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Date : 19991126


Dossier : T-967-76

OTTAWA (ONTARIO) CE 26ième JOUR DE NOVEMBRE 1999

EN PRÉSENCE DE L"HONORABLE JUGE TREMBLAY-LAMER

Entre :

     ROGER GAUTHIER INC.

     Partie demanderesse

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE

     Partie défenderesse

     - et -

     BELCOURT CONSTRUCTION COMPANY

     Mise-en-cause


     O R D O N N A N C E


     La demande en réparation délictuelle de la demanderesse est maintenue avec dépens. Conformément à la directive émise par le juge Hugessen le 2 avril 1998, une nouvelle audition interviendra afin de permettre aux parties de faire des représentations quant aux dommages allégués.





     "Danièle Tremblay-Lamer"

                                     JUGE







Date : 19991126


Dossier : T-967-76

Entre :

     ROGER GAUTHIER INC.

     Partie demanderesse

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE

     Partie défenderesse

     - et -

     BELCOURT CONSTRUCTION COMPANY

     Mise-en-cause



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE TREMBLAY-LAMER:



[1]      Il s"agit d"une action en responsabilité délictuelle de la Couronne prise en vertu des articles 3(1)a) et 8 de la Loi sur la responsabilité civile de la Couronne en matière délictuelle et en matière de sauvetage1 visant à déterminer la responsabilité de cette dernière quant à des dommages allégués par la demanderesse résultant du refus d"une soumission publique.


LES FAITS


[2]      En 1974, le Ministère des Travaux publics, suite à l"élaboration d"un projet avec le ministère-client, le Ministère des postes, fit un appel d"offres de location/construction afin d"aménager une station postale à Montréal; la station postale étant identifiée comme la station postale "R". L"avis d"appel d"offres fut publié dans les journaux les 23 et 30 avril 1974 et le 7 mai 1974.


[3]      L"appel d"offres requérait des soumissions pour un édifice d"une superficie approximative de 9 780 pieds carrés avec trois alternatives de location, soit un bail de 10 ans, 15 ans ou 20 ans, pour le futur emplacement de la station postale. La date limite pour le dépôt des soumissions avait été fixée au 5 juin 1974.


[4]      En date du 5 juin 1974, deux soumissions avaient été retenues, l"une de la demanderesse et l"autre de la mise-en-cause, Belcourt Construction Company ("Belcourt").

[5]      La demanderesse soumit2 une offre de location pour un immeuble ayant une superficie totale de 14 108 pieds carrés, comportant les modalités de location suivantes:

     a)      Louer pour une durée de dix (10) ans, au loyer annuel de 197 512,00$ dollars au taux de 14,00$ le pied carré.
     b)      Louer pour une durée de quinze (15) ans, au loyer annuel de 188 356,00$ dollars au taux de 13,40$ le pied carré.
     c)      Louer pour une durée de vingt (20) ans, au loyer annuel de 177 480,00$ dollars au taux de 12,58$ le pied carré.

[6]      Quant à Belcourt, ce dernier proposa3 un édifice de deux étages ayant une superficie de 8 780 pieds carrés au rez-de-chaussée et 1 000 pieds carrés au deuxième étage, pour une superficie totale de 9 780 pieds carrés. Les modalités de location étaient les suivantes:

     a)      Louer pour une durée de dix (10) ans, au loyer annuel de 135 000,00$ dollars au taux de 13,80$ le pied carré.
     b)      Louer pour une durée de quinze (15) ans, au loyer annuel de 128 000,00$ dollars au taux de 13,08$ le pied carré.
     c)      Louer pour une durée de vingt (20) ans, au loyer annuel de 125 000,00$ dollars au taux de 12,78$ le pied carré.

[7]      Le 19 mars 1975, le Ministère des Travaux publics accepta la soumission de Belcourt; la demanderesse, quant à elle, fut informée du rejet de sa soumission et remboursée de son dépôt en garantie le 13 juin 1975.

ARGUMENTATION DES PARTIES

Arguments de la demanderesse

     1)      Exigences requises au cahier de charges quant à l"immeuble

[8]      La demanderesse soumet que le fait pour la défenderesse de requérir la construction/location d"un immeuble d"un étage, contrairement au règlement de zonage 4239 applicable à l"époque (lequel exigeait la présence de deux étages) démontre la mauvaise foi de cette dernière. Cette mauvaise foi est d"autant plus flagrante que la défenderesse avait tenté qu"acquérir, quelques années auparavant, l"emplacement proposé par la demanderesse au motif que ce dernier correspondait aux besoins du ministère-client.

     2) Existence d"une liste préétablie d"entrepreneurs

[9]      La demanderesse prétend que l"existence d"une liste visant à informer certains entrepreneurs de l"existence d"un appel d"offres avant sa publication va à l"encontre des principes d"équité et de justice naturelle.

     3) Informations reçues avant la publication de l"appel d"offres

[10]      La demanderesse soutient avoir été injustement disqualifiée du processus d"appel d"offres. En effet, la défenderesse aurait omis de reconnaître le fait que sa soumission faisait suite aux informations fournies par un représentant du ministère-client, M. Laliberté, qui par ailleurs l"avait encouragé à proposer le site convoité antérieurement par le ministère en question.

     4) Non-conformité de la soumission de Belcourt

[11]      D"après la demanderesse, Belcourt aurait obtenu le contrat sur la base d"une soumission non conforme aux spécifications essentielles contenues au cahier de charges et en conséquence la défenderesse ne possédait pas la discrétion requise pour faire des modifications unilatérales à la soumission acceptée. En effet, cette dernière aurait dû permettre aux autres soumissionnaires de remédier aux lacunes de leur soumission ou procéder à un nouvel appel d"offres afin d"assurer l"intégrité du processus.

     5) Option d"achat et droit de propriété

[12]      Selon les exigences contenues au cahier de charges, les soumissionnaires devaient démontrer leur droit de propriété et devaient accompagner leur offre d"une résolution de la compagnie soumissionnaire. Dans le cas où ces exigences n"étaient pas remplies, la défenderesse n"était pas autorisée à considérer ces soumissions.

[13]      Or, les articles 4 et 5 du chapitre A1 du cahier de charges n"ont pas été respectés par Belcourt qui a fait défaut de fournir la preuve de l"existence d"une seconde option d"achat suite à l"extension de délai de six mois obtenue sur l"offre d"achat de l"emplacement suggéré.

     6) Le coût de la location/construction

[14]      De l"avis de la demanderesse, un élément essentiel de l"offre de Belcourt fut renégocié après la clôture des soumissions, soit le coût de la location au pied carré.

[15]      En effet, l"offre de location de Belcourt, pour une durée de vingt (20) ans, calculée au pied carré, était supérieure à celle de la demanderesse. Elle fut renégociée à la baisse, passant de 12,78$ à 11,75$ le pied carré. Il s"agit d"un usage illégal de la discrétion de la défenderesse puisque les droits des parties étaient cristallisés lors de la clôture du dépôt des soumissions. Toute renégociation de l"offre sans consultation des autres soumissionnaires résulte en un usage abusif du pouvoir discrétionnaire de la défenderesse. Dans une telle situation, compte tenu des règles d"équité procédurale, celle-ci aurait dû procéder à un nouvel appel d"offres dès qu"elle constate les irrégularités à la soumission de Belcourt.

     7) Modifications successives des plans et devis proposés

[16]      La demanderesse soutient que même dix (10) mois après la date de clôture du dépôt des soumissions, les documents d"appel d"offres de Belcourt ainsi que les plans soumis n"étaient pas conformes aux exigences du cahier de charges et ce, ni à la date de l"autorisation donnée par le Conseil du Trésor ni à la date où le contrat définitif fut accordé, de telle sorte que le contrat n"aurait jamais dû être accordé.

     8) Délai lors de la remise du dépôt en garantie

[17]      La demanderesse n"a reçu son dépôt en garantie que cinquante-trois (53) semaines après la date de clôture des soumissions (contrairement aux instructions qui prévoyaient le renvoi du dépôt dans les six (6) mois) et ce, sans explication dans l"intervalle. En agissant ainsi, la défenderesse a causé un préjudice à la demanderesse en ce que cette dernière n"a pas eu la possibilité de réagir à ce refus avant que le contrat n"eut été accordé.

     9) Les principes d"équité procédurale et de justice naturelle

[18]      La demanderesse soumet qu"elle possédait un droit légitime de croire que la procédure établie par les lois et règlements serait respectée par les institutions gouvernementales. Ainsi, la défenderesse avait un devoir d"agir équitablement lorsqu"une décision était susceptible d"affecter les droits et intérêts des contribuables.

[19]      Le fait d"être disqualifié suite aux représentations faites par le préposé du Ministère des postes résultait nécessairement en un abus du pouvoir discrétionnaire de la défenderesse.

[20]      Invoquant le témoignage de M. Bellemare, agent de projet à cette époque pour le compte du Ministère des Travaux publics, la demanderesse soumet qu"elle a été victime de discrimination systématique de la part de la défenderesse et qu"il y avait concertation entre les préposés de la Couronne afin qu"elle n"obtienne jamais de contrats gouvernementaux. Ce comportement constitue donc une faute civile qui démontre bien les abus de droit commis par les préposés de la défenderesse et leur mauvaise foi.

[21]      Quant à l"application de l"ordonnance du Conseil du Trésor datée du 29 mai 1964 dans la mesure où cette dernière trouve application, la soumission de Belcourt aurait dû être rejetée puisqu"elle ne rencontrait pas les spécifications.

Arguments de la défenderesse

     1) Informations privilégiées obtenues par la demanderesse

[22]      La défenderesse soumet que la demanderesse a bénéficié d"un traitement privilégié en ayant obtenu des informations quant à l"appel d"offres avant même la parution de cette dernière dans les journaux.

[23]      Compte tenu des informations qu"elle avait obtenues, la demanderesse était alors en position de présenter une soumission conforme au cahier de charges. Toutefois, son manque d"expérience, de connaissance et d"expertise l"avait empêché de réaliser l"importance du dépôt d"une soumission conforme aux exigences requises.

     2) Le processus d"appel d"offres

[24]      La défenderesse soumet qu"en 1974 aucune loi ni aucun règlement ne prévoyait l"obligation pour la Couronne de procéder par appel d"offres dans le cadre d"une location d"immeuble à construire ou existant. Ce n"est qu"après 1975 qu"une telle obligation fut imposée et que les tribunaux ont développé de nouvelles règles en droit administratif.

[25]      Toutefois, ces règles ne trouvent pas application dans le cadre du présent dossier puisqu"elles n"existaient pas à cette époque. Ainsi, l"expectative légitime et l"obligation d"agir équitablement ne peuvent être invoquées comme source de responsabilité civile délictuelle, telle que prévue aux articles 1053 du Code civil du Bas-Canada et ces dernières ne créent aucun droit matériel.

[26]      Par ailleurs, la preuve démontre que le Ministère des postes requérait depuis déjà longtemps un espace locatif d"environ 9 780 pieds carrés. Les exigences de l"appel d"offres étant les mêmes qu"il s"agissait d"un édifice à construire ou d"un édifice existant.

[27]      En ce qui a trait à la négociation à la baisse du loyer proposé par Belcourt, aucune clause du cahier de charges n"empêchait cette dernière de négocier le montant du loyer avec le plus bas soumissionnaire. De plus, la demanderesse n"a subi aucun préjudice puisque Belcourt était déjà le plus bas soumissionnaire et que les modifications n"ont pas changé l"ordre des soumissionnaires.

[28]      Les informations transmises par les préposés du Ministère des Travaux publics au Conseil du Trésor afin que ce dernier donne son approbation au projet, reflétaient tous les faits quant aux deux soumissions reçues.

[29]      Par ailleurs, la décision du Conseil du Trésor du 21 novembre 1974 n"a été communiquée aux représentants du Ministère des Travaux publics à Montréal, que le 7 mars 1975 en raison des interventions faites par M. Roger Gauthier auprès d"hommes politiques. Ainsi, ce n"est qu"après le 19 mars 1975 que Belcourt fut informé de l"obtention du contrat.

    

     3) Respect des spécifications contenues au cahier de charges

         i) L"option d"achat et le droit de propriété

[30]      En ce qui concerne l"option jointe à la soumission de Belcourt, cette dernière était conforme à l"appel de soumission et même si elle était irrégulière, cette irrégularité ne serait que mineure.

         ii) Plans

[31]      Suivant l"article 9, chapitre A1 du cahier de charges, seuls des plans préliminaires devaient accompagner la soumission et non des plans détaillés et finaux.

[32]      Ainsi, suivant l"article 7, chapitre B 3 et l"article 27, chapitre C 1, le devis ne requérait qu"un espace de 9780 pieds carrés, des esquisses et devis sommaires, un espace de stationnement de 10 véhicules et une cour pour permettre le stationnement d"un camion remorque de 50 pieds. De plus, le Ministère des postes, en date du 19 décembre 1974, a confirmé que la soumission de Belcourt rencontrait les exigences requises.

[33]      En conséquence, la défenderesse soumet que les échanges intervenus entre Belcourt et les deux ministères impliqués, soit le Ministère des postes et le Ministère des Travaux publics, n"avaient pas eu pour effet de modifier la nature et le coût du projet accepté par le Conseil du Trésor.

[34]      Les ajustements faits après l"acceptation des plans n"avaient aucune incidence sur l"acceptation de la soumission. En effet, les plans requis lors de l"appel d"offres étant sommaires, ces derniers étaient fréquemment complétés lors d"une phase ultérieure.

[35]      Par ailleurs, la station postale "R" avait été inspectée et avait reçu des représentants de la Ville de Montréal les autorisations et approbations requises.

[36]      En tout état de cause, la demanderesse fut traitée d"une façon équitable puisque sa soumission fut examinée au même titre que les autres malgré le fait qu"elle avait bénéficié d"informations privilégiées auxquelles aucun autre soumissionnaire n"avait eu accès.

     4) Fardeau de la preuve et faute civile

[37]      Suivant le jugement Wilfrid Nadeau Inc. v. La Reine4, il appartient à la demanderesse de démontrer que les préposés de la Couronne ont commis une faute en rédigeant les recommandations sur lesquelles le Conseil du Trésor avait fondé sa décision. Il ne suffit pas de démontrer que ces recommandations étaient fausses, incomplètes ou trompeuses mais encore qu"elles avaient entraîné l"approbation du Conseil du Trésor et que sans elles celui-ci aurait accordé la préférence à l"offre de la demanderesse.

[38]      De plus, les règles de droit applicables à une action en responsabilité délictuelle contre la Couronne sont celles alors en vigueur à cette époque. Suivant l"article 3 de la Loi sur la responsabilité civile de la Couronne en matière délictuelle et en matière de sauvetage 5, ce sont les articles 1053 et suivants du Code civil du Bas-Canada qui trouvent application.

[39]      En l"espèce, la défenderesse soutient que les préposés de la Couronne n"ont commis aucune faute ou négligence lors des différentes étapes du processus d"approbation de l"appel d"offres. En effet, la preuve démontre que la soumission de Belcourt était conforme et répondait aux exigences du cahier de charges.

[40]      Quoi qu"il en soit, le contrôle judiciaire de décisions administratives et la responsabilité civile ne couvrent pas nécessairement des situations identiques. Il en résulte donc que ce ne sont pas toutes les situations qui permettent un recours en dommages et intérêts.

[41]      En dernier lieu, il existe une distinction entre les préposés de la Couronne, soit les fonctionnaires du Ministère des Travaux publics, et les membres du Conseil du Trésor puisque ces derniers ne peuvent être assimilés à des préposés de la Couronne. Ainsi, les décisions du Conseil du Trésor fondées sur tous les renseignements pertinents ne sauraient engendrer la responsabilité de la Couronne. Pour engendrer une telle responsabilité, la demanderesse devra faire la preuve de l"existence d"une faute qualifiée ou intentionnelle. En l"espèce, la défenderesse soumet qu"aucune preuve d"une telle faute n"a été faite quant à l"octroi du contrat à Belcourt par les membres du Conseil du Trésor.

QUESTION EN LITIGE

     Eu égard au droit applicable, y a-t-il eu commission d"une faute, par un ou plusieurs préposés de la Couronne lors de l"application de l"ordonnance du Conseil du Trésor datée du 29 mai 1964?

DROIT APPLICABLE EN 1974

Principes généraux

[42]      Tel que l"indique la Cour suprême du Canada dans R . c. Nord-Deutsche et al6, les règles de droit applicables à une action en responsabilité délictuelle contre la Couronne fédérale sont celles en vigueur au moment où les actes donnant ouverture au recours ont été commis.

[43]      En ces circonstances, attardons-nous au droit applicable en 1974, année où les faits générateurs de droit ont pris naissance.

[44]      Il est important de souligner que le contexte législatif était fort différent en droit administratif de ce qu"il est aujourd"hui particulièrement en ce qui a trait au concept de "l"obligation d"agir équitablement", lequel n"ayant été développé qu"à la fin des années 19707.

[45]      L"action en dommages et intérêts intentée par la demanderesse est donc fondée sur l"article 3 (1) a) et 4(2) de la Loi sur la responsabilité civile de la Couronne en matière délictuelle et en matière de sauvetage 8, qui se lisait comme suit:


3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont elle serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,

     (a) à l"égard d"un délit civil commis par un préposé de la Couronne, ou [...]

3.(1) The Crown is liable in tort for the damages for which, if it were a private person of full age and capacity, it would be liable

     (a) in respect of a tort committed by a servant of the Crown, or [...]

4. (2) On ne peut pas exercer de recours contre la Couronne, en vertu de l"alinéa 3(1)a) à l"égard d"un acte ou d"une omission d"un préposé de la Couronne, sauf si, indépendamment de la présente loi, l"acte ou l"omission eût donné ouverture à une poursuite en responsabilité délictuelle contre ce préposé ou sa succession.

4. (2) No proceedings lie against the Crown by virtue of paragraph 3(1)(a) in respect of any act or omission of a servant of the Crown unless the act or omission would apart from the provisions of this Act have given rise to a cause of action in tort against that servant or his personal representative.

[46]      Pour ce qui est de la définition de délit civil, l"article 29 indiquait :

2. Dans la présente loi:

[...]

"Délit civil", relativement à toute matière surgissant dans la province de Québec, signifie un délit ou un quasi-délit.

2. In this Act

[...]

"tort" in respect of any matter arising in the Province of Quebec, means delict or quasi-delict.

[47]      Nous devons donc nous référer au droit applicable dans la province de Québec tel que prévu à article 1053 du Code civil du Bas-Canada qui se libellait comme suit:

Art 1053. Toute personne capable de discerner le bien du mal, est responsable du dommage causé par sa faute à autrui, soit par son fait, soit par imprudence, négligence ou inhabilité.

Art. 1053. Every person capable of discerning right from wrong is responsible for the damage caused by his fault to another, whether by positive act, imprudence, neglect or want of skill.

[48]      Ainsi, pour engager la responsabilité de la Couronne, la demanderesse devait (et doit toujours malgré l"entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec en 1994) d"abord faire la preuve qu"une faute avait été commise par la Couronne ou un de ses préposés.

[49]      Lorsqu"il s"agissait du préposé de la Couronne, le régime applicable en matière de faute délictuelle ou quasi-délictuelle était différent de celui prévu dans les situations impliquant un simple justiciable; deux éléments essentiels devaient se retrouver.

[50]      En premier lieu et compte tenu de l"article 4 (2) de la Loi sur la responsabilité civile de la Couronne en matière délictuelle et en matière de sauvetage10, afin que la responsabilité de la Couronne soit mise en oeuvre, il fallait que l"acte ou l"omission invoqué pour obtenir réparation ait entraîné une cause d"action in tort contre le préposé de la Couronne.

[51]      En second lieu, bien que l"immunité de la Couronne demeurait encore la règle, la responsabilité de la Couronne était reconnue lorsqu"elle est expressément prévue par un texte législatif adopté par le Parlement canadien. De plus, l"interprétation de ces textes législatifs devait se faire de façon restrictive.

[52]      Ces critères applicables en matière de responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle des préposés de la Couronne ont été réitérés à de nombreuses reprises par la jurisprudence de l"époque. Feu le juge Noël dans Deslauriers-Drago c. La Reine11 indiquait:

Il appert donc que lorsqu'une réclamation est faite contre la Couronne pour dommages résultant de la négligence de ses préposés dans l'exécution de leurs fonctions, le réclamant doit établir d'une façon concluante que le préposé lui-même pourrait être tenu responsable des dommages subis et réclamés s'il était poursuivi. [nos soulignés]
Dans la présente action, sous l'article 3(1)a), la requérante doit donc établir clairement qu'un ou des préposés de l'intimée ont été négligents dans l'exécution de leurs devoirs et fonctions; que les blessures subies par la requérante sont le résultat de cette négligence, et que la négligence du ou des préposés est telle qu'il ou ils pourraient en être tenus personnellement responsables si il ou ils avaient été poursuivis. [nos soulignés]
Le fardeau de la preuve quant à ces faits appartient à la requérante et aucune présomption ne peut déplacer cette obligation statutaire. En effet, le texte qui impose la responsabilité vient d'une loi statutaire fédérale spéciale, celle que nous avons citée précédemment, et non pas du Code civil du Québec. [nos soulignés]
De plus, cet article 4(2) de la Loi confirme que la responsabilité de la Couronne dans un tel cas est une responsabilité déléguée, (vicarious), indirecte en vertu du principe respondeat superior et non pas une responsabilité directe. En effet, pour être déclaré responsable, comme nous l'avons dit plus haut, il doit être démontré qu'un ou plusieurs des préposés de la Couronne auraient pu être tenus responsables si la réclamation avait été dirigée contre eux. Dans une décision du président de cette Cour traitant de l'article 19 (c) de la Loi de la Cour de l'Échiquier, qui établissait à ce moment les conditions de la responsabilité de la Couronne et dont les principes contenus dans cette décision ont été par la suite réaffirmés dans les nouveaux articles 3(1)a) et 4(2) il fut déclaré dans Magda v. The Queen, [1953] Ex. C.R. 22, 31:
To engage the responsibility of the Crown to a suppliant under section 19(c) it must be shown that an officer or servant of the Crown, while acting within the scope of his duties or employment, was guilty of such negligence as to make himself personally liable to the suppliant, for the Crown's liability under section 19(c), if    the term liability is a precise one to apply to the Crown, is only a vicarious one. Consequently, the suppliant must allege facts from which negligence on the part of an officer or servant of the Crown may be found, that is to say, facts showing that the officer or servant of the Crown owed a legal duty, whether imposed by statute or arising otherwise, to the suppliant to take care to avoid injury to him, that there was a breach of such duty while the officer or servant was acting within the scope of his duties or employment and that injury to the suppliant resulted therefrom: vide Lochgelly and Coal Co. v. McMullan; Hay or Bourhill v. Young; The King v. Anthony.
En effet, le principe qu'un acte de négligence ne peut être considéré comme une faute engendrant une responsabilité que s'il correspond à un devoir légal d'agir a été reconnu par nos tribunaux en plusieurs circonstances, entre autres dans Canadian National Railways Co. v. Lepage, [1927] S.C.R. 575, 578, Rinfret J.:
It is a familiar principle that neglect may, in law, be considered a fault only if it corresponds with a duty to act. [nos soulignés]

Devoir légal d"agir des préposés de la Couronne lors de la conclusion d"un bail

[53]      Adopté en vertu de la Loi sur l"administration financière12, le Règlement sur les marchés de l"État13, indiquait la marche à suivre aux autorités gouvernementales quant à la conclusion de certains contrats devant intervenir entre la Couronne, par l"entremise de ses représentants dûment autorisés et les justiciables.

[54]      Dans le cadre de la présente action, puisqu"il était question de la conclusion d"un bail, nous devons nous reporter aux articles pertinents, soit les articles 20 et 21 du Règlement14 qui se lisent comme suit:

20. (1) Une autorité contractante peut, sans l"agrément du Conseil du Trésor, conclure un bail,

     a) dans le cas d"un bail requis relativement à l"administration du ministère des Travaux publics, lorsque:
         i) le taux annuel calculé en fonction du montant à payer en vertu du bail ne dépasse pas quinze mille dollars et la durée du bail ne dépasse pas cinq ans, ou

         ii) le taux annuel calculé en fonction du montant à payer en vertu du bail dépasse quinze mille dollars mais le montant total en vertu du bail ne dépasse pas quinze mille dollars, ou

     b) en tout autre cas, lorsque

         i) le taux annuel calculé en fonction du montant à payer en vertu du bail ne dépasse pas cinq mille dollars et la durée du bail ne dépasse pas cinq ans, ou

         ii) le taux annuel calculé en fonction du montant à payer en vertu du bail dépasse cinq mille dollars mais le montant total à payer en vertu du bail ne dépasse pas quinze mille dollars et la durée du bail ne dépasse pas un an.


(2) Une autorité contractante peut, à l"expiration de la durée d"un bail prévu au sous-alinéa (i) de l"alinéa a) du paragraphe (1) ou au sous-alinéa (i) de l"alinéa (b) du paragraphe (1) concernant tous les locaux, renouveler le bail ou conclure un nouveau bail concernant ces locaux, sous réserve des dispositions prévues au paragraphe (1) en ce qui concerne le montant à payer en vertu du bail, mais en aucun cas l"autorité contractante ne peut, sans l"agrément du Conseil du Trésor, rester en possession continue des locaux pour plus de dix ans sauf si chaque bail concernant les locaux ou chaque renouvellement du bail est requis relativement à l"administration du ministère des Travaux publics et si le montant à payer en vertu de chaque semblable bail ne dépasse pas cinq mille dollars par année.

(3) En aucun cas, l"autorité contractante ne peut, sans l"agrément du Conseil du Trésor, renouveler un bail ou conclure un nouveau bail à l"égard des locaux, à l"expiration de la durée du bail, prévu au sous-alinéa (ii) de l"alinéa a) du paragraphe (1) au sous-alinéa (ii) de l"alinéa b) du paragraphe (1), concernant les locaux en question, sauf si l"ensemble des montants à payer pour la possession des locaux en vertu de chaque bail concernant les locaux et chaque renouvellement en l"espèce ne dépasse pas quinze mille dollars.

21. Aucune autorité contractante ne doit, sans l"agrément du Conseil du Trésor, conclure un bail concernant des locaux devant servir d"habitation à des fonctionnaires ou employés de Sa Majesté.

20. (1) A contracting authority, without the approval of the Treasury Board, may enter into a lease,

     a) in the case of a lease required in connexion with the administration of the Department of Public Works, where
         (i) the annual rate calculated on the basis of the amount to be paid under the lease does not exceed fifteen thousand dollars and the term thereof does not exceed five years, or
         (ii) the annual rate calculated on the basis of the amount to be paid under the lease exceeds fifteen thousand dollars but the total amount to be paid under the lease does not exceed fifteen thousand dollars; or
     (b) in any other case, where
         (i) the annual rate calculated on the basis of the amount to be paid under the lease does not exceed five thousand dollars and the term thereof does not exceed five years, or
         (ii) the annual rate calculated on the basis of the amount to be paid under the lease exceeds five thousand dollars but the total amount to be paid under the lease does not exceed fifteen thousand dollars and the term thereof does not exceed one year.

(2) A contracting authority may, upon the termination of the term of a lease described in subpararaph (i) of paragraph (a) of subsection (1) or subparagraph (i) of paragraph (b) of subsection (1) of any premises, renew the lease or enter into a new lease of those premises, subject to the provisions set out in subsection (1) respecting the amount to be paid under the lease, but in no event, without the approval of the Treasury Board, may the contracting authority remain in continuous possession of the premises for longer than ten years except if each lease of the premises or each renewal of the lease is required in connection with the administration of the Department of Public Works and the amount to be paid under each such lease does not exceed five thousands [sic] dollars per annum.


(3) In no event, without the approval of the Treasury Board, may the contracting authority, upon the termination of the term of a lease, described in subparagraph (ii) of paragraph (a) of subsection (1) or subparagraph (ii) of paragraph (b) of subsection (1) of any premises, renew the lease or enter into a new lease of those premises except if the aggregate of amounts payable for possession of the premises under each lease of the premises and each renewal thereof does not exceed fifteen thousand dollars.

21. No contracting authority shall, without the approval of the Treasury Board, enter into a lease of premises intended to be used as living quarters for offices of servants of Her Majesty.

[55]      Outre ce règlement, le Conseil du Trésor adopta à la même époque et ce, en vertu des pouvoirs conférés par la Loi sur l"administration financière15 une_ ordonnance quant au rejet de soumissions et quant aux informations devant être fournies par les soumissionnaires lors du dépôt de leur offre. Cette ordonnance se lit comme suit :

Government Contracts - Rejection of Tenders and Information to be Provided at Public Opening of Tenders
     ____________________________________________________________________
The Board at its meeting of May 21, 1964, decided that the procedure outlined below should be followed regarding (a) the rejection of tenders where bidders have not complied with the security requirements or where specifications have not been met, and (b) information to be given by departments at public opening of tenders.
     (i)      A tender submitted without security, where the furnishing of security is specified in the tender call, should be rejected at tender opening as it is not a tender. [nos soulignés]
     (ii)      A tender submitted with improper security is to be dealt with in the following manner. If the department considers the security to be such that the bid does not qualify as a tender and the tender which is recommended by the department [ratures omises] would not otherwise require Board approval for entry into the contract, the disqualified tender is not considered a tender and Board approval is not required for entry into the contract. If, under a similar situation, the tender recommended by the department [ratures omises] requires Board approval for entry into the contract, the submission to the Board should contain a list of bona fide tenders and a separate list showing the bids which the department considers should not be classified as tenders. As regards the latter list, if the bid is lower than the tender recommended by the department, an explanation should be given as to why in the judgment of the department, it is not considered to be a tender.
     (iii)      A tender which does not meet the specifications is to be dealt with in the same manner as a tender submitted with improper security as outlined in (ii) above. For the contracts which require Board approval, an explanation should accompany the list of bids which the department considers are not classified as tenders explaining in what respects the bid, in the judgment of the department, does not meet the specifications and is not acceptable. [nos soulignés]
     (iv)      At the public opening of tenders the general rule to be followed is that only the name and address of the bidder, the amount of the tender and an indication as to whether or not security has been furnished should be given.

[56]      Cette ordonnance est d"autant plus importante qu"elle touche directement l"acceptation de toute soumission faite suite à un appel d"offres lancé par les autorités gouvernementales et ce, que la procédure d"appel d"offres ait été imposée par une loi ou un règlement ou qu"elle ait été librement utilisée par les autorités. Elle a donc force de loi et impose un devoir légal aux préposés de la Couronne chargés, dans l"exercice de leur fonction, d"en faire l"application.

[57]      En résumé, nous pouvons donc conclure du libellé de cette ordonnance que le non respect de cette dernière par les préposés de la Couronne équivaut à une faute réglementaire susceptible de poursuite en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de la Couronne en matière délictuelle et en matière de sauvetage et donc, dans le cas en l"espèce, de poursuite en responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle en vertu des articles 1053 et suivants du Code civil du Bas-Canada .

[58]      Par ailleurs, c"est sur la base de cette même ordonnance que les préposés du Ministère des Travaux publics ont écarté la soumission de la demanderesse dans le cadre du projet de location d"un immeuble pour la mise en place d"une station postale à Cartierville, sur l"île de Montréal16 au motif qu"elle n"avait pas respecté la condition du dépôt de garantie.

[59]      La défenderesse soumet que la responsabilité de la Couronne ne peut être engagée puisque les approbations nécessaires relèvent du Conseil du Trésor lequel ne peut être assimilé à un préposé de la Couronne. Toutefois, un tel argument n"a pas été accepté par la jurisprudence qui a reconnu que la responsabilité de la Couronne pouvait être engagée lorsqu"un acte d"omission du préposé avait contribué à l"approbation du Conseil du Trésor. Tel que l"indique monsieur le juge Walsh, dans le jugement Nadeau Inc . c. La Reine 17:

Dans les présentes procédures, la demanderesse ne peut donc pas se fonder sur la décision du Conseil du Trésor d"adjuger le marché à A. Plamondon & Fils Inc., plutôt qu"à elle-même, mais il lui faut apporter la preuve que les préposés de la Couronne ont commis une faute en rédigeant leurs recommandations au Conseil du Trésor sur lesquelles celui-ci a basé sa décision, et que lesdites recommandations non seulement étaient fausses, incomplètes ou trompeuses, mais encore ont entraîné l"approbation du Conseil du Trésor et que, sans elles, celui-ci aurait accordé la préférence à son offre. Le fardeau de la preuve qui pèse sur la demanderesse est évidemment très lourd, mais, vu la décision de la Cour d"appel est en droit de tenter de s"en acquitter.
L"article 1053 du Code civil du Québec est rédigé dans les termes suivants
[...]
Ce texte n"est pas sensiblement différent des règles de préjudice du common law et la demanderesse fait valoir que les actes d" "imprudence" ou de "négligence" peuvent suffire à fonder une action en dommages-intérêts. La défenderesse s"est référée à l"article 3 (1) a) et à l"article 4(2) de la Loi sur la responsabilité civile de la Couronne rédigés respectivement dans les termes suivants:
[...]
et a prétendu que puisque aucune allégation de faute spécifique ne visait un préposé de la Couronne désigné nommément, la présente action ne pouvait pas être dirigée contre la Couronne. Je n"irai pas aussi loin en interprétant les dispositions limitatives de l"article 4(2), car il semble que la Couronne peut aussi être déclarée responsable pour un acte ou une omission de caractère collectif imputable à plusieurs de ses préposés, dont les actes ou omissions ont contribué, même dans une faible mesure, à la prétendue faute dont découle la recommandation qui, selon la demanderesse, a été la cause ou l"origine des dommages. Cette interprétation n"entraîne pas de conflit apparent entre la Loi sur la responsabilité civile de la Couronne et l"article 1053 du Code civil du Québec, tel qu"il s"applique aux faits de la présente cause.

[60]      Nous avons indiqué précédemment qu"une des exigences essentielles prévue à l"ordonnance était effectivement le dépôt d"une garantie présentée sous forme d"un montant d"argent. Une seconde exigence précisait qu"une soumission qui ne rencontrait pas les spécifications prévues au cahier de charges devait être rejetée.

[61]      De ce qui précède, nous en concluons que dès l"étape préliminaire les préposés ayant accepté, dans l"exercice de leurs fonctions, une soumission non conforme aux instructions auraient commis une faute entraînant la responsabilité de la Couronne.

[62]      Il est intéressant de constater qu"au fil des ans, le processus d"appel d"offres n"a connu que peu de modifications substantielles. Très récemment la Cour suprême dans M.J.B. Enterprises Ltd c. Construction de Défense (1951) Limitée et al.18 soulignait l"importance du respect des conditions contenues aux Instructions. Un manquement à celles-ci invalidera la soumission lorsqu"il ressort des documents que les soumissionnaires doivent s"y conformer19:

Il ressort clairement de cet examen des Instructions à l"intention des soumissionnaires et du formulaire de soumission que l"appel d"offres peut être qualifié d"offre d"examiner une soumission si cette soumission est valide. Ainsi que l"énoncent ces documents, la soumission invalide est la soumission tardive, celle qui n"est pas présentée sur le formulaire de soumission prescrit, qui apporte des changements au formulaire de soumission ou ne fournit pas les renseignements demandés, n"est pas accompagnée de la garantie de soumission, comporte un écart entre les prix, ne respecte pas les règles applicables à l"égard des sous-contrats conclus avec les gens de métier ou n"est pas conforme aux plans et au devis descriptif.
[...]
Par conséquent, aux termes des Instructions à l"intention des soumissionnaires et du formulaire de soumission, l"entrepreneur qui présente une soumission doit présenter une soumission valide, et, dans la présentation de cette soumission, il ne lui est pas loisible de négocier les conditions du dossier d"appel d"offres. Compte tenu de ce fait, il est raisonnable de déduire que l"intimée n"aurait examiné que les soumissions valides. L"acceptation par l"intimée d"une soumission non conforme serait contraire aux Instructions à l"intention des soumissionnaires qui mentionnent expressément que toute négociation en vue de faire apporter une modification doit se faire conformément aux dispositions de l"alinéa 12b). Cela irait aussi à l"encontre de toute la teneur du formulaire de soumission, qui est le seul formulaire qu"il faut présenter en plus de la garantie de soumission et qui ne permet aucune modification des plans ni du devis descriptif du dossier d"appel d"offres.

[63]      En conclusion, je voudrais préciser que dans le cadre de l"article 1053 du Code civil du Bas-Canada , lorsque les éléments constitutifs de la faute étaient rencontrés, il était nécessaire de prouver l"existence d"un dommage et d"un lien de causalité entre le dommage et la faute invoquée.

[64]      Toutefois, ma juridiction dans le cadre de ce présent dossier se limite à la détermination de l"existence d"une faute. Conformément à la directive émise par le juge Hugessen le 2 avril 1998, si j"en viens à la conclusion qu"une faute a été commise, une nouvelle audition interviendra afin de permettre aux parties de faire des représentations quant aux dommages allégués.

ANALYSE DE LA PREUVE ET APPLICATION EN L"ESPÈCE

A.      Étapes applicables en matière d"acceptation d"une offre

[65]      La défenderesse fit témoigner M. J. A. Laurendeau, ingénieur, Directeur régional du Ministère des Travaux publics, responsable à l"époque de toutes les opérations au Québec. Ce témoignage est d"autant plus pertinent qu"il explique clairement le fonctionnement du Ministère des Travaux publics ainsi que le processus décisionnel menant à l"octroi de contrats gouvernementaux. J"accepte donc la grande valeur probante de son témoignage sur ce point. Je reproduis un tableau soumis par la défenderesse qui illustre les différentes étapes20.



[66]      Essentiellement, le processus d"acceptation d"un appel d"offres peut se regrouper en cinq (5) étapes soit :

     1) Première étape: planification et définition des besoins du client

[67]      La première étape est le développement d"un projet basé sur un programme approuvé. En l"espèce, le ministère-client avait fait approuver un programme de construction de stations postales à travers le Québec. La planification du programme chargé d"identifier et de formuler le programme se faisait en étroite collaboration avec le ministère-client.

     2) Deuxième étape: préparation du document d"appel d"offres

[68]      La deuxième étape commence par le travail de l"agent d"élaboration de projet (soit le témoin Bellemare dans le présent dossier) qui avait la responsabilité de développer le programme approuvé par le ministère-client et qui devait mettre sur papier un mandat transmis par la suite aux services immobiliers chargés de faire la recherche et d"obtenir les soumissions pour la réalisation du projet.

[69]      Le mandat en question fait référence à la définition des besoins du ministère-client, soit le coût du projet, le périmètre dans lequel le local devra se trouver, la grandeur en pieds carrés nécessaire, le nombre de places de stationnement requises et des besoins spécifiques quant au trafic environnant le futur emplacement, aux cours extérieures et à la méthode d"acquisition.

[70]      L"agent d"immobilier et de location était chargé de procéder à la préparation du cahier de charges. Lorsque ces documents étaient prêts et approuvés par le ministère-client, c"est alors qu"on pouvait procéder à l"appel d"offres.

[71]      Après la date limite pour le dépôt des soumissions, il y avait alors ouverture publique des offres reçues.

     3) Troisième étape: analyse détaillée des offres

[72]      Suite à l"ouverture des soumissions, on procédait à l"analyse détaillée de ces dernières et à l"analyse technique. À cette étape, seules les soumissions valables, rencontrant les exigences financières quant au dépôt d"une garantie, étaient transmises aux différents responsables chargés d"étudier et de comparer des offres reçues. Entre autre, on analysait le site proposé, on vérifiait si le soumissionnaire était propriétaire ou s"il exerçait un contrôle sur ce site et si les besoins du ministère-client était rencontrés.

[73]      Un rapport était soumis au Comité de stratégie lequel indiquait si la soumission reçue rencontrait les besoins. Il donnait également des renseignements concernant l"échéancier ainsi que les coûts engendrés.

     4) Quatrième étape: recommandation du Comité de stratégie et approbation du Conseil du Trésor

[74]      Par la suite, le Comité de stratégie envoyait sa recommandation au Ministère des Travaux publics à Ottawa qui devait alors soumettre le projet recommandé au Conseil du Trésor pour approbation.

[75]      Lorsque le projet était approuvé, le Conseil du Trésor contactait directement le Ministère des Travaux publics qui devait, par l"entremise du sous-ministre adjoint immobilier, communiquer l"approbation du Conseil du Trésor aux bureaux régionaux et particulièrement au personnel chargé du projet.

[76]      En l"espèce, la personne chargée du projet devait alors transmettre une lettre d"octroi à l"entrepreneur choisi. C"est également à cette étape qu"il était question de la préparation du bail, du raffinement des besoins du ministère-client, des discussions quant aux plans et devis de l"entrepreneur.

     5) Cinquième étape: mise en oeuvre du projet

[77]      Par la suite, le dossier se retrouvait sur le bureau des administrateurs de projet, soit le groupe d"étude et de construction qui devait veiller à la construction du projet, au respect des échéanciers, de l"obtention des permis et de l"examen des travaux pour fin d"acceptation.

[78]      Finalement, la livraison des locaux était alors complétée après que l"acceptation finale avait été faite.

B.      Refus de l"offre de la demanderesse

[79]      La demanderesse s"est vue refuser l"octroi du projet au motif que la superficie de l"immeuble qu"elle proposait ne respectait pas la superficie requise; en effet, la superficie exigée était de 9780 pieds carrés alors que la superficie offerte par cette dernière était de 14 108 pieds carrés. En ces circonstances, le taux de location annuel offert par la demanderesse était donc plus élevé que l"autre proposition de location. Quant aux autres exigences contenues au cahier de charges, la preuve révèle qu"elles étaient rencontrées.

[80]      Il est important de rappeler que les exigences de l"appel d"offres quant à la superficie étaient les mêmes qu"il s"agisse d"un immeuble à construire ou d"un immeuble existant.

[81]      La proposition ne rencontrait donc pas une des conditions essentielles requises soit la superficie et c"est à bon droit qu"elle était refusée.

[82]      Néanmoins, et compte tenu du litige en cause, je dois également déterminer si la proposition de Belcourt respectait les exigences de l"appel d"offres.

C.      Octroi du contrat de location à Belcourt

[83]      Après étude du processus décisionnel en matière d"appel d"offres, nous avons vu que c"est au stade de l"analyse détaillée et technique des offres que l"on détermine si la proposition est conforme au cahier de charges. Ceci est d"ailleurs expliqué par M. Laurendeau lors de son témoignage: 21:

Q. Bon. Qu"est-ce que c"est qu"ils font comme analyse, concrètement?
R. Bien, concrètement, il faut que le soumissionnaire soit conforme, qu"il n"ait pas fait de qualification dans son appel ...dans ses documents de soumission. [nos soulignés]
Q. Sur le plan concret, là, plans, sites, qu"est-ce qui se fait, là?
R. Bien, moi, le site est analysé, on vérifie si l"offrant est vraiment propriétaire ou au moins a le contrôle du site qu"il a. On vérifie que l"édifice offert et les terrains rencontrent les besoins du client. Il y a un nom qui n"est pas mis ici, là, mais ça c"est fait aussi conjointement avec le représentant du client. [nos soulignés]

[84]      L"étude détaillée des procès-verbaux des rencontres du comité d"étude en construction constitué de représentants du ministère-client, soit le Ministère des postes, du Ministère des Travaux publics et de Belcourt ainsi que de la correspondance entre ces différentes entités déposée en preuve, démontre que la soumission de Belcourt ne respectait pas, elle non plus, les exigences du cahier de charges et ce, principalement quant à la superficie nette requise.

[85]      Le procès-verbal daté du 12 juin 197522 indique clairement que la proposition de Belcourt ne respectait pas la superficie requise puisqu"il manquait 300 pieds carrés au 2ième étage et 900 pieds carrés à la salle de travail. De plus, le représentant du Ministère des postes, M. Laliberté, rappelait aux architectes de Belcourt qu"en ce qui concerne la superficie, seules les indications contenues au devis de soumission devaient être respectées.

[86]      Au procès-verbal daté du 3 juillet 197523, il est encore une fois mentionné que les superficies requises n"ont jamais été respectées à un tel point qu"il est fait mention lors de cette réunion d"une annulation possible du contrat octroyé à Belcourt.

[87]      Également, le télex de Germain Comeau24, architecte pour le Ministère des Travaux publics, en date du 4 juillet 1975 confirmait que les superficies n"avaient jamais été respectées et réitérait que les superficies étaient gouvernées par le document de soumission. En outre, il mentionnait clairement la possibilité de prendre des recours dans la mesure où les obligations contenues aux documents de soumission n"étaient pas respectées.

[88]      Quant aux plans, on constate que des modifications importantes furent apportées pour assurer la conformité de ces derniers au cahier de charges et ce, même après que fut donnée l"approbation du Conseil du Trésor, soit le 21 novembre 1974 25. En effet, tel qu"en fait foi la note de service datée du 11 avril 1975 provenant du Directeur régional pour le Québec26, il appert qu"au 1er avril 1975, les plans révisés proposés par Belcourt n"avaient toujours pas été approuvés par le Ministère des postes sans compter que les plans mécaniques n"avaient pas encore été soumis.

[89]      Selon la lettre datée du 28 mai 1975 de l"architecte et administrateur de projet27, Germain Comeau, aucun plan n"avait encore été proprement approuvé.

[90]      Une lettre datée du 20 juin 197528, de M. Laliberté à M. Berthier D"Ambroise, administrateur de projet, indique que les plans de Belcourt doivent être largement modifiés et surtout en ce qui a trait aux superficies proposées.

[91]      Un télex en date du 22 août 1975 de M. Berthier D"Ambroise, administrateur de projet29 indiquait que les plans originaux du 14 mars 1975 avaient été annulés.

[92]      Une lettre en date du 16 juin 197530 adressée à l"administrateur de projet, M. Berthier D"Ambroise, administrateur de projet indique que Belcourt reconnaît que ses plans datés du 16 avril 1975 ont été refusés lors de la rencontre tenue le 12 juin 1975.

[93]      Une lettre en date du 20 juin 197531 adressée de nouveau à M. Berthier D"Ambroise, administrateur de projet de Belcourt, au 20 juin 1975, confirme qu"il n"existait toujours aucun plan approuvé.

[94]      Cette analyse de la preuve m"amène à conclure que la superficie requise au cahier de charges n"a jamais été respectée, que les plans furent constamment modifiés et qu"ils n"étaient pas conformes aux spécifications au moment où le projet fut approuvé.

[95]      Je note également d"autres irrégularités particulièrement quant à la grandeur de la cour, au dépôt d"une option d"achat amendée après l"obtention d"une extension de délai et quant au fait que le règlement de zonage de la ville ne permettait pas la présence d"un immeuble d"un seul étage; toutefois, considérant l"importance des éléments soulevés précédemment, il n"est pas utile de m"attarder plus longuement sur ces manquements.

[96]      Pour tous ces motifs, je conclus que les préposés de la Couronne n"ont pas respecté leur obligation de rejeter toute soumission non conforme aux spécifications requises au cahier de charges; compte tenu que cette obligation était légale puisque imposée par une ordonnance adoptée en vertu d"un pouvoir réglementaire, il en découle que les préposés ont commis une faute qui pouvait entraîner la responsabilité de la Couronne.

[97]      Ma juridiction dans le cadre du présent dossier se limite à cette conclusion. Cependant, comme nous l"avons vu précédemment, puisque l"existence d"une faute n"est qu"un des éléments constitutifs de la responsabilité délictuelle prévue à l"article 1053 du Code civil du Bas-Canada , encore faut-il qu"un dommage soit prouvé et qu"il y ait un lien entre le dommage et la faute invoquée.

[98]      Pour ces motifs, la demande en réparation délictuelle de la demanderesse est maintenue avec dépens. Conformément à la directive émise par le juge Hugessen le 2 avril 1998, une nouvelle audition interviendra afin de permettre aux parties de faire des représentations quant aux dommages allégués.






     "Danièle Tremblay-Lamer"

                                     JUGE


OTTAWA (ONTARIO)

Le 26 novembre 1999

__________________

1      (1970) S.R.C. ch. C-38.

2      Pièce P-36b).

3      Pièce P-38e).

4      [1977] 1 C.F. 541 (C.F. 1ère inst.).

5      Supra note 1.

6      [1971] R.C.S. 849.

7      Voir: Nicholson v. Haldimand Norfolk (Regional) Police Commissioners, [1979] 1 R.C.S. 311 et Martineau v. Matsqui Institution, [1980] 1 R.C.S. 602.

8      Supra note 1.

9      Supra note 1.

10      Supra note 1.

11      [1963] Ex. C.R. 289 aux pages 296 et suivantes. Voir au même effet: Perreault v. Canada, [1948] Ex. C.R. 416, Magda v. Canada, [1953] Ex. C.R. 22, Laberge v. Canada, [1954] Ex. C.R.369 et Meredith v. Canada, [1955] Ex. C.R. 156.

12      (1952) S.R.C. ch. 116.

13      DORS/64-390.

14      Règlement sur les marchés de l"État, le 23 septembre 1964, DORS / 64-390.

15      (1952) S.R.C. ch. 116 art. 5 par. 1, art. 7 et art. 39.

16      Référence au dossier T-1124-76, Roger Gauthier Inc. c. Sa Majesté la Reine et al.

17      Supra, note 3 aux pp. 544-45.

18      M.J.B. Enterprises Ltd c. Construction de Défense (1951) Limitée et al., [1999] 1 R.C.S. à la p. 641.

19      Idem, aux pages 637 et suivantes.

20      Piéce D-6.

21      Témoignage de Monsieur Joseph Alfred Laurendeau à la page 54 des notes sténographiques de l"audition tenue le 10 juin 1999, dans le cadre du dossier T-1124-76, dossier entendu conjointement à la présente affaire.

22      Pièce P-75.

23      Pièce P-76.

24      Pièce P-79.

25      Pièce D-45.

26      Pièce P-66.

27      Pièce P-72.

28      Pièce P-87.

29      Pièce P-91.

30      Pièce P-84.

31      Pièce P-85a).

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