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Date : 20050927

Dossier : IMM-2149-05

Référence : 2005 CF 1325

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

ELENA HINOSTROZA SOTO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue le 14 mars 2005 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui n'a pas reconnu à Mme Elena Hinostroza Soto (la demanderesse) la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi).

FAITS PERTINENTS

[2]                 La demanderesse est une citoyenne du Mexique. Elle allègue que le 27 mai 2004, son parrain, qui est un garde du corps du Procureur de l'État où elle vivait, l'a violée et l'a menacée de mort si elle le dénonçait.

[3]                 Devant l'insistance de son frère, la demanderesse s'est rendue à l'hôpital pour subir des tests physiques et gynécologiques. Le médecin qui l'a examinée a appelé la police, qui a rencontré la demanderesse.

[4]                 La demanderesse et son agresseur ont été convoqués à deux reprises, mais ce dernier ne s'est jamais présenté. De plus, la demanderesse a reçu des menaces par téléphone à l'issue de la première convocation.

[5]                 Le père de la demanderesse a alors emmené sa fille à Reynosa. Cette dernière a fait une dépression et a dû suivre une thérapie psychologique. Le 4 août 2004, en sortant du cinéma à Reynosa, la demanderesse a été attaquée par son parrain qui l'a menacée une nouvelle fois. Malgré les prières de son père de dénoncer son agresseur à la suite de cet événement, la demanderesse n'en fit rien.

[6]                 Le 19 août 2004, la demanderesse a quitté le Mexique, accompagnée de sa famille, pour venir au Canada.

QUESTIONS EN LITIGE

[7]                 1. Est-ce que le tribunal a erré en ne procédant pas à une analyse distincte

                 pour l'application du paragraphe 97(1) de la Loi?

2. Est-ce que le tribunal a erré en concluant que la demanderesse avait la

                 possibilité d'un refuge à l'intérieur du Mexique?

ANALYSE

1. Est-ce que le tribunal a erré en ne procédant pas à une analyse distincte pour l'application du paragraphe 97(1) de la Loi?

[8]                 La demanderesse allègue que le tribunal a un devoir d'examiner sa demande sous les articles 96 et 97(1), considérant que le tribunal était d'avis qu'il existait une possibilité de refuge interne (PRI), cette conclusion est valable autant pour l'article 96 que l'article 97. À cet effet, voir la décision Ankamah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1514, où mon collègue le juge von Finckenstein indique au paragraphe 18 :

[...] La Commission avait déjà tiré une conclusion sur la possibilité d'un refuge intérieur au regard de l'article 96 de la LIPR et toute analyse au regard de l'article 97 devait arriver à la même conclusion. [...]

[9]                 Parce que le tribunal a fait une analyse au regard de l'article 96 de la Loi, je suis d'avis que le tribunal n'a pas erré en ne procédant pas à une analyse distincte pour l'application de l'article 97(1) de la Loi.

2. Est-ce que le tribunal a erré en concluant que la demanderesse avait la possibilité d'un refuge à l'intérieur du Mexique?

[10]            Lorsque la Cour fédérale est appelée à réviser la décision d'un tribunal administratif qui porte sur la question d'une PRI, la norme de contrôle applicable est la norme de la décision manifestement déraisonnable. L'arrêt Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1263, le souligne aux paragraphes 9 et 10 :

Quelle norme la Cour a-t-elle appliquée dans des situations semblables? Bien qu'elle n'y ait pas procédé expressément à une analyse pragmatique et fonctionnelle, la présente cour a conclu dans deux décisions récentes que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission relatives à la PRI était celle de la décision manifestement déraisonnable (Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 193, [2001] A.C.F. no 361 (QL); Ramachanthran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 673, [2003] A.C.F. no 878 (QL)).

Je constate également que dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1283 (C.F. 1re inst.) (QL), Madame la juge Tremblay-Lamer a effectué une analyse basée sur l'approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle qu'il convenait d'appliquer à la décision de la Commission concernant la question de savoir si le demandeur allait être persécuté s'il retournait en Inde. La juge a conclu que la norme de contrôle appropriée était celle du caractère manifestement déraisonnable. Comme il en a ci-dessus été fait mention, la notion de PRI est inhérente à cette décision.

[11]            Pour qu'une personne soit réfugiée au sens de la Convention, l'option d'une PRI ne peut pas être présente. La Cour fédérale a affirmé que le concept de la PRI est inhérent à la définition de réfugié. Le juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706, s'est exprimé ainsi au paragraphe 8 :

[...]le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d'un pays, et non d'une certaine partie ou région d'un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s'il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays.

[12]            La Cour d'appel fédérale a développé un test à deux volets pour déterminer si quelqu'un qui réclame le statut de réfugié a un PRI dans un autre endroit de son pays. Le test a été réitéré clairement par le juge Beaudry dans l'arrêt Dillon c. (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [2005] A.C.F. no 463, au paragraphe 11 :

Dans Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.) paragraphe 2, la Cour d'appel fédérale a mentionné deux éléments à être considérés lorsqu'il s'agit d'établir une PRI : la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté à l'endroit proposé comme PRI, et compte tenu de toutes les circonstances, dont celles propres au demandeur, la situation à l'endroit proposé est telle qu'il n'est pas déraisonnable pour le demandeur d'y chercher refuge.

[13]            La question de savoir à qui appartient le fardeau de preuve pour démontrer qu'il existe un risque partout dans le pays quand une PRI est soulevée, a été abordée par le juge Linden dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589. Le juge Linden, au paragraphe 5, reprend les paroles du juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 en disant :

Le juge Mahoney a conclu qu'il incombait au demandeur, puisque la décision portant sur l'existence ou non d'une telle possibilité faisait partie intégrante de la décision portant sur son statut de réfugié au sens de la Convention, de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risquait sérieusement d'être persécuté dans tout le pays, y compris la partie qui offrait prétendument une possibilité de refuge.

[14]            C'est donc le fardeau de la demanderesse de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il existe un risque sérieux pour elle d'être persécutée partout dans le pays, y compris dans l'endroit prétendu être un refuge interne.

[15]            Le tribunal a appliqué correctement le premier volet du test pour déterminer qu'il existe une PRI et qu'il n'y a aucune possibilité sérieuse que la réclamante y soit persécutée. Le tribunal fait référence au fait que le Mexique est un État fédéral qui compte 31 états et qu'il existe plusieurs villes de plus d'un million d'habitants; le tribunal mentionne plusieurs de ces grandes villes. Prenant en considération la profession de l'agresseur, le tribunal a déclaré qu'il est rationnel de conclure qu'il ne s'acharnerait pas à poursuivre la demanderesse partout à travers le Mexique.

[16]            Le tribunal ne semble pas avoir considéré le fait que, bien que la demanderesse ait changé de ville, son agresseur l'a tout de même retrouvée. Le père de la demanderesse l'avait pourtant amenée à Reynosa, à plusieurs heures de route de son domicile. Ce n'est que quelques jours plus tard qu'il l'a attaquée puis l'a menacée de nouveau.

[17]            Ceci dit, je ne crois pas que cela indique que la demanderesse n'est pas en mesure de s'établir dans un lieu sécuritaire au Mexique. La demanderesse n'a pas présenté de preuve à l'effet que sa vie est en danger dans toutes les grandes villes du Mexique.

[18]            Bien qu'éloignée de l'endroit où elle habitait, la ville de Reynosa était l'endroit où demeuraient des membres de sa famille propre soit son père, elle pouvait donc être retracée assez facilement. La demanderesse a été questionnée sur les possibilités de vivre ailleurs au Mexique et elle n'a pas fourni de réponse pouvant démontrer son impossibilité de le faire. Le tribunal pouvait légitimement en arriver à conclure comme il l'a fait.

[19]            À mon avis, le tribunal n'a pas commis d'erreur manifestement déraisonnable en indiquant que sa vie ne serait pas menacée si elle s'installait dans une autre ville du Mexique.

[20]            Concernant le deuxième volet, la demanderesse est une jeune femme qui a fait des études universitaires. Je suis d'avis qu'il ne serait pas déraisonnable de s'attendre à ce que la demanderesse puisse retourner au Mexique, dans une autre ville, sans que cela lui occasionne un trop lourd fardeau.

[21]            Le procureur de la demanderesse a suggéré une question pour certification :

Est-ce que le tribunal a l'obligation de justifier avec la preuve devant lui, la possibilité de refuge interne?

           

[22]            Le procureur de la partie défenderesse s'objecte à la question au motif que l'obligation pour le tribunal de motiver sa décision est prévue à la Loi (article 169d) de la Loi) et qu'il ne s'agit pas d'une question de portée générale.

[23]            Je suis d'accord avec la prétention de la partie défenderesse, en conséquence, aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

1.                   La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.                   Aucune question pour certification.

« Pierre Blais »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-2149-05

INTITULÉ :                                       

ELENA HINOSTROZA SOTO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :               20 septembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE BLAIS

DATE :                                                27 septembre 2005

COMPARUTIONS:

Me Stewart Istvanffy

POUR DEMANDERESSE

Me Ian Demers

POUR DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

POUR DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR DÉFENDEUR

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