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     Date : 20000127

     Dossier : IMM-1410-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 27 JANVIER 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN


ENTRE :

     VINOD BHATIA

     demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     ORDONNANCE


     LA COUR,


     Vu le recours en contrôle judiciaire exercé par le demandeur contre la décision en date du 12 février 1998 d'une agente des visas en service au consulat général du Canada à Detroit (Michigan, États-Unis d'Amérique),


     Déboute le demandeur de son recours.


     Signé : B. Cullen

     ________________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme,




Bernard Olivier, LL.B.




     Date : 20000127

     Dossier : IMM-1410-99


ENTRE :

     VINOD BHATIA

     demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


Le juge CULLEN


[1]      Le demandeur, Vinod Bhatia, agit en contrôle judiciaire contre la décision en date du 12 février 1998, par laquelle une agente des visas en service au consulat général du Canada à Detroit a rejeté sa demande de visa d'immigrant, par ce motif qu'il n'a pas fait la preuve d'une expérience suffisante dans la profession qu'il envisageait d'exercer au Canada. Dans son recours, le demandeur conclut à l'annulation de cette décision et au renvoi de l'affaire à un autre agent des visas pour instructions conformément aux directives de la Cour.

Les faits de la cause

[2]      Le demandeur, Vinod Bhatia, qui vit aux États-Unis, a soumis sa demande de résidence permanente au Canada et les documents à l'appui au consulat du Canada à Buffalo (New York), et a passé l'entrevue avec une agente des visas à Detroit en février 1999.

[3]      Il donnait pour profession envisagée celle de bijoutier au sens de la Classification nationale des professions (CNP), avec pour preuve deux lettres indiquant qu'il avait été employé en cette qualité à New York. Il a également produit une lettre d'une firme canadienne qui lui offrait un emploi de bijoutier. Au cours de l'entrevue, l'agente des visas lui a posé des questions sur son expérience, après quoi elle a conclu qu'il n'avait pas l'expérience nécessaire pour prétendre au titre de bijoutier au sens de la CNP. Elle l'a également évalué au regard de la profession de monteur en bijouterie selon la CNP mais, là encore, a conclu que le demandeur n'obtenait pas suffisamment de points pour être admissible. Voici les points accordés sous le régime du Règlement sur l'immigration de 19781 pour l'appréciation de l'admissibilité du demandeur :


     Facteur

     Points accordés

     Nombre maximal

     de points

Âge

Facteur professionnel

Études et formation

Expérience

Emploi réservé

Études

Facteur démographique

Anglais

Français

Prime

Personnalité

     10

     00

     02

     02

     00

     15

     08

     09

     00

     00

     05

     10

     10

     18

     08

     10

     16

     10

     09

     06

     00

     10

Total

     51

     107

[4]      Celui qui demande l'admission au Canada à titre d'immigrant indépendant doit obtenir au moins 70 points pour être admissible. Il est clair que même si l'agente des visas avait accordé au demandeur le maximum de points pour le facteur " expérience ", qui est le principal facteur en litige, il n'aurait obtenu que 57 points, soit 13 de moins que le minimum requis.

Les points litigieux

[5]      Le demandeur agit en contrôle judiciaire contre la décision de l'agente des visas, à laquelle il reproche d'avoir manqué aux principes de justice fondamentale, a) faute de l'avoir interrogé convenablement sur tout l'éventail des fonctions requises pour la profession de bijoutier au Canada, et b) faute d'avoir exprimé ses doutes du fait qu'il n'employait guère de termes techniques dans ses réponses. Il soutient encore que l'agente des visas a appliqué la mauvaise norme d'appréciation au regard de la CNP pour se prononcer sur la qualités requises pour l'exercice de la profession de bijoutier au Canada.

Analyse

Interrogation sur tout l'éventail des fonctions d'un bijoutier

[6]      Durant son contre-interrogatoire, l'agente des visas fait savoir qu'elle n'avait pas interrogé le demandeur sur chaque élément du travail de bijoutier, tel que la CNP en donne la description. Elle a plutôt centré ses questions sur certains éléments de cette description. Elle a demandé au demandeur de donner un aperçu de sa formation, de son travail et de ses fonctions spécifiques. Elle lui a aussi posé certaines questions techniques précises. Le demandeur soutient dans son affidavit déposé à l'appui de ce recours en contrôle judiciaire, qu'il a donné des explications détaillées et remplies de termes techniques de ce domaine. L'agente des visas affirme dans son affidavit et lors de son contre-interrogatoire, qu'il ne l'a pas fait.

[7]      Durant les débats, le demandeur soutient que l'agente des visas a manqué à son obligation d'équité faute de lui avoir fait part de ses réserves sur ses antécédents. Et qu'elle a commis une erreur faute d'avoir fait tous les efforts pour s'informer de toutes les fonctions qu'il exerçait dans son travail. Il cite à l'appui Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2, Chen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)3, et Fong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)4. Le premier des trois précédents cités n'a guère de rapport avec l'affaire en instance puisque le litige y portait principalement sur des éléments de preuve extrinsèques dont l'agent des visas avait personnellement connaissance, mais les deux derniers sont pertinents. Dans Chen, le demandeur cherchait à immigrer au Canada à titre d'investisseur. L'agente des visas a rejeté sa demande pour cause de manque d'expérience dans les affaires. Le demandeur avait été fonctionnaire à Taiwan, mais il était aussi propriétaire d'un verger, dont la surveillance et l'exploitation étaient confiées à un gestionnaire salarié. Le Règlement prescrit de vérifier si le demandeur " a exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise "5. Le juge Rothstein note que l'agente des visas a examiné si le demandeur avait exploité une entreprise agricole, mais n'a pas cherché à savoir s'il l'avait contrôlée ou dirigée. Il y avait manquement aux principes d'équité procédurale :

     En ce qui concerne la question de l'équité en matière de procédure, l'agent des visas a souligné avoir dit au requérant qu'elle craignait qu'il ne possédât pas l'expérience requise pour être considéré comme un investisseur ou un requérant indépendant. Le requérant n'a pas ôté les craintes de l'agent des visas. Cependant, je suis d'avis qu'il ne suffit pas d'exprimer des craintes de façon générale. Dans Fong c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 705, 11 Imm. L.R. (2d) 205, le juge McNair a déclaré, à la page 716 :
         Je suis également d'avis que l'agent des visas a manqué à son obligation d'agir avec équité en n'accordant pas au requérant une possibilité suffisante de répondre aux allégations précises formulées contre lui sur la question de l'expérience connexe par rapport à l'offre d'emploi de directeur de chaîne de production, ce qu'il aurait pu et aurait dû faire en orientant comme il se doit ses questions lorsqu'il est devenu évident que la demande de résidence permanente échouerait probablement à ce chapitre.
     Dans la présente affaire, lorsque l'agent des visas a commencé à craindre que le requérant ne possède peut-être pas les qualités requises pour entrer dans la catégorie d'" investisseurs ", elle aurait dû l'interroger expressément sur chacun des critères séparément. Le fait pour elle d'avoir simplement exprimé une crainte de façon générale et de s'être attendue ensuite à une réponse significative n'est pas compatible, selon moi, avec les exigences de l'équité en matière de procédure " Toutefois, lorsque les exigences auxquelles il faut satisfaire en vertu de la Loi ou des Règlements sont assez simples et que l'agent des visas craint que le requérant ne possède peut-être pas les qualités requises, je ne crois pas que ce soit trop demander à l'agent des visas de traiter chaque exigence expressément et les réponses illicites de sorte qu'il soit possible d'évaluer clairement si le requérant est visé par la définition pertinente de la Loi ou du Règlement. Cela n'a pas été fait en l'espèce.
     Je conclus donc qu'il n'y a pas eu équité en matière de procédure dans l'affaire en cause.

[8]      Le défendeur réplique que la décision de l'agente des visas en matière de notation et d'évaluation au regard des divers critères réglementaires relève de son pouvoir d'appréciation discrétionnaire, et n'est sujette à annulation que si elle est déraisonnable, constitue un abus de compétence, est entachée de mauvaise foi ou fondée sur des considérations étrangères à l'affaire. La jurisprudence citée par le demandeur est convaincante6. Cependant, il ne s'agit pas en l'espèce de savoir s'il y a eu erreur proprement dite - au sens de méprise ou d'erreur dans l'application de la loi -, mais de savoir s'il y a eu respect des principes d'équité en matière de procédure. Ce point a fait l'objet de deux précédents cités par le défendeur : Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)7 et Hajariwala c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)8. Dans Prasad, le demandeur avait fait sa demande d'immigration au Canada par l'intermédiaire de son avocat. La documentation soumise à l'appui faisait état d'une grande expérience dans son métier, mais ne donnait aucun renseignement sur ses études ou formation professionnelle. Après l'avoir évalué au regard des professions de mécanicien de moteurs diesel et de mécanicien de machines de construction au sens de la Classification canadienne descriptive des professions, l'agent des visas a conclu qu'il n'était pas admissible faute de certification professionnelle. Et ce, malgré vingt années d'expérience. La demande de M. Prasad n'a été instruite que sur pièces et la décision défavorable lui a été notifiée sans qu'il y eût une entrevue. Sur recours en contrôle judiciaire, le juge Muldoon s'est prononcé en ces termes :

     Le requérant a le fardeau de convaincre l'agent des visas de tous les éléments positifs contenus dans sa demande. L'agent des visas n'a pas à attendre ni à offrir au requérant une deuxième chance ou même plusieurs autres chances de le convaincre d'éléments essentiels que le requérant peut avoir omis de mentionner. En l'espèce, l'agent des visas n'a commis aucune erreur de droit ni aucune erreur de fait manifeste, et n'a pas manqué d'impartialité.9

[9]      À mon avis, les agents des visas n'ont certainement pas pour rôle d'offrir de l'aide ou des conseils aux demandeurs pour faire valoir leur admissibilité. Ainsi que l'a fait observer le juge en chef adjoint Jerome dans Hajariwala :

     Il est également important de souligner que la Loi sur l'immigration de 1976 exige à l'article 6 des personnes recherchant le droit d'établissement au Canada qu'elles répondent aux normes réglementaires de sélection fixées dans le Règlement sur l'immigration de 1978. Il incombe donc clairement au requérant de présenter toutes les données pertinentes pouvant être utiles à sa demande. La mesure dans laquelle les agents d'immigration voudront offrir de l'aide ou des conseils pourra dépendre de leurs préférences individuelles ou même faire l'objet de politiques si le ministère le juge opportun, mais une telle obligation n'est pas de celles imposées aux agents par la Loi ou le Règlement.

[10]      Ils doivent cependant interroger activement les demandeurs afin de recueillir les renseignements dont ils ont besoin pour parvenir à une conclusion équitable et réfléchie.

[11]      J'estime qu'en l'espèce, l'agente des visas n'a pas manqué aux principes de justice fondamentale ou d'équité procédurale dans la conduite de l'entrevue avec le demandeur. Les questions d'ordre général posées à celui-ci au sujet de son travail étaient suivies de questions de plus en plus spécifiques. À mon avis, la réglementation prévoit une entrevue, et non une inquisition. En cas d'ambiguïté ou d'incertitude, les agents des visas doivent creuser plus en profondeur et poser des questions plus spécifiques aux demandeurs. En l'espèce, le demandeur s'est vu donner la possibilité de démontrer son expertise technique grâce aux questions de plus en plus techniques de l'agente des visas.


Application de la mauvaise norme d'appréciation au regard de la profession de bijoutier

[12]      Le demandeur soutient que l'agente des visas a commis une erreur dirimante en appliquant la mauvaise norme d'appréciation au regard de la profession de bijoutier au sens de la CNP. Elle a conclu dans sa lettre portant décision qu'il n'exerçait pas " l'éventail complet des fonctions " de bijoutier, tel que le décrit la CNP. Le demandeur soutient qu'elle a appliqué la mauvaise norme en exigeant en fait qu'il justifie d'une expérience dans toutes les fonctions de cette profession.

[13]      Cet argument est fondé sur l'emploi de l'expression " éventail complet des fonctions ". Il se peut que ce soit là un choix malheureux de mots, qui peuvent se prêter à des interprétations différentes. Il est clair que pour être considéré comme ayant de l'expérience dans telle ou telle profession prévue dans la CNP, il n'est pas nécessaire que le demandeur justifie de l'expérience dans chacune des fonctions qui y sont énumérées. C'est d'ailleurs ce qu'a reconnu l'agente des visas pendant son contre-interrogatoire. Cependant, chaque profession implique l'exercice d'un éventail de fonctions. Le simple fait d'exercer une ou deux fonctions normalement associées à une profession ne signifie pas qu'on travaille dans cette profession. Les fonctions exercées par l'intéressé doivent être comparées à celles qui sont énumérées dans la CNP. Il est impossible de dire qu'il faut exercer exactement la moitié ou les trois-quarts des fonctions pour être admissible. Le Règlement sur l'immigration de 1978 est clair : pour obtenir des points d'appréciation au titre de la profession, le demandeur doit avoir exercé " un nombre substantiel des fonctions principales établies dans la Classification nationale des professions , dont les fonctions essentielles "10. Qu'un demandeur remplisse cette condition ou non, voilà qui relève du jugement et de l'appréciation discrétionnaire de l'agent des visas compétent.

[14]      Il m'est impossible de conclure que l'agente des visas ait commis à ce sujet une erreur qui justifie l'intervention de la Cour.

Conclusion

[15]      Je dois conclure qu'en l'espèce il n'y a pas eu iniquité procédurale à l'égard du demandeur dans l'instruction de sa demande d'admission au Canada. Qui plus est, le dossier ne fait ressortir aucune erreur de droit ou de fait qui justifie l'intervention de la Cour. Par ces motifs, le recours en contrôle judiciaire est rejeté.

     Signé : B. Cullen

     ________________________________

     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario),

le 27 janvier 2000




Traduction certifiée conforme,




Bernard Olivier, LL.B.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              IMM-1410-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Vinod Bhatia

                     c.

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration


LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE :          17 janvier 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CULLEN


LE :                      27 janvier 2000



ONT COMPARU :


M. David Morris                  pour le demandeur

M. Greg Moore                  pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Bell, Unger, Morris                  pour le demandeur

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      DORS/78-172, modifié.

2      (1998), 159 F.T.R. 203, 45 Imm. L.R. (2d) 13 (1re inst.).

3      (1993), 65 F.T.R. 73, 20 Imm. L.R. (2d) 290 (1re inst.).

4      [1990] 3 C.F. 705, 11 Imm. L.R. (2d) 2-5 (1re inst.).

5      Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1)a).

6      Shakeel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 638 (1re inst.), To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1996] A.C.F. no 696 (C.A.), Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2.

7      [1996] A.C.F. no 453 (1re inst.).

8      [1989] 2 C.F. 79 (1re inst.).

9      Prasad, op. cit., paragraphe 7.

10      Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, Annexe I, Facteur 4.

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