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     Date : 19991103

     Dossier : IMM-1940-98


Entre :

     RAMACHANDRAN NISHANTHAN

     demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


Le juge LEMIEUX


INTRODUCTION


[1]      Dans ce recours en contrôle judiciaire, Ramachandran Nishanthan (le demandeur) se dit Tamoul citoyen du Sri Lanka, âgé de 21 ans. Le 27 mars 1998, la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié conclut qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Les cinq paragraphes qui suivent reprennent les éléments d'information donnés par le demandeur dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), à l'appui de sa revendication du statut de réfugié.

[2]      Dans ce FRP, le demandeur affirme qu'il craignait les Tigres libérateurs de l'Eelam Tamoul (TLET ou Tigres libérateurs) dans le Nord, et les forces de sécurité gouvernementales à Colombo et dans les autres régions sous contrôle gouvernemental au Sri Lanka. Il habitait avec ses parents à Nallur et à Kilinochchi dans le Nord et à partir de 1991, sa famille a été contrainte à plusieurs reprises de verser de l'argent aux TLET. Lui-même et 14 autres élèves de son école (Jaffna Hindu College) ont été détenus pendant trois jours en juin 1995 dans un camp TLET où ils ont été forcés de travailler.

[3]      En octobre 1995, les TLET ont forcé sa famille ainsi qu'un grand nombre d'autres habitants à quitter Nallur. Sa famille s'est installée à Kilinochchi. Il s'est inscrit à un cours de deux années de l'Universal Commerce Institute, où il a terminé avec succès la première année avant l'incident de février 1997, lequel a précipité sa fuite.

[4]      Selon le demandeur, sa fuite a été causé par le fait que le 9 février 1997, des Tigres libérateurs armés sont venus chez lui pour recruter son frère et lui-même, qui étaient absents tous les deux. Son frère travaillait au loin et ne devait pas rentrer à la maison avant trois ou quatre jours. Les Tigres libérateurs ont dit à leurs parents que les deux devaient se présenter à un camp TLET dans les 24 heures. Au retour du demandeur à la maison ce soir-là, il a été décidé que lui et son frère s'enfuiraient. Son père s'était arrangé avec un homme d'affaires pour l'accompagner à Vavuniya, où des arrangements seraient faits pour qu'un mandataire l'accompagne à Colombo, où il s'embarquerait pour l'étranger.

[5]      Le demandeur indique que l'ami de son père et lui-même sont partis au petit matin le lendemain 10 février pour Vavuniya, où il a été obligé de demeurer quelques jours dans deux camps militaires sri-lankais avant d'être autorisé à prendre le train avec son mandataire pour Colombo, où les deux arrivent le 16 février 1997.

[6]      Selon le demandeur, le gérant de l'auberge à Colombo a déclaré son séjour à la police et le lendemain, des policiers sont venus le voir. Il fait savoir qu'il a été détenu deux jours au poste de police, où il a été accusé d'être un agent que les Tigres libérateurs auraient envoyé à Colombo pour les attentats terroristes. Il affirme que la police l'a brutalisé, l'a interrogé, lui a pris ses empreintes digitales et l'a photographié. Au moment de sa remise en liberté, il a été averti sans ménagement de quitter Colombo dans les trois jours, sous peine de conséquences graves. Il affirme avoir été remis en liberté à coups de pot-de-vin. Il a fui le Sri Lanka et est arrivé au Canada le 27 mars 1997.

LES CONCLUSIONS DE LA SECTION DU STATUT

[7]      La formation de jugement de la section du statut (le tribunal) s'est attachée à deux points en particulier, savoir l'identité du demandeur et sa crédibilité, deux questions qui, selon le tribunal, sont intimement liées.

     a) La conclusion quant à l'identité

[8]      Le tribunal a tiré la conclusion suivante en page 5 de sa décision :

     [TRADUCTION]

         Il résulte de la conclusion défavorable ci-dessus sur la crédibilité du demandeur au sujet de ses papiers d'identité et des circonstances dans lesquelles il les aurait obtenus, qu'il n'a pas prouvé qu'il est la personne qu'il prétend être. Le tribunal n'est pas convaincu que les papiers d'identité produits aient été obtenus de la façon rapportée par le demandeur, ou qu'ils constituent en fait la preuve concluante qu'il est un Tamoul de Jaffna.

                                                 [non souligné dans l'original]

[9]      Cette conclusion a été motivée par plusieurs constatations spécifiques au sujet de trois des papiers d'identité dont le demandeur faisait état dans son FRP : un certificat de naissance daté du 29 octobre 1992, la photocopie de sa carte d'identité postale et sa carte d'identité nationale (CIN).

         (i)      Les certificats de naissance

[10]      Ce que le tribunal a trouvé de troublant, c'était le fait qu'il y avait deux certificats de naissance, et la question qui se posait de savoir pourquoi le demandeur en avait deux. Le premier était délivré le 29 octobre 1992 (le premier certificat de naissance) et le second, le 29 mars 1996 (le second certificat de naissance). Tous les deux indiquent que le demandeur est un Tamoul de sexe masculin.

[11]      C'est Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) qui a versé le second certificat de naissance au dossier soumis au tribunal. Le demandeur n'avait pas mentionné ce certificat dans son FRP; il l'avait pourtant produit à CIC en même temps que d'autres renseignements. Le tribunal n'a pas accepté l'argument d'oubli à titre d'explication raisonnable de la raison pour laquelle il n'a pas mentionné ce second certificat de naissance dans son FRP, jugeant qu'il ne serait pas raisonnable de croire qu'il eût oublié l'existence de ce document et, à même supposer que cela eût été le cas, qu'il eût oublié pourquoi il l'avait en fait envoyé par la poste à CIC. Le tribunal a donc conclu que " le demandeur ne faisait pas preuve de franchise dans son témoignage au sujet de ses deux certificats de naissance ".

[12]      Le tribunal a demandé au demandeur pourquoi il avait deux certificats de naissance, délivrés à deux dates différentes. Son raisonnement était centré sur le premier certificat. Le demandeur a expliqué qu'il en avait besoin pour se faire délivrer sa carte d'identité postale. Le tribunal prend acte que cette dernière était délivrée le 27 juillet 1992, c'est-à-dire quelque trois mois avant que son premier certificat de naissance ne fût délivré, le 29 octobre 1992. Le tribunal note que le demandeur n'avait aucune explication pour cette " contradiction manifeste " dans son témoignage de vive voix, et que, pressé de dire comment et quand il avait eu ce premier certificat de naissance, il a répondu qu'il ne savait pas. Le tribunal conclut qu'il " donnait un témoignage contradictoire sur la question de savoir pourquoi et comment il a obtenu le soi-disant certificat de naissance le 29 octobre 1992 ".

         (ii)      La carte d'identité postale

[13]      Le tribunal n'attache aucune valeur probante à la carte d'identité postale. Il fait observer que c'était juste une photocopie et n'accepte pas l'explication donnée par le demandeur, savoir qu'il a perdu l'original au Canada (mais a conservé la photocopie). Le tribunal note que le demandeur ne pouvait pas expliquer comment il avait réussi à se faire délivrer sa soi-disant carte d'identité postale au Sri Lanka, puis conclut que " ce fait amoindrit encore davantage la crédibilité d'ensemble du demandeur et, en particulier, la force probante des documents qu'il produit pour établir son identité ".

         (iii)      La carte d'identité nationale

[14]      Le tribunal note que selon le témoignage du demandeur, celui-ci s'est fait délivrer la CIN en 1994 " quand je devais passer l'examen du niveau "A" ", et que d'après son FRP, il a passé son examen du niveau "A" en août 1995 et non en 1994, comme il l'a déclaré au cours de son témoignage de vive voix. Ce témoignage sur la raison pour laquelle il se serait fait délivrer sa CIN en 1994 contredit donc les indications données dans son FRP.

         (iv)      Le passeport sri-lankais

[15]      Le tribunal note que selon le FRP du demandeur, celui-ci a demandé et obtenu un passeport sri-lankais; il ne l'avait plus parce qu'il l'avait remis à son mandataire. Et de conclure :

     [TRADUCTION]

     Le tribunal n'ajoute pas foi au témoignage du demandeur au sujet de son passeport sri-lankais. Il n'est pas raisonnable de croire qu'il l'ait remis à son mandataire. Après tout, il a témoigné qu'il avait envoyé par la poste tous les papiers d'identité en sa possession à son ami au Canada. Il est évident qu'il comprenait à quel point il était important d'avoir les papiers d'identité en règle au Canada; n'empêche qu'il prétend qu'il a donné son propre passeport à son mandataire.

     b)      La question de crédibilité

[16]      Le tribunal note en page 5 de sa décision écrite, que ses conclusions défavorables sur l'identité du demandeur étaient renforcées " par les doutes suivants sur sa crédibilité au sujet de son lieu de résidence et de son déplacement à Colombo ".

         (i)      Le séjour à Kilinochchi

[17]      Le tribunal note que selon le FRP du demandeur, celui-ci habitait d'octobre 1995 à février 1997 Kilinochchi où il poursuivait ses études, alors que d'après les preuves documentaires, Kilinochchi a été prise par l'armée sri-lankaise (ASL) en septembre 1996 à l'issue d'une violente bataille avec les TLET, qui avait commencé à l'été 1996 et avait forcé des milliers de gens à fuir la région durant cette période. Le tribunal note que le demandeur ne disait rien au sujet de cette bataille et qu'" en fait, pressé de dire quand Kilinochchi a été prise par l'ASL, il a répondu : "Je ne sais pas." ". Le tribunal a tiré à ce propos la conclusion suivante :

     [TRADUCTION]

     Il est évident que le demandeur ne savait pas que cette bataille avait eu lieu et que les forces gouvernementales avaient pris Kilinochchi des mains des TLET. Le tribunal en conclut que le demandeur n'était pas à Kilinochchi à l'époque où, à son dire, il devait s'y trouver. S'il n'était pas à Kilinochchi au moment où il prétendait y être, le tribunal ne peut accepter son assertion que les TLET y ont cherché à le recruter.

                                                 [non souligné dans l'original]

         (ii)      Le déplacement à Colombo

[18]      Le tribunal a interrogé le demandeur sur l'itinéraire qu'il prenait pour se rendre à Colombo. Il note que selon son témoignage, celui-ci n'a eu aucun mal à passer le poste de contrôle des TLET qui se trouvait à Thandikulam, alors que d'après les preuves documentaires, le poste de contrôle des TLET était à Omanthia, et c'était l'ASL qui gardait le poste de contrôle de Thandikulam. Le tribunal n'accepte pas l'explication donnée par le demandeur de la raison pour laquelle il ne savait pas que le poste de contrôle des TLET était à Omanthia et que celui de l'ASL était à Thandikulam. Le demandeur expliquait qu'il avait emprunté une piste dans la jungle pour aller à Vavuniya, que personne ne lui disait où se trouvait le camp des TLET et que les gens parlaient de Thandikulam. Voici la conclusion tirée à ce propos par le tribunal :

     [TRADUCTION]

     Le tribunal constate que le témoignage du demandeur au sujet du poste de contrôle des TLET près de Vavuniya est contredit par les preuves documentaires disponibles. Il conclut en conséquence que le demandeur n'a jamais emprunté cet itinéraire pour se rendre à Colombo, comme il le prétend.

         (iii)      La lettre de sa mère

[19]      Le tribunal met en doute une lettre envoyée au demandeur par sa mère, en date du 28 avril 1997 et portant le cachet de la poste de Nallur, Jaffna. Dans cette lettre, la mère lui parlait de la situation qui y régnait. Pressé de dire quand ses parents ont déménagé de Kilinochchi à Nallur, le demandeur a répondu qu'il ne savait pas, mais qu'il savait qu'ils avaient déménagé parce qu'il avait reçu précédemment une autre lettre, laquelle n'a pas été produite en preuve. L'audience a été ajournée pour que l'avocate du demandeur puisse présenter des conclusions à ce sujet et pour que le demandeur puisse produire d'autres documents, dont la première lettre de ses parents. Le tribunal note que ces documents n'ont pas été produits au moment où il rédigea ses motifs de décision. Et de conclure en pages 7 et 8 :

     [TRADUCTION]

         Vu ses conclusions très défavorables sur la crédibilité du témoignage du demandeur sur son séjour dans le Nord et son soi-disant déplacement à Colombo, le tribunal n'ajoute pas foi à son témoignage au sujet d'une lettre qu'il aurait reçue de ses parents avant de soumettre son FRP à la Commission.
         Le tribunal conclut aussi que la pièce C-3, savoir la lettre que le demandeur aurait reçue de sa mère à Nallur, est entièrement suspecte; elle ne lui attache en conséquence aucune valeur probante.

[20]      Voici la conclusion ultime du tribunal, en page 8 des motifs de sa décision :

     [TRADUCTION]
         Il est évident que par suite de ces conclusions défavorables sur la crédibilité, la conclusion inéluctable du tribunal sur le témoignage du demandeur est qu'il n'est ni crédible ni digne de foi.
         La conclusion générale du tribunal est que les papiers d'identité du demandeur ne sont pas dignes de foi et, par conséquent, ne prouvent pas qu'il est ce qu'il dit être et, ce qui est plus important encore, qu'il est en fait un Tamoul de Jaffna. De même, son témoignage est incompatible avec les preuves documentaires produites. Le tribunal conclut en conséquence que le demandeur n'était jamais dans le Nord du Sri Lanka à l'époque où il prétendait s'y trouver, ni n'a eu des difficultés à son arrivée à Colombo.

                                                 [non souligné dans l'original]

ANALYSE

[21]      Comme noté supra, le tribunal s'est attaché au premier chef à l'identité et à la crédibilité du demandeur.

     a)      L'identité du demandeur

[22]      Par les motifs rapportés dans sa décision, le tribunal n'a pas accepté l'authenticité des papiers d'identité produits.

[23]      Lors de sa fuite du Sri Lanka, le demandeur avait ses papiers d'identité sur lui (deux certificats de naissance, une carte d'identité postale, une carte d'identité nationale et un passeport sri-lankais). Il a gagné le Canada via le Cambodge et la Chine. Dans son témoignage, dont le tribunal n'a pas fait état, le demandeur indique qu'il a séparé ses papiers en deux paquets, qu'il a envoyés séparément du Cambodge à un ami au Canada. Par la suite, il a voyagé avec son passeport sri-lankais, en compagnie d'un mandataire. Il a reçu de l'aide pour remplir son FRP. D'ailleurs, à l'audience de la section du statut, il a témoigné avec l'aide d'un interprète en tamoul.

[24]      Je constate que le tribunal a commis les erreurs suivantes. En premier lieu, il n'y a pas contradiction entre la date de délivrance du premier certificat de naissance et celle de la carte d'identité postale du 27 juillet 1992 du demandeur. Le tribunal a interprété son témoignage comme signifiant qu'il avait besoin du premier certificat de naissance pour demander la carte d'identité postale. Ce n'est cependant pas ce qu'il disait. Il a témoigné qu'après avoir reçu cette carte d'identité, le bureau de poste l'a informé qu'il ne la lui délivrerait que s'il produisait un certificat de naissance, dont le demandeur dit qu'il ne l'avait pas; il en a demandé une copie à son école, ce qui explique le décalage dans le temps. Autrement dit, la carte d'identité postale avait été délivrée avant le premier certificat de naissance. Le tribunal a mal interprété le témoignage du demandeur à ce sujet.

[25]      En deuxième lieu, le tribunal conclut que le demandeur n'a pas fait preuve de franchise dans ses explications au sujet des deux certificats de naissance. Cependant, pour parvenir à cette conclusion, il n'a pas pris en compte (en ignorant le témoignage à ce sujet) la raison pour laquelle le demandeur avait besoin du second certificat de naissance. Le demandeur a clairement témoigné que l'administration de l'Universal Commerce Institute le réclamait. Je ne vois rien dans le dossier qui mette en doute la valeur probante de ce second certificat de naissance, lequel, comme noté supra, prouve que le demandeur est un Tamoul.

[26]      En troisième lieu, s'il est vrai que le demandeur n'a pas mentionné ce second certificat de naissance dans son FRP, le tribunal n'en a pas fait état dans ses motifs de décision, ni n'a jaugé l'explication donnée par le demandeur de la raison pour laquelle il ne l'avait pas mentionné dans son FRP. À mon avis, le tribunal n'a pas, alors qu'il y est tenu par la loi, expressément mentionné cette explication ni ne s'est prononcé clairement et catégoriquement sur sa crédibilité (Sebaratnam c. Canada (M.C.I.) (1991), 131 N.R. 158 (C.A.F.)). Quoi qu'il en soit, ce serait tirer une conclusion déraisonnable que de dire que le demandeur n'a pas fait la preuve de son identité de Tamoul de Jaffna faute d'avoir mentionné un document dans son F.R.P. Un tel défaut, voire une telle contradiction si contradiction il y a, ne serait pas un facteur déterminant de sa revendication (Mahathmasseelan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 137 N.R. 1 (C.A.F.)).

[27]      En quatrième lieu, le tribunal a rejeté la carte d'identité nationale du demandeur pour cause de contradiction avec le but dans lequel celle-ci a été délivrée et avec la date de délivrance. Selon le tribunal, le demandeur témoignait qu'il s'était fait délivrer cette carte en juin 1994 afin de passer les examens du niveau " A ", alors que d'après son FRP, il passait ces examens en 1995, et non en 1994 comme il le disait dans son témoignage de vive voix. Il y avait là mauvaise interprétation des éléments de preuve produits. Le demandeur n'a jamais dit qu'il a terminé avec succès ses études du niveau " A " en 1994. Ce qu'il a dit, c'est qu'il s'est fait délivrer la carte lorsqu'il avait à passer les examens. Il n'a pas été interrogé davantage sur ce point. Il affirme dans l'affidavit déposé à l'appui de sa demande d'autorisation d'agir en contrôle judiciaire que si le tribunal lui avait demandé de s'expliquer, il aurait fait savoir que les examens du niveau " A " ont été retardés à cause de la guerre dans la région Nallur/Jaffna. J'estime que le tribunal avait l'obligation d'insister sur ce point s'il avait des doutes. Il ne pouvait se contenter de présumer telle ou telle chose puis d'en tirer une conclusion défavorable.

[28]      En cinquième lieu, le tribunal a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur avait donné son passeport sri-lankais à son mandataire. Une telle conclusion n'était pas raisonnable (voir Attakora c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.)).

     b)      La question de crédibilité

[29]      Comme noté supra, le tribunal fait savoir que ses conclusions défavorables au sujet de l'identité du demandeur étaient renforcées " par les doutes suivants sur sa crédibilité au sujet de son lieu de résidence et de son déplacement à Colombo ".

[30]      Les doutes exprimés par le tribunal au sujet du lieu de résidence du demandeur se rapportent à l'époque où celui-ci disait habiter Kilinochchi avec ses parents. Dans son FRP, le demandeur déclarait qu'il y habitait d'octobre 1995 à février 1997. Le tribunal note qu'il ne savait pas que Kilinochchi avait été prise par l'ASL après une grande bataille. Il en conclut qu'il n'habitait pas Kilinochchi à l'époque où il disait y être et, de ce fait, n'ajoute pas foi à l'histoire de la tentative de recrutement par les TLET. Le membre de la Commission formant le tribunal a interrogé le demandeur à ce sujet.

[31]      Ce qui ressort de la transcription de l'audience et que le tribunal n'a pas analysé, c'est que Kilinochchi n'est ni une bourgade ni une ville, mais une région entière où pourraient être présents à la fois les TLET et l'ASL.

[32]      Le second élément invoqué par le tribunal pour mettre en doute la crédibilité du demandeur concerne l'identité correcte des forces auxquelles appartenaient les postes de contrôle qu'il devait passer pour se rendre à Colombo. Le tribunal conclut que l'information donnée par le demandeur était complètement fausse, que selon le témoignage de celui-ci, le poste de contrôle des TLET se trouvait à Thandikulam, alors que d'après les preuves documentaires, il se trouvait à Omanthia. Le tribunal n'ajoute pas foi à l'explication donnée par le demandeur sur la raison pour laquelle il ne savait pas que le poste de contrôle des TLET se trouvait à Omanthia et que celui de l'ASL était à Thandikulam. À mon avis, rien dans son témoignage ne justifie pareille conclusion. Le demandeur témoignait qu'il traversait la jungle dans une zone qu'il ne connaissait pas, que Thandikulam était une région et que les gens qui l'accompagnaient lui disaient que Thandikulam était le poste de contrôle des Tigres libérateurs. Il témoignait encore que le poste de contrôle de l'ASL était au-delà de Thandikulam, dans le voisinage, à une distance d'une demi-heure de marche. Le membre de la Commission formant le tribunal l'a interrogé à ce sujet. Voici l'échange entre les deux :

     [TRADUCTION]

     SIMEON :          Vous nous avez dit quel itinéraire vous avez pris pour aller de Kilinochchi à Colombo. Vous nous avez dit que vous passiez un poste de contrôle des Tigres libérateurs et qu'on vous a dit que c'était Thandikulam. En êtes-vous certain?
     LE DEMANDEUR :      Je ne sais pas. Ils ne m'ont pas dit ça, mais j'ai entendu dire par des Tamouls qui bavardaient que c'était Thandikulam.
     SIMEON :          Selon les preuves documentaires à notre disposition, le poste de contrôle des Tigres libérateurs se trouve à Omandi [transcription phonétique]. Vous souvenez-vous d'être passé par Omandi?
     LE DEMANDEUR :      Je ne peux dire si oui on non c'était Omandi, c'était un camp qui se trouvait sur mon chemin.

[33]      Sur ce point encore, le tribunal a mal interprété ou a ignoré le témoignage du demandeur, dont l'explication est parfaitement raisonnable. Le tribunal en a tiré une conclusion injustifiée.

CONCLUSION

[34]      Par ces motifs, la Cour fait droit au recours en contrôle judiciaire, annule la décision de la section du statut, et lui renvoie l'affaire pour nouveau jugement par un tribunal de composition différente.

     Signé : François Lemieux

     _____________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 3 novembre 1999




Traduction certifiée conforme,



Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :                  IMM-1940-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Ramachandran Nishanthan c. M.C.I.


LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE :      1er juin 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE LEMIEUX


LE :                          3 novembre 1999



ONT COMPARU :


Mme Helen Luzius                      pour le demandeur

M. Toby Hoffman                      pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Mme Helen Luzius                      pour le demandeur

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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