Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990429


Dossier : IMM-2725-98

ENTRE :

     RAKESH GAUTAM,

     NIRMAL DEVI GAUTAM,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A. INTRODUCTION

[1]      Rakesh Gautam et Nirmal Devi Gautam sont mariés. M. Gautam est au début de la cinquantaine et Mme Gautam est de quelques années sa cadette. Ils sont tous les deux des citoyens de l'Inde qui sont entrés au Canada en 1994 en vue de revendiquer le statut de réfugié.

[2]      Le fondement de leur demande était que, même s'ils étaient de religion hindoue, ils avaient appuyé les sikhs et le mouvement pour l'indépendance du Khalistan. En conséquence, M. Gautam a été arrêté, interrogé et battu par la police en Inde; il a déclaré que, s'il devait retourner en Inde, il craindrait pour sa vie en raison de ses opinions politiques et de ses activités.

[3]      La Section du statut de réfugié a rejeté la demande en 1996. Il a été décidé par la suite qu'en application du paragraphe 53(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, les demandeurs ne remplissaient pas les conditions requises pour rester au Canada en tant que demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, présumément parce qu'il a été jugé qu'il n'y avait pas de motifs suffisants de croire que leur vie ou leur liberté serait menacée en Inde du fait de leurs opinions politiques.

[4]      Les demandeurs ont ensuite demandé sans succès le droit d'établissement au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire en application du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration. L'avocat des demandeurs a informé la Cour que ses clients ont depuis lors été renvoyés du Canada, mais qu'ils ont persisté dans la présente demande de contrôle judiciaire de la décision négative fondée sur le paragraphe 114(2) en vue de faciliter leur retour au pays.

B. LA DÉCISION CONTESTÉE

[5]      Dans les prétentions écrites présentées à l'appui de leur demande fondée sur le paragraphe 114(2), les demandeurs ont prétendu que leur demande devrait recevoir un accueil favorable parce que M. Gautam a :

             [TRADUCTION]             
             Des antécédents professionnels stables, une période de résidence au Canada, une famille qui participe de façon continue aux activités communautaires et le niveau d'intégration à la société canadienne.             

[6]      L'auteur de la lettre résume ensuite brièvement les fondements des demandes antérieures, qui ont été rejetées, sans invoquer de nouveaux éléments de preuve importants ni de changements de situation et sans alléguer que les demandeurs subiraient des sanctions en Inde du fait de leurs activités politiques, sanctions peut-être moins sévères que ce qui est exigé pour qu'une demande du statut de réfugié ou une demande en tant que demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada soit accueillie. Il consacre le reste de sa lettre à donner des détails sur les aspects de la vie des demandeurs au Canada, ce à quoi il est fait référence dans l'extrait cité au paragraphe précédant, bien qu'il affirme également dans sa conclusion :


     [TRADUCTION]             
     De plus, M. Gautam continue d'avoir une crainte, qui à mon avis est fondée, d'être persécuté s'il était contraint de retourner en Inde.             

[7]      L'agente a rejeté la demande fondée sur le paragraphe 114(2) présentée par les Gautham pour le motif qu'ils n'avaient pas démontré des raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier une décision positive : premièrement, ils se trouvent au Canada depuis une période relativement courte et n'ont pas " démontr[é] qu'[il]s se sont établi[s] "; deuxièmement, ils ne feraient pas face à des difficultés excessives s'ils devaient retourner en Inde. Notant que la demande du statut de réfugié et la demande en tant que demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada présentées par les demandeurs avaient été rejetées, l'agente a conclu :

[TRADUCTION] " Il appert qu'il s'agit d'une affaire de mieux-être économique uniquement ".

C. QUESTIONS LITIGIEUSES ET ANALYSE

[8]      L'avocat des demandeurs a contesté la légalité de la décision de l'agente de rejeter la demande de ses clients fondée sur le paragraphe 114(2) pour deux motifs. Premièrement, sans examiner la preuve par elle-même, l'agente a fondé sa conclusion que les demandeurs ne subiraient aucune difficulté en Inde sur le fait que la Section du statut de réfugié et l'agent chargé de la révision des revendications refusées ont rejeté leurs demandes. Deuxièmement, en rejetant les demandes des demandeurs parce qu'ils n'avaient pas " démontr[é] qu'[il]s se sont établi[s] " au Canada, l'agente a commis une erreur de droit en fixant une norme d'établissement trop élevée à laquelle les demandeurs doivent satisfaire pour avoir gain de cause dans une demande fondée sur le paragraphe 114(2).

[9]      Avant d'examiner ces arguments, je devrais mettre l'accent sur la nature hautement discrétionnaire et résiduelle du paragraphe 114(2), et sur le lourd fardeau dont le demandeur doit donc s'acquitter pour convaincre la Cour qu'il était illégal de rejeter sa demande fondée sur cette disposition.

[10]      Bien que les motifs pour lesquels les tribunaux contrôlent habituellement l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi s'appliquent aux décisions fondées sur le paragraphe 114(2), la nature subjective des décisions qui doivent être rendues, et le fait qu'elles n'impliquent pas une décision quant aux garanties juridiques des demandeurs, rend inévitablement difficile pour les demandeurs d'établir qu'un agent a pris en considération un facteur qui n'est pas pertinent en droit quant à l'exercice du pouvoir discrétionnaire ou n'a pas tenu compte d'un facteur dont il devait tenir compte, a agi dans un but irrégulier, a illégalement omis d'exercer son pouvoir discrétionnaire ou a rendu une décision qui est par ailleurs manifestement déraisonnable.

[11]      Dans le même ordre d'idées, bien que l'obligation d'équité s'applique au processus décisionnel fondé sur le paragraphe 114(2), son contenu se situe à l'extrémité inférieure du spectre, en grande partie pour les mêmes raisons pour lesquelles il est difficile de contester avec succès des décisions en s'appuyant sur des motifs de fond : Shah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 170 NR 238 (C.A.F.).

[12]      Rappelons que le paragraphe 114(2) prévoit qu'une personne peut obtenir une dispense d'application d'une exigence prévue aux règlements, ou voir son admission au Canada facilitée de toute autre manière; la version anglaise de cette disposition précise :

             Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.                 

[13]      Le large pouvoir discrétionnaire que confère cette disposition n'a pas été limité par l'édiction dans la loi d'une définition du terme " raisons d'ordre humanitaire ". Toutefois, afin de réduire les contradictions chez les décideurs et de fournir une aide aux demandeurs lorsqu'il présentent leurs observations, Immigration Canada a publié des lignes directrices qui structurent l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 114(2).

[14]      Comme les lignes directrices l'indiquent elles-mêmes clairement, elles n'ont pas force obligatoire et n'énoncent pas de façon exhaustive les faits qu'un agent peut prendre en considération lorsqu'il s'acquitte de l'obligation que la loi lui impose d'examiner l'ensemble de la demande par référence au critère prévu par la loi, à savoir " [l'existence] de raisons d'ordre humanitaire ".

[15]      À l'inverse, les lignes directrices ne créent directement aucun droit pour les demandeurs qui croient qu'ils y ont satisfait, bien que la décision de rejeter une demande puisse être annulée au motif qu'elle constitue un abus de pouvoir discrétionnaire si elle est fondée soit sur une interprétation ou sur une application manifestement déraisonnable d'une disposition applicable prévue dans les lignes directrices, soit sur une disposition des lignes directrices qui était clairement non pertinente.

[16]      L'article IE 9.07 du Guide de l'immigration traite des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire en application du paragraphe 114(2). On peut voir une indication de la portée étroite que le ministère lui a attribuée dans les deux phrases suivantes tirées du paragraphe 2 de l'article IE 9.07.

             Il existe des considérations humanitaires lorsque des difficultés inhabituelles, injustes ou indues seraient causées à la personne sollicitant l'examen de son cas si celle-ci devait quitter le Canada.             
             [L]e fait qu'une personne soit autonome au Canada ne constitue pas habituellement un motif justifiant une recommandation favorable en raison de considérations humanitaires [...] Il doit y avoir d'autres facteurs permettant de déterminer si le rejet d'une demande entraînerait des difficultés inhabituelles.             
                                      [Non souligné dans l'original.]             
Question en litige 1 :      L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en fondant sa conclusion que les demandeurs ne feraient pas l'objet de sanctions en Inde sur le fait que la demande du statut de réfugié des demandeurs et leur demande en tant que demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada ont été rejetées?

[17]      L'avocat des demandeurs s'est contenté lors de l'audience d'invoquer les prétentions écrites qu'il avait soumises sur cette question. Il avait soutenu que l'agente avait entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne procédant pas une évaluation indépendante du risque auquel les demandeurs étaient susceptibles d'être exposés s'il étaient contraints de retourner en Inde. Subsidiairement, pourrait-on dire, en fondant sa décision sur les demandes antérieures, l'agente ne s'était pas acquittée de l'aspect de son obligation d'équité procédurale qui veut que le décideur instruise les demandes avec une rigueur raisonnable.

[18]      Cet argument ne saurait tenir au vu des faits du présent litige. Premièrement, dans les prétentions écrites présentées à l'agente, les demandeurs ont fondé leur demande sur le motif sur lequel ils s'étaient appuyés devant la Section du statut de réfugié et l'ARRR. Il était tout à fait approprié pour l'agente de se fonder sur le rejet des autres demandes lorsqu'elle a refusé la demande fondée sur le paragraphe 114(2), en l'absence d'éléments de preuve additionnels ou d'une prétention suivant laquelle, à leur retour en Inde, les demandeurs subiraient des sanctions excessivement sévères, même s'ils ne satisfaisaient pas à la définition de réfugié ou au critère d'évaluation du risque prévu à l'article 53 (menace à la vie ou à la liberté du fait, notamment, de leurs opinions politiques).

[19]      Deuxièmement, il semblerait, d'après les notes de l'agente qu'en fait, elle n'a pas fondé sa conclusion que les demandeurs pouvaient retourner en Inde sans danger uniquement sur les décisions antérieures. Ainsi, elle a noté que les membres de la famille des demandeurs, y compris leurs fils, avaient continué de vivre dans leur ville natale. L'agente a conclu qu'un examen complet des prétentions écrites et des déclarations faites à l'entrevue montrait que les demandeurs cherchaient à rester au Canada [TRADUCTION] " pour leur mieux-être économique uniquement ".

[20]      Il ne fait aucun doute qu'il aurait été préférable que l'agente réexamine expressément les allégations de crainte des demandeurs par référence à un critère plus flexible des lignes directrices concernant le paragraphe 114(2), à savoir le critère des " sanctions sévères ", ou celui des " mauvais traitements ". Toutefois, comme je l'ai déjà noté, les agents sont assujettis à une norme minimale d'équité procédurale lorsqu'ils examinent les demandes fondées sur le paragraphe 114(2), et je suis incapable de conclure que l'agente en l'espèce n'a pas accordé à la demande des demandeurs le degré d'examen que le droit leur reconnaissait.

Question en litige 2 :      L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en rejetant la demande parce que les demandeurs n'avaient pas " démontr[é] qu'[il]s se sont établi[s] "?

[21]      L'avocat des demandeurs a prétendu que l'agente avait fixé un critère d'établissement trop élevé, et qu'elle avait donc commis une erreur de droit. Il s'est appuyé sur l'article IE 9.06 des lignes directrices (" Raisons d'intérêt public ") et, en particulier, sur le paragraphe 3, selon lequel la demande d'établissement des résidents de facto en situation administrative irrégulière qui sont si bien établis qu'ils ont leur résidence au Canada et non à l'étranger peut être examinée au Canada. L'article IE 9.15 prévoit des critères d'établissement plus spécifiques aux fins de l'évaluation des demandes d'établissement en tant que résidents de facto en situation administrative irrégulière.

[22]      Je ne trouve pas cet argument convaincant. Premièrement, les Gautam n'ont pas présenté une demande d'établissement en tant qu'immigrants de facto en situation administrative irrégulière, mais une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, et, en conséquence, les critères d'établissement que l'avocat des demandeurs a invoqués ne s'appliquaient pas à leur demande.

[23]      Deuxièmement, les demandeurs, en tant que personnes dont le cas a été auparavant porté à l'attention des autorités de l'Immigration en raison de leur demande du statut de réfugié et de leur demande en tant que demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, n'étaient clairement pas visés par la définition de résidents de facto en situation administrative irrégulière prévue au paragraphe 3 de l'article IE 9.06.

[24]      Troisièmement, dans la mesure où l'agente était obligée de se demander jusqu'à quelque point les demandeurs s'étaient établis au Canada, il était raisonnable qu'elle examine ce facteur dans le contexte de la demande dans son ensemble et, notamment, de toute difficulté inhabituelle à laquelle ils feraient face en Inde et de la présence de parenté au Canada. Lorsqu'elle est arrivée à la conclusion que les demandeurs ne faisaient pas face à des difficultés excessives en Inde et n'avaient pas de parenté au Canada, l'agente était fondée à exiger une norme plus élevée d'établissement au Canada avant de décider qu'il y avait des raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour accueillir leur demande.

[25]      En fait, le passage auquel l'avocat des demandeurs a trouvé à redire, soit " démontrer qu'elles se sont établies ", se trouve à l'alinéa 3d ) de l'article IE 9.15 qui, dans le contexte de l'établissement et des résidents de facto en situation administrative irrégulière, prévoit :

             [L]es personnes qui n'ont pas de proches parents [...] devront démontrer qu'elles se sont établies et qu'elles ont atteint une stabilité financière de longue durée avant d'être admises.             
                                      [Non souligné dans l'original.]             

Même si ce paragraphe n'est directement applicable qu'aux demandes d'établissement présentées par des illégaux de longue date, il illustre la justesse de la méthode employée par l'agente en l'espèce.


D. CONCLUSION

[26]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

" John M. Evans "

Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 29 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                                  IMM-2725-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                      RAKESH GAUTAM,

                                         NIRMAL DEVI GAUTAM,

                                         - et -
                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE MARDI 27 AVRIL 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :                          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  LE JUGE EVANS         

DATE DES MOTIFS :                          LE JEUDI 29 AVRIL 1999

ONT COMPARU :                              M. Jaswinder Gill

                            

                                                     pour les demandeurs

                                         M. Ian Hicks                             

                                                     pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Jackman, Waldman & Associates

                                         Avocats

                                         281, avenue Eglinton Est

                                         Toronto (Ontario)

                                         M4P 1L3

                            

                                                     pour les demandeurs

                                         Morris Rosenberg

                                         Sous-procureur général du

                                         Canada

                                                     pour le défendeur

                                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19990429

         Dossier : IMM-2725-98

                                     Entre :

                            

                                     RAKESH GAUTAM,

                                     NIRMAL DEVI GAUTAM,

     demandeurs,

                                             - et -
                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

                    

                                    

            

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                    

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.