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Date : 20040319

Dossier : T-51-01

Référence : 2004 CF 421

Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 19 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                               FAURECIA AUTOMOTIVE SEATING CANADA LTD.

                                                                                                                                demanderesse

                                                                            et

                                        LEAR CORPORATION CANADA LIMITED

                                                                                                                                  défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une requête présentée par la demanderesse (défenderesse reconventionnelle), Faurecia Automotive Seating Canada Ltd. (Faurecia) visant l'annulation de l'ordonnance rendue par la protonotaire Aronovitch rejetant la requête en modification de sa déclaration accusant Lear Corporation Canada Limited (Lear Canada) de contrefaçon de brevet et ainsi qu'une autorisation de la Cour pour effectuer les modifications contestées à ses allégations.


[2]                Faurecia demande une ordonnance :

1.          annulant les paragraphes 2 et 3 de l'ordonnance rendue par Madame la protonotaire Aronovitch signée le 23 juillet 2003;

2.          accordant l'autorisation pour effectuer les modifications proposées au paragraphe 19 et à l'alinéa 19a) de la déclaration relative à la présente affaire;

3.          accordant les dépens à Faurecia relatifs à la présente requête et à la requête ci-dessous.

Contexte

[3]                Faurecia conçoit et fabrique des pièces automobiles, notamment les sièges de véhicule et les distribue aux différents fabricants automobiles principaux. Faurecia déclare qu'elle est titulaire du brevet canadien portant le numéro 2,198,674 (le brevet 674) appelé « Roll-In/Roll-Out Vehicle Seat System with Fixed Wheel Members » qui a été octroyé le 19 décembre 2000.

[4]                Le brevet 674 a trait à des sièges détachables en vue d'être utilisés dans les véhicules à sièges multiples tels que des mini-fourgonnettes et des véhicules utilitaires sport.

[5]                Lear Canada fabrique et vend des sièges complets pour des véhicules à roues.

[6]                Le 12 janvier 2002, Faurecia a déposé une déclaration alléguant que les sièges complets fabriqués, utilisés et vendus au Canada par Lear Canada contrefont les revendications 1, 2 et 3 de son brevet 674. Plus précisément, Faurecia allègue que Lear Canada a fabriqué et a vendu des sièges complets contrefaits à Ford du Canada Limitée en vue d'être montés dans les mini-fourgonnettes de marque Windstar. La déclaration énonce ce qui suit à son paragraphe 19 :

[traduction] En outre et subsidiairement, la défenderesse a, en toute connaissance de cause, pour ses propres fins et son propre avantage et au préjudice du breveté, incité ou aidé ou encouragé Ford du Canada Limitée à contrefaire le brevet 674, et est donc une partie à chaque contrefaçon commise par Ford du Canada Limitée. La défenderesse a convenu de dégager Ford du Canada Limitée de toute responsabilité relativement à la contrefaçon du brevet 674.

[7]                Lear Canada a demandé et a obtenu des précisions relatives à la déclaration. Elle a alors présenté une requête pour notamment radier le sous-alinéa 1b)(ii) et le paragraphe 19 de la déclaration aux motifs que les allégations y figurant ne révèlent pas une cause d'action valable. Par la suite, Lear Canada a modifié son avis de requête demandant, subsidiairement, de radier l'expression « aided and abetted » ([traduction] « aidé ou encouragé » ) du paragraphe 19 de la déclaration.

[8]                Dans une ordonnance datée du 3 avril 2001, Madame la juge Hansen a radié l'expression [traduction] « aidé ou encouragé » du paragraphe 19 de la déclaration mais a rejeté la demande de Lear Canada de radier intégralement le paragraphe 19.

[9]                Dans sa défense et dans sa demande reconventionnelle déposées le 17 avril 2001, Lear Canada nie que la conception des sièges complets constitue une contrefaçon et conteste la validité du brevet 674 en invoquant un certain nombre de motifs, notamment l'absence de nouveauté, d'inventivité et d'utilité.

[10]            En juin 2003, Faurecia a demandé de déposer une déclaration modifiée. Lear Canada a consenti à toutes les modifications proposées sauf à certaines modifications au paragraphe 19 de la déclaration. Lear Canada n'a pas consenti aux ajouts suivants au paragraphe 19 :

[traduction] En outre et subsidiairement, la défenderesse aide (aids and assists) et contribue à la contrefaçon du brevet par Ford.

[...]

La défenderesse aide (aids and assists) et contribue à la contrefaçon du brevet par Ford au moins sur les points suivants : en utilisant l'outillage et l'équipement de Ford lors de la fabrication desdits sièges complets et en vendant les sièges complets en vue d'être intégrés dans le véhicule.

[11]            Madame la protonotaire Aronovitch a entendu les plaidoiries le 21 juillet 2003 et a rejeté la requête de Faurecia demandant l'autorisation d'effectuer les modifications contestées. L'inscription dans l'ordonnance énonce ce qui suit :

[traduction] En l'espèce, je suis convaincue par les arguments de la défenderesse.

Lorsque les précisions ont été fournies, elles faisaient partie de l'acte de procédure, comme elles l'étaient à l'époque devant la juge Hansen, le 13 avril 2001.

Puisque les termes anglais « aiding » et « assisting » ( « aidé » ) sont synonymes des termes anglais « aiding » et « abetting » ( « aidé » et « encouragé » ), on peut dire qu'ils ont été radiés ou ils sont réputés être radiés en vertu de l'ordonnance de radier ce dernier de l'acte de procédure visé par les précisions en vue de les expliquer.


Quant à savoir si les modifications actuellement proposées, notamment les termes anglais « aiding » , « assisting » et « contributing » ( « contribué » ) résisteront à une requête en radiation, il est accepté que les actes de procédure ne doivent pas être radiés lorsque le droit, dans un domaine particulier, est incertain et la cause d'action (ou en l'espèce, la théorie de la cause d'action), bien qu'elle soit nouvelle, demeure défendable.

Je ne suis pas convaincue que la demanderesse a présenté des arguments raisonnables, bien qu'ils soient difficiles à établir, selon lesquels la requête en complicité de contrefaçon pourrait être reconnue au Canada. Au contraire, cela constitue une théorie de contrefaçon indirecte complètement rejetée dans la décision Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1988) 21 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.) autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée, 21 C.P.R. (3d). Sur ce point, il n'existe aucun conflit jurisprudentiel ou doctrinal.

[12]            Dans une ordonnance datée du 23 juillet 2003, la protonotaire Aronovitch a rejeté la requête de Faurecia et a adjugé les dépens à Lear Canada, fixés à un montant de 1 000 $, sans égard à l'issue de l'action.

[13]            Par la présente requête, Faurecia interjette appel à l'encontre de l'ordonnance rendue par la protonotaire Aronovitch le 23 juillet 2003 (les paragraphes 2 et 3).

Arguments de la requérante (Faurecia)

[14]            S'appuyant sur l'arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, Faurecia déclare que la norme de contrôle applicable aux pures questions de droit tranchées par la protonotaire est celle de la justesse, par conséquent, la Cour est libre de trancher de nouveau ces questions.


[15]            Après avoir cité l'arrêt bien connu Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), Faurecia soutient que la radiation d'une partie de la déclaration ou le refus de modifier une déclaration constituent des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal et, par conséquent, la Cour doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire et n'est pas lié, en appel, par l'opinion du protonotaire (voir Telefonaktiebolaget LM Ericsson c. Harris Canada Inc., [2002] A.C.F. 789 (QL), 2002 CFPI 599 et Louis Bull Band c. Canada, [2003] A.C.F. no 961 (QL), 2003 CFPI 732).

[16]            Faurecia soutient qu'en rendant une ordonnance qui a en fait modifié l'ordonnance rendue le 3 avril 2001 par la juge Hansen, la protonotaire a commis une erreur de droit et a outrepassé sa compétence. Selon Faurecia, la juge Hansen a radié uniquement l'expression particulière anglaise « aiding and abetting » ( « aidé et encouragé » ) et la protonotaire a commis une erreur en déclarant que l'expression anglaise « aiding and assisting » ( « aidé » ) est synonyme de l'expression anglaise « aiding and abetting » ( « aidé et encouragé » ) puisque les termes anglais « aid » ( « aider » ) et « abet » ( « encourager » ) ont un sens distinct en droit canadien. Faurecia déclare également que la juge Hansen a refusé de radier toute phrase, expression ou termes de sa réponse à la demande de précisions et a rejeté la requête de Lear Canada en radiation du paragraphe 19 complètement de la déclaration et il s'agit d'ordonnances dont la protonotaire n'avait pas le pouvoir de modifier mais qu'en fait la décision contestée modifie.


[17]            Selon Faurecia, la juge Hansen avait accepté les allégations de fait dans la réponse à la demande de précision présentée par Lear Canada, une décision qui donne ouverture à la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée. Faurecia soutient que la protonotaire était empêchée de trancher à nouveau cette question ou de modifier l'effet de l'ordonnance rendue par la juge Hansen.

[18]            Faurecia soutient que la protonotaire n'a pas appliqué le bon critère en tranchant la question portant sur l'autorisation de modifier un acte de procédure et, par conséquent, a commis une erreur de droit. Faurecia affirme que la protonotaire a commis une erreur en modifiant le critère préliminaire d'un acte de procédure [traduction] « valable sur le plan juridique » ou « défendable » à l'exigence d'un conflit jurisprudentiel ou doctrinal afin d'accorder l'autorisation de modifier.

[19]            Faurecia soutient que des modifications ne doivent pas être refusées à moins que la Cour ne soit convaincue que l'acte de procédure proposé est manifestement futile ou n'a aucune possibilité de gain de cause et cela constitue un lourd fardeau de preuve qui incombe à la partie qui conteste la modification (en l'espèce, Lear Canada). De plus, Faurecia soutient que la Cour doit adopter une attitude libérale et généreuse dans l'interprétation des actes de procédure, des points contestés de fait ou du droit, et il ne convient pas de les trancher dans le contexte d'une requête en radiation, et elle déclare qu'il faut faire place aux plaidoiries qui sont nouvelles ou qui n'ont pas encore été testées dans des domaines où le droit n'est pas fixé. Selon Faurecia, en appliquant ces principes, les modifications proposées étaient convenables et l'autorisation de modifier devrait être accordée.


[20]            Faurecia soutient en outre que les questions relatives à la contrefaçon indirecte devraient être tranchées sur le fond selon une matrice factuelle complète et non rejeté dans le cadre d'une requête en autorisation de modifier des actes de procédure.

[21]            Faurecia soutient que, puisque les catégories de contrefaçon de brevet indirecte ne sont pas limitées et qu'il n'existe aucune jurisprudence ayant force obligatoire provenant de la Cour suprême du Canada qui rejette la « complicité de contrefaçon » comme donnant lieu à une poursuite, il n'est pas clair et manifeste que les modifications proposées ne sont pas défendables. En citant le juge Urie dans l'arrêt Windsurfing International Inc. c.Trilantic Corporation (1985), 63 N.R. 218, 8 C.P.R. (3d) 241 (C.A.F.), Faurecia soutient que la contrefaçon de brevet indirecte qui est souvent décrite comme étant le fait [traduction] d' « inciter et [d]'amener une personne à violer un droit » constitue une doctrine en évolution dans la jurisprudence canadienne. Compte tenu des incertitudes du droit, Faurecia conteste le fait que la protonotaire s'est fondée sur la décision rendue dans l'arrêt Beloit Canada Inc., précité, laquelle, selon elle, n'est pas finale, n'a pas force obligatoire puisqu'elle constituait une procédure d'outrage au tribunal et n'est pas une décision rendue par la Cour suprême du Canada.


[22]            En dernier lieu, Faurecia affirme que Lear Canada doit avoir accepté la position de Faurecia relativement à la présente requête puisque son avocat a avancé un argument essentiellement semblable dans la décision Trojan Technologies Inc. c. Suntec Environmental Inc., 2003 CF 825. Bien que l'argument soit avancé dans le cadre d'une autre instance, Faurecia soutient que l'avocat de Lear Canada, à titre d'officier de justice, est lié par cette position.

Arguments de la défenderesse (Lear Canada)

[23]            En citant l'arrêt Aqua-Gem, précité, relativement à la norme de contrôle applicable à la décision rendue par la protonotaire, Lear Canada déclare que la décision n'est nullement entachée d'une erreur flagrante, et il n'existe aucun fondement pour proposer que la décision de refuser l'autorisation de modifier la déclaration soit incorrecte. Lear Canada soutient que l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la protonotaire était fondé sur des principes de droit applicables et sur des faits exacts et, par conséquent, sa décision ne doit pas être modifiée.

[24]            De plus, Lear Canada déclare que, puisque l'ordonnance abordait une question assujettie en partie à sa gestion de l'instance (voir Microfibres Inc. c. Annabel Canada Inc., C.F. 1re inst., no T2680-97, 5 décembre 2001 ((2001), 16 C.P.R. (4e) 12 )). Lear Canada soutient également que le refus d'autoriser la modification d'un acte de procédure n'est pas une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal et, selon l'arrêt Aqua-Gem, précité, le présent appel ne peut être accueilli que si le protonotaire a commis une erreur flagrante.

[25]            Lear Canada soutient que le protonotaire n'a pas commis une erreur de droit et n'a pas outrepassé sa compétence. Lear Canada fait valoir que l'ordonnance rendue par la juge Hansen n'a pas précisément abordé la « réponse à la demande de précision » de Faurecia puisque la question ne lui a pas été présentée par les parties, en conséquence, l'ordonnance de la protonotaire ne modifie d'aucune façon l'ordonnance rendue par une juge. De plus, Lear Canada nie que la protonotaire [traduction] « a accepté la pertinence des allégations » figurant dans la réponse à la demande de précisions de Faurecia, contrairement à ce qu'affirme la demanderesse.

[26]            Lear Canada soutient que la protonotaire a appliqué le bon critère en tranchant la question portant sur l'autorisation de modifier un acte de procédure, à savoir qu'un acte de procédure ne doit pas être radié lorsque le droit est incertain ou la cause d'action, bien qu'elle soit nouvelle, demeure défendable. Lear Canada déclare que la protonotaire a eu raison de décider que la théorie de la contrefaçon indirecte proposée par Faurecia a été complètement rejetée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Beloit Canada Inc., précité, qui a conclu que la notion américaine de la complicité de contrefaçon ne fait pas partie du droit canadien des brevets. Lear Canada fait valoir que comme « aids and assists » ( « aide et contribue à » ) ne révèle aucune cause d'action reconnue par le droit canadien et l'incitation a déjà été invoquée par Faurecia, les modifications proposées pourraient être radiées en vertu de l'article 221 au motif qu'elles ne révèlent aucune cause d'action valable. Par conséquent, les modifications proposées sont inacceptables.

[27]            Lear Canada déclare qu'on ne contrefait pas un brevet lorsque l'on aide ou encourage une autre personne à contrefaire ce dernier et que l'aide et l'encouragement ne sont pas distincts de l'incitation. En se fondant sur trois dictionnaires différents, Lear Corp Canada soutient en outre que les termes anglais « aid » ( « aider » ), « abet » ( « encourager » ) et « assist » ( « aider » ) constituent tous des synonymes les uns des autres et que les arguments de Faurecia, qui se fondent sur la distinction entre ces termes, doivent être rejetés.

[28]            Lear Canada soutient que, lorsque la juge Hansen a radié l'expression anglaise « aiding and abetting » ( « aidé et encouragé » ) de la déclaration en avril 2001, les précisions ayant trait à l'acte de procédure étaient forcément également radiées, ce qui est conforme à la décision rendue par la protonotaire et qui fait l'objet du présent appel.

[29]            Lear Canada fait valoir que la juge Hansen a refusé de radier intégralement le paragraphe 19 de la déclaration parce que Faurecia avait donné des précisions suffisantes quant à l'allégation d'incitation. Lear Canada s'oppose au fait que Faurecia cherche à invoquer ces précisions à titre de théorie distincte et subsidiaire d'une cause d'action et non comme des précisions de l'allégation d'incitation, telle qu'elles ont été interprétées.


[30]            Lear Canada déclare que les précisions que Faurecia cherche à inclure, à titre de modification, dans la déclaration constituent soit des précisions de l'allégation « aiding and abetting » ( « aidé et encouragé » ) qui a été radiée, soit des précisions de l'incitation (non une cause d'action distincte ou subsidiaire), soit ne sont pas reconnues comme une cause d'action par le droit des brevets.

[31]            Selon Lear Canada, le pouvoir d'accorder l'autorisation de modifier des documents est conféré à la Cour à l'article 75 afin de protéger les droits de toutes les parties. Les modifications proposées par Faurecia en vue d'alléguer que le fait d'aider et de contribuer à la contrefaçon ( « aiding and assisting in and contributing to infringement » ) n'est pas reconnu au Canada comme une cause d'action puisque la Cour d'appel fédérale l'a expressément rejeté et que, par conséquent, elles ont été rejetées à bon droit, étant donné que Lear Canada subirait un préjudice parce qu'elle ne connaîtrait pas la preuve contre laquelle elle doit se défendre.

[32]            Lear Canada déclare qu'en rejetant la requête pour autorisation d'alléguer la complicité de contrefaçon, une doctrine qui existe en droit américain mais non en droit canadien, la protonotaire a appliqué les bons principes. Lear Canada met l'accent sur la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Beloit Canada, précité, dans laquelle il a été décidé que, pour inciter à la contrefaçon, on doit réellement faire quelque chose qui conduit l'autre partie à le faire. Selon Lear Canada, l'incitation constitue une exception restreinte à la règle selon laquelle une personne qui vend des biens non contrefaits en vue d'être utilisés par une autre personne (même à des fins de contrefaçon) ne constitue pas une contrefaçon.

[33]            Selon Lear Canada, la théorie de la contrefaçon indirecte proposée par Faurecia était vouée à l'échec et, par conséquent, a été rejetée à bon droit à titre de modification.

[34]            Lear Canada demande que le présent appel soit rejeté et que les dépens lui soient adjugés.

Questions en litige

[35]            1.         Quelle est la norme de contrôle à appliquer?

2.          L'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance rendue par la protonotaire devrait-il être accueilli?

Dispositions législatives pertinentes

[36]            Les Règles de la Cour d'appel (1998), DORS/98-106 énoncent ce qui suit à l'article 51 :

51.(1) L'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance.

51. (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Trial Division.

La règle générale relative à la modification des documents est établie de la façon suivante à l'article 75 :


75. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

75. (1) Subject to subsection (2) and rule 76, the Court may, on motion, at any time, allow a party to amend a document, on such terms as will protect the rights of all parties.

Analyse

[37]            Question 1

Quelle est la norme de contrôle à appliquer?

Bien que les Règles de la Cour d'appel accordent aux parties la souplesse de modifier leurs actes de procédure à titre d'un droit sur consentement ou à tout moment avant que l'autre partie y ait répondu (voir l'article 200), en l'espèce, lorsque Faurecia a cherché à modifier ses allégations de contrefaçon, Lear Canada avait déjà déposé sa défense. La décision quant à la question de savoir si l'autorisation qui permettrait d'effectuer les modifications contestées devrait être accordée incombait alors au protonotaire conformément à la discrétion conférée par l'article 75.

[38]            Le degré de retenue qui doit être accordé aux décisions rendues par les protonotaires visés par un appel a été établi dans l'arrêt Aqua-Gem, précité, dans lequel le juge d'appel MacGuigan a conclu ce qui suit à la page 463 :

[...] le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :


a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. [...]

[...]

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[39]            Je souligne que la norme établie dans l'arrêt Aqua-Gem a été citée récemment et approuvée par la Cour suprême du Canada au paragraphe 18 de l'arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Ligne N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, 2003 CSC 27.


[40]            À mon avis, en appliquant le critère établi dans l'arrêt Aqua-Gem, précité, je doit exercer mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début puisque la question tranchée par le protonotaire a soulevé une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, à savoir si Faurecia peut alléguer une nouvelle cause d'action distincte. En examinant la jurisprudence pertinente, je constate que des modifications aux actes de procédure qui avancent d'autres allégations ou causes d'action sont constamment considérées comme « ayant une influence déterminante sur l'issue du principal » aux fins du critère établi dans l'arrêt Aqua-Gem. Comme je l'ai affirmé dans l'arrêt Trevor Nicholas Construction Co. c. Canada (Ministre des travaux publics), [2003] A.C.F. no 357 (QL), 2003 CFPI 255, conf. sans commentaires sur ce point par [2003] A.C.F. no 1706 (QL), 2003 CAF 428, (au paragraphe 7) :

En l'espèce, la décision du protonotaire eu égard aux modifications de la déclaration porte sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause principale. Il convient de souligner que seuls certains types de modifications de la déclaration sont considérés comme étant déterminants sur l'issue de la cause principale. Une décision sur la modification proposée pourrait avoir pour effet d'empêcher le demandeur de faire valoir d'autres prétentions ou causes d'action contre le défendeur (voir Stoicevski c. Casement (1983) 43 O.R. (2d) 436 (C.A.)). Sur la question de la modification de la déclaration, je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début. [...]

[41]            De même, en l'espèce, je doit exercer mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[42]            Lear Canada a soulevé un dernier point relatif à la question portant sur la norme de contrôle applicable et elle a demandé à la Cour, en se fondant sur la décision Microfibres Inc., précitée, d'adopter le principe de retenue judiciaire de la décision du protonotaire puisque l'ordonnance contestée abordait une question assujettie en partie à sa gestion de l'instance. Je ne suis pas convaincu par cet argument.


[43]            À mon avis, selon le principe établi par le juge Gibson dans la décision Microfibres Inc., précitée, lorsqu'il faut faire preuve d'une retenue judiciaire à l'égard de la gestion de l'instance, on ne doit pas intervenir dans le cadre d'un appel relativement aux décisions des protonotaires ayant trait aux [traduction] « éléments quintessenciels de la gestion d'instance » que si elles s'appuient « sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits équivalant à un abus manifeste du pouvoir discrétionnaire » . La règle établie dans la décision Microfibres Inc. ne s'applique pas à des affaires dans lesquelles la décision du protonotaire soulève des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal et la Cour a conclu que sa discrétion doit être exercée en reprenant l'affaire depuis le début. La décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Merck & Co. c.Apotex, [2003] A.C.F. no 1925 (QL), 2003 CAF 488, aux paragraphes 40 et 41, étaye mon point de vue.

[44]            Je vais maintenant examiner la question de fond, à savoir si la Cour devrait accorder l'autorisation à Faurecia de déposer une déclaration modifiée qui comprend des allégations selon lesquelles Lear Canada [traduction] « aide et contribue à » ( « aids and assists in and contributes to » ) la contrefaçon d'un brevet par un tiers.

[45]            Question 2

L'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance rendue par la protonotaire devrait-il être accueilli?

Il convient de passer de nouveau en revue les allégations de fait que Faurecia soutient dans son allégation de contrefaçon indirecte contre Lear Canada :


[traduction] La défenderesse aide (aids and assists) et contribue à la contrefaçon du brevet par Ford d'aux moins les façons suivantes : en utilisant l'outillage et l'équipement de Ford lors de la fabrication desdits sièges complets et en vendant les sièges complets en vue d'être intégrés dans le véhicule.

[46]            En exerçant mon pouvoir discrétionnaire en reprenant la présente affaire depuis le début, je parviendrais à la même décision que la protonotaire. Faurecia ne devrait pas être autorisé à modifier sa déclaration de la façon proposée. L'appel interjeté par Faurecia doit être rejeté.

[47]            Par son ordonnance rendue le 3 avril 2001, la juge Hansen a radié une partie du paragraphe 19 de la déclaration selon lequel Lear Canada a [traduction] « aidé et encouragé » la contrefaçon par un tiers. Lear Canada a fait valoir, devant la juge Hansen, dans ses observations écrites que le fait d'aider et d'encourager la contrefaçon ne donne pas naissance à une cause d'action au Canada. La juge Hansen a radié l'allégation d'avoir [traduction] « aidé et encouragé » , mais a rejeté la requête pour radier les allégations liées au fait d'inciter ou d'amener quelqu'un à violer un droit.

[48]            Je partage l'avis de Lear Canada selon lequel la juge Hansen n'était pas saisie de la question relative à la pertinence des allégations de fait figurant dans la réponse de Faurecia à la demande de précision et, par conséquent, ne constitue pas une chose jugée. Je ne crois pas que l'opposition de Lear Canada aux modifications proposées de la déclaration constitue une tentative de débattre à nouveau sa requête en radiation du paragraphe 19.

[49]            Toutefois, j'estime qu'en demandant l'autorisation de modifier sa déclaration afin d'inclure des allégations selon lesquelles Lear Corp. [traduction] « aide à » ( « aids and assists » ) la contrefaçon (indépendamment de « contribue » ( « contributes » ) pour l'instant), Faurecia tente de débattre à nouveau une question déjà tranchée par la juge Hansen. Bien que je souscrive à l'argument de Faurecia selon lequel les termes anglais « aid » ( « aider » ) et « abet » ( « encourager » ) ont peut-être des significations distinctes, le terme anglais « assist » ( « aider » ) a la même signification que le terme « aid » ( « aider » ), lequel a déjà été radié de la déclaration en raison qu'elle ne révélait aucune cause d'action valable. L'extrait cité par Faurecia de l'arrêt R. c. Greyeyes, [1997] 2 R.C.S. 825 en vue d'appuyer son argument selon lequel la protonotaire a commis une erreur lorsqu'elle a dit que l'expression anglaise « aiding and assisting » ( « aidé » ) avait la même signification que l'expression anglaise « aiding and abetting » ( « aidé et encouragé » ) confirme que le terme anglais « aid » ( « aider » ) signifie « assist » ou « help » . En conséquence, je partage l'opinion de Lear Canada selon laquelle ces parties des modifications proposées ont déjà été radiées et l'autorisation de permettre que les allégations d'avoir [traduction] « aiding » ( « aidé » ) ou « assisting » ( « aidé » ) la contrefaçon soient incluses dans la déclaration ne devrait pas être accordée.


[50]            Je refuserai également l'autorisation de permettre à Faurecia d'alléguer que Lear Canada [traduction] « contribue » à la contrefaçon d'un tiers, sur le fondement qu'il est clair et manifeste que l'argument n'est pas défendable et est voué à l'échec (pour un exemple de la norme de la radiation des actes de procédure, voir l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959). Comme il a été jugé dans l'arrêt Visx Inc. c. Nidek Co., [1996] A.C.F. no 1721 (C.A.) (QL) ((1996) 209 N.R. 342) au paragraphe 16 et les autres décisions qui l'ont suivi en vertu des Règles de la Cour fédérale (1998), tel que modifiées, précitées, selon lesquels des modifications aux actes de procédure qui sont susceptibles d'être radiées ne devraient pas être permises par la Cour.

[51]            Le coeur de l'argument de Faurecia qui appuie l'autorisation consiste en le fait que l'étendue de la contrefaçon de brevet indirecte est incertaine en droit canadien et, puisque la Cour suprême du Canada n'a jamais exclu la complicité de contrefaçon de la catégorie de contrefaçon indirecte, les modifications proposées ne respectent pas le seuil élevé de ne révéler aucune cause d'action valable. Je ne suis pas de cet avis.

[52]            Dans l'arrêt Valmet Oy c. Beloit Canada Ltd., [1988] A.C.F. no 103 (C.A.) (QL), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée (1988) 21 C.P.R. (3d) v (note), la Cour d'appel fédérale a établi les exceptions à la règle générale selon laquelle faire affaire avec des éléments constitutifs d'une invention brevetée ne constitue pas une contrefaçon (à la page 14) :

[traduction] De plus, il est bien établi que la vente d'un article qui n'opère pas lui-même contrefaçon d'un brevet ne constitue pas une contrefaçon même si le vendeur sait que l'acheteur achète cet article dans le but de s'en servir pour contrefaire ce brevet. Il semble qu'il n'existe que deux exceptions à cette règle, savoir, qu'il y a contrefaçon :

a) si le vendeur, seul [note : Windsurfing Internatonal Inc. et al. c. Trilantic Corporation (1985), 8 C.P.R (3d) 241] ou en association avec une autre personne [note : Incandescent Gas Light Co Ltd. c. New Incandescent Mantle Co. (1898), 15 R.P.C. 81] vend toutes les composantes de l'invention àun acheteur pour qu'elles soient assemblées par ce dernier;


b) si le vendeur, en toute connaissance de cause et dans un but personnel, incite ou amène l'acheteur à contrefaire le brevet [note : Slater Steel Industries Ltd. et al. c. R. Payer Co. Ltd. et al. (1968), 38 Fox Pat. C. 139].

[53]            Faurecia conteste la décision rendue dans l'arrêt Beloit Canada,précité, au motif que cette dernière n'est pas finale et n'a pas force obligatoire relativement à l'étendue de la contrefaçon indirecte sur le fondement qu'elle n'est pas un arrêt de la Cour suprême faisant autorité et constitue un commentaire fait dans le cadre d'une procédure d'outrage et non dans le cadre d'une action en contrefaçon. Pour diverses raisons, je ne trouve pas de telles tentatives de distinguer l'arrêt Beloit Canada, précité, convaincantes. Premièrement, cette Cour est liée par les décisions de la Cour d'appel fédérale et deuxièmement, le critère établi dans l'arrêt Beloit Canada a été cité avec approbation par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c.Valmet-Dominion Inc., [1997] 3 C.F. 497 (C.A.) et a été appliqué à maintes reprises par cette Cour. Je conclus que, examinée par rapport à l'arrêt Beloit Canada, précité, l'allégation de Faurecia de la complicité de contrefaçon est sans fondement d'une telle façon qu'elle serait radiée et, par conséquent, la demande de modifier ses actes de procédure afin d'inclure une telle allégation doit être refusée.


[54]            En dernier lieu, je commenterai brièvement l'argument de Faurecia figurant au paragraphe 68 de ses observations écrites selon lequel, à titre d'officier de justice, l'avocat de Lear Canada est empêché de prendre une position incompatible avec sa position dans la décision Trojan Technologies Inc., précitée, et, par conséquent, doit être réputé accepter la position de Faurecia dans le cadre de la présente requête. Je ne suis pas convaincu qu'une telle obligation existe selon laquelle on doit toujours présenter des arguments compatibles devant la Cour, particulièrement lorsqu'un avocat représente différents clients dans des matières distinctes. De plus, puisqu'il existe une vaste différence de faits entre les deux décisions et que Faurecia n'a pas fourni de jurisprudence à l'appui de son argument, je conclus que ce raisonnement n'est pas fondé.

[55]            L'appel interjeté par Faurecia à l'encontre de l'ordonnance par la protonotaire Aronovitch est rejeté. Les dépens sont adjugés à Lear Canada.

                                                                ORDONNANCE

[56]            LA COUR ORDONNE que

1.          l'appel interjeté par Faurecia à l'encontre de l'ordonnance rendue par la protonotaire Aronovitch soit rejeté;

2.          les dépens soient adjugés à Lear Canada.

     « John A. O'Keefe »       

      Juge

Vancouver (C.-B.)

Le 19 mars 2004

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.                              


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                                                             

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-51-01

INTITULÉ :                                       FAURECIA AUTOMOTIVE SEATING

CANADA LTD.

                                                                                                                                       demanderesse

et

LEAR CORPORATION CANADA LIMITED

                                                                                                                                         défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 15 septembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 mars 2004

COMPARUTIONS :

Peter F. Kappel                                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Martha J. Savoy                                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kappel Ludlow

Toronto (Ontario)                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Ottawa (Ontario)                                                                       POUR LA DÉFENDERESSE


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