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     Date: 20001120

     Dossier: T-1032-00


Entre:

     PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

     Requérante

     ET

     ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

     Intimée





Entre:

     ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

     Requérante

     ET

     CORPORATION DES PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

     Intimée

     ET

     ME JEAN-YVES DURAND

     Mis en cause



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:


Introduction


[1]          La Cour est saisie par la Corporation des Pilotes du Saint-Laurent Central Inc. (la Corporation) en vertu de l'article 946.1 du Code de procédure civile (C.p.c.) d'une requête en homologation d'une sentence arbitrale (la sentence) rendue le 17 avril 2000 par l'arbitre chargé par les parties de trancher le différend. En contestation de cette requête, l'Administration de Pilotage des Laurentides (l'A.P.L.) a produit une requête en annulation de cette sentence.

Les parties


[2]          L'A.P.L. est un organisme de l'administration publique fédérale créé par la Loi concernant le pilotage, L.R.C. c. P-14 (la Loi), et qui a pour mission selon l'article 18 de cette Loi de mettre sur pied, de faire fonctionner, d'entretenir et de gérer, pour la sécurité de la navigation, un service de pilotage efficace sur le fleuve Saint-Laurent.



[3]          La Corporation est une personne morale de droit privé regroupant et agissant pour les pilotes de navires circulant sur le fleuve Saint-Laurent, entre Québec et Montréal.



[4]          Le service de pilotage géré par l'A.P.L. consiste à confier obligatoirement la conduite de navires circulant dans certaines zones du fleuve Saint-Laurent à des pilotes dont la connaissance du fleuve est reconnue, dans le but d'assurer la sécurité de la navigation.

Contexte juridique et factuel


[5]          Les dispositions pertinentes de la Loi, soit les articles 3(1), 15(1) et (2), 18 et 20(1)l), se lisent comme suit:

     3.(1) Chaque Administration de pilotage dont le nom figure à l'annexe est constituée en personne morale composée d'un président et d'au plus six autres membres.

     15.(1) Sous réserve du paragraphe (2), une Administration peut employer le personnel, notamment les pilotes brevetés et les apprentis-pilotes, qu'elle estime nécessaire à l'exercice de ses activités.
     (2) Lorsque la majorité des pilotes brevetés de la région - ou d'une partie de la région - décrite à l'annexe au regard d'une Administration donnée forment une personne morale ou en sont membres ou actionnaires et choisissent de ne pas devenir membres du personnel de l'Administration, celle-ci peut conclure avec la personne morale un contrat de louage de services pour les services de pilotes brevetés et la formation d'apprentis-pilotes dans la région - ou partie de région - visée par le contrat; l'Administration ne peut alors engager de pilotes ou d'apprentis-pilotes dans la région - ou partie de région - en cause.

     18. Une Administration a pour mission de mettre sur pied, de faire fonctionner, d'entretenir et de gérer, pour la sécurité de la navigation, un service de pilotage efficace dans la région décrite à l'annexe au regard de cette Administration.

     20.(1) Une Administration peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, prendre les règlements généraux nécessaires à l'exécution de sa mission et, notamment:
...
l) fixer le nombre minimal de pilotes brevetés ou de titulaires de certificats de pilotage qui doivent se trouver à bord d'un navire;



[6]          L'A.P.L. a exercé son pouvoir réglementaire prévu à l'alinéa 20(1)l) de la Loi en procédant à l'adoption de l'article 35 du Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides, C.R.C. c. 1268, qui se lit comme suit:

35(1) Un seul pilote breveté ou titulaire d'un certificat de pilotage est requis en tout temps à bord d'un navire; cependant, deux pilotes brevetés ou titulaires d'un certificat de pilotage sont requis pour tout navire
a) qui sera piloté dans la partie de la circonscription no 1 comprise entre Montréal et Trois-Rivières ou entre Trois-Rivières et Québec et qui y fera probablement route pendant plus de 11 heures consécutives;
b) qui sera piloté dans la circonscription no 2 et y fera probablement route pendant plus de 11 heures consécutives;
c) de plus de 63 999 t de port en lourd, dans la circonscription no 1;
d) de plus de 74 999 t de port en lourd, dans la circonscription no 2;
e) qui sera piloté dans la circonscription no 1 ou la circonscription no 2 et qui est:
     i) soit un navire-citerne de 40 000 tonnes métriques de port en lourd ou plus;
     ii) soit un navire à passagers de plus de 100 mètres de longueur;
f) dans la circonscription no 1 et la circonscription no 2, durant la période de navigation d'hiver;
g) qui, vu les conditions ou la nature du voyage, exige la présence de plus d'un pilote pour remplir les fonctions à bord du navire.
(2) Aux fins de l'alinéa (1)f), l'Administration détermine la période de navigation d'hiver dans chaque circonscription de pilotage en fonction de la sécurité de la navigation, après consultation de la Garde côtière canadienne, des pilotes qui sont membres d'une personne morale visée au paragraphe 15(2) de la Loi et des groupes d'armateurs intéressés, compte tenu:
a) de l'état des aides à la navigation;
b) des conditions météorologiques;
c) de la formation ou de l'état des glaces;
d) d'autres facteurs pertinents.
(3) Après avoir déterminé la période de navigation d'hiver conformément au paragraphe (2), l'Administration en informe les intéressés dans les meilleurs délais.

Le contrat


[7]          Un contrat de service (le contrat) est intervenu entre les parties en vertu de l'article 15(2) de la Loi.



[8]          Ce contrat prévoit, entre autres, à ses articles 3.01 et 3.02, que l'A.P.L. reconnaît la Corporation comme étant le principal organisme pouvant faire des recommandations en matière de pilotage et sur la sécurité de la navigation. Les parties reconnaissent que le pilotage est un moyen fondamental pour assurer la sécurité de la navigation et que les services rendus par la Corporation sont essentiels à la réalisation de la mission de l'A.P.L.



[9]          Le contrat comprend, à son article 19, une clause d'arbitrage obligatoire permettant aux parties de régler, à l'exclusion des tribunaux judiciaires, les mésententes qui peuvent survenir dans le cours de leur relation contractuelle.



[10]          Les articles 19.01, 19.03, 19.09 et 19.10 prévoient, entre autres, que l'arbitre possède la juridiction exclusive d'interpréter et d'appliquer le contrat. Pour ce faire, les parties lui ont octroyé tous les pouvoirs requis à l'exercice de sa juridiction. Il peut également trancher toute question relative au respect des conditions convenues. Il est de même prévu que la décision de l'arbitre est exécutoire et sans appel.



[11]          L'article 7.03a) du contrat prévoit que deux pilotes seront affectés à une mission de pilotage lorsque la sécurité de la navigation le requiert.



[12]          Ces articles du contrat se lisent comme suit:

3.01      L'ADMINISTRATION [c'est-à-dire l'A.P.L.] reconnaît la CORPORATION, à toutes fins que de droit, comme seule représentante des pilotes et des apprentis pilotes de la circonscription no 1, individuellement ou collectivement, et comme principal organisme pouvant faire des recommandations auprès de l'ADMINISTRATION en matière de pilotage pour la zone de pilotage obligatoire ou pouvant donner des avis techniques et professionnels concernant l'exercice de la profession de pilote et la sécurité de la navigation dans cette circonscription.
     La CORPORATION reconnaît l'ADMINISTRATION, à toutes fins que de droit, comme autorité en matière de pilotage.
3.02      LES PARTIES reconnaissent que:
     1)      le pilotage est le moyen fondamental d'assurer la sécurité de la navigation et le déplacement efficace des navires et qu'il contribue à la protection de l'environnement;
     2)      le pilotage exige une formation poussée et spécialisée dans la conduite des navires et de la navigation en des eaux restreintes, ainsi qu'une connaissance locale approfondie de la circonscription, y compris les marées, les courants, les micro-climats, la topographie générale des lieux visuellement ou au radar, la profondeur des eaux, les mouillages et les aides à la navigation;
     3)      la participation de la CORPORATION et de ses membres est essentielle à la poursuite et à la réalisation de la mission de l'ADMINISTRATION.

7.03      Un seul pilote à la fois est affecté à une mission de pilotage, sauf dans les cas suivants où deux pilotes sont affectés:
     a)      lorsque la sécurité de la navigation le requiert;

19.01      Tout litige ou mésentente entre l'ADMINISTRATION d'une part, et la CORPORATION ou l'un quelconque de ses membres d'autre part, ou vice versa, découlant de l'interprétation ou de l'application du présent contrat, doit être référé pour adjudication à un comité dans les cent vingt (120) jours de l'incident qui y donne naissance ou de la connaissance des faits par la partie qui réfère le litige ou la mésentente à l'arbitrage. Cependant, dans le cas où le litige ou mésentente concerne la facturation - article 6.03 - le délai ci-haut mentionné est de trente (30) jours de la réception de la réponse de l'ADMINISTRATION suite à une réclamation de la CORPORATION. Une réclamation de la CORPORATION sur une question de facturation doit être soumise à l'ADMINISTRATION dans les quatre-vingt-dix (90) jours de la réception de la disquette de facturation de l'ADMINISTRATION. Toute référence au comité se fait par l'envoi d'un avis écrit de la CORPORATION ou de l'un de ses membres avec l'accord de la CORPORATION ou par un avis écrit de l'ADMINISTRATION, selon le cas. Cet avis écrit doit être envoyé à l'autre partie.

19.03      Tout litige ou mésentente que le comité désigné au paragraphe précédent n'aura pas réglé dans le délai prévu à l'article 19.02, pourra être référé par l'une ou l'autre des PARTIES pour décision à un arbitre choisi au hasard, à même un panel de quatre arbitres, soit: Me Angers Larouche, Me Paule Gauthier, Me Marcel Morin et Me Jean-Yves Durand.

19.09      L'arbitre ne peut ni amender, ni modifier, ni ajouter aux dispositions du présent contrat. Cependant, l'arbitre possède tous les pouvoirs requis à l'exercice de sa juridiction, y compris le pouvoir d'émettre des subpoenas. Il peut notamment ordonner le paiement d'indemnités dans les cas suivants:
     1)      pour des dommages-intérêts, des préjudices et des pertes subis en conséquence de tout évènement donnant ouverture à la mise en marche des mécanismes de dénonciation et de renégociation prévus à l'article 12;
     2)      lorsqu'il a été établi à sa satisfaction qu'un acte ou omission d'une PARTIE a soit causé un préjudice à l'autre ou à un de ses membres, soit modifié les conditions auxquelles l'autre PARTIE a convenu de fournir l'un ou plusieurs des services prévus à ce contrat.
     Il est entendu que les recours des PARTIES prévus au contrat sont cumulatifs et non exclusifs.
19.10      L'arbitre doit tenter de rendre sa décision finale dans les trente (30) jours de la fin de l'audition du litige, à moins que les PARTIES ne conviennent par écrit d'un autre délai. Elle est exécutoire et sans appel comme un jugement rendu par un tribunal compétent, sujet aux formalités prévues par la loi.



[13]          La mésentente ou le différend entre les parties est survenu comme suit. La mésentente a été soumise à l'arbitrage en vertu de la venue, dans la circonscription concernée, de trois (3) nouveaux navires à partir du mois d'août 1998. Ces navires ont des dimensions et des caractéristiques qui, selon la Corporation, justifient, pour des raisons de sécurité de la navigation, la présence de deux (2) pilotes à bord, le tout en conformité avec l'article 7.03a) du contrat. L'A.P.L. après évaluation était d'avis qu'un seul pilote devait être affecté à ces bateaux. En conséquence de cette divergence de vue entre les parties, la situation fut soumise à l'arbitrage suivant l'article 19 du contrat.



[14]          Au terme d'un arbitrage qui dura quatre (4) jours, l'arbitre conclut que la sécurité de la navigation requérait la présence d'un deuxième pilote sur les trois (3) navires en conformité avec l'article 7.03a) du contrat.



[15]          L'arbitre estima que la demande de la Corporation s'inscrivait dans le cadre de la sécurité de la navigation et que celle-ci était mise en danger sans la présence d'un deuxième pilote à bord. Celui-ci accueillit donc le différend soumis par la Corporation et conserva juridiction sur le quantum afférent à la présence d'un deuxième pilote sur le navire.



[16]          Or, pour être exécutoire, une sentence arbitrale doit être homologuée en vertu de l'article 946 C.p.c. Les dispositions pertinentes du C.p.c. se lisent comme suit:

     943. Les arbitres peuvent statuer sur leur propre compétence.
     943.1 Si les arbitres se déclarent compétents pendant la procédure arbitrale, une partie peut, dans les 30 jours après en avoir été avisée, demander au tribunal de se prononcer à ce sujet.
     Tant que le tribunal n'a pas statué, les arbitres peuvent poursuivre la procédure arbitrale et rendre leur sentence.

     946. La sentence arbitrale n'est susceptible d'exécution forcée qu'après avoir été homologuée.
     946.1 Une partie peut, par requête, demander au tribunal l'homologation de la sentence arbitrale.
     946.2 Le tribunal saisi d'une requête en homologation ne peut examiner le fond du différend.
     946.3 Le tribunal peut surseoir à statuer sur l'homologation si une demande en vertu de l'article 945.6 a été présentée aux arbitres.
     Le tribunal peut alors, à la demande de la partie qui demande l'homologation, ordonner à l'autre partie de fournir caution.
     946.4 Le tribunal ne peut refuser l'homologation que s'il est établi:
     1O qu'une partie n'avait pas la capacité pour conclure la convention d'arbitrage;
     2O que la convention d'arbitrage est invalide en vertu de la loi choisie par les parties ou, à défaut d'indication à cet égard, en vertu de la loi du Québec;
     3O que la partie contre laquelle la sentence est invoquée n'a pas été dûment informée de la désignation d'un arbitre ou de la procédure arbitrale, ou qu'il lui a été impossible pour une autre raison de faire valoir ses moyens;
     4O que la sentence porte sur un différend non visé dans la convention d'arbitrage ou n'entrant pas dans ses prévisions, ou qu'elle contient des décisions qui en dépassent les termes; ou
     5O que le mode de nomination des arbitres ou la procédure arbitrale applicable n'a pas été respecté.
     Toutefois, dans le cas prévu au paragraphe 4O, seule une disposition de la sentence arbitrale à l'égard de laquelle un vice mentionné à ce paragraphe existe n'est pas homologuée, si cette disposition peut être dissociée des autres dispositions de la sentence.
     946.5 Le tribunal ne peut refuser d'office l'homologation que s'il constate que l'objet du différend ne peut être réglé par arbitrage au Québec ou que la sentence est contraire à l'ordre public.
     946.6 La sentence arbitrale telle qu'homologuée est exécutoire comme un jugement du tribunal.
     947. La demande d'annulation de la sentence arbitrale est le seul recours possible contre celle-ci.
     947.1 L'annulation s'obtient par requête au tribunal ou en défense à une requête en homologation.
     947.2 Les articles 946.2 à 946.5 s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à la demande d'annulation de la sentence arbitrale.

Analyse


[17]          Bien que les procureurs des parties ont semblé s'entendre pour établir qu'en bout de course les paramètres à respecter par cette Cour soient les mêmes (voir à cet effet Navigation Sonamar Inc. c. Algoma Steamships Limited, [1987] R.J.Q. 1346 (C.S.)), il apparaît à cette Cour que c'est en vertu des dispositions du C.p.c. que celle-ci doit apprécier l'homologation ou l'annulation de la sentence et non en vertu de l'article 34 du Code d'arbitrage commercial qui se trouve annexé à la Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. c. C-34.6.



[18]          Devant l'arbitre, il appert que les parties ont eu à se référer au C.p.c. quant au dépôt d'une expertise. De plus, les deux parties dans le présent dossier ont approché la Cour en vertu du C.p.c. Elles ont procédé par requête et non par demande (tel que l'exigerait la règle 324 des Règles de la Cour fédérale (1998) si le Code d'arbitrage était vu comme applicable). L'A.P.L. ne peut donc s'attendre à ce que ce Code d'arbitrage s'applique en les circonstances.



[19]          Avant de revoir les paramètres à l'intérieur desquels la contestation de l'A.P.L. s'inscrit, il y a lieu d'exposer succintement dès à présent le contenu de cette contestation.



[20]          Suivant la compréhension de la Cour, l'A.P.L. soutient que la détermination du nombre de pilotes sur un navire relève, de par les termes de la Loi et de l'article 35(1)g) du règlement, de son pouvoir discrétionnaire exclusif qui se trouve à être d'ordre public. En conséquence, le contrat - et plus spécialement ses articles 7.03a) et 19 - doit être lu et interprété comme excluant un différend portant sur le nombre de pilotes sur un navire. Si une telle interprétation ne peut être retenue et donc qu'un tel différend est visé par la clause d'arbitrage, alors cette dernière est invalide.



[21]          Quant aux grands principes objectifs devant gouverner notre étude des requêtes en jeu, il semble que l'on puisse les regrouper comme suit.



[22]          Premièrement, il appert que le fardeau de preuve repose sur les épaules de la partie cherchant à s'opposer à l'homologation et que cette dernière ne sera refusée que si l'un des éléments des articles 946.4 ou 946.5 C.p.c. est clairement établi. En effet, tel que l'indique la Cour supérieure dans l'arrêt Entreprises Apac Inc. c. Université Bishop's, J.E. 98-740 (C.S.), en page 5:

     L'homologation n'est pas une procédure d'appel et il est clair que les pouvoirs d'intervention du tribunal sont limités.
     En effet, celui-ci, saisi d'une requête en homologation et/ou en annulation d'une sentence arbitrale, ne peut examiner le fond du différend.
     De plus, il ne peut annuler, en tout ou en partie, une telle sentence que pour les seuls motifs édictés aux articles précités 946.4 et 946.5 C.p.c.
     Par conséquent, si la partie qui réclame l'annulation n'établit pas un de ces motifs ou ne démontre aucun manquement sérieux à une règle de justice naturelle, la sentence doit être homologuée.



[23]          L'auteur Donald Béchard, dans Homologation et annulation de la sentence arbitrale, Développements récents en arbitrage civil et commercial (1997), volume 94, Cowansville, Les éditions Yvon Blais, en pages 122 et 125, s'exprime comme suit:

1.4      Le fardeau de la preuve
     Qui a le fardeau de la preuve en matière d'homologation? La réponse à cette question nous est donnée par le début du texte de l'article 946.4 C.p.c. qui s'énonce comme suit:
     Le tribunal ne peut refuser l'homologation que s'il est établi: [...] (Nos italiques)

     Le fardeau repose donc sur la partie qui veut empêcher l'homologation. De plus, le deuxième alinéa de l'article 2803 C.c.Q. (l'ancien article 1203 C.c.B.C. était sensiblement au même effet) peut servir d'appui à cet énoncé:
     [...]
     Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
     Finalement, le professeur Marquis est d'opinion qu'une présomption de validité s'applique à la sentence arbitrale:
     [...] une présomption de validité s'applique à la sentence. Il appartient donc à la partie qui soulève un motif de nullité d'en faire la preuve à l'intérieur du cadre établi par le Code de procédure civile.
(citations omises)


1.6.2      Les motifs de l'article 946.4 C.p.c. sont limitatifs et doivent être interprétés restrictivement
     Les motifs de l'article 946.4 C.p.c. sont limitatifs et doivent être interprétés restrictivement, tel qu'il appert, notamment, des décisions suivantes:
(citation des arrêts omise)



[24]          Deuxièmement, la présente Cour ne peut revoir tout ce qui a trait au fond du litige, y inclus l'interprétation d'une loi, d'un règlement ou du contrat sur lesquels était fondé, en tout ou en partie, le différend devant l'arbitre (voir Fortin c. Centre communautaire juridique du Nord-Ouest, [1984] C.A. 662, en page 666).



[25]          Troisièmement, la convention d'arbitrage doit recevoir une interprétation large et libérale. Tel qu'indiqué dans l'arrêt CJMF-FM Ltée c. Paré, D.T.E. 92T-6 (C.S.), en page 15 et suivantes:

     Comme l'écrit Me John E. C. Brierly « l'idée dominante en matière d'arbitrage est de prendre appui sur la volonté des parties. C'est leur convention qui forme le cadre de l'arbitrage, trace les limites de l'autorité des arbitres en ce qui concerne la matière qui y est soumise et qui précise la manière suivant laquelle les arbitres vont procéder » .
     Il est évident que le législateur, depuis la législation de 1986 concernant l'arbitrage, a indiqué de façon claire et nette qu'il entend créer et légitimer un système de règlement des différends distinct des tribunaux dits réguliers.
     Le législateur a énoncé que tout différend est arbitrable sauf ceux portant sur l'état et la capacité, ceux d'ordre familial et d'ordre public (1926.2).
     Comme l'écrit Me Brierly « Le législateur québécois a pris soin, en sa nouvelle loi, de faire passer le message que l'arbitrage n'a plus à être considéré comme une institution dérogatoire et donc, assujettie dans ses principes mêmes à une interprétation restrictive » .
     Sujette donc à une interprétation large, la convention d'arbitrage est une convention distincte à telle enseigne que la nullité du contrat n'entraîne pas de plein droit la nullité de la convention d'arbitrage (1626.5).
(citations omises)

et en page 21:

     A la lumière de la législation actuelle en matière d'arbitrage conventionnel et des pouvoirs du Tribunal de prononcer sur la compétence de l'arbitre, il faut, à mon avis, permettre, même en cas de doute à la convention des parties de « respirer » et de prendre effet pour employer l'heureuse expression de M. le juge Viau.


[26]          Quatrièmement, le fait que le résultat du différend, tel qu'émis par l'arbitre, ait un impact sur des tiers n'est pas un facteur qui peut être retenu pour ne pas donner effet à la convention d'arbitrage.



[27]          À cet égard, dans l'arrêt Guns N'Roses Missouri Storm Inc. c. Productions musicales Donald K. Donald Inc., [1994] R.J.Q. 1183 (C.A.), en page 1186, le tribunal s'est exprimé comme suit:

     On the second question, I do not see why an arbitration clause agreed upon by two parties should necessarily become inapplicable merely because the dispute also involves a third party or third parties. In the Mont Saint-Sauveur case (supra), for example, the arbitration clause had formed part of a contract between a builder and an owner contemplating the construction of a condominium project. The owner then sued the builder and the architect. The presence in the dispute of the third party architect was held not to prevent the application of the arbitration clause which the builder and the owner had agreed upon.
     I do not believe that the presence of a third party in the dispute, or even the fact that a third party has initiated proceedings, should, in itself, render the arbitration clause inapplicable and deprive the parties of a forum for the settlement of their disputes which they have chosen in their contract. It is not difficult to imagine any number of commercial disputes where it would be entirely appropriate to proceed to arbitration under the arbitration clause agreed upon between two parties notwithstanding a claim against one of the parties by a third party.



[28]          Quant à une dynamique très similaire à la nôtre, la Cour supérieure a tenu les propos suivants en pages 13 et 14 de l'arrêt Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent c. Administration de pilotage des Laurentides, no C.S.Q. 200-05-012157-991, le 9 novembre 1999, honorable J. Roger Banford, J.C.S.:

     Le moyen de droit fondé sur l'ordre public ne paraît pas plus convaincant. L'Administration plaide que la sentence arbitrale a l'effet de permettre à la Corporation d'imposer unilatéralement à des tiers, les armateurs, des coûts d'exploitation, contrairement aux prescriptions de la loi, notamment l'article 35 du Règlement, ce qui serait contraire à l'ordre public.
     Pourtant, la décision ne vise qu'à régler un différend entre deux parties à un contrat. Elle ne change rien à la date décrétée par l'Administration pour ce qui est de la fin de la période de navigation hivernale pour 1998, ou à l'avenir. Elle n'a aucun effet rétroactif. Elle ne modifie en rien la prescription de la loi, ni ne restreint les pouvoirs de l'Administration selon l'article 35 du Règlement. Elle n'est que le constat d'une irrégularité à une obligation contractuelle.
     En outre, selon les termes de la convention, c'est à l'Administration seule que revient l'obligation de rémunérer les services des pilotes. Si la facture a pu être refilée aux armateurs, cela peut découler des règlements en vigueur ou des ententes liant les parties. La sentence attaquée n'affecte en rien ces règles.
     La décision de l'arbitre ne modifie pas davantage le Règlement sur le pilotage. Elle ne fait que conclure que l'Administration ne s'y est pas conformée dans une circonstance particulière. Si des tiers subissent des conséquences en raison de la sentence, elles ne peuvent être dues à la sentence elle-même, mais à l'effet des lois, règlements ou ententes concernant ces tiers et l'Administration. Si les tiers, les armateurs par exemple, se trouvent lésés par l'effet de la décision, ce n'est pas à cette dernière qu'ils doivent s'en prendre, mais à l'auteur de l'acte posé illégalement.



[29]          Quant aux motifs de contestation proprement dits de l'A.P.L., à moins que l'on puisse retenir aux fins de l'article 946.5 C.p.c. que le litige entre les parties porte sur un pouvoir discrétionnaire de nature publique réservé exclusivement à l'A.P.L., les propos suivants tenus par l'arbitre en cause dans le cadre de son analyse s'imposent à nous et disposent des requêtes à l'étude en faveur de l'homologation de la sentence arbitrale.



[30]          En effet, quant à l'imbrication des clauses pertinentes du contrat (les articles 7.03a) et 19) à l'égard du pouvoir de contracter des parties et de la mission de l'A.P.L., l'arbitre s'est exprimé comme suit, en page 52:

D'autre part il m'apparaît que tout litige découlant de l'interprétation et de l'application du présent contrat doit être référé à un comité d'étude. Ce litige est référé pour adjudication au sens de 19.01. Ainsi l'on prévoit un moyen d'arbitrage pour régler les litiges et mésententes concernant l'interprétation ou l'application sous présent contrat. D'ailleurs ceci peut s'inscrire au paragraphe 2) de la clause 19.09.
Le présent litige porte sur la sécurité de navigation des trois navires. La Corporation demande que l'on affecte deux (2) pilotes pour la navigation de ces navires et ce en fait à l'année longue. En effet le double pilotage est prévu pour la période d'hiver. Il y a une mésentente entre les parties à ce sujet. Un tel litige s'inscrit dans le cadre de la Loi et plus particulièrement de l'article 18 de la Loi puisque l'élément déterminant de la mission de l'Administration est de faire fonctionner un service de pilotage efficace pour la sécurité de la navigation.

en page 55:

Comme on l'a vu précédemment, l'Administration a le pouvoir de contracter un contrat de louage de services avec une Corporation de pilotes. Ceci a été fait. L'on prévoit des négociations. Un contrat a été conclu entre la Corporation et l'Administration. L'alinéa a) de la clause 7.03a) prévoit une exception à l'affectation d'un seul pilote sur un navire. Les parties ont convenu que lorsque la sécurité de la navigation le requiert deux (2) pilotes sont affectés.
Je ne vois pas de raison d'annuler une telle clause. Elle correspond autant à l'objet de la Loi sur le pilotage, à l'article 15 et à la mission de cette Loi. Les parties dans leur contrat ont repris ces éléments.

et en page 59:

Cependant le contrat de services prévoit clairement que deux (2) pilotes sont affectés lorsque la sécurité de la navigation le requiert. Je réfère à la clause 7.03a). Cette clause fait l'objet d'un contrat mais surtout elle ne vient que confirmer l'objet de la Loi du pilotage. Ce qu'il faut considérer est la sécurité de la navigation. D'ailleurs la clause 7.03a) ne fait pas qu'indiquer un souhait mais détermine une obligation. Le terme requérir dénote une exigence ou une nécessité.
J'estime donc que j'ai la compétence de constater si la sécurité de navigation nécessite un double pilotage pour les trois (3) navires en question.



[31]          Quant au pouvoir exclusif de l'A.P.L. quant à l'affectation de pilotes sur les navires, il m'apparaît que ce pouvoir exclusif discrétionnaire est restreint à la détermination du nombre minimal de pilotes devant se trouver à bord d'un navire et qu'il n'est point contraire à la loi ou à l'ordre public que l'A.P.L. s'engage par contrat à prévoir plus que le minimum de pilotes lorsque la sécurité de la navigation le requiert.



[32]          Tel que vu précédemment au paragraphe [5] in fine, c'est l'alinéa 20(1)l) de la Loi qui vise en premier ce pouvoir exclusif en les termes suivants:

20.(1) Une Administration peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, prendre les règlements généraux nécessaires à l'exécution de sa mission et, notamment: (...)
l) fixer le nombre minimal de pilotes brevetés ou de titulaires de certificat de pilotage qui doivent se trouver à bord d'un navire;
(mes soulignés)



[33]          L'A.P.L. a exercé ce pouvoir par l'adoption de l'article 35 du Règlement qui se lit comme suit dans sa partie pertinente:

35(1) Un seul pilote breveté ou titulaire d'un certificat de pilotage est requis en tout temps à bord d'un navire; cependant, deux pilotes brevetés ou titulaires d'un certificat de pilotage sont requis pour tout navire
a) qui sera piloté dans la partie de la circonscription no 1 comprise entre Montréal et Trois-Rivières ou entre Trois-Rivières et Québec et qui y fera probablement route pendant plus de 11 heures consécutives;
b) qui sera piloté dans la circonscription no 2 et y fera probablement route pendant plus de 11 heures consécutives;
c) de plus de 63 999 t de port en lourd, dans la circonscription no 1;
d) de plus de 74 999 t de port en lourd, dans la circonscription no 2;
e) qui sera piloté dans la circonscription no 1 ou la circonscription no 2 et qui est:
     i) soit un navire-citerne de 40 000 tonnes métriques de port en lourd ou plus;
     ii) soit un navire à passagers de plus de 100 mètres de longueur;
f) dans la circonscription no 1 et la circonscription no 2, durant la période de navigation d'hiver;
g) qui, vu les conditions ou la nature du voyage, exige la présence de plus d'un pilote pour remplir les fonctions à bord du navire.



[34]          C'est donc par règlement que l'A.P.L. a voulu exercer son pouvoir de détermination du nombre minimal de pilotes.



[35]          Toutefois, je ne puis voir en quoi il est contraire à toute disposition de la Loi ou du Règlement, et donc à l'ordre public, à ce que les parties en litige, et donc bien sûr l'A.P.L., s'engagent par contrat à ce qu'il y ait deux pilotes lorsque la sécurité de la navigation le requiert. L'A.P.L. peut certes s'engager pour plus que ce qu'il lui revient de faire par règlement. Si l'A.P.L. ne voulait pas s'engager à plus que le minimum, elle n'avait qu'à ne pas conclure le contrat.



[36]          Par ailleurs, pour les motifs exprimés plus avant aux paragraphes [26] à [28], l'impact financier que pourrait avoir la décision de l'arbitre sur les armateurs ou autres tiers n'est pas un facteur pertinent à retenir pour les fins de notre étude.



[37]          Cet impact possible à l'égard des armateurs ne contrevient pas non plus à la mission de l'A.P.L.



[38]          D'autre part, par la clause d'arbitrage qui prévoit que toute mésentente découlant de l'interprétation ou de l'application du contrat est sujette à l'arbitrage - champ d'application qui inclut certes la situation sous l'article 7.03a) - on n'assiste point à une quelconque délégation de pouvoir de l'A.P.L. en faveur de l'arbitre. Pas plus que l'arbitre en cause a voulu voir (en page 56 de sa décision) une délégation de pouvoir de l'A.P.L. en faveur de la Corporation, pas plus doit-on voir dans la mise en marche des articles 7.03a) et 19 du contrat l'application de cette notion de droit administratif. La situation est que l'A.P.L. a contracté un engagement et les deux parties ont confié à l'arbitrage le règlement de toute mésentente à cet égard. Rien de plus.



[39]          En conséquence, on ne saurait donc souscrire aux prétentions de l'A.P.L. à l'effet: - même si l'on adoptait la norme de contrôle de la simple erreur -

     -      que l'A.P.L. n'avait pas la capacité pour déléguer ses pouvoirs ou pour contracter les articles 7.03a) et 19 du contrat (paragraphe 946.4(1) C.p.c.);
     -      que le contrat est invalide (946.4(2) C.p.c.);
     -      que la sentence porte sur un différend non visé dans le contrat (946.4(4) C.p.c.); ou
     -      que la sentence est contraire à l'ordre public (946.5 C.p.c.).


[40]          Par ailleurs, je ne puis également considérer que la demande d'homologation de la Corporation est prématurée. Le paiement d'indemnités est un accessoire qui reste à être réglé et qui n'empêche pas l'homologation d'intervenir.



[41]          Pour les motifs qui précèdent, il y a lieu:

     -      d'accueillir la requête en homologation d'une sentence arbitrale de la Corporation;
     -      de rejeter la requête en annulation d'une sentence arbitrale de l'A.P.L.;
     le tout, avec un jeu de dépens en faveur de la Corporation pour l'ensemble des deux requêtes.

Richard Morneau

     protonotaire


MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 20 novembre 2000

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-1032-00

PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

     Requérante

ET

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

     Intimée


ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

     Requérante

ET

CORPORATION DES PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

     Intimée

ET

ME JEAN-YVES DURAND

     Mis en cause



LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 25 octobre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 20 novembre 2000


ONT COMPARU:


Me Guy Dancosse

Me André Baril

pour Pilotes du Saint-Laurent Central Inc.

Me Mario St-Pierre

Me Guy Major

pour Administration de Pilotage des Laurentides

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Dancosse Brisebois

Montréal (Québec)

pour Pilotes du Saint-Laurent Central Inc.

Dunton Rainville

Montréal (Québec)

pour Administration de Pilotage des Laurentides

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