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     Date : 19980203

     Dossier : IMM-2360-97

Entre :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     requérant,

     - et -

     QUOC HUAN TRUONG,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1]      Le ministre demande, en fait, un bref de certiorari pour annuler la décision d'une formation de la section d'appel de l'immigration (SAI) dont les motifs ont été signés par un de ses membres le 14 mai 1997, et certifiés le 22 mai 1997 dans le dossier V95-02334 de la SAI. Le membre de la formation a suivi la décision de la Section de première instance de la Cour dans l'affaire Athwal c. M.C.I., [1997] 1 C.F. D-54/F-68, et a rejeté une requête présentée par le ministre dans laquelle celui-ci demandait que la SAI rejette l'appel de l'intimé Truong pour absence de compétence.

[2]      La question de la compétence a été soulevée par suite de l'entrée en vigueur, le 10 juillet 1995, du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration L.R.C. (1985), ch. I-2, qui dispose comme suit :

         Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre :
             a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2 ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;                 
             b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;                 
             c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à 10 ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.                 

[3]      Le 27 juin 1995, un arbitre a prononcé une mesure d'expulsion contre l'intimé Truong au motif qu'il était visé aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et (ii) de la Loi. L'intimé a déposé un avis d'appel contre cette mesure d'expulsion à la fin de l'enquête.

[4]      Ensuite, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (requérant en l'espèce) a émis un avis, aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi, en date du 25 février 1997, portant que l'intimé constituait un danger pour le public au Canada. Le 10 mai 1997, l'avis du ministre a été communiqué à la SAI. En vertu du pouvoir qui lui est conféré par la Règle 39, la SAI a considéré le dépôt de l'avis comme une requête en vue de rejeter l'appel de Truong pour absence de compétence.

[5]      Le 14 mai 1997, la SAI a rejeté la requête visant à faire rejeter l'appel de l'intimé pour absence de compétence en adoptant le raisonnement du juge Dubé de la présente Cour dans l'affaire précitée Balbinder Singh Athwal c. M.C.I., IMM-1458-96 (23 janvier 1997). La question dont est saisie la Cour est de savoir si la SAI a commis une erreur en rejetant la requête du ministre visant à faire rejeter l'appel de Truong fondé sur l'article 70, pour absence de compétence.

[6]      En juin 1995, au cours de l'enquête, le rapport visé à l'article 27 a été présenté à l'arbitre, et indiquait que l'intimé Truong avait été reconnu coupable à Vancouver :

     - le 21 octobre 1991, d'une infraction visée à l'alinéa 267(1)a) du Code criminel pour laquelle une peine d'emprisonnement de 12 mois lui a été imposée; et
     - le 25 février 1992, d'une infraction punissable par voie de mise en accusation en vertu de l'article 91 [sic] du Code criminel d'un emprisonnement maximal de 10 ans.

En réponse à la question de l'arbitre, l'avocat de Truong a déclaré ceci : [TRADUCTION] " Mon client ne conteste pas qu'il a été reconnu coupable des infractions dont vous venez de faire lecture. " (Transcription, dossier du requérant, page 18)

[7]      Une copie du dossier déposé devant la Cour suprême de Colombie-Britannique (pièce H jointe à l'affidavit de Michael McPhalen) révèle que, pour ce qui a trait à la déclaration de culpabilité en vertu de l'alinéa 267(1)a), agression armée, l'intimé a été condamné à deux ans d'emprisonnement. La pièce I jointe à l'affidavit de Michael McPhalen révèle que, pour ce qui a trait à la condamnation visée au paragraphe 90(1), possession d'une arme prohibée, soit un fusil de chasse de calibre 12 à canon scié, une peine d'emprisonnement de quatre mois lui a été infligée. D'autres condamnations pour des infractions criminelles sont indiquées dans le document, mais elles ne sont pas pertinentes à la présente procédure, si ce n'est que pour annihiler tout sentiment de sympathie à l'égard de l'intimé.

[8]      Les dispositions pertinentes du Code criminel sont les suivantes :

         90.(1)      Est coupable :                 
             a) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans;                 
             b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,                 
         quiconque a en sa possession une arme prohibée.                 

     [...]

         267.(1)      Est coupable soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans quiconque                 
         [...]                 
             a) porte, utilise ou menace d'utiliser une arme ou une imitation d'arme;                 
             b) [...]                 

[9]      La SAI en est venue aux conclusions suivantes :


         [TRADUCTION]                 
             L'arbitre a jugé que l'appelant était un résident permanent et qu'il avait été reconnu coupable d'une infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans. Étant donné que cela couvre tous les éléments énoncés à l'alinéa 27(1)d), je crois qu'elle a en fait conclu que l'appelant était visé à l'alinéa 27(1)d) de la Loi. Elle a également signé la mesure d'expulsion qui renferme cette déclaration expresse. En outre, l'appelant, par l'entremise de son avocat, a confirmé qu'il a été reconnu coupable d'infractions punissables d'un emprisonnement maximal de dix ans, quand l'arbitre en a fait lecture. Cet aveu a eu pour résultat que le représentant du ministre n'a pas eu à produire la preuve des infractions, selon l'interprétation que je donne de la décision Athwal. La question demeure de savoir si l'aveu de certains faits par un appelant au cours d'une audience constitue une décision prise par un arbitre comme l'exige le paragraphe 70(5) de la Loi. L'arbitre a résumé sa décision dans les mots suivants :                 
             Compte tenu de l'aveu des faits et des documents présentés, je conclus que l'allégation portée contre vous a été établie et que vous êtes un résident permanent ayant été reconnu coupable d'une infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement supérieur à six mois et que vous avez été également reconnu coupable d'une infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans.                         
             À la suite de la décision de la Cour fédérale dans Athwal, et malgré les aveux faits par l'appelant, je crois que l'arbitre n'a toujours pas pris la décision qu'elle est tenue de prendre aux termes de l'alinéa 70(5)c) de la Loi, savoir que l'appelant a été reconnu coupable d'une infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à 10 ans. Compte tenu de l'aveu de l'appelant, il était loisible à l'arbitre d'en venir à une telle conclusion, mais elle ne l'a pas fait.                 
             Le juge Dubé dans la décision Athwal déclare qu'il est essentiel d'adhérer à une interprétation stricte du paragraphe 70(5) de la Loi. Étant donné que la décision d'un arbitre prive un individu de son droit d'appel, il est essentiel que l'arbitre fonde cette décision sur tous les éléments énoncés au paragraphe 70(5). En l'espèce, l'arbitre n'a pas examiné tous les éléments, même si l'appelant a avoué ses condamnations, ce qui indique clairement que les infractions qu'il a commises sont punissables d'un emprisonnement maximal n'excédant pas dix ans.                 

[10]      La SAI en est venue à une curieuse conclusion en l'espèce. Il est tout à fait clair d'après les faits énoncés par le membre de la SAI que l'arbitre a respecté le paragraphe 70(5) du fait que l'intimé Truong est en fait [TRADUCTION] " une personne qui, selon la décision d'un arbitre [...] c ) relève du cas visé à l'alinéa 27(1)d) " de la Loi sur l'immigration . Cette erreur de droit est suffisamment importante pour que la Cour infirme la décision de la SAI concernant l'appel de Truong.

[11]      Toutefois, l'annulation de la décision de la SAI ne règle en rien la question de la compétence du tribunal, et il appartient donc à la Cour de traiter de cette question que les parties ont soulevée devant elle.

[12]      Le 25 février 1997, le délégué du ministre, aux termes de l'alinéa 70(5)c) de la Loi (reproduit ci-dessus) a émis l'avis que M. Truong constituait un danger pour le public au Canada (pièce A jointe à l'affidavit de Michael McPhalen). Le 10 mars 1997, l'agent des appels a écrit à la SAI pour demander une ordonnance en vue de faire rejeter l'appel de Truong pour absence de compétence aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi (pièce J jointe à l'affidavit de M. McPhalen). Après avoir examiné les observations de chaque partie, la SAI a rejeté la requête en donnant comme motif un peu bizarre que l'arbitre n'avait pas décidé que Truong avait été reconnu coupable d'une infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.

[13]      Dans une décision récente, la Cour d'appel fédérale s'est prononcée sur un appel interjeté à l'encontre de la décision de la Section de première instance dans l'affaire Athwal. Les avocats demandent à la Cour de régler la présente affaire en tenant compte de ce jugement. L'avocat de l'intimé demande instamment à la Cour d'ignorer ce jugement de la Cour d'appel parce que [TRADUCTION] " la Cour a mal interprété le sens de la décision de la Cour suprême du Canada dans McIntosh " [1995] 1 R.C.S. 686. La décision de la Cour d'appel fédérale dans Athwal , y compris son interprétation du raisonnement énoncé dans McIntosh, lie la présente Cour.

[14]      Dans l'arrêt Athwal, A-67-97 (le 11 septembre 1997), en appel, et malgré le texte manifestement clair du paragraphe 70(5), la Cour d'appel a déterminé que l'alinéa 70(5)c) de la Loi sur l'immigration n'exige pas de l'arbitre qu'il décide que la personne faisant l'objet de l'enquête a été reconnue coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. Cette conclusion peut se dégager implicitement de la décision de l'arbitre, sans être exprimée de façon explicite. Le requérant fait valoir que les faits de " l'espèce sont tout à fait comparables à ceux dont il est question dans Athwal " et que les motifs de la Cour d'appel dans Athwal règlent définitivement l'espèce. C'est vrai, quoique la Cour pense que l'arbitre, dans les circonstances, a en fait pris sa décision en tenant compte de tous les éléments prévus au paragraphe 70(5), même si toutes les autres personnes intéressées dans cette affaire semblent penser le contraire.


[15]      Étant donné que la Cour conclut :

1)      que l'arbitre en l'espèce a en fait décidé que M. Truong était ou est une personne visée aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et (ii) de la Loi sur l'immigration; et
2)      que la décision récente de la Cour d'appel fédérale lie la présente Cour, règle définitivement l'espèce, et n'exige pas de l'arbitre qu'il prenne la décision visée aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et (ii) en se conformant au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration; et
3)      que le législateur s'est exprimé très clairement au paragraphe 70(5) en disposant que " ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes [..] " qui se trouvent dans la situation de Quoc Huan Truong,

la décision et l'ordonnance de la SAI signées le 14 mai 1997, dans le dossier V95-02334, sont infirmées et cette affaire est renvoyée à une formation différente de la section d'appel de l'immigration pour qu'une nouvelle décision soit prise conformément aux principes de droit énoncés dans le jugement de la Cour d'appel fédérale dans Athwal c. M.C.I., et conformément aux motifs rendus par la présente Cour en l'espèce. La SAI n'avait pas compétence dans les circonstances. Les deux avocats conviennent qu'il n'y a pas de question à faire certifier.

                             (Signature) " F.C. Muldoon "

                        

                         Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 3 février 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL. L.

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-2360-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                     L'IMMIGRATION,

     requérant,

                     - et -

                     QUOC HUAN TRUONG,

     intimé.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 28 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR PAR : LE JUGE MULDOON

DATE :                  le 3 février 1998

ONT COMPARU :

     Andrew Wlodyka                  pour l'intimé

     Brenda Carbonell                  pour le requérant

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Andrew Wlodyka                  pour l'intimé

     Lawrence, Wong & Associates

     George Thomson                  pour le requérant

     Sous-procureur général du Canada

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