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Date : 20000327


Dossier : T-1327-99

                    

ENTRE :

     TODD BOURGEOIS

     Demandeur

     - et -

     BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

     PAULE GUILLEMETTE

     Défenderesses




     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY


[1]      Le demandeur cherche à obtenir le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne en date du 17 juin 1999 et à l"assortir d"une ordonnance d"annulation. La Commission a rejeté deux plaintes fondées sur les mêmes incidents allégués que le demandeur avait déposées à l"encontre de la banque défenderesse (la CIBC) et de Mme Guillemette, une employée de la banque.

[2]      La demande a été entendue par voie de vidéoconférence, en présence du demandeur qui agissait en son propre nom, de l"avocat qui représentait les deux défenderesses à Halifax et de la Cour qui siégeait à Ottawa. J"ai rejeté la demande à l"issue de l"audience tenue le 22 mars 2000, exposant alors oralement de brefs motifs à l"appui. À ce moment-là, j"avais indiqué que des motifs écrits suivraient, d"où les présents motifs, et je rends aujourd"hui une ordonnance écrite confirmant le rejet de la demande.

[3]      Le demandeur, M. Bourgeois, a été embauché par la banque pour un stage probatoire et a commencé à suivre le programme à Halifax. La défenderesse, Mme Guillemette, était l"une des coordonnatrices du programme, en particulier durant les trois premières semaines où elle est entrée en contact direct avec le demandeur et les collègues stagiaires de ce dernier. Elle n"était pas la coordonnatrice responsable du programme de la quatrième à la septième semaine. Le demandeur a déclaré qu"au cours de la durée du programme, cherchant à obtenir des conseils relativement à ses tracas, il avait eu quatre entretiens avec un conseiller travaillant à la banque par l"entremise d"une ligne téléphonique confidentielle pour les employés. Au cours de la huitième semaine, il a déposé une plainte auprès du service des Ressources humaines de la banque, alléguant avoir fait l"objet de harcèlement sexuel de la part de la défenderesse, Mme Guillemette, dans le cadre du programme de formation. On a jugé, dans le cadre de ce programme, que la performance du demandeur ne satisfaisait pas aux normes de la banque et, une semaine environ après le dépôt de la plainte, on a mis fin à son stage probatoire. Le demandeur estime qu"il en a été ainsi en raison de sa plainte; la banque soutient qu"il a été démis de ses fonctions parce qu"il ne remplissait pas les exigences du programme.

[4]      Après son départ, M. Bourgeois a déposé des plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, invoquant le harcèlement sexuel de Mme Guillemette et, en ce qui concerne la banque, le défaut d"offrir un milieu de travail libre de tout harcèlement et le congédiement motivé par le dépôt de la plainte. Ce faisant, le demandeur a communiqué à la Commission les adresses des témoins éventuels, rangeant dans cette catégorie l"employé avec lequel il a eu un entretien téléphonique pour obtenir des conseils et sa propre mère, qui aurait été contactée selon lui par Mme Guillemette. Aucune de ces deux personnes n"a été interrogée par l"enquêteur. Une troisième personne, membre du personnel des Ressources humaines de la banque et citée par M. Bourgeois comme témoin éventuel, a été interrogée par l"enquêteur de la Commission; mais s"étant débarrassée à ce moment-là de son journal intime, elle était incapable de fournir des renseignements à l"enquêteur.

[5]      L"enquêteur a mené son enquête en communiquant par téléphone avec les témoins éventuels, y compris avec les collègues stagiaires de M. Bourgeois. Aucun témoin, même pas M. Bourgeois, n"a été interrogé en personne, pas plus que Mme Guillemette si on se fie à M. Bourgeois. Dans le cadre de l"enquête de la Commission, les défenderesses ont été informées des plaintes du demandeur et leurs réponses écrites lui ont été acheminées pour qu"il y consigne ses propres observations. Le demandeur a effectivement rédigé ses commentaires, qu"il a ensuite transmis à la Commission. Les deux parties ont pris connaissance du rapport d"enquête définitif qui recommandait le rejet des plaintes et M. Bourgeois a eu une occasion de plus d"y inscrire ses commentaires.

[6]      Je remarque que le demandeur a cherché à obtenir des prestations d"assurance-emploi au terme de son emploi à la banque et que, en janvier 1998, le ministère du Développement des ressources humaines Canada l"a avisé qu"il n"était pas admissible aux prestations, n"ayant pas démontré qu"il se cherchait du travail au moment où il était inscrit au programme de formation de la CIBC. Le demandeur estime qu"il a eu de mauvais commentaires de la banque en raison de la plainte relative au harcèlement sexuel qu"il avait déposée. Bien que cela ait été un motif de sa plainte contre la banque devant la Commission, aucune preuve au dossier n"étaye la thèse selon laquelle le rapport rédigé par la banque à l"intention des agents de l"assurance-emploi était inexact et était motivé par le dépôt de la plainte de harcèlement sexuel.

[7]      Le rapport de l"enquêteur sur les plaintes déposées par le demandeur a été directement acheminé à la Commission canadienne des droits de la personne, assorti d"une copie des formules de plainte remplies par M. Bourgeois et de ses observations écrites sur le rapport de l"enquêteur. Le rapport, d"environ trois pages et demi, et les commentaires de M. Bourgeois, d"environ cinq pages et demi, sont tous deux détaillés.

[8]      Après examen, la Commission a informé M. Bourgeois par une lettre du 17 juin 1999 que sa décision de rejeter les plaintes a été prise après que les membres de la Commission eurent pris connaissance des rapports qui lui avaient été précédemment divulgués et des observations qu"il avait présentées en réponse à ces rapports. Sur le fondement du sous-alinéa 44(3)b )(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les plaintes ont été rejetées, les éléments de preuve n"étayant pas les allégations du plaignant.

[9]      La demande de contrôle judiciaire est fondée sur la perception du demandeur que les témoins clés n"ont pas été interrogés en personne par l"enquêteur et que les principaux éléments de preuve n"ont pas été examinés ou n"ont pas été pris en compte. Les témoins clés, qui n"ont pas été interrogés, seraient l"employé de la banque qui répondait aux questions par l"entremise de la ligne téléphonique des employés, ainsi que la mère du demandeur. Il n"est pas clair comment l"un ou l"autre aurait pu donner une preuve directe des incidents qui constituaient, selon M. Bourgeois, du harcèlement sexuel à son endroit. Mis à part l"argument que le point de vue du demandeur n"a pas suffisamment été pris en compte dans le rapport de l"enquêteur, aucun fait particulier des principaux éléments de preuve qui n"auraient pas été examinés n"a été mis de l"avant.

[10]      La décision de la Commission s"appuyait sur le sous-alinéa 44(3)b )(i), qui prévoit notamment que sur réception du rapport de l"enquêteur, la Commission "rejette la plainte, si elle est convaincue [...] que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l"examen de celle-ci n"est pas justifié".

[11]      Dans l"arrêt Cooper c. Canada (CDP) , [1996] 3 R.C.S. 854, à la p. 891, le juge La Forest, s"exprimant au nom des juges majoritaires, a énoncé:

La Commission n"est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu"elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu"un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l"ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L"aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s"il existe une preuve suffisante.[...]


[12]      L"arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier , [1999] 1 C.F. 113 (C.A.F.), à la p. 15, comporte une analyse sur l"exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission relativement au rapport d"enquête. Le juge Décary, s"exprimant au nom de la Cour, a noté entre autres :

La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l"exécution de sa fonction d"examen préalable au moment de la réception d"un rapport d"enquête. [...] Les motifs de renvoi à une autre autorité [...], de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne [...] ou, carrément, de rejet [...] comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et
d"opinion [...], mais on peut dire sans risque de se tromper qu"en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

Il ressort clairement que la norme de contrôle applicable au rejet d"une plainte par la Commission exige que la Cour fasse preuve d"un très haut degré de retenue à l"égard de la décision de la Commission, à moins qu"il y ait violation des principes de justice naturelle ou absence d"équité procédurale, ou à moins que la décision ne soit pas étayée par les éléments de preuve dont dispose la Commission.

[13]      La plainte du demandeur porte essentiellement que l"enquête menée par l"enquêteur de la Commission n"était pas suffisamment approfondie. Aucun élément de preuve n"indique toutefois qu"il y aurait eu violation des principes de justice naturelle ou absence d"équité procédurale. Le demandeur a eu l"occasion de commenter le rapport de l"enquêteur. Il l"a fait par écrit et la Commission disposait de ses commentaires et du rapport de l"enquêteur au moment où elle a pris sa décision. La Commission devait se prononcer sur la plainte du demandeur selon laquelle certains témoins n"ont pas été interrogés et traiter de la question de savoir si les témoins éventuels devaient être interrogés en personne. La Commission était au fait de ces questions et des autres réticences du demandeur quant au rapport de l"enquêteur. À mon avis, la décision de la Commission était fondée sur les éléments de preuve dont elle disposait.

[14]      Il n"appartient pas à la Cour de réexaminer les éléments de preuve et de tirer sa propre conclusion. Le législateur a conféré à la Commission le pouvoir d"enquêter et de déterminer, dans les limites de son pouvoir discrétionnaire, si une plainte fondée sur la Loi mérite d"être déférée à un tribunal des droits de la personne, ou si elle doit être rejetée. Dans l"exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la Commission jouit d"un degré considérable de retenue judiciaire.

[15]      Il ne s"agit pas en l"espèce de circonstances qui justifieraient une intervention de la Cour. Par conséquent, il y a lieu de rejeter la demande relative à une ordonnance d"annulation de la décision rendue par la Commission.

                                     (signé) W. Andrew MacKay

    

                                         JUGE


OTTAWA (Ontario)

Le 27 mars 2000


Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.



COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE:                  T-1327-99
INTITULÉ DE LA CAUSE:          Todd Bourgeois c. Banque canadienne impériale de commerce et Paule Guillemette
LIEU DE L"AUDIENCE:              Ottawa (Ontario) (en vidéoconférence avec Halifax (Nouvelle-Écosse))
DATE DE L"AUDIENCE:              le 22 mars 2000




MOTIFS DE L"ORDONNANCE


EXPOSÉS PAR LE JUGE MacKAY


EN DATE DU 27 MARS 2000




ONT COMPARU:

Todd Bourgeois en son propre nom              Pour le demandeur
Terry L. Roane, c.r.                      Pour les défenderesses

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Todd Bourgeois

Dartmouth (Nouvelle-Écosse)              Pour le demandeur

Cox, Hanson, O"Reilly, Matheson

Halifax (Nouvelle-Écosse)                  Pour les défenderesses



Date : 20000327


Dossier : T-1327-99

OTTAWA (Ontario), le 27 mars 2000.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY


ENTRE :

     TODD BOURGEOIS

     Demandeur

     - et -

     BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

     PAULE GUILLEMETTE

     Défenderesses



     VU la demande de contrôle judiciaire et la demande relative à une ordonnance d"annulation présentées par le demandeur à l"encontre de la décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne et communiquée au demandeur par une lettre datée du 17 juin 1999, par laquelle la Commission rejetait, au regard de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les plaintes dirigées par le demandeur contre chaque défenderesse;

     VU l"audience tenue par vidéoconférence en présence du demandeur agissant en son propre nom et de l"avocat représentant les deux défenderesses, les parties se trouvant à Halifax et la Cour siégeant à Ottawa, le 22 mars 2000, et après avoir entendu les observations des parties, la Cour a rendu oralement son jugement, qui est par la présente confirmé;

    

ORDONNANCE

     LA COUR ORDONNE :

     1.      La présente demande est rejetée.
     2.      Les dépens sont adjugés aux défenderesses, celles-ci n"ayant droit ensemble qu"aux dépens partie-partie normaux prévus pour un seul avocat agissant en leur nom.

                                     (signé) W. Andrew MacKay


    

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

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