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                                                                                                                                           Date: 1999

                                                                                                                                Dossier: T-369-96

MONTRÉAL (QUÉBEC), CE       e JOUR DE                1999

Présent:           ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

Entre:

                                                             ALLAN J. LÉGÈRE

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                            ET

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                     Défenderesse

                                                                   JUGEMENT

            Cette action du demandeur est rejetée avec dépens.

                                                                                                                                          protonotaire


                                                                                                                                           Date: 1999

                                                                                                                                Dossier: T-369-96

Entre:

                                                             ALLAN J. LÉGÈRE

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                            ET

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                     Défenderesse

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:

Introduction

1           Vers 13 h 15 le 27 novembre 1994, alors qu'il se trouvait dans la cour extérieure desservant les détenus des rangées 2A et 2B de l'Unité spéciale de détention de l'établissement pénitentiaire de Sainte-Anne-des-Plaines, le demandeur a été attaqué par un codétenu[1]qui à l'aide d'un objet artisanal aurait causé au demandeur diverses lacérations.

2           Suite à cette attaque, le demandeur a entrepris contre la défenderesse la présente action en dommages-intérêts pour un montant de 30 000 $.

3           Le demandeur reproche essentiellement aux autorités carcérales d'avoir été négligentes dans leur devoir reconnu d'assurer la sécurité des détenus en omettant de prendre, suite à une discussion verbale entre le demandeur et le codétenu, des mesures propres à prévenir que ces deux personnes ne se recroisent tel que ce fut le cas la journée même dans la cour extérieure.[2]

Les faits et leur analyse

4           Je retiens dans le cadre de mon analyse de la preuve les faits essentiels qui suivent.

5           Le 27 novembre 1994 au matin, un agent de la salle de contrôle des rangées 2A et 2B a autorisé le codétenu de la rangée 2A à se rendre dans la rangée 2B, soit celle du demandeur, aux fins, suivant la défenderesse, de prendre possession d'une vadrouille laissée dans ladite rangée.

6           Même si le demandeur soutient que c'est un dénommé Rivest qui aurait ouvert la porte de la rangée au codétenu, j'en conclus de la preuve que l'on ne peut déterminer précisément quel agent correctionnel a posé ce geste. Quoiqu'il en soit, je n'ai aucune raison de douter que c'était bel et bien pour permettre au codétenu d'aller prendre la vadrouille que les autorités lui ont accordé l'accès à la rangée 2B. Je ne peux donc abonder dans le même sens que le demandeur à l'effet qu'il n'y avait pas de vadrouille dans la rangée 2B ou que, doit-on présumer, le codétenu ne serait pas reparti de la rangée 2B avec une vadrouille en main. Le demandeur était à l'intérieur de sa cellule et bien que la porte de sa cellule comportait une fenêtre, il n'a pas été établi que le demandeur avait en tout temps pertinent une vue complète sur l'ensemble de la rangée 2B. Je conclus également que bien que cela n'était pas pratique courante, en permettant au codétenu de la rangée 2A d'avoir accès à la rangée 2B, les autorités carcérales n'ont pas contrevenu à un Ordre permanent ou à une directive alors en vigueur et n'ont pas, de surcroît, commis une faute[3]dans leur devoir de sécurité.

7           Suivant le demandeur, une fois dans la rangée 2B, le codétenu se serait approché de la cellule du demandeur et, tout en criant et en frappant la porte de la cellule du demandeur, aurait ordonné à ce dernier de baisser le volume de son appareil radio. À ce moment, aucun employé de la défenderesse n'était en principe en mesure d'entendre ce qui s'est dit à la cellule du demandeur. Il n'est pas en preuve, de fait, qu'un membre du personnel de la défenderesse ait entendu les propos exacts que le demandeur et le codétenu ont pu s'échanger ou ait même vu le codétenu alors qu'il se trouvait à parler au demandeur. On doit conclure que seuls le demandeur et le codétenu ont une connaissance personnelle de ce qui s'est dit, ainsi que du ton et de la manière dont les propos ont été échangés.

8           Suivant le témoignage du demandeur, il était certain dans son esprit que si la porte de sa cellule n'avait pas alors été verrouillée, l'échange verbal ou l'engueulade entre lui et le codétenu aurait tourné sur-le-champ à l'affrontement physique.

9           Ceci étant, le matin même de l'échange verbal, le demandeur touchera mot de l'incident aux autorités carcérales mais simplement pour s'enquérir quant à savoir pourquoi le codétenu s'était retrouvé plus tôt dans sa rangée. Il ressort de la preuve que lors de ces discussions avec les autorités carcérales le demandeur n'a jamais fait état spécifiquement des propos tenus par le codétenu ni du fait que le codétenu l'aurait ou non alors menacé. De fait, même lors de son témoignage en cour, le demandeur s'est refusé de dévoiler si le codétenu l'avait effectivement alors menacé.

10         Toujours lors de ces mêmes discussions, le demandeur n'a pas demandé que lui ou le codétenu soit mis en isolement préventif ou que toute autre mesure propre à éviter leur rencontre soit mise en place. Toutefois on retient que le demandeur savait bien que s'ils devaient à nouveau se rencontrer dans l'un des lieux communs où les rangées 2A et 2B se cotoyaient, lui et le codétenu en viendraient aux coups. On retient donc qu'en tout temps pertinent, le demandeur n'a jamais voulu se plaindre du codétenu. Cette attitude du demandeur, qui tient possiblement de la crainte ou du respect porté au codétenu, s'est même reflétée en cour par le refus du demandeur de témoigner quant à savoir si le codétenu l'avait menacé et par la requête du demandeur de ne pas faire état du nom du codétenu dans le présent jugement.

11         Face à ce qui leur avait été dit par le demandeur lors de la matinée du 27 novembre 1994, les autorités carcérales n'ont pas entrepris de mesures contre le codétenu de manière à ce que ce dernier ne se retrouve pas dans le préau vers les 13 h 15 le 27 novembre 1994 au moment où le demandeur pénètre également dans ladite cour. Encore ici, je ne puis considérer que cette absence de prise de mesures à l'encontre du codétenu constitue de la négligence ou une faute que l'on peut reprocher à la défenderesse.

12         Tel qu'indiqué, outre le codétenu, seul le demandeur savait exactement ce qui s'était dit le matin du 27 novembre et le ton sur lequel le tout s'était dit. Or, lorsqu'il en parle aux autorités carcérales, plus précisément à un dénommé Daniel Marchand, agissant alors à titre d'agent senior de la sécurité à l'Unité spéciale de détention, le demandeur se contente apparemment de s'enquérir - via les services d'un autre détenu - des motifs quant à la présence du codétenu dans sa rangée. Au mieux, le demandeur aurait alors indiqué que lui et le codétenu se seraient engueulés. Or, il est en preuve qu'à l'Unité spéciale de détention, cet endroit que l'on désigne comme la "prison des prisons", les engueulades entre les prisonniers sont courantes et que sans autre fait aggravant, il n'y avait pas lieu pour les autorités de prendre des mesures de prévention.

13         À titre de fait aggravant, le demandeur a souligné en plaidoirie que la preuve avait établi qu'au 27 novembre 1994, le codétenu avait déjà à son dossier des indications à l'effet qu'à deux reprises auparavant il aurait poignardé des codétenus. Selon le demandeur, ce passé du codétenu se devait d'être connu des autorités et cet état de fait était suffisant pour permettre aux autorités de réaliser que l'échange verbal entre ce dernier et le demandeur conduirait raisonnablement à une altercation.

14         Je ne suis pas de cet avis.

15         Il est en preuve que l'ensemble des détenus de l'Unité spéciale de détention ont un passé violent, d'où leur présence même à cette unité. Le caractère du codétenu n'a pas été dépeint en preuve comme celui d'un détenu qui dès qu'il a un échange verbal agressif avec un autre détenu, une altercation à l'arme blanche devient inévitable. De fait, rien dans la preuve administrée à l'instruction nous renseigne quant aux circonstances ayant entouré les altercations passées du codétenu. Il n'y a rien dans la preuve qui nous indique qu'une simple confrontation verbale avec l'un ou l'autre des autres détenus ait amené le codétenu à agresser ces derniers.

16         De plus, au matin du 27 novembre 1994, le demandeur et le codétenu n'étaient pas classés comme des antagonistes et j'en conclus que l'information transmise par le demandeur aux autorités le jour même de l'incident n'était pas de nature à amener ces autorités à désigner le demandeur et le codétenu comme des antagonistes.

17         Le demandeur souligne également que suite à l'incident du matin, les autorités carcérales auraient dû procéder à une fouille du codétenu. Suivant le demandeur, ceci leur aurait permis alors d'intercepter le codétenu en possession de l'arme qu'il projetait d'utiliser lors de l'altercation à venir avec le demandeur.

18         À mon avis cet argument ne porte pas.

19         Premièrement, il était raisonnable qu'au matin du 27 novembre 1994 les autorités carcérales ne portent pas une attention particulière au codétenu et ce, en fonction et suite à ce que le demandeur leur avait rapporté.

20         Deuxièmement, rien n'indique qu'une fouille du codétenu à tout moment avant son entrée dans le préau aurait permis aux autorités de saisir l'arme du crime puisque l'on n'a pas établi en preuve quand précisément le codétenu s'était procuré cette arme. On ne peut donc exclure que le codétenu se soit procuré cette arme une fois rendu dans le préau.

21         Bien que l'altercation entre les deux belligérants n'ait duré que quelques instants, il ressort de la preuve qu'avant celle-ci et juste après avoir pénétré dans le préau, le demandeur a aperçu à bonne distance le codétenu. Il aurait alors été possible au demandeur en appuyant sur un intercom de demander au garde surveillant le préau de l'autoriser à rentrer à l'intérieur si l'intention du demandeur avait été d'éviter une confrontation avec le codétenu. Au lieu de battre en retraite, le demandeur a choisi de pénétrer plus à fond dans le préau tout en enlevant dans l'intervalle, après avoir aperçu le codétenu, son manteau ou veston et ce, en vue d'une confrontation à venir.

22         L'empoignade entre le demandeur et le codétenu fut brève et s'est terminée après que les deux aient été semoncés de cesser de se battre par un garde armé.

23         Le préau fut alors évacué. Il ressort du témoignage du demandeur qu'il aurait été le dernier à être évacué du préau. Si je comprends bien l'approche du demandeur et de son procureur sur ce point, cette lenteur dans l'évacuation du demandeur constituerait de la négligence de la part des autorités carcérales. Cette négligence aurait en retour fait perdurer les souffrances du demandeur et ainsi justifierait une partie des dommages réclamés par le demandeur.

24         La preuve n'a toutefois pas établi l'ensemble des circonstances ayant entouré l'évacuation du préau et je ne puis, sur le peu d'informations disponibles, conclure que c'est à escient ou par négligence que le demandeur aurait été évacué le dernier.

25         Suite à l'évacuation, le demandeur fut amené à l'infirmerie du pénitencier, puis à un hôpital régional où ses blessures furent soignées plus à fond et où des points de suture furent pratiqués là où les plaies le nécessitaient.

Conclusions

26         Pour l'ensemble des motifs qui précèdent, j'en suis venu à la conclusion que les autorités carcérales, donc la défenderesse, n'ont pas commis de faute génératrice de responsabilité à l'égard du devoir qu'elles avaient d'assurer la sécurité du demandeur. Plus spécifiquement, j'en conclus que ces mêmes autorités n'ont pas commis de faute en ne prenant pas de mesures propres à prévenir ou à éviter que le demandeur ne croise de nouveau le codétenu le jour de l'incident. De façon similaire, je conclus que la défenderesse n'a pas porté atteinte aux droits du demandeur en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.

27         Vu cette conclusion, je n'ai pas à me pencher comme tel sur le quantum des dommages réclamés par le demandeur par suite de l'assaut qu'il a subi. Toutefois, même si j'avais pu retenir contre la défenderesse une faute causale de dommages, je n'aurais accordé au demandeur qu'une somme relative pour les souffrances, douleurs et inconvénients subis lors de l'assaut. Cette somme aurait été beaucoup moindre que les 30 000 $ réclamés. Je considère en effet que le demandeur n'a pas présenté à l'instruction des éléments de preuve probants aux fins d'établir ses autres chefs de réclamation.

28         En conséquence, cette action du demandeur sera rejetée avec dépens.

                                                                                                                                          protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le                   1999


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

              NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:


T-369-96

ALLAN J. LÉGÈRE

                                                                   Demandeur

ET

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                Défenderesse


LIEU DU PROCÈS:Montréal (Québec)

DATE DU PROCÈS:le 21 janvier 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT:le         mars 1999

COMPARUTIONS:

Me Gérald Danis pour le demandeur

Me Éric Lafrenière pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Bourgeois & Danis pour le demandeur

Me Gérald Danis

Lorraine (Québec)

Me Morris Rosenberg pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada



     [1]À la demande du demandeur, le nom de ce codétenu ne sera pas mentionné dans le présent jugement et ce, même si les procédures et l'enquête tenue devant cette Cour ont fait un emploi abondant du nom de ce codétenu. La Cour se rend à cette mesure extraordinaire avec l'espoir que celle-ci peut contribuer à éviter au demandeur des démêlés additionnels avec ce codétenu ou les autres détenus. Par conséquent, le codétenu ayant assailli le demandeur sera dorénavant désigné simplement comme le "codétenu".

     [2]Cour qui est connue et qui sera désignée dorénavant comme le "préau".

     [3]Bien que le demandeur ait situé le débat juridique dans la présente cause en termes de common law, puisque les faits de l'action ont pris naissance au Québec, il m'apparaît, tout comme à la défenderesse, que c'est en termes de faute causale de dommages que le débat doit se situer. Je ne crois pas, à tout hasard, que cette distinction change quoi que ce soit au résultat final à tirer.

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