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Date : 20040907

Dossier : T-485-02

Référence : 2004 CF 1220

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                                 APOTEX INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                       SA MAJESTÉLA REINE,

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA INC. et

BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY

                                                                                                                                    défenderesses

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Prononcés à l'audience, puis mis par écrit pour plus de clarté et de précision)

[1]                Il s'agit d'une requête introduite par Apotex Inc. (Apotex) pour faire annuler certaines parties de l'ordonnance, en date du 4 juin 2004, par laquelle la protonotaire Tabib a ordonné à Mme Johanna Mercier et à M. Bernard Sherman de se présenter à nouveau à un interrogatoire préalable pour répondre à des questions précises.

[2]                Dans une requête connexe présentée par Bristol Myers Squibb Canada Inc. (BMS Canada) et Bristol Myers Squibb Company (BMS US), la Cour a ordonné l'ajournement de l'audition de la requête visant à faire annuler l'ordonnance de la protonotaire Tabib jusqu'au deuxième lundi suivant le dépôt du jugement Apotex c. Eli Lily, 2004 CF 502, de la Cour d'appel.

[3]                La Cour ordonne également, en ce qui concerne la partie 1 de la présente requête - qui vise la décision de la protonotaire Tabib au sujet de l'interrogatoire préalable de Johanna Mercier sur les questions 34, 37, page 13 lignes 4 à 8, 87, 88, 132, 133, 135 et page 42 lignes 2 à 21 -, l'ajournement de l'audition jusqu'au deuxième lundi suivant le dépôt du jugement Apotex c. Eli Lily, 2004 CF 502, de la Cour d'appel.

[4]                La norme de révision des ordonnances des protonotaires frappées d'appel a longtemps été celle qui est exposée dans l'arrêt Canada c. Aqua- Gem Investments, [1993] 2 C.F. 425, à la page 454 :

Je conviens avec l'avocat de l'appelante que la norme de révision des ordonnances discrétionnaires des protonotaires de cette Cour doit être la même que celle qu'a instituée la décision Stoicevski pour les protonotaires de l'Ontario. J'estime que ces ordonnances ne doivent être révisées en appel que dans les deux cas suivants :

a) elles sont manifestement erronées, en ce sens que l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire a été fondé sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits,

b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question ayant une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans la cause.

[5]                La Cour d'appel a récemment, dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 315 N.R. 175, reformulé le critère énoncé dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., précité. Le juge Décary a écrit, au paragraphe 19 :

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal,

b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

[6]                En l'espèce, Apotex fait valoir que la protonotaire a appliqué un mauvais principe en concluant erronément que les questions en cause sont pertinentes quant aux points en litige.

[7]                La présente requête porte sur quatre groupes de questions à trancher. Pour plus de commodité, Apotex les a désignées sous les noms de groupes 1a), 1 b), 2 et 3.

[8]                Le groupe 1a) vise les questions 43, 59, page 23 lignes 15 à 19 et 68. Toutes ces questions ont trait aux demandes Apotex déposées quant aux formulaires provinciaux.

[9]                Le groupe 1b) porte sur les questions 31, 32, 52, 53, 65, 72, 409, 410 et 415. Elles ont trait à la question de savoir si Apotex a comparé son Apo-Pravastatin au Provachol (le produit à base de pravastatine vendu par les défenderesses BMS).

[10]            Le groupe 2 se rapporte aux questions 191, 200, 201 et 231, qui portent sur la question de savoir si l'Apo-Pravastatin d'Apotex est fabriqué selon un procédé emportant contrefaçon du brevet 1,150,170 (le brevet '170).

[11]            Le groupe 3 est relatif à des questions ayant trait à la conduite d'Apotex qui a engagé une demande de contrôle judiciaire distincte contre Sa Majesté (la Couronne).

[12]            Il est bien établi que les protonotaires sont les gestionnaires par excellence des questions interlocutoires. On doit leur laisser une grande latitude et ne modifier leurs conclusions que si elles violent clairement la règle énoncée dans l'arrêt Aqua-Gem, précité, modifiée par l'arrêt Merck & Co. c. Apotex, précité.

[13]            En ce qui concerne le groupe 1a), c.-à-d. les questions 43, 59, page 23 lignes 15 à 19, et 68, une des questions en litige est de savoir si Apotex avait l'obligation, tant avant et qu'après les modifications du règlement d'octobre 1999, d'envoyer un avis d'allégation avant que le ministre délivre un avis de conformité. (Voir la défense de BMS US, paragraphe 12 , dossier de requête d'Apotex, p. 85.)


[14]            Les défenderesses BMS voulaient par conséquent savoir si Apotex avait fait les comparaisons requises pour ses demandes déposées quant aux formulaires provinciaux. À la page 24 de l'interrogatoire préalable de M. Sherman (dossier de requête d'Apotex, p. 24), l'avocat d'Apotex s'est engagé à examiner attentivement les demandes provinciales au regard des études comparatives effectuées sur la biodisponibilité. À la date de l'audition de la requête, cet engagement n'avait toujours pas été respecté. Apotex ne peut pas jouer sur les deux tableaux, à savoir donner un engagement concernant les formulaires provinciaux (reconnaissant par là implicitement leur pertinence) et essayer de faire radier des questions portant sur ces formulaires au motif qu'ils ne sont pas pertinents.

[15]            Vu ces faits, je ne vois pas comment le fait que la protonotaire a conclu que les questions en cause sont pertinentes et a exigé qu'on y réponde pourrait équivaloir à une erreur de principe.

[16]            Le groupe 1b), c.-à-d. les questions 31, 32, 52, 53, 65, 72, 409, 410 et 415, porte sur la question de savoir si Apotex a comparé son Apo-Pravastatin au Provachol lorsqu'elle a fait sa présentation au gouvernement fédéral. Apotex allègue que les questions en cause n'ont trait qu'à sa réclamation contre la Couronne et non à sa réclamation contre les défenderesses. Elles ne sont donc pas pertinentes pour la défense des défenderesses. À l'appui de sa prétention, Apotex cite la décision Steinberg c. Regent Construction, [1966] 2 O.R. 86, où le juge Stewart a fait l'observation suivante, à la page 865 :

[traduction] Dans Madge c. Odeon Theatres (Ontario) Ltd, [1953] O.W.N. 103, à la page 104, le protonotaire en chef {Marriott} a dit : [...] il paraît établi qu'une partie ne peut être requise de se soumettre à un interrogatoire préalable à l'égard de questions qui ne visent que la partie qui interroge et une autre partie [...].

[17]            Toutefois, Apotex affirme ce qui suit dans sa déclaration, au paragraphe 25 :


[traduction] Le ministre avait préalablement dit à Apotex que le produit étranger était un produit de référence inacceptable. S'agissant d'un produit étranger, le produit de référence auquel renvoie Apotex dans sa PADN n'était donc pas un produit canadien breveté. Par conséquent, la PADN d'Apotex ne faisait pas directement référence à un produit canadien breveté ou de comparaison directe avec un tel produit. [Non souligné dans l'original.]

[18]            Ce fait est contesté de façon véhémente tant dans la défense de BMS US, aux paragraphes 12 à 16, que dans celle de BMS Canada, aux paragraphes 9 à 17.

[19]            Il est bien établi que l'interrogatoire préalable se limite aux actes de procédure. Voir, par exemple, la décision Steinberg, précitée, à la page 866. Étant donné que le fait contesté en l'espèce par les deux défenderesses BMS dans leurs défenses a été soulevé par Apotex dans ses actes de procédure, il est clairement pertinent quant au présent litige. En conséquence, je ne vois toujours pas comment le fait que la protonotaire a conclu que les questions en cause sont pertinentes et a exigé qu'on y réponde pourrait équivaloir à une erreur de principe.

[20]            Le groupe 2 porte sur les questions 191, 200, 201 et 231, qui ont trait à la question de savoir si l'Apo-Pravastatin d'Apotex est fabriqué selon un procédé qui contrefait le brevet '170.

[21]            Apotex fait remarquer que le brevet '170 a expiré quelque sept mois avant le retard de sept jours (qui aurait été causé par BMS) à l'origine du présent litige. Apotex n'a rien invoqué à l'encontre des défenderesses BMS relativement au brevet '170.

[22]            Apotex a cependant fait l'affirmation suivante au paragraphe 21 de sa déclaration :


[traduction] Pour éviter la contrefaçon du brevet '170, Apotex s'est arrangée pour fabriquer son produit par fermentation chez la société soeur d'Apotex, Apotex Fermentation Inc (AFI), à Winnipeg (Manitoba), selon un procédé n'emportant pas contrefaçon. Ce procédé, mis au point en collaboration avec le professeur A. Demain du Massachusetts Institute of Technology (MIT), utilise un microbe d'un genre différent de celui couvert par le brevet '170. Des brevets américain et canadien ont été obtenus pour protéger ce nouveau procédé. AFI détient la licence exclusive du procédé en vertu de ces brevets.

[23]            BMS US nie expressément cette allégation au paragraphe 17 de sa défense. BMS Canada fait de même au paragraphe 18 de sa défense. Apotex doit maintenant répondre à toute question portant sur un fait contesté découlant de ses actes de procédure puisqu'elle n'a pas retiré cette affirmation et ne l'a pas non plus limitée à la Couronne.

[24]            Ainsi, pour ce qui est des groupes 1a) et 1 b), je ne vois toujours pas comment le fait que la protonotaire a conclu que les questions en cause sont pertinentes et a exigé qu'on y réponde pourrait équivaloir à une erreur de principe.

[25]            Enfin, le groupe 3 vise les questions 271, 272 et 273, qui ont trait à la conduite d'Apotex qui a engagé une demande de contrôle judiciaire distincte contre Sa Majesté (la Couronne).

[26]            Apotex a notamment produit le document 28 à l'encontre de la Couronne. Il s'agit d'une demande en mandamus, présentée le 25 novembre 1999, qui renvoie à un affidavit de M. Bernard Sherman. Lors de l'interrogatoire mené par tant par les avocats de BMS Canada que de BMS US, Apotex a refusé de produire cet affidavit. Elle prétend qu'il n'est pas pertinent pour la procédure contre BMS US ou BMS Canada.

[27]            Je trouve difficile d'accepter cet argument. Apotex a produit la demande en mandamus (sur laquelle elle a l'intention de se fonder dans un but quelconque) qui renvoie à cet affidavit. Elle est donc tenue de produire l'affidavit mentionné. Il est possible qu'il ne soit d'aucune utilité pour BMS Canada et BMS US comme le prétend Apotex. Il est cependant impossible de décider de la pertinence de ce document sans l'avoir examiné. À ce stade-ci, seule Apotex connaît son contenu et sait s'il est pertinent.

[28]            Cela peut être ou ne pas être pertinent pour apprécier, par exemple, la conduite d'Apotex. Le présent litige est fondé sur l'article 8 duRèglement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Dans une telle procédure, la conduite de la première ou de la deuxième personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande est pertinente quant à la détermination du montant des dommages-intérêts. L'affidavit en question peut ou peut ne pas clarifier la conduite d'Apotex. Tant qu'elle ne retire pas le document, Apotex doit produire les documents auxquels il renvoie.

[29]            Ainsi, pour ce qui est des groupes 1a), 1b) et 2, je réitère que je ne vois pas comment le fait que la protonotaire a conclu que les questions en cause sont pertinentes et a exigé qu'on y réponde pourrait équivaloir à une erreur de principe.

[30]            La requête d'Apotex ne peut par conséquent être accueillie relativement aux questions énoncées à la partie 2 de son avis de requête.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Pour ce qui est des questions soulevées à la partie 1 de l'avis de requête, l'audition de la requête reprendra le deuxième lundi suivant le dépôt du jugement Apotex c. Eli Lily, 2004 FC 502, de la Cour d'appel.

2.          Concernant les questions soulevées à la partie 2 de l'avis de requête, la présente requête est rejetée.

3.          Les dépens sont adjugés aux défenderesses Bristol Myers Squibb Company et Bristol Myers Squibb Canada Inc.

« Konrad von Finckenstein »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra D. de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-485-02

INTITULÉ :                                                    APOTEX INC. c.

SA MAJESTÉ LA REINE,

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA INC. et

BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 23 AOÛT 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :                          LE 7 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Julie Rosenthal                                       POUR LA DEMANDERESSE

Frederick Woyiwada                                         POUR LES DÉFENDERESSES

Patrick Smith                                                     POUR LES DÉFENDERESSES

Cristin Wagner

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JULIE ROSENTHAL                           POUR LA DEMANDERESSE

Goodmans, LLP

Toronto (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LES DÉFENDERESSES

Sous-procureur général du Canada                    (Sa Majesté la Reine)

Ottawa (Ontario)

PATRICK SMITH & CRISTIN WAGNER     POUR LES DÉFENDERESSES

Gowling Lafleur Henderson LLP                        (Bristol-Myers Squibb)

(Ottawa) Ontario


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20040907

Dossier : T-485-02

ENTRE :

APOTEX INC.

                                                            demanderesse

et

SA MAJESTÉLA REINE, BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA INC. et BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY     

                                                            défenderesses

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

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