Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19990216

     Dossier : IMM-812-98

ENTRE

     MIKHAIL BIRIOULIN,

     ANNA A. BIRIOULINA,

     ANNA M. BIRIOULINA,

     JULIA BIRIOULINA,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agente des visas Nathalie Smolynec, première secrétaire à la Section des visas de l'Ambassade du Canada, à Moscou, a rejeté la demande que les demandeurs avaient présentée en vue d'obtenir la résidence permanente au Canada. Les demandeurs ont été avisés de la décision, qui est datée du 27 janvier 1998, le même jour.


LES FAITS

[2]      Les demandeurs, qui résident en Russie, ont présenté une demande de résidence permanente à titre de demandeurs " indépendants " conformément au sous-alinéa 9(1)b )(i) et aux critères de sélection énoncés à l'alinéa 8(1)a) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, dans sa forme modifiée.

[3]      Plus précisément, le demandeur Mikhail Birioulin (ci-après appelé le " demandeur principal ") a demandé à être apprécié à titre de demandeur indépendant à l'égard de deux professions    : " Mécanicien de machines de construction " et " Mécanicien de matériel lourd ".

[4]      En 1981, le demandeur principal, qui a 34 ans, a obtenu d'une école technique un diplôme d'électricien, Machines industrielles, après avoir suivi un cours d'une durée de deux ans et dix mois. Il a ensuite travaillé comme électricien du mois de janvier 1987 au mois de septembre 1988. Il a ensuite poursuivi ses études.

[5]      Du mois de septembre 1988 au mois de mai 1991, le demandeur principal a étudié l'ingénierie industrielle et le génie civil à l'école des métiers de la construction de Bryansk, à Bryansk, en Russie; il a obtenu un diplôme de technicien de la construction. Il a alors commencé à travailler, en juin 1991, comme mécanicien de machines de construction pour Kons-Al Ltd., une entreprise de construction de Bryansk, où il travaille encore; il a été promu contremaître d'une équipe de mécaniciens, poste qu'il occupe depuis trois ans et demi.

ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[6]      Les demandeurs ne contestent pas l'appréciation que l'agente des visas a effectuée à l'égard de la profession de mécanicien de machines de construction. Toutefois, ils soutiennent que l'agente des visas a commis une erreur en n'appréciant pas formellement le demandeur principal à titre de mécanicien de matériel lourd, et que cela l'a amenée à commettre d'autres erreurs.

[7]      Les demandeurs soutiennent que, si l'agente des visas avait effectué une appréciation formelle de la profession subsidiaire envisagée, le demandeur principal aurait obtenu un nombre suffisant de points d'appréciation pour être admis à titre d'immigrant.

[8]      Les demandeurs soutiennent également que cette cour a statué que l'agent des visas est tenu d'apprécier les qualités du demandeur à l'égard des catégories professionnelles que celui-ci a mentionnées.

[9]      Les demandeurs soutiennent que l'appréciation doit être effectuée formellement et qu'il ne doit pas s'agir d'un renseignement ou d'une détermination préliminaire.

[10]      En concluant d'une façon préliminaire que le demandeur principal n'avait pas une préparation professionnelle spécifique suffisante pour travailler comme mécanicien de matériel lourd, l'agente des visas a tenu compte de la période de deux ans et huit mois pendant laquelle il avait étudié à l'école des métiers de la construction de Bryansk.

[11]      Les demandeurs soutiennent que la définition de la préparation professionnelle spécifique énoncée dans le facteur 2 de l'annexe I du Règlement sur l'immigration ne restreint pas cette préparation à la formation reçue dans une école professionnelle ou dans une école technique. Cela comprend également la formation reçue " en usine " ou " en cours d'emploi ".

[12]      Selon les demandeurs, cette cour a statué que la préparation professionnelle spécifique comprend également la formation en usine ou la formation en cours d'emploi ou encore l'expérience acquise dans l'exercice d'autres emplois.

[13]      Les demandeurs soutiennent que l'agente des visas a commis une erreur en ne tenant pas compte de la formation que le demandeur principal pouvait avoir reçue ailleurs qu'à l'école des métiers de la construction de Bryansk, comme la formation qu'il avait reçue en vue d'obtenir son premier diplôme collégial ou les nombreuses années d'expérience professionnelle qu'il avait auprès de Kons-Al Ltd.

[14]      Selon les demandeurs, l'agente des visas n'a pas tenu compte du fait que le demandeur principal avait été promu contremaître d'une équipe de mécaniciens et qu'il avait travaillé en cette qualité pendant trois ans et demi.

[15]      Les demandeurs soutiennent qu'aux fins de la détermination préliminaire, l'agente des visas devait se demander si l'expérience professionnelle du demandeur principal se rapprochait de celle d'un mécanicien de machines de construction ou de celle d'un mécanicien de matériel lourd.

[16]      Les demandeurs affirment que l'agente des visas s'est posé la mauvaise question; en effet, il ne s'agissait pas de savoir de quelle profession l'emploi du demandeur principal se rapprochait le plus, mais si le demandeur était un " mécanicien de matériel lourd " au sens de la Classification canadienne descriptive des professions (la CCDP).

[17]      Les demandeurs soutiennent que la définition de " mécanicien de matériel lourd " figurant dans la CCDP incorpore par renvoi les fonctions de mécanicien de machines de construction, c'est-à-dire que tous les mécaniciens de machines de construction exercent également les fonctions d'un mécanicien de matériel lourd (à condition qu'ils travaillent sur du matériel lourd).

[18]      Selon les demandeurs, on recommande aux agents des visas, dans les lignes directrices du Manuel de l'immigration, de tenir compte de la transférabilité de l'expérience connexe acquise par le demandeur; l'agente des visas a commis une erreur en omettant de reconnaître que l'expérience professionnelle du demandeur satisfait à la définition de " mécanicien de matériel lourd " figurant dans la CCDP.

[19]      Les demandeurs affirment que si l'agente des visas se posait des questions au sujet de la préparation professionnelle spécifique du demandeur principal, en ce qui concerne la profession de mécanicien de matériel lourd, elle aurait dû informer celui-ci de ses préoccupations et lui donner la possibilité de la convaincre du contraire en fournissant des renseignements additionnels au sujet de sa formation et de son expérience professionnelle.

[20]      Enfin, les demandeurs soutiennent que l'agente des visas n'a pas apprécié le demandeur principal en vertu du système de la Classification nationale des professions (CNP) comme elle était tenue de le faire. La CNP est entrée en vigueur le 1er mai 1997; toutes les décisions prises par la suite doivent être fondées sur cette classification (en plus de la CCDP, le cas échéant). Les demandeurs concèdent que le demandeur principal aurait obtenu un moins grand nombre de points en vertu de la CNP, mais ils déclarent qu'il s'agit néanmoins d'une exigence législative à laquelle l'agente des visas ne s'est pas conformée.


ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[21]      Le défendeur soutient que l'agente des visas a examiné les documents que le demandeur principal avait fournis au sujet de son expérience et de la formation reçue à l'égard de la profession envisagée.

[22]      Le demandeur avait présenté une lettre de références; or, l'agente des visas n'était pas convaincue que cette lettre décrivait d'une façon exacte la préparation professionnelle spécifique de mécanicien de matériel lourd de la CCDP ou que cette description était conforme à la définition; de plus, la lettre ne montrait pas que le demandeur principal avait de l'expérience à titre de mécanicien de matériel lourd.

[23]      Le défendeur soutient que l'agente des visas a conclu que les tâches du demandeur principal se rapprochaient davantage des tâches énoncées dans la définition de " mécanicien de machines de construction ".

[24]      Le défendeur affirme que la lettre de références ne faisait pas mention du genre de matériel lourd mentionné dans la définition figurant dans la CCDP et que le matériel mentionné dans la lettre pouvait en général être considéré comme du [TRADUCTION] " petit outillage ou de l'équipement moyen " utilisé pour des travaux de construction plutôt que comme du matériel lourd.

[25]      Selon le défendeur, l'agente des visas pouvait à bon droit conclure que la formation en cours d'emploi et les études du demandeur ne rendaient tout simplement pas celui-ci apte à exercer les fonctions d'un mécanicien de matériel lourd telles qu'elles sont énoncées dans la CCDP.

[26]      Le défendeur soutient que l'agente des visas a bien tenu compte du fait que le demandeur principal voulait être apprécié à titre de mécanicien de matériel lourd et qu'elle n'a pas effectué d'appréciation étant donné que le demandeur n'avait pas les qualités voulues.

[27]      Le défendeur déclare que le demandeur principal a amplement eu la possibilité de fournir des preuves au sujet de sa formation et de son expérience professionnelle, que la lettre de références donnait des détails et que lors de l'entrevue, on a expressément demandé au demandeur principal quelles fonctions il exerçait chez Kons-Al Ltd.

[28]      Enfin, le défendeur soutient que l'agente des visas n'est pas tenue d'effectuer d'autres recherches en vue d'obtenir d'une personne qui demande un visa des renseignements supplémentaires au sujet des professions subsidiaires.

LA QUESTION EN LITIGE

[29]      Il s'agit uniquement de déterminer en l'espèce si l'agente des visas a commis une erreur en concluant d'une façon préliminaire que le demandeur n'avait pas les qualités voulues à titre de mécanicien de matériel lourd et en n'appréciant donc pas formellement cette profession subsidiaire.

ANALYSE

[30]      Le demandeur soutient que l'agente des visas a commis une erreur susceptible de révision; il cite à l'appui la décision Gaffney c. Canada (MEI) (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 185, à la page 189    :

                         
         Par ailleurs, dans l'un des appels qui ont été entendus en même temps que celui-ci [Uy c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 172], notre Cour a statué que l'agent des visas a l'obligation d'apprécier le requérant en fonction de la profession pour laquelle il (ou son conjoint) prétend posséder les qualités requises et qu'il est prêt à exercer au Canada. Cette obligation s'étend selon moi à chacune des professions en question. En l'espèce, il y a une question de fait que la Section de première instance n'a pas examinée, en l'occurrence celle de savoir si l'agent des visas savait qu'il devait apprécier le requérant relativement aux professions qu'il reproche maintenant à l'agent des visas de ne pas avoir examinées.                 
                         

[31]      En ce qui concerne le genre d'appréciation qui doit être faite, les demandeurs ont cité la décision Issaeva c. Canada (MCI) (1996), 87 Imm. L.R. (2d) 91, à la page 95.

                         
         Une appréciation n'est pas une détermination informelle ou préliminaire d'un agent des visas. Les termes "apprécier" ou "appréciation" s'entendent du processus d'application, à l'égard de l'immigrant éventuel, des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I du Règlement . Le fait que cela n'a pas été fait à l'égard de la profession d'"économiste général" déclarée par la requérante est confirmé par la décision de l'agent des visas qui dit que la requérante a été appréciée seulement à l'égard des professions de "directeur administratif" et d'"administrateur des finances".                 
         Puisque la requérante était en droit d'être appréciée dans la profession qu'elle a déclarée dans sa demande, celle d'"économiste général", et qu'aucune appréciation n'a été faite conformément à la Loi sur l'immigration et au Règlement, l'agent des visas a commis une erreur de droit et a outrepassé sa compétence.                 
         On a cité certaines décisions de la Section de première instance qui laissent entendre que si l'agent des visas fait une détermination préliminaire selon laquelle un immigrant éventuel n'est pas qualifié dans sa profession réclamée, il n'y a pas lieu de faire une appréciation relativement à cette profession, ou qu'une telle détermination constitue une appréciation. [...] Bien entendu, chaque cas doit être tranché selon ses propres faits. Toutefois, comme je l'ai dit, une appréciation n'est pas une détermination informelle.                 

En outre, à la page 96, le juge Rothstein dit ceci :

                         
         Certes, on peut penser à des cas extrêmes; mais, selon toute probabilité, la situation plus habituelle serait des cas dans la "zone d'incertitude" où les qualifications d'un immigrant éventuel pour une profession particulière peuvent être douteuses. C'est la bonne raison pour laquelle une appréciation conforme à l'annexe I du Règlement s'impose. Elle donne une approche objective de la détermination initiale des chances d'un immigrant particulier de s'établir avec succès au Canada. Lorsqu'un immigrant éventuel n'a clairement pas les qualités nécessaires, il n'obtient simplement pas le nombre de points requis pour un visa. Lorsque le nombre de points requis est obtenu, l'immigrant éventuel est encore assujetti au pouvoir discrétionnaire conféré à l'agent des visas par le paragraphe 11(3) du Règlement, qui peut être exercé contre l'immigrant éventuel si un agent d'immigration supérieur l'approuve.                 

[32]      En l'espèce, l'agente des visas s'est assurée que le demandeur principal n'avait pas les qualités voulues à l'égard de la profession de mécanicien de matériel lourd en examinant la lettre de références lorsqu'elle a eu une entrevue avec lui.

[33]      À mon avis, l'agente des visas n'a pas observé les exigences prévues par la loi.

[34]      Le pouvoir d'appréciation est un pouvoir conféré à l'agente des visas en vertu du paragraphe 9(2) de la Loi sur l'immigration; il incombe à l'agente des visas de déterminer si le demandeur a les qualités voulues pour exercer la profession et s'il est prêt à exercer cette profession au Canada.

[35]      L'agente des visas ne pouvait pas refuser d'effectuer une appréciation sans d'abord déterminer ces points.

[36]      À mon avis, la détermination préliminaire de l'agente des visas n'était pas une appréciation au sens de la loi.

[37]      Le demandeur principal, Mikhail Birioulin, a demandé à être apprécié à titre de demandeur indépendant à l'égard des professions de mécanicien de machines de construction et de mécanicien de matériel lourd.

[38]      Le demandeur a uniquement été apprécié à titre de mécanicien de machines de construction.

CONCLUSION

[39]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie; l'affaire est renvoyée pour nouvel examen par un agent des visas différent et pour qu'une appréciation soit effectuée au sujet de la question de savoir si le demandeur principal est visé par la définition de " mécanicien de matériel lourd ".

[40]      Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.

     Pierre Blais

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 16 février 1999

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     Avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-812-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Mikhail Birioulin et al. c. le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
DATE DE L'AUDIENCE :          le 22 janvier 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE BLAIS EN DATE DU 16 FÉVRIER 1999

ONT COMPARU :

Dan Miller

                             POUR LES DEMANDEURS

Marcel Larouche

                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dan Miller

Toronto (Ontario)

                             POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous"procureur général

du Canada

                             POUR LE DÉFENDEUR


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.