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Date : 19990629

Dossier : IMM-4846-98

ENTRE :

                                                    JOHN SOOSAIPILLAI

                                                           et RITA JOHN,

                                                                                                                           demandeurs,

                                                                       et

              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                              défendeur.

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]         Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs contestent la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section du statut de réfugié (SSR), datée du 28 août 1998, par laquelle la SSR a conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, tels que définis au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1].


Contexte

[2]         Les demandeurs, John Soosaipillai et son épouse, Rita John, sont des citoyens du Sri Lanka. Peu de temps après leur arrivée au Canada le 23 août 1997, le couple a présenté une revendication de statut de réfugié au sens de la Convention à Etobicoke (Ontario). Leurs revendications sont fondées sur leurs opinions politiques présumées, leur race, et leur appartenance à un groupe social, savoir les Tamouls du Nord du Sri Lanka. Les demandeurs ont un fils qui est venu au Canada en juillet 1995, et qui s'est vu octroyer le statut de réfugié au sens de la Convention.

[3]         Dans la partie narrative de son formulaire de renseignements personnels, la demanderesse explique les circonstances qui ont amené le couple à revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention[2]. Elle déclare que sa famille appuyait le Front de libération tamoul unifié, un parti politique démocratique dont l'objectif est la création, par des moyens pacifiques, d'une nation tamoule dans le Nord du Sri Lanka. La demanderesse déclare que sa famille a été persécutée depuis 1984, tant par les forces armées sri lankaises que par les TLET. Leur fils a été arrêté par l'armée sri lankaise en 1989. En 1992, les demandeurs ont été expulsés de leur village et utilisés comme bouclier humain contre les TLET. À l'été 1997, l'armée a raflé et emprisonné bon nombre de Tamouls par suite d'une attaque des TLET contre une jeep de l'armée. Les demandeurs ont été alignés avec d'autres prisonniers et l'armée a tiré des coups de feu. Le matin suivant, les demandeurs ont été libérés à condition qu'ils se présentent chaque mardi au camp militaire pour les renseigner sur les TLET. Craignant pour leur sécurité, les demandeurs ont quitté le Nord et se sont rendus à Colombo.

[4]         Les demandeurs se sont installés dans un refuge à Colombo et ils ont contacté leur fils au Canada. Les forces policières ont investi le refuge à trois occasions, interrogeant chaque fois les demandeurs. Comme le demandeur était tombé malade à la fin de 1995, le couple a reçu l'autorisation de résider à Colombo jusqu'à ce que ce dernier puisse être soigné. Les policiers sont revenus une quatrième fois au refuge et, à cette occasion, ils ont maltraité les demandeurs. Suite à une intervention du directeur du refuge, qui leur a peut-être versé un pot-de-vin, les policiers n'ont pas amené les demandeurs au poste de police en même temps que les autres.

La décision de la SSR

[5]         La SSR convient que les demandeurs avaient une crainte fondée d'être persécutés dans le Nord du Sri Lanka, mais elle a conclu qu'ils avaient une possibilité raisonnable de refuge dans une autre partie du même pays (PRI), savoir à Colombo.

[6]         La SSR a appliqué le critère en deux volets de l'arrêt Rasaratnam c. Canada (MEI)[3], savoir qu'elle doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'y a pas de risque sérieux qu'un demandeur soit persécuté dans la partie du pays où elle est d'avis qu'il existe une PRI, et qu'il ne serait pas déraisonnable que le demandeur s'y réfugie.

[7]         La SSR n'était pas convaincue qu'il n'existait qu'une maigre possibilité que les demandeurs soient persécutés s'ils retournaient à Colombo. Elle a aussi conclu que, même si le traitement infligé à la demanderesse par les policiers de Colombo était certainement déplaisant, il n'était pas suffisant pour justifier que les demandeurs reçoivent le statut de réfugié au sens de la Convention :

                                [traduction]

Bien que la revendicatrice ait témoigné qu'elle et son mari avaient été « torturés » à Colombo, elle a concédé, après qu'on l'a questionnée à plusieurs reprises, que les mauvais traitements dont il était question consistaient à avoir été interrogée, battue une fois, et presque amenée au poste de police. Bien que le traitement reçu à Colombo soit fort déplaisant, on ne peut dire qu'il constitue une période significative au cours de laquelle on aurait infligé de façon systématique des sévices ou des menaces, ou même qu'il y ait eu un seul incident sérieux qui pourrait être qualifié de persécution dans le cadre de la définition du réfugié au sens de la Convention. Il n'y a pas là non plus de quoi donner naissance à une crainte fondée de persécution à Colombo si les revendicateurs continuaient d'y résider[4].

[8]         La SSR s'est fondée sur la preuve documentaire pour justifier la conclusion qu'elle a tirée dans le cadre du premier volet du critère de Rasaratnam. Cette preuve semblerait démontrer que les résidents de Colombo, qu'ils soient Cinghalais ou Tamouls, sont soumis à des contrôles d'identité fréquents. En général, si une personne peut établir son identité et indiquer pourquoi elle se trouve à Colombo, elle est relâchée rapidement. La SSR a noté que les demandeurs ont des certificats de naissance, ce qui devrait leur permettre d'établir leur identité au besoin.

[9]         La SSR a aussi constaté que les demandeurs n'ont pas le profil des Tamouls qui semblent avoir des difficultés importantes à Colombo :

                                [traduction]

La preuve documentaire démontre que les jeunes Tamouls, surtout ceux qui se rendent seuls à Colombo et qui viennent d'arriver du Nord, peuvent avoir des difficultés à s'y établir [note de bas de page omise]. Les revendicateurs qui voyagent ensemble peuvent prouver qu'ils se sont absentés du Sri Lanka depuis août 1997 et ils ne seraient pas rangés parmi les « jeunes » à l'occasion de vérifications d'identité. Par conséquent, le tribunal conclut qu'il n'y a pas de possibilité sérieuse que les revendicateurs soient persécutés à Colombo pour des motifs qui en feraient des réfugiés au sens de la Convention[5].

[10]       Au sujet du deuxième volet du critère portant sur la PRI, la SSR a cité Periyathamby c. Canada (MCI)[6], qui porte que l'examen devrait consister à se demander non pas s'il serait déplaisant pour les demandeurs de chercher refuge dans la partie du pays en cause, mais bien s'il serait trop exigeant de s'attendre à ce qu'ils y aient cherché refuge. Les circonstances entourant la situation des demandeurs doivent être examinées dans le contexte des conditions qui prévalent présentement à Colombo.

[11]       La SSR a conclu que, au vu de toutes les circonstances, notamment celles qui sont propres aux demandeurs, il ne serait pas déraisonnable qu'ils se réfugient à Colombo. La SSR a cependant constaté que le demandeur, qui est âgé de 55 ans, a des problèmes de santé, notamment des pertes de mémoire et des troubles d'audition. La demanderesse, qui est âgée de 49 ans, a quitté l'école après la sixième année et elle n'a jamais occupé d'emploi à l'extérieur de son domicile.

Analyse

[12]       Au sujet de l'existence d'une possibilité sérieuse de persécution à Colombo, les demandeurs soutiennent que comme la persécution qu'ils ont subie dans le Nord était le fait d'agents gouvernementaux, il n'existe aucune PRI au Sri Lanka. Bien que le fardeau de prouver qu'il n'y a pas de PRI incombe aux demandeurs, puisqu'ils revendiquent le statut de réfugié, dans une affaire comme celle-ci où la persécution est le fait d'agents gouvernementaux, je me range au point de vue qui veut que le fardeau en question ne soit pas très lourd.

[13]       En fait, les faits de la présente affaire démontrent que la persécution a continué à Colombo. Les demandeurs se sont enfuis du nord du pays le 5 août 1997, ils ont été persécutés par les forces policières le 13 août 1997, et ils ont quitté le pays le 16 août 1997.

[14]       S'agissant de l'aspect raisonnable de la PRI, la description que le juge Linden fait de ce concept dans Thirunavukkarasu c. Canada (MEI)[7]est éclairante :

Je dois tout de suite signaler que la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays n'est pas une défense légale. Ce n'est pas non plus une théorie juridique. C'est simplement une expression commode et concise qui désigne une situation de fait dans laquelle une personne risque d'être persécutée dans une partie d'un pays mais pas dans une autre partie du même pays. Le concept de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est « inhérent » à la définition de réfugié au sens de la Convention ... il ne lui est pas du tout distinct. Selon cette définition, les demandeurs du statut doivent craindre avec raison d'être persécutés et, du fait de cette crainte, ils ne peuvent ou ne veulent retourner dans leur pays d'origine. S'il leur est possible de chercher refuge dans leur propre pays, il n'y a aucune raison de conclure qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de ce pays.

[15]       La question à laquelle on doit répondre est celle-ci : serait-ce trop exigeant de s'attendre à ce que les demandeurs, qui sont persécutés dans une partie du pays, déménagent dans une autre partie du pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l'étranger? La PRI ne peut pas être seulement supposée, elle doit être une option viable, abordable et accessible.

[16]       En s'acquittant du fardeau de la PRI qui leur est imposé, les demandeurs soutiennent que la SSR n'a pas examiné de façon intégrale et équitable la preuve documentaire dont elle était saisie.

[17]       Les demandeurs s'opposent à la façon dont la SSR a traité la réponse à une demande d'information du 24 mai 1996, qui est fondée sur une entrevue téléphonique avec un employé du South Asia Women's Community Centre[8]. Voici le passage pertinent :

                                [traduction]

La source indique que les personnes âgées tamoules en provenance de Jaffna, qui déménagent seules à Colombo et qui sont séparées de leur famille, font face à des difficultés importantes. Elles n'ont pas accès au soutien familial traditionnel et, selon la source, elles peuvent être l'objet de discrimination à cause de leur origine ethnique. Les Tamouls âgés qui se trouvent à Colombo ont des difficultés à se prévaloir des services gouvernementaux du fait qu'ils n'ont pas les autorisations de résidence normales; ils ne sont pas généralement appuyés par les autorités locales lorsqu'ils cherchent à obtenir les services gouvernementaux en question. Ces difficultés sont encore plus grandes compte tenu des problèmes linguistiques, qui font que les personnes âgées de langue tamoule sont facilement identifiées selon leur origine ethnique[9].

[18]       Les demandeurs soutiennent que la SSR a commis une erreur en ne tenant pas compte de cette preuve, qui contredit sa conclusion voulant que les Tamouls âgés peuvent obtenir des services sociaux à Colombo.

[19]       Je suis d'accord avec ce point de vue. J'en conclus que la conclusion de la SSR quant à la disponibilité d'une PRI ne tient pas compte de l'ensemble de la preuve dont elle était saisie et, notamment, de la preuve qui contredit directement sa conclusion.

[20]       En conséquence, j'annule la décision de la SSR et renvoie l'affaire à un nouveau tribunal pour réexamen, la seule question à déterminer étant celle de savoir s'il y a une PRI. Dans son processus de prise de décision, le tribunal de la SSR chargé du réexamen doit tenir compte de ma conclusion que le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur quant à l'absence d'une PRI en l'instance n'est pas très lourd.

                                                                                                          « Douglas R. Campbell »          

                                                                                                                                         Juge                           

Toronto (Ontario)

Le 29 juin 1999

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier



                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                        Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                                                         IMM-4846-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :    JOHN SOOSAIPILLAI

                                                                                    et RITA JOHN

                                                                                                                       

            et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                                            LE MARDI 29 JUIN 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :                                                             MARDI 29 JUIN 1999

ONT COMPARU :                                                     M. I. Francis Xavier

                                                                                                pour les demandeurs

                                                                                    M. Stephen H. Gold

                                                                                                pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                   I. Francis Xavier

Barrister & Solicitor

2401 est, avenue Eglinton

Suite 210

Scarborough (Ontario)

M1K 2M5

                                                                                                pour les demandeurs

                        Morris Rosenberg

                                                                                    Sous-procureur général

                                                                                    du Canada

                                   

                                                                                                pour le défendeur


                                                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                  Date : 19990629

                                                                                                                       Dossier : IMM-4846-98

                                                                                    entre :

                                                                                    JOHNSOOSAIPILLAI

                                                                                    et RITA JOHN,

                                                                                                                                         demandeurs,

et

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                            défendeur.

           

                                                                                                                                     

                                   

                                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                                                  



[1]      Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

[2]      Dossier de la demande des demandeurs, onglet 4, p. 32.

[3]      Rasaratnam c. Canada (MEI), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.).

[4]      Dossier de la demande des demandeurs, onglet 3, motifs de décision, p. 4.

[5]      Dossier de la demande des demandeurs, onglet 3, motifs de décision, p. 5.

[6]      Periyathamby c. Canada (MCI) (1995), 26 Imm.L.R. (2d) 179 (C.F. 1re inst.).

[7]      Thirunavukkarasu c. Canada (MEI), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.).

[8]      Dossier du tribunal, réponse à la demande de renseignements LKA23863.E, pp. 116 à 120.

[9]      Un rapport de janvier 1996, en provenance du Haut-commissariat du Canada à Colombo et annexé à la demande d'information, dit :

                                [traduction]

Les personnes âgées peuvent se réinstaller à Colombo et elles obtiendraient certainement une pension et d'autres bénéfices sociaux. La disponibilité d'un logement varie d'une personne à l'autre, selon le revenu.

Il est concevable que les parents qui restent au Sri Lanka après que leurs enfants ont quitté le pays puissent faire l'objet de manoeuvres d'extorsion, mais nous ne savons pas de la part de qui et de quelle façon. Nous ne savons pas non plus si la possibilité d'une telle activité criminelle les visent plus que les membres de la population en général.

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