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     IMM-2642-96

Ottawa (Ontario), le lundi 30 juin 1997

En présence de Madame le juge McGillis

Entre :

     SANDRO NAHUN FLORES BANEGAS,

     requérant,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

         Les passages suivants des pièces 2B et 2C jointes à l'affidavit de Mme Yolanda Hobrough, datées du 3 septembre 1996, sont radiés du dossier pour des motifs prononcés oralement le 26 juin 1997 :

     i)      la totalité du deuxième paragraphe de la section 6, page 5 de la pièce 2B;

     ii)      la dernière phrase du dernier paragraphe de la conclusion, page 5 de la pièce 2B;

     iii)      la dernière phrase du deuxième paragraphe en italique, page 11 de la pièce 2C.

         La demande de contrôle judiciaire est rejetée. L'affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.

     D. McGillis

                                 Juge

Traduction certifiée conforme :         
                         F. Blais, LL.L.

     IMM-2642-96

Entre :

     SANDRO NAHUN FLORES BANEGAS,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MCGILLIS

     Le requérant conteste, par voie de contrôle judiciaire, la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la " Commission ") portant qu'il n'est pas un réfugié au sens de la Convention. La principale question à trancher dans cette demande est de savoir si la Commission a commis une erreur de droit en négligeant de s'assurer que les services d'interprétation fournis au requérant à son audience étaient conformes aux principes de justice fondamentale ainsi qu'aux exigences de l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés (la " Charte ").

     Le requérant était représenté par un avocat à son audience devant la Commission. L'audience a duré un jour, et une interprète a assisté en tout temps le requérant lors des débats. Au début de l'audience, le président de cette dernière a confirmé que le requérant et l'interprète se comprenaient. Le président de l'audience a demandé aussi au requérant d'indiquer à la Commission si, à quelque moment que ce soit, il ne comprenait pas l'interprète. Ni le requérant ni son avocat n'ont fait état à la Commission d'un problème quelconque au sujet des services d'interprétation fournis à l'audience. Il ressort d'un examen des notes sténographiques qu'à plusieurs reprises, l'interprète a demandé au requérant de répéter sa réponse, surtout parce qu'il s'exprimait à voix basse. À deux reprises au moins, l'interprète a rectifié les erreurs commises par l'avocat, qui avait fait référence de manière inexacte à la preuve dans ses questions. À une occasion, le requérant a indiqué qu'il ne comprenait pas la question posée, et l'interprète l'a reformulée. À un moment, l'interprète a traduit de façon inexacte l'année dans laquelle un fait était censément survenu, mais elle s'est reprise presque aussitôt. Pendant toute l'audience, le requérant a bien répondu aux questions posées.

     Dans l'affidavit qu'il a déposé à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, le requérant n'a pas indiqué qu'il n'avait pas compris ce qui avait été interprété, non plus que cela lui avait causé un préjudice quelconque. En fait, son affidavit ne dit rien au sujet de l'interprétation.

     Le requérant a également déposé en l'espèce l'affidavit d'un témoin expert, Mme Yolanda Hobrough, interprète et traductrice agréée. Mme Hobrough a écouté un enregistrement de l'audience et a lu les notes sténographiques. Après avoir comparé les notes sténographiques et les bandes enregistrées, elle a rédigé un rapport exposant les erreurs commises par l'interprète à l'audience. Dans son rapport, Mme Hobrough a déclaré, notamment, que les structures grammaticales étaient souvent inexactes, que le sens de certaines réponses était douteux et que, parfois, la traduction anglaise manquait de clarté et prêtait à confusion. Elle a toutefois signalé que [TRADUCTION] " seules quelques-unes [des erreurs] modifieraient radicalement le contenu du message principal ". Elle a conclu dans son rapport que [TRADUCTION] " ... les services d'interprétation fournis à l'audience ne peuvent être considérés comme compétents, précis ou complets ". À l'appui de sa conclusion, Mme Hobrough a procédé à une comparaison détaillée des notes sténographiques et des bandes enregistrées. Il ressort d'un examen de cette comparaison que la vaste majorité des " erreurs " soulignées par Mme Hobrough sont des points manifestement insignifiants, qui n'ont pas empêché le requérant de répondre comme il fallai aux questions posées. Dans son rapport, Mme Hobrough a décrit un aspect des services d'interprétation qui constituait, à son avis, [TRADUCTION] " ... probablement les erreurs les plus sérieuses de la part de l'interprète à l'audience ". Dans l'exemple donné, l'interprète n'a pas compris le mot espagnol pour " directeur adjoint du scrutin ", qu'elle a traduit comme suit : [TRADUCTION] " ... le président de l'un des isoloirs ". Le président de l'audience est intervenu : [TRADUCTION] " Je crois qu'on les appelle des scrutateurs ". Malgré le problème de terminologie, tout l'échange sur le sujet, dont Mme Hobrough n'a pas traité entièrement dans son rapport, révèle que les activités du requérant au bureau de scrutin, ainsi que ses responsabilités électorales subséquentes, ont été décrites avec exactitude à la Commission. Cet exemple est la seule erreur " sérieuse " que Mme Hobrough a décrite.

     Pour déterminer s'il y a eu manquement aux principes de justice fondamentale ou aux droits que confère l'article 14 de la Charte à l'assistance d'un interprète, il est nécessaire de se reporter à la jurisprudence. Dans l'arrêt Tung c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 124 N.R. 388 (C.A.F.), le juge d'appel Stone a donné les conseils suivants à la page 392 du recueil :

     À mon avis, l'appelant avait le droit de relater dans sa langue, par l'entremise de l'interprète, les faits qui justifiaient sa crainte tout comme il aurait pu le faire s'il avait pu s'exprimer en anglais devant la Commission. La justice naturelle exigeait rien de moins que cela. Pourtant, il a de toute évidence été incapable de le faire en ce qui a trait à des points essentiels de sa revendication à cause de la piètre qualité de la traduction. Je ne doute pas que cet état de chose a porté préjudice à l'appelant dans les procédures devant les instances inférieures comme il lui en cause un devant cette Cour car nous sommes appelés à examiner d'importants aspects de la décision de la Commission sur le vu d'un dossier qui est évidemment lacunaire.

Dans l'arrêt Tran c. Sa Majesté la Reine [1994] 2 R.C.S. 951, la Cour suprême du Canada a énoncé les principes qui, dans le contexte du droit criminel, s'appliquent au droit à l'assistance d'un interprète garanti par l'article 14 de la Charte. Le juge en chef Lamer, s'exprimant au nom de la Cour, a expressément indiqué ceci, à la page 961 du recueil :

     [...] l'analyse qui suit de l'art. 14 de la Charte porte spécifiquement sur le droit d'un accusé dans le cadre de procédures criminelles et ne doit pas être considérée comme ayant nécessairement une application plus générale. En d'autres termes, je ne me prononcerai pas pour le moment sur la possibilité qu'il soit nécessaire d'établir et d'appliquer des règles différentes à d'autres situations qui tombent à bon droit sous le coup de l'art. 14 de la Charte - par exemple, lorsque les procédures en question sont de nature civile ou administrative.         

Malgré sa mise en garde que l'analyse s'appliquait expressément aux procédures de nature criminelle, le juge en chef Lamer a néanmoins traité en termes généraux des buts visés par le droit que confère l'article 14 de la Charte à l'assistance d'un interprète. Plus particulièrement, il fait remarquer ce qui suit, aux pages 977 et 978 du recueil :

     [...] il importe de souligner que le principe qui sous-tend tous les intérêts protégés par le droit à l'assistance d'un interprète, que garantit l'art. 14, est la compréhension linguistique. L'importance de ce principe ressort non seulement de la jurisprudence générale en matière de services d'interprète, mais également plus directement du texte de l'art. 14 lui-même, qui parle de ne pas " compren[dre] ou ne [pas] parle[r] la langue employée ". Le niveau de compréhension visé par l'art. 14 sera donc nécessairement élevé. En fait, on a laissé entendre qu'une partie doit avoir la même possibilité fondamentale de comprendre et d'être comprise que si elle connaissait la langue du prétoire. Par exemple, dans l'affaire d'immigration Tung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration ) (1991) 124 N.R. 388 (C.A.F.), le juge Stone déclare, à la p. 392 :         
         À mon avis, l'appelant avait le droit de relater dans sa langue, par l'entremise de l'interprète les faits qui justifiaient sa crainte tout comme il aurait pu le faire s'il avait pu s'exprimer en anglais devant la Commission. La justice naturelle n'exigeait rien moins que cela. [Je souligne]                 

Si la Cour suprême du Canada a fait sienne l'analyse présentée dans Tung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), précitée, au sujet du niveau requis de compréhension linguistique, elle a rejeté, pour les besoins du droit criminel, l'obligation d'établir aussi l'existence d'un préjudice. À cet égard, le juge en chef Lamer a déclaré, à la page 995 du recueil, que " le refus de fournir une bonne interprétation pendant que l'affaire progresse est préjudiciable en soi et viole l'art. 14 ". Dans le contexte de l'immigration, la jurisprudence découlant de la décision rendue dans l'affaire Tung Canada c. (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , précitée, oblige la partie requérante à établir que les problèmes découlant des services d'interprétation lui a causé préjudice. [voir l'arrêt Mosa c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, 1993, no du greffe A-992-92 (C.A.F.).]

     L'avocat du requérant a fait valoir que les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Tran c. Sa Majesté la Reine, précité, au sujet des procédures intentées en droit criminel devraient s'appliquer aussi au contexte de l'immigration, plus particulièrement en ce qui concerne les audiences tenues devant la Commission.

     Au vu des faits de l'espèce, il n'est pas nécessaire que je tranche cette question intéressante. S'il fallait que j'applique le critère du préjudice énoncé dans l'arrêt Tung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), précité, je suis convaincue, au vu de la preuve figurant dans le dossier, que les services d'interprétation fournis au requérant ne lui ont causé aucun préjudice. Plus particulièrement, aucune des erreurs d'interprétation allégées n'ont eu une incidence quelconque sur les diverses incohérences relevées dans la preuve du requérant qui ont donné lieu à la conclusion défavorable quant à la crédibilité. Subsidiairement, s'il me fallait adopter l'approche plus générale exposée dans l'arrêt Tran c. Sa Majesté la Reine, précité, je ne suis pas persuadée, selon la prépondérance des probabilités, que le requérant a été privé de services d'interprétation convenables. Au cours de l'audience, ce dernier a indiqué qu'il comprenait l'interprète, il a bien répondu aux questions et ne s'est pas opposé, en personne ou par l'entremise de son avocat, à la qualité des services d'interprétation. Qui plus est, le requérant n'a pas indiqué dans son affidavit qu'il n'avait pas compris les procédures. En ce qui concerne la preuve de Mme Hobrough, il importe de reconnaître que la grande majorité des exemples qu'elle a donnés à l'appui de sa conclusion d'incompétence des services d'interprétation étaient insignifiants. Dans l'arrêt Tran c. Sa majesté la Reine, précité, le juge en chef Lamer signale, à la page 985 du recueil, que " ... [b]ien que la norme d'interprétation soit élevée dans le contexte de l'art. 14, il ne devrait pas s'agir d'une norme de perfection ". En outre, en analysant les critères à appliquer pour évaluer les services d'interprétation, le juge en chef Lamer a déclaré ceci, aux pages 987 et 988, au sujet de la précision :

     Il est cependant important de garder à l'esprit que l'interprétation est fondamentalement une activité humaine qui s'exerce rarement dans les circonstances idéales. Par conséquent, il ne serait ni réaliste ni raisonnable d'exiger que même une norme d'interprétation garantie par la Constitution en soit une de perfection. Comme Steele l'explique, à la p. 242 :         
         Même la meilleure interprétation n'est pas " parfaite ", car l'interprète ne peut jamais donner au témoignage la même nuance ou le même sens que les propos originaux. Pour cette raison, les tribunaux ont prévenu qu'il ne convient pas d'examiner au microscope le témoignage interprété pour voir s'il comporte des incohérences. Il faut accorder le bénéfice du doute au témoin.                 
     À cet égard, il peut être utile de signaler la distinction conceptuelle entre l'" interprétation ", qui vise principalement la langue parlée, et la " traduction ", qui vise principalement la langue écrite. Compte tenu du fait que l'interprétation comporte un processus de médiation entre deux personnes qui doit se produire sur-le-champ, avec peu de possibilité de réfléchir, il s'ensuit que la norme d'interprétation tendra à être inférieure à ce qu'elle pourrait être dans le cas de la traduction qui a pour départ un texte écrit, où le temps de réaction est en général plus long et où il est possible de mieux concilier les différences conceptuelles qui existent parfois entre deux langues et de mieux en tenir compte.         

En l'espèce, Mme Hobrough, qui est interprète et traductrice de formation, a passé en revue et analysé l'enregistrement sonore et les notes sténographiques. À mon avis, les nombreux points mineurs qui sont signalés dans son rapport comme des exemples d'erreurs de la part de l'interprète indiquent qu'elle a cherché des incohérences en examinant à la loupe la preuve orale et les notes sténographiques écrites. En outre, ayant eu accès au texte écrit et amplement de temps pour réfléchir et comparer, elle a appliqué dans son analyse la norme supérieure de la traduction, plutôt que la norme inférieure de l'interprétation, décrite par le juge en chef Lamer dans l'arrêt Tran c. Sa Majesté la Reine, précité, à la page 987 du recueil.

     Dans les circonstances, la preuve figurant dans le dossier ne me convainc pas que le requérant a été privé du droit à l'assistance d'un interprète que garantit l'article 14 de la Charte ou que les services d'interprétation qui lui ont été fournis ont causé un manquement à l'un des principes de justice fondamentale. À mon avis, dans cette affaire, les services d'interprétation étaient " ... d'assez bonne qualité pour assurer que justice soit rendue et paraisse avoir été rendue " [Trans c. Sa Majesté la Reine , arrêt précité, p. 988.]

     Les autres motifs que l'avocat du requérant a soulevés sont sans fondement. À mon avis, il était raisonnablement loisible à la Commission, au vu de la preuve, de se prononcer comme elle l'a fait. Il n'est donc pas justifié que j'intervienne dans cette affaire.

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée. L'affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


D. McGillis

Juge

Le 30 juin 1997

Ottawa (Ontario)

Traduction certifiée conforme :         
                         F. Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-2642-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Sandro Nahum Flores Banegas c.
                         Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :              26 juin 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE MCGILLIS

EN DATE DU :                  30 JUIN 1997

ONT COMPARU :

Me David Young                      POUR LE REQUÉRANT
Me Larissa Easson                      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Rankin & Associates                      POUR LE REQUÉRANT

Vancouver (Colombie-Britannique)

Me George Thomson                      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

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