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Date : 20000316

Dossier : T-993-99

ENTRE :

ELIZABETH BERNADETTE POITRAS

demanderesse

- et -

LA NATION CRI DE KEHEWIN et

MICHAEL S. HALL

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL


[1]         La demanderesse était à l'emploi de la défenderesse comme directrice de l'école de Kehewin. Son emploi a débuté le 1er septembre 1995 et elle a été congédiée pour cause, allègue- t-on, le 25 février 1997. Une plainte a été déposée en vertu du Code canadien du travail, L.R.C., ch. L-2, et une audience a été tenue devant un arbitre en vertu de la section XIV de la partie III du Code canadien du travail[1]. Le 30 juillet 1998, l'arbitre a rendu une décision confirmant le congédiement. C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[2]         Les conclusions de faits fort détaillées de l'arbitre se lisent comme suit :

[traduction]

Considérant l'ensemble de la preuve, je tiens pour avéré le fait que Stella John et Suzanna McGilvery ont commencé à se battre à l'école de Kehewin à environ 15h30, le vendredi 6 décembre 1996. La bagarre était rude, en ce sens que plusieurs coups de poing ont été donnés et que Stella John en a reçu la majorité. C'est Stella John qui a commencé la bagarre. C'est Stella John qui a commencé la bagarre et n'eut été de l'intervention de M. Ojala, Stella John aurait continué à se battre. M. Ojala a emmené les deux pugilistes au bureau de Mme Poitras où elles seraient punies pour s'être battues. À ce moment, Mme Poitras était sur le point de finir une longue et pénible journée. Elle a parlé aux deux filles et a laissé partir Suzanna McGilvery pour qu'elle puisse prendre son autobus. Stella John n'a pas été libérée tout de suite, car Mme Poitras ne voulait pas que la bagarre recommence. Peu de temps après, Stella a été informée qu'elle pouvait partir. En sortant, elle a claqué la porte, ce qui a fait voler les papiers qui se trouvaient sur le bureau de Mme Poitras. Mme Poitras a rattrappé Stella et l'a ramenée pour qu'elle ferme la porte du bureau comme il se doit. Stella a continué de fermer la porte avec force mais elle ne pouvait pas la claquer puisque Mme Poitras retenait la porte de l'autre côté. Stella s'est alors retournée pour partir et, en s'en allant, elle a dit : « grosse putain de directrice » . À ce moment, Mme Poitras était en colère et elle a poursuivi Stella, la rattrappant aux portes extérieures du bureau général. Mme Poitras a confronté Stella face à face et a mis ses deux mains sur ses épaules. Bien que fâchée, Mme Poitras n'a pas secoué Stella avec assez de force pour laisser des marques. Cependant, quand elle lui a demandé de revenir au bureau, Stella a résisté. Pour la forcer à s'exécuter, Mme Poitras lui a tordu le bras derrière le dos et l'a dirigée vers son bureau d'une manière semblable à ce qu'un policier ferait avec une personne en état d'arrestation. Une fois dans le bureau, Mme Poitras a crié après Stella à propos de son comportement inconvenable jusqu'à ce que Stella s'excuse. Je n'accepte pas le témoignage de Stella voulant qu'elle ait été projetée contre le mur. À ce moment là, Stella pleurait et elle est simplement repartie chez elle sans que ne se produise d'autre incident.


Je considère aussi comme avéré le fait que Mme Poitras a annoncé à Suzanna et Stella qu'elles étaient toutes deux été renvoyées de l'école. Suite au départ de Stella, Mme Poitras s'est rendu compte qu'elle n'aurait pas dû les renvoyer mais seulement les suspendre. Elle s'est donc rendue à la résidence de Stella pour l'en informer. À ce moment, Mme Poitras s'est rendu compte qu'elle avait réagi de manière excessive et qu'elle avait malmené une élève alors que la bonne chose à faire aurait été de la laisser partir et de s'occuper du problème à tête reposée.[2]

[3]         La décision de l'arbitre se lit comme suit :

[traduction]

La politique de l'école veut que l'usage de la force contre un élève ne doit avoir lieu uniquement que dans les cas où il y a un risque qu'il se blesse ou qu'il blesse quelqu'un d'autre. Je suis d'accord pour dire que cette exigence s'applique aux professeurs, et aussi à la directrice. On s'attend à ce que Mme Poitras montre l'exemple. Elle n'a pas répondu aux attentes. Cependant, ne pas répondre aux attentes d'un employeur n'est pas suffisant en soi.

On pourrait alléguer qu'on n'aurait dû donner à Mme Poitras qu'un avertissement écrit ou une suspension et que cela aurait été suffisant. Je ne suis pas d'accord. Mme Poitras a perdu la confiance de la défenderesse et elle a peut-être aussi perdu la confiance des autres professeurs, des élèves et du public. Elle aurait dû laisser sa colère s'estomper sans intervenir et ensuite s'occuper du problème à tête reposée. Elle a plutôt laissé sa propre colère dicter sa réaction.

Pour ces motifs, je suis d'avis que le congédiement de Mme Poitras était justifié.[3]

[4]         La norme de conduite exigée de la demanderesse apparaît clairement dans les motifs de la décision de l'arbitre : la force ne doit être utilisée contre les élèves que pour des raisons de sécurité. À la lumière de cette norme, trois facteurs ont été pris en considération pour arriver à la conclusion que le congédiement n'était pas injuste : premièrement, l'usage de la force contre une élève, qui n'est pas en soi suffisant pour justifier le congédiement; deuxièment, la perte de confiance de la défenderesse et peut-être celle des autres professeurs, des élèves et du public; troisièmement, la raison de l'usage de l'usage de la force contre l'élève, à savoir une perte de contrôle de soi provoquée par la colère.


[5]         La demanderesse allègue que le fait de tenir compte du facteur de la perte de confiance est une erreur de droit. Je suis d'accord avec l'observation de la demanderesse selon laquelle il ne doit être tenu compte de ce facteur que pour la question de la réparation à accorder dans les cas où on conclut à un congédiement injustifié. Par conséquent, je suis d'avis que l'arbitre s'est fondé sur un élément non-pertinent pour rendre sa décision et que se faisant, il a commis une erreur de droit.

[6]         La question est de savoir si cette erreur de droit rend nécessaire mon intervention à l'encontre de la décision de l'arbitre.

[7]         Les paragraphes 243(1) et (2) du Code canadien du travail contiennent une clause privative qui se lit comme suit :

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article    242. 1977-78, ch. 27, art. 21.


[8]         En ce qui a trait à la clause privative, le juge Muldoon, dans l'affaire Air Canada c. Norman J. Davis[4], a traité de la question de la norme de contrôle applicable dans les cas d'un contrôle judiciaire d'une décision d'un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail. Il en est venu à la conclusion que la norme de contrôle à appliquer pour les erreurs commises dans le cadre de la compétence de l'arbitre est celle de l'erreur manifestement déraisonnable, tandis que pour les questions de compétence, il s'agit de la norme de la décision correcte.

[9]         Une décision est manifestement déraisonnable si elle est clairement irrationnelle et non conforme à la raison.[5]

[10]       Je ne peux pas dire que la décision à l'étude dans la présente affaire soit irrationnelle. Je suis d'accord avec l'argument de la demanderesse selon lequel l'arbitre a commis une erreur de droit, mais à mon avis, la valeur de la décision finale n'est pas diminuée au point de dire qu'elle n'est pas conforme à la raison.

ORDONNANCE :

[11]       Par conséquent, la demande est rejetée. Je ne rends aucune ordonnance relative aux dépens.

         « Douglas R. Campbell »           

Juge                           

Edmonton (Alberta)

Le 16 mars 2000

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                           T-993-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Elizabeth Bernadette Poitras c.

La Nation Cri de Kehewin et

Michael S. Hall

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET         

ORDONNANCE RENDUS PAR :               Le juge Campbell

EN DATE DU :                                               16 mars 2000

COMPARUTIONS

Terence P. Glancy                                             pour la demanderesse

Gerry Deacon                                                    pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Royal, McCrum, Duckett et Glancy                   pour la demanderesse

Edmonton (Alberta)

Weir Bowen

Edmonton (Alberta)                                           pour les défendeurs



[1]               Selon l'article 240 du Code canadien du travail, une personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur en vertu du Code.

En vertu du paragraphe 241(2), l'inspecteur s'efforce de concilier l'employé et l'employeur. Le paragraphe 241(3) prévoit que si la conciliation n'aboutit pas et que l'employé en fait la demande, l'inspecteur devra faire rapport au ministre de l'échec de son intervention et transmettre au ministre tous les documents relatifs à la plainte qu'il a en sa possession.

Selon le paragraphe 242(1), le ministre peut alors désigner un arbitre pour entendre et trancher l'affaire. Selon le paragraphe 242(3), l'arbitre décide si le congédiement était injuste. Selon l'article 242(4), s'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur de payer une indemnité à l'employé, de réintégrer l'employé dans son emploi ou de prendre toute autre mesure de nature à remédier aux effets du congédiement.

[2]            Dossier de la demande du demandeur, onglet 2, aux pp. 11 et 12.

[3]            Ibid, à la p. 13.

[4]            Air Canada c. Norman J. Davis, 72 F.T.R. 283.

[5]            Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941.

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