme Onwutuebe a déclaré que rien ne l'empêchait de retourner dans son pays d'origine. Lorsqu'on lui a dit qu'elle n'avait pas le droit d'entrer au Canada et qu'elle serait détenue, Mme Onwutuebe a demandé l'autorisation de communiquer avec son mari avant de signer quoi que ce soit. Elle a décliné l'offre de contacter des représentants consulaires. Une mesure de renvoi a été prise contre elle.

[6]                 Après qu'ait été prise la mesure de renvoi et après avoir obtenu les services d'un avocat, Mme Onwutuebe a révélé les faits sur lesquels reposaient ses allégations au sujet des mauvais traitements que lui avait infligés son mari. Elle a demandé d'être exemptée de l'obligation de présenter sa demande d'établissement en dehors du Canada (demande fondée sur des considérations humanitaires). Cette demande était fondée sur le risque de préjudice que courrait la demanderesse si elle était renvoyée au Nigéria.


[7]                 Mme Onwutuebe a produit, à l'appui de sa demande de suspension, un rapport médical provenant d'un hôpital et d'une maternité au Nigéria indiquant que Mme Onwutuebe avait été admise à l'hôpital « il y a quelques années » . Le rapport poursuivait : « Elle se plaint surtout des ecchymoses qui proviennent des querelles et des batailles qu'elle a avec son mari; elle a également été hospitalisée parce qu'elle avait une forte fièvre, parce qu'elle toussait et souffrait de courbatures. Elle est déjà restée quelquefois à l'hôpital pendant plus de six semaines (6 sem.) à cause de fractures qu'elle aurait subies au cours d'une de leurs disputes » . Elle a également produit le rapport d'un psychologue qui estime qu'elle souffre de troubles dépressifs chroniques et qu'elle a les symptômes d'un stress post-traumatique. D'après les renseignements fournis par Mme Onwutuebe, le psychologue attribue ces troubles « aux mauvais traitements que cette femme a subis de la part de son mari » .

[8]                 Le critère à trois volets applicable en matière de suspension est bien connu. Les circonstances particulières d'une demande de suspension découlant du refus de l'agent chargé du renvoi de reporter l'exécution de la mesure ont été énoncées dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 295 dans laquelle j'ai déclaré que le juge saisi d'une telle requête peut examiner le bien-fondé de la demande sous-jacente puisque le fait d'accorder la suspension revient à accorder au demandeur ce que l'agent chargé du renvoi lui a refusé.


[9]                 La véritable question en litige ici est celle de savoir s'il est justifié de renvoyer la demanderesse au Nigéria même si elle affirme craindre d'être maltraitée par son mari. D'après la demanderesse, son mari l'agresse physiquement depuis des années à un point tel qu'elle craint pour sa vie. Selon certaines décisions de notre Cour, le fait de renvoyer une personne dans un lieu où il est allégué qu'elle risque de subir un préjudice sans procéder au préalable à une évaluation du risque est contraire au droit[1]. Je me réfère à la décision du juge Gibson dans Saini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 982, (1998), 150 F.T.R. 148 et à ma propre décision dans l'affaire Wang, précitée. Néanmoins, cette question ne peut être en litige que si elle repose sur une base factuelle.

[10]            Habituellement, une requête interlocutoire ne donne pas lieu à l'examen de questions reliées à la crédibilité. Le demandeur n'est pas entendu. Bien souvent, il n'y a pas de contre-interrogatoire sur les affidavits. Par contre, il doit exister une base digne de foi pour rendre une ordonnance empêchant le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration d'exécuter une ordonnance de renvoi valide.

[11]            Les éléments qui sapent la crédibilité de la version des événements de la demanderesse sont les suivants :

1) Elle n'a pas fourni la version des événements sur lesquels elle se fonde actuellement lorsqu'elle a été interrogée à l'aéroport, même lorsqu'on l'a informée que, d'après ce qu'elle avait déclaré jusqu'ici, l'entrée au Canada lui serait refusée et elle serait renvoyée au Nigéria.

2) Elle a demandé d'appeler son mari pour obtenir des conseils lorsqu'on l'a informée qu'elle serait détenue et renvoyée du Canada. Les notes de l'agent d'immigration indiquent qu'elle a préféré appeler cette personne plutôt que des représentants consulaires.

3) Elle a expliqué pourquoi elle n'avait pas fourni à l'aéroport sa version des événements en racontant une histoire peu plausible concernant les directives que lui aurait données son intermédiaire.

  

[12]            Voici les éléments qui confortent sa position :

1) Un rapport médical émanant d'un hôpital nigérien obtenu après qu'elle ait été placée en détention. Le rapport s'adresse « à qui de droit » et contient des commentaires très généraux. Il fait toutefois référence à des actes de violence conjugale qui auraient été commis pendant une certaine période.


2) Le rapport d'un psychologue qui fait état d'un diagnostic de dépression chronique et de symptômes de stress post-traumatique. Le diagnostic ne démontre pas la véracité des faits sur lesquels il est apparemment basé. Autrement dit, il est possible que la demanderesse soit déprimée pour des raisons étrangères au fait qu'elle a été maltraitée. Le psychologue doit se baser sur ce que lui dit son client et le fait que celui-ci ait relaté une version particulière des événements à son psychologue ne renforce pas sa crédibilité.

  

[13]            Dans l'ensemble, j'estime que le fait que la demanderesse ait demandé d'appeler son mari lorsqu'on lui a appris qu'elle serait détenue est tout à fait incompatible avec la crainte d'être maltraitée par lui. Cela est confirmé par le fait qu'elle n'a pas fourni sa version des faits à l'aéroport, même après avoir appris que l'entrée au Canada lui était refusée. J'écarte le rapport médical faute d'explications sur les circonstances dans lesquelles il a été obtenu.

[14]            Dans les circonstances, je conclus que la demande de sursis de l'exécution de la mesure ordonnée ne repose sur aucune base factuelle.

[15]            La demande de sursis d'exécution est rejetée.

                                                                                                                                   « J.D. Denis Pelletier »           

                                                                                                                                                                 Juge                       

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                                         IMM-3046-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          ONWUTUEBE c. MCI

   

REQUÊTE ENTENDUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE (Ottawa et Toronto)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 21 juin 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE de M. le juge Pelletier

DATE DES MOTIFS :                                     Le 12 octobre 2001

ONT COMPARU :

Mme Nancy Myles Elliott                                                                POUR LA DEMANDERESSE

Mme Marissa B. Bielski                                                     POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Nancy Myles Elliott                                                                POUR LA DEMANDERESSE

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]            C'est l'expression que j'ai utilisée lorsque j'ai rendu ma décision. À la réflexion, je pense qu'il serait plus exact de dire que les juges de notre Cour ont suspendu l'exécution de mesures de renvoi lorsqu'aucune évaluation du risque n'a été effectuée.

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