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                                                                                                             Date : 20000721

                                                                                                 Dossier : IMM-4162-99

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2000

DEVANT M. LE JUGE PELLETIER

ENTRE

                                            MUHAMMAD MUNER HAJI,

                                                                                                                    demandeur,

                                                               - et -

                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                      

                                                                                                                     défendeur.

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]         La présente affaire soulève la question de savoir si notre cour peut ne pas tenir compte des erreurs commises par la section du statut de réfugié (SSR) s'il estime que, dans l'ensemble, sa décision est justifiable d'après les preuves présentées.

[2]         M. Haji a quitté son Pakistan natal pour se rendre au Canada en juillet 1992, en passant par les États-Unis, et il a demandé le statut de réfugié. Sa demande a été rejetée le 31 mars 1994. Sa demande de contrôle judiciaire a été rejetée parce qu'il n'avait pas déposé le dossier de la demande.


Il a été déporté aux États-Unis le 15 avril 1997 mais est revenu au Canada présenter une nouvelle demande de statut de réfugié le 18 septembre 1997. La seconde demande a été entendue le 18 mai 1999 et rejetée le 30 juillet 1999. Sa demande de contrôle judiciaire a été entendue le 4 juillet 2000.

[3]         Sa seconde demande de statut de réfugié reprend pour l'essentiel le contenu de sa première demande à laquelle il a ajouté quelques éléments supplémentaires. La SSR aurait pu appliquer le principe de l'autorité de la chose jugée en invoquant l'arrêt Vasquez c. M.C.I. [1998] A.C.F. no. 1769, une décision du juge Rothstein (tel était alors son titre), mais elle ne l'a pas fait.

[4]         La SSR a entendu la revendication du demandeur et l'a rejetée dans des motifs qui contiennent un certain nombre d'erreurs de fait :

1-          la SSR a jugé que les activités du demandeur au sein de l'Association du marché d'Anjuman Tajran-e-Ghalib n'étaient pas de nature politique, alors que les éléments de preuve présentés montraient que cette association de commerçants était utilisée pour des prises de position de nature politique.

2-          la SSR a jugé que le demandeur n'avait pas mentionné le nom de Sadat Ali Khan, la personne qui persécutait le demandeur, avant « ce moment » , ce qui faisait apparemment référence au moment de l'audience, alors que Sadat Ali Khan est clairement mentionné dans le Formulaire de renseignements personnels du demandeur qui avait été soumis à la SSR.


3-          La SSR a jugé que l'entreprise du demandeur avait été attaquée à deux reprises mais que ces deux incidents s'étant produit à huit ans d'intervalle, ils n'étaient pas de nature répétitive et constituaient plutôt des actes criminels que de la persécution. Les preuves présentées à la SSR montraient que le demandeur avait été attaqué à trois reprises, dont deux fois en 1990 à deux mois d'intervalle.

4-          La SSR a reproché au demandeur de ne pas avoir tenté de produire une copie du premier rapport d'information, un document public qui aurait expliqué pourquoi un mandat d'arrestation avait été apparemment délivré concernant le demandeur en 1997, soit sept ans après son départ du Pakistan. Les documents présentés à la SSR comprenaient une lettre de l'avocat du demandeur indiquant qu'il avait tenté de se procurer une copie du premier rapport d'information mais que le policier « responsable » du poste de police avait refusé de la lui remettre.

[5]         En outre, le demandeur reproche à la SSR de ne pas avoir ajouté foi à certains aspects de son témoignage présenté sous serment, sans donner de motifs précis pour expliquer sa conclusion. Le demandeur soutient que la décision doit être annulée à cause de ces erreurs de fait, erreurs que le défendeur ne conteste pas.


[6]         Le défendeur affirme toutefois que le dossier contient des conclusions de fait qui justifient la conclusion de la SSR selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention. Élément plus important encore, la SSR s'est fondée sur les propres déclarations du demandeur pour conclure qu'il avait quitté le Pakistan pour Abu Dhabi pour échapper à ses persécuteurs et pour se mettre en sécurité. Cela n'a pas toutefois empêché le demandeur de retourner au Pakistan trois mois plus tard et d'y reprendre ses activités. Interrogé sur les motifs de son retour alors qu'il craignait pour sa sécurité personnelle, le demandeur a répondu que ses ennemis avaient réussi à le rejoindre et à le menacer à Abu Dhabi et que la police locale ne lui a été d'aucun secours. La SSR a estimé que cette histoire n'était pas plausible et a jugé que le comportement du demandeur n'était pas compatible avec la crainte d'être persécutée. Ce refus de croire au témoignage du demandeur sur ce point n'est qu'un exemple de l'argument du demandeur selon lequel son témoignage a été rejeté sans que la SSR ait donné de raisons précises pour le faire.

[7]         Le défendeur mentionne également la déclaration du demandeur selon laquelle ses deux fils auraient été enlevés et torturés à cause de ses activités politiques. La SSR a choisi de ne pas tenir compte de ces éléments parce qu'ils ne figuraient pas dans le Formulaire de renseignements personnels présenté par le demandeur pour sa première audience de revendication. Sommé de s'expliquer sur ce point, le demandeur a indiqué qu'il ne savait pas à l'époque qu'il pouvait parler des incidents qui concernaient ses enfants. La SSR a jugé que le demandeur avait tenté de renforcer sa revendication en mentionnant l'incident concernant ses enfants.

[8]         Enfin, le défendeur mentionne le fait que le demandeur n'a pas fourni le premier rapport d'information, qui est, d'après la preuve documentaire, un document judiciaire et non pas policier. La SSR n'a peut-être pas tenu compte de la lettre de l'avocat indiquant qu'il n'avait pu se procurer le premier rapport d'information mais étant donné qu'il s'agissait d'un document judiciaire, la lettre n'explique pas pourquoi le document n'a pu être produit.


[9]         La position du défendeur est que la cour a le pouvoir d'examiner les preuves et de conclure que, même si les motifs contiennent certaines lacunes, ils permettent néanmoins de fonder la conclusion de la SSR selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention. Lorsque le tribunal a demandé à l'avocat si cela ne revenait pas à traiter une demande de contrôle judiciaire comme un appel, celui-ci a cité deux décisions dans lesquelles les juges ont émis l'opinion à laquelle ils m'invitent à souscrire.

[10]       Dans l'arrêt Miranda c. M.E.I. (1993) 61 F.T.R. 81, le juge Joyal a examiné une décision de la SSR qui contenait des erreurs. Il a invité les tribunaux à ne pas examiner les décisions au microscope pour y rechercher la moindre erreur. Sa position est que « ces décisions doivent être analysées dans le contexte de la preuve elle-même. » Plus loin, il s'exprime de la façon suivante :

Je suis toutefois d'avis qu'aux fins d'un contrôle judiciaire, les décisions de la Commission doivent être prises dans leur ensemble. Certes, on pourrait les découper au bistouri, les regarder à la loupe ou encore, en disséquer certaines phrases pour en découvrir le sens. Mais je crois qu'en général, ces décisions doivent être analysées dans le contexte de la preuve elle-même. J'estime qu'il s'agit d'une manière efficace de déterminer si les conclusions tirées étaient raisonnables ou manifestement déraisonnables.

J'ai lu les notes sténographiques des dépositions des témoins devant la Commission et j'ai entendu les arguments des deux avocats. Bien qu'il soit possible d'isoler un commentaire dans la décision de la Commission et de conclure que celle-ci s'est trompée, l'erreur doit néanmoins être pertinente à la décision rendue. Et, à mon avis, aucune erreur de ce genre n'a été commise.

S'il est vrai que des plaideurs habiles peuvent découvrir quantité d'erreurs lorsqu'ils examinent des décisions de tribunaux administratifs, nous devons toujours nous rappeler ce qu'a dit la Cour suprême du Canada lorsqu'elle a été saisie d'un pourvoi en matière criminelle où les motifs invoqués étaient quelque 12 erreurs commises par le juge dans ses directives au jury. En rendant son jugement, la cour a déclaré qu'elle avait trouvé 18 erreurs dans les directives du juge mais que, en l'absence de tout déni de justice, elle ne pouvait accueillir le pourvoi.

C'est ce que j'essaie de démontrer en l'espèce. On peut examiner la décision de la Commission et ensuite l'évaluer en fonction de la preuve se trouvant dans les notes sténographiques et les déclarations faites par le requérant pour tenter de justifier son objectif [sic] ainsi que ses craintes subjectives de persécution.


[11]       L'arrêt Miranda a été souvent cité pour montrer que les décisions de la SSR doivent être prises dans leur ensemble et qu'il n'y a pas lieu de modifier les décisions qui n'ont pas été influencées par les erreurs commises. Toutefois, comme l'a fait remarquer le juge Rothstein dans Asiamah c. Canada [1993] A.C.F. no. 1449, en parlant de l'arrêt Miranda et d'autres affaires allant dans le même sens :

... [décisions] où la cour a refusé d'intervenir dans les décisions frappées d'appel. Ce qui distingue ces causes de la présente espèce, c'est qu'on y a conclu soit que les décisions du tribunal reposaient légitimement sur la preuve, soit qu'elles en tenaient compte ou qu'elles étaient étayées par la preuve. Ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Dans la présente affaire en effet, le tribunal ne fonde ses conclusions que sur l'existence d'invraisemblances. Lorsqu'il est fait mention des faits, ces mentions ne sont pas règle générale appuyées sur la preuve.

[12]       Il s'agit d'une affaire dans laquelle un certain nombre de conclusions ne sont pas justifiées par les preuves et où certaines autres conclusions, qui, d'après le défendeur, sont suffisantes pour trancher la demande, sont justifiées par des preuves. Appartient-il à notre cour d'examiner les preuves et les motifs pour décider quelles sont les conclusions qui suffisent à justifier la décision de la SSR? La cour ne risque-t-elle pas à un moment donné d'assumer les tâches de la SSR qui consistent à apprécier les preuves pour justifier sa décision?

[13]       Le deuxième arrêt invoqué par le défendeur est Gabeyehu c. M.C.I. [1995] A.C.F. no. 1493 dans lequel le juge Reed a déclaré ce qui suit :

           Je suis très consciente des dangers que représente pour un juge de première instance une analyse trop détaillée des mots utilisées dans une décision. Il faut interpréter les motifs donnés pour justifier une décision avec le souci d'en comprendre le sens, mais non pas avec un esprit déterminé à trouver des lacunes pour justifier son intervention. Je suis convaincue que l'affirmation de la Commission selon laquelle le père ne faisait pas l'objet d'une enquête peut s'expliquer raisonnablement et ne constitue pas une erreur déterminante.


[14]       J'estime que ce passage va dans le même sens que ceux de l'arrêt Miranda que j'ai cités et qui indiquent que les erreurs n'entraînent pas toujours l'annulation d'une décision. En l'espèce, les erreurs sont nombreuses et il est difficile d'en apprécier l'effet cumulatif. Il arrive un moment où l'accumulation des erreurs, qu'elles soient déterminantes ou non, laisse planer un doute sur la justesse des autres conclusions auxquelles en est arrivé le tribunal. Il est clair que la SSR a fondé sa décision sur des conclusions de fait qui ne tiennent pas compte des documents qui lui ont été présentés. Pour ces motifs, la décision doit être annulée et l'affaire renvoyée à un autre tribunal pour nouvelle décision.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la décision de la section du statut de réfugié datée du 30 juillet 1999, dont les motifs sont datés du 28 juillet 1999, soit par les présentes annulée et l'affaire renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal composé différemment.

           « J.D. Denis Pelletier »            

Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                   AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DE GREFFE :                                    IMM-4162-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :    MUHAMMAD MUNER HAJI et MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE 4 JUILLET 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU                           21 JUILLET 2000

ONT COMPARU :

P. VANDERVENNEN                                                    POUR LE DEMANDEUR

F. GODWIN                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

VANDERVENNEN LEHRER                                      POUR LE DEMANDEUR

TORONTO

MORRIS ROSENBERG                                                 POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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