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Date : 20021112

Dossier : IMM-5721-00

Référence neutre :2002 CFPI 1169

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                  AHMED SHIBLEE NOMAN

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) pour qu'un contrôle judiciaire soit effectué conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, à l'égard de la décision par laquelle M. Mick Chong, agent des visas au Haut-commissariat du Canada, à Singapour, a refusé, le 20 septembre 2000, la demande que le demandeur avait présentée en vue de résider en permanence au Canada.


LES FAITS

[2]                 À l'heure actuelle, Ahmed Shiblee Noman habite à Dhaka, au Bangladesh. Il a 29 ans; il a obtenu un baccalauréat ès sciences (génie) du Bangladesh University of Engineering Technology en 1997. Le frère de M. Noman habite à Toronto. M. Noman prévoit également résider à Toronto.

[3]                 Au mois d'avril 1999, M. Noman a soumis au Haut-commissariat du Canada, à Singapour, une demande en vue de résider en permanence au Canada. La demande a été présentée conformément aux critères de sélection applicables aux immigrants indépendants dans le cas des travailleurs spécialisés, à savoir à titre d' « ingénieur civil » (no 2131 de la Classification nationale des professions (la CNP)). M. Noman déclare avoir travaillé comme ingénieur depuis le 1er septembre 1997, d'abord pour The Challenger Enterprises, et ensuite pour Associates of Structural Engineers and Architects. Il a de l'expérience en ce qui concerne les nouvelles applications sur ordinateur dans le domaine du génie, ce qui, dit-il, est rare au Bangladesh.


[4]                 M. Noman a eu une entrevue avec un agent des visas le 20 septembre 1999. L'entrevue a duré de 45 à 60 minutes. Il a alors été longuement question des compétences professionnelles de M. Noman, mais selon les notes consignées par l'agent des visas dans le STIDI, il a été fort peu question de la personnalité.

[5]                 L'entrevue n'a jamais été menée à bonne fin à cause d'un malentendu entre l'agent des visas et M. Noman. L'agent des visas a demandé à M. Noman d'attendre à la réception pendant qu'il parlait à l'employeur de ce dernier, mais M. Noman avait l'impression qu'il devait partir. Dans son affidavit, M. Noman déclare qu'un employé qu'il ne connaissait pas, au Haut-commissariat, lui a de fait dit de partir. L'agent des visas voulait poursuivre l'entrevue après avoir parlé à l'employeur de M. Noman, mais il n'a pas pu le faire parce que M. Noman avait déjà quitté les lieux.

[6]                 L'agent des visas a refusé la demande de résidence permanente de M. Noman dans une lettre qui a été reçue le 5 octobre 1999. M. Noman sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

LA DÉCISION DE L'AGENT DES VISAS


[7]                 L'agent des visas a refusé la demande de M. Noman en se fondant sur le fait qu'aucun point n'avait été attribué pour les facteurs « expérience » et « demande dans la profession » . M. Noman travaillait pour une firme d'ingénierie, mais l'agent des visas a conclu que celui-ci ne remplissait pas un nombre suffisant de fonctions énumérées dans la CNP pour la profession d' « ingénieur civil » afin d'être considéré comme un ingénieur civil. L'agent Chong a également noté que M. Noman n'était pas « autorisé » à approuver la conception.

[8]                 Treize fonctions sont énumérées dans la CNP à l'égard de la profession d'ingénieur civil. Il a été conclu que M. Noman remplissait quatre fonctions, à savoir :

a.          s'entretenir avec les clients et les autres membres de l'équipe d'ingénieurs et effectuer des recherches pour déterminer les exigences relatives à la réalisation des projets;

b.          planifier et concevoir de grands ouvrages de génie civil tels que des bâtiments, des routes, des points, des digues, des installations d'alimentation en eau et de gestion des déchets et des ouvrages en acier de construction;

c.          s'assurer que les plans satisfont aux lignes directrices, aux prescriptions des codes du bâtiment et à d'autres règlements;

d.          agir à titre de chargé de projet ou de chantier pour les travaux d'arpentage ou de construction.

[9]                 Dans sa lettre de refus, l'agent des visas a informé M. Noman qu'il n'était pas convaincu qu'il :


[TRADUCTION] [...] av[ait] accumulé le minimum nécessaire d'une année d'expérience cumulative à remplir un nombre substantiel des fonctions principales de la profession qu'[il] déclar[ait] envisager d'exercer au Canada, telles qu'elles sont énoncées dans la CNP. Par conséquent, aucun point d'appréciation n'a étéattribué pour les facteurs « expérience » et « demande » conformément à la description figurant dans la CNP. Comme il en a ci-dessus été fait mention, le fait qu'aucun point d'appréciation n'est attribué pour les facteurs « demande » ou « expérience » entraîne le refus de la demande, et ce, peu importe que le nombre total de points d'appréciation qui a étéattribué soit supérieur ou non à 65.

[10]            M. Noman a obtenu 64 points en tout.

[11]            En ce qui concerne la personnalité, l'agent des visas a attribué au demandeur cinq points sur les dix points possibles. Selon la lettre de refus, cette appréciation était fondée sur les éléments suivants :

a.          l'étendue des préparatifs que M. Noman avait effectués pour se renseigner au sujet des conditions générales de vie au Canada et de la situation du marché du travail, en particulier dans la profession envisagée;

b.          les efforts que M. Noman avait faits pour se tenir au courant de l'évolution dans son domaine professionnel;

c.          la transférabilité des compétences de M. Noman sur le marché du travail canadien;

d.          les biens que M. Noman avait facilement à sa disposition pour s'établir au Canada;

e.          le nombre de personnes à la charge de M. Noman, l'âge de ces personnes et leur aptitude à contribuer à la réussite de l'établissement de M. Noman au Canada.


LES POINTS LITIGIEUX

[12]            L'agent des visas a-t-il commis une erreur en interprétant la CNP comme exigeant que le demandeur remplisse un « nombre substantiel des fonctions principales » de la profession afin d'obtenir des points pour les facteurs « expérience » et « demande dans la profession » ?

[13]            L'agent des visas a-t-il commis une erreur en appréciant la personnalité du demandeur?

LES ARGUMENTS DES PARTIES

La position du demandeur


[14]         Une erreur susceptible de révision est commise lorsque l'agent des visas exige que la personne qui demande la résidence permanente remplisse toutes les fonctions énumérées dans la CNP pour que sa demande dans cette catégorie professionnelle particulière soit prise en considération. L'agent des visas qui exige que la personne demandant la résidence permanente remplisse toutes les fonctions énumérées dans la CNP à l'égard de la profession d'ingénieur civil ajoute essentiellement des conditions et modifie la norme juridique applicable, de sorte qu'il excède sa compétence (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] A.C.F. no 422 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 8). La décision de l'agent des visas doit donc être annulée.

[15]            Il a été soutenu que même si les descriptions de la CNP lient légalement les agents, elles ne doivent pas être interprétées de façon méticuleuse. Elles doivent être interprétées de façon globale (Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] A.C.F. no 1570 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 27). Or, en l'espèce, l'agent des visas a adopté une approche tout ou rien fort stricte.

[16]            Le demandeur a soutenu que l'agent des visas n'a pas tenu compte d'éléments d'information cruciaux en décidant qu'il n'avait pas une année d'expérience à titre d'ingénieur civil. L'omission de tenir compte de renseignements pertinents importants constitue une erreur de droit.

[17]            Les renseignements pertinents qui, selon le demandeur, n'auraient pas été pris en considération par l'agent des visas étaient les suivants : l'agrément du demandeur par le Conseil canadien des ingénieurs, les références fournies par le demandeur, le curriculum vitae du demandeur et les déclarations verbales faites par le demandeur à l'entrevue.

[18]            Il a été soutenu que les quatre fonctions que l'agent des visas reconnaissait comme ayant été remplies par le demandeur n'ont pas non plus été prises en considération. Si elles l'avaient été, le demandeur aurait obtenu au moins un point pour l'expérience.

[19]            Il est en outre soutenu qu'il n'est pas expressément fait mention de la profession d' « ingénieur de structure » dans la CNP. La profession d' « ingénieur de structure » fait partie d'un groupe de professions incluses sous le titre principal « ingénieur civil » . Cela étant, le demandeur devrait se voir attribuer un certain nombre de points pour l'exercice de certaines fonctions principales incombant à l'ingénieur civil, même s'il ne remplit pas toutes ces fonctions.

[20]            En ce qui concerne l'appréciation de la personnalité, il a été soutenu que, pendant l'entrevue, le demandeur n'avait pas eu la possibilité de parler des démarches qu'il avait faites afin de se préparer à vivre au Canada. L'agent des visas n'a pas demandé suffisamment de renseignements et n'a pas demandé de renseignements sur lesquels une appréciation de la personnalité pouvait être fondée; pourtant, l'agent des visas a malgré tout fait une appréciation. Le demandeur s'est également vu refuser la possibilité de dissiper toute préoccupation que l'agent des visas avait au sujet de la demande de résidence permanente. Cela constitue un manquement à l'obligation d'équité.

[21]            Le demandeur soutient que, s'il avait eu la possibilité de le faire, il aurait pu informer l'agent des visas des recherches effectuées et des renseignements demandés au sujet de la vie et du travail au Canada. Le demandeur aurait également pu parler de ses relations sociales et des soutiens qu'il avait au Canada. Le demandeur affirme qu'il n'a pas pu renseigner l'agent des visas sur sa capacité d'adaptation, sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et d'autres qualités similaires étant donné que l'entrevue n'a pas été menée à bonne fin.

LA POSITION DU DÉFENDEUR

[22]            Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable lorsque la décision d'un agent des visas est examinée pour ce qui est des compétences personnelles et professionnelles d'un immigrant éventuel est celle de la décision manifestement déraisonnable (Lim c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et al., 12 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F.)).

[23]            Il a été soutenu que l'agent des visas n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur n'avait pas d'expérience dans la profession envisagée étant donné que, pendant l'entrevue, le demandeur l'avait informé qu'il n'avait pas pareille expérience. Le demandeur a confirmé qu'il avait rempli quatre seulement des 13 fonctions énumérées dans la CNP à l'égard de la profession d' « ingénieur civil » .


[24]            Le demandeur doit avoir rempli « un nombre substantiel des fonctions principales » telles qu'elles sont énoncées dans la CNP (Kanjibhai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] A.C.F. no 1922 (C.F. 1re inst.)). La conclusion tirée par l'agent des visas, à savoir que le demandeur ne remplissait pas un nombre substantiel des fonctions énumérées, n'est pas manifestement déraisonnable puisque le demandeur convenait qu'il avait rempli quatre seulement des 13 fonctions énumérées dans la CNP.

[25]        En ce qui concerne la personnalité, le défendeur soutient que l'agent des visas n'était pas tenu d'apprécier la personnalité du demandeur une fois qu'il est devenu clair que celui-ci ne pouvait de toute façon pas obtenir un visa (Sidhu c. ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] A.C.F. no 1220 (C.F. 1re inst.)).

[26]            En outre, le défendeur affirme que même si l'agent des visas est tenu d'apprécier la personnalité de l'immigrant, le demandeur l'a libéré de cette obligation en quittant les lieux prématurément.


LA NORME DE CONTRÔLE

[27]            Je suis d'accord avec le défendeur pour dire que la norme de contrôle qui s'applique aux compétences du demandeur est celle de la décision manifestement déraisonnable. Les compétences de M. Noman en sa qualité d'ingénieur civil et la mesure dans laquelle sa personnalité lui permet d'immigrer au Canada sont des questions de fait. Dans la décision Cai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 55 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Pinard a dit ce qui suit :

Il est de jurisprudence constante que c'est à la partie requérante qu'il incombe de convaincre pleinement l'agent des visas de l'existence de tous les éléments positifs de sa demande. En conséquence, dès lors que l'agent des visas n'agit pas de façon injuste et qu'il ne commet pas d'erreur de droit manifeste au vu du dossier pour en arriver à sa décision (en tenant compte par exemple de facteurs étrangers non contenus dans la définition de la CCDP), sa décision a droit à un degré élevé de déférence de la part du tribunal (voir le jugement Hajariwala c. Canada, [1989] 2 C.F. 79 (C.F. 1re inst.)).

[28]            De plus, je conclus que l'agent des visas qui incorpore des conditions qui ne sont pas prévues par la CNP dans l'appréciation des compétences de la personne qui présente une demande de résidence permanente commet une erreur de droit susceptible de révision.

[29]            Je suis d'avis que la demande doit être accueillie. L'agent des visas a commis une erreur de droit en appréciant les compétences du demandeur en sa qualité d'ingénieur par rapport aux lignes directrices énoncées dans la CNP.

[30]        Je me fonde sur une décision récemment rendue par Monsieur le juge Kelen. Dans la décision A'Bed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1347 (C.F. 1re inst.), l'agent des visas avait décidé que le demandeur, qui était ingénieur civil, n'avait pas le droit d'obtenir des points d'appréciation à titre d'ingénieur civil parce qu'il travaillait comme directeur de la construction plutôt que comme ingénieur civil. L'agent des visas a conclu que le demandeur avait rempli quatre des treize fonctions exercées par un ingénieur civil, comme c'est ici le cas.

[31]            En accueillant la demande de contrôle judiciaire et en renvoyant l'affaire pour nouvelle audition par un agent des visas différent, le juge Kelen a fait remarquer ce qui suit, aux paragraphes 13 à 15 :

Je suis convaincu que l'agente des visas a exigé que le demandeur ait exercé la majorité des fonctions d'un ingénieur civil énumérées dans la CNP pour recevoir des points pour l'expérience et pour la profession d'ingénieur civil. L'agente des visas a ainsi commis une erreur de droit.

La CNP énumère 13 « fonctions principales » en ce qui concerne les ingénieurs civils. Elle mentionne cependant que « [l]es ingénieurs civils exercent une partie ou l'ensemble des fonctions suivantes » . Cela explique que les ingénieurs civils n'exercent pas nécessairement toutes les fonctions qui sont décrites. La CNP indique explicitement que les ingénieurs civils exercent « une partie ou l'ensemble des fonctions » . Selon le Concise Oxford Dictionary (8e éd.), une « partie » signifie [traduction] « une quantité ou un nombre indéterminé » , [traduction] « une grande quantité ou un grand nombre » et [traduction] « au moins une petite quantité » .


L'alinéa 4(1)b) de l'annexe I est rédigé en termes généraux qui s'appliquent à toutes les professions de la CNP. Ce libellé général est modifié par les termes précis employés dans la CNP en ce qui concerne les ingénieurs civils. La maxime latine generalibus specialia derogant (les dispositions particulières dérogent aux dispositions générales), qui s'applique en matière d'interprétation législative, s'applique en l'espèce. La description d'un ingénieur civil figurant dans la CNP mentionne expressément que « [l]es ingénieurs civils exercent une partie ou l'ensemble des fonctions suivantes » , avant d'énumérer 13 fonctions. Cette mention apporte une précision au libellé plus général, de sorte que l'expression « une partie ou l'ensemble » prévaut sur l'expression plus générale « un nombre substantiel des fonctions principales établies dans la Classification nationale des professions » et la remplace. L'expression « une partie » signifie plus d'une.

[32]            En l'espèce, l'agent des visas a examiné avec le demandeur les 13 fonctions remplies par un ingénieur civil et il a conclu que le demandeur avait rempli quatre de ces fonctions. Les quatre fonctions sont désignées par le demandeur comme des fonctions de base. Rien ne montre que l'agent des visas ait tenu compte de la qualité des fonctions que le demandeur avait selon lui remplies - il semble plutôt qu'il ait tenu compte de la quantité. Ce commentaire est étayé par l'argument du défendeur, qui déclare ce qui suit au paragraphe 9 de son exposé du droit et des points d'argument :

[TRADUCTION] Le défendeur soutient qu'étant donné que le demandeur remplissait uniquement quatre des 13 fonctions énumérées dans la CNP, la conclusion de l'agent des visas selon laquelle le demandeur ne remplissait pas toutes les fonctions ou un nombre substantiel des fonctions n'est pas manifestement déraisonnable.

[33]            L'agent des visas a également déclaré ce qui suit dans la lettre de refus qu'il a envoyée au demandeur :

[TRADUCTION] Compte tenu des renseignements que vous avez fournis avec votre demande et pendant l'entrevue, vous n'avez pas réussi à me convaincre que vous avez accumulé le minimum nécessaire d'expérience cumulative d'un an dans l'exercice d'un nombre substantiel des fonctions principales de la profession que vous avez l'intention d'exercer au Canada.


[34]            Le demandeur n'est pas tenu de remplir toutes les fonctions énumérées dans la CNP. Il est uniquement tenu de remplir certaines fonctions. Bien sûr, cette décision ne signifie pas que le demandeur doit toujours obtenir des points dans cette catégorie dès qu'il déclare remplir plus d'une fonction exigée par la CNP, même s'il s'agit d'une fonction peu importante. Dans la décision Farooqui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] A.C.F. no 714 (C.F. 1re inst.), Madame le juge Dawson a dit ce qui suit aux paragraphes 14 et 15 :

Je conviens avec l'avocat du défendeur que l'agent des visas avait le droit d'accorder plus d'importance à certaines fonctions contenues dans la CNP et de conclure, suivant une interprétation équitable et large de la description de la profession, qu'une personne ayant de l'expérience dans l'entretien, l'installation et la mise en service d'équipements et dans la supervision d'employés, y compris des ingénieurs et des techniciens, n'a pas d'expérience dans la profession d'ingénieur électricien et électronicien.

Comme l'indique le juge Reed dans la décision Wu c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 4, 1999 CarswellNat 43, « Le fait qu'il n'est pas nécessaire d'être en mesure d'exécuter toutes les tâches énumérées dans une description de la CCDP ne signifie pas que l'aptitude à exécuter certaines tâches n'est pas un élément essentiel d'un poste » .

[35]            À mon avis, la décision de l'agent des visas ne fournit aucune explication au sujet de ce qui est « substantiel » et de ce qui « n'est pas substantiel » . Il n'y est pas expliqué pourquoi les quatre fonctions sont si peu substantielles qu'elles ne méritent même pas un point. Dans la décision Moneim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] A.C.F. no 1977 (C.F. 1re inst.), Madame le juge Tremblay-Lamer a fait remarquer ce qui suit : « Je reconnais que le mandat de l'agent des visas permet à celui-ci d'accorder plus d'importance à certaines fonctions, mais à mon avis, il est déraisonnable de ne pas attribuer de points d'appréciation pour l'expérience à un comptable qui a exercé certaines des principales fonctions pendant au moins deux ans. » Dans la décision Bhutto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. no 1411 (C.F. 1re inst.), Madame le juge Sharlow (tel était alors son titre) a dit ce qui suit, au paragraphe 8 :


En l'espèce, l'agent des visas n'a pas reconnu l'expérience de M. Bhutto en tant qu'ingénieur mécanicien parce que les fonctions qu'il avait remplies à ce titre ne comprenaient pas le fait de mener des études, particulièrement en matière de conception, d'établir des estimations de coûts et de temps, de préparer des documents contractuels, et d'évaluer des soumissions. L'agent a considéré que le demandeur devait obligatoirement avoir de l'expérience relativement à ces aspects de la profession d'ingénieur mécanicien. Cependant, le libellé de la catégorie de la CNP relative aux ingénieurs mécaniciens ne justifie nullement une telle interprétation.

[36]            Un deuxième problème que pose la décision de l'agent des visas Chong se rapporte à la question de l'approbation finale de la conception. Dans la lettre par laquelle il refusait la demande de résidence permanente de M. Noman, l'agent Chong a dit ce qui suit :

[TRADUCTION] Je vous ai informé de mes préoccupations après avoir examiné avec vous les fonctions principales telles qu'elles sont énumérées dans la CNP. Plus précisément, vous n'aviez pas rempli un nombre substantiel des fonctions exercées par un ingénieur civil telles qu'elles sont définies dans la CNP. Vous avez confirmé que vous n'aviez pas rempli ces fonctions étant donné que vous n'étiez pas « autorisé » à approuver la conception. J'ai tenu compte de tous les renseignements et de votre expérience professionnelle avant de finalement décider de refuser votre demande.

[37]            Je ne puis rien trouver dans la description de la profession d' « ingénieur civil » figurant dans la CNP qui exige que, pour être considéré comme ingénieur, le demandeur soit autorisé à approuver la conception. Selon le demandeur, un ingénieur doit travailler pendant trois ans et être membre à part entière de l'Institute of Engineers Bangladesh avant d'être autorisé à donner son approbation finale aux conceptions. En effet, les conceptions d'un ingénieur ayant moins de trois ans d'expérience (ces ingénieurs sont considérés comme des membres associés de l'IEB) doivent être approuvées par un membre à part entière. L'agent des visas n'a pas informé le demandeur qu'il n'allait pas être considéré comme ingénieur parce qu'il n'était pas membre à part entière de l'IEB au moment de l'entrevue.


[38]            À mon avis, l'agent des visas a incorporé une nouvelle condition dans la CNP pour la profession d' « ingénieur civil » , de sorte qu'il a excédé sa compétence. Selon la décision Haughton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1996] A.C.F. no 421, au paragraphe 12 :

Le libellé de la décision de l'agent des visas indique que les critères extérieurs de la CCDP qui ont été pris en considération étaient prépondérants dans sa décision. Les qualités qu'il a prises en considération n'étaient pas déraisonnables, en ce sens qu'il s'agit probablement de qualités requises au sein d'un bureau canadien contemporain. Toutefois, l'agent des visas est lié par les définitions de la CCDP. S'il se peut que les définitions désuètes que contient la CCDP puissent poser un problème, un agent des visas n'est néanmoins pas autorisé à y substituer ses propres critères au sujet d'une profession donnée. Selon la Loi sur l'immigration et le Règlement y afférent, il appartient au législateur ou au gouverneur en conseil de régler la question.

[39]            Dans la décision Pang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. no 868, l'agente des visas n'avait pas apprécié l'expérience professionnelle acquise par le demandeur de 1987 à 1991 parce que le demandeur n'était pas inscrit à titre d'ingénieur en Chine, et ce, parce qu'il n'avait pas les cinq années d'expérience professionnelle nécessaires. Voici ce qu'a dit Monsieur le juge Blanchard :

À mon avis, l'agente des visas n'a pas évalué l'expérience du demandeur selon les critères de la CNP. Au lieu de se demander si M. Danqui Liu était inscrit comme ingénieur, l'agente des visas aurait dû se demander s'il avait de l'expérience correspondant aux fonctions d'un ingénieur mécanicien telles que décrites dans la CNP. L'agente des visas a commis une erreur en n'évaluant pas l'expérience du demandeur de 1987 à 1991 selon les critères de la CNP.

[40]            Quant à la personnalité, je note qu'au paragraphe 17j) de son affidavit, l'agent des visas a dit ce qui suit :


[TRADUCTION] Toutefois, on ne pouvait pas trouver le demandeur. Ceci dit, puisque j'avais conclu que le demandeur n'avait pas l'expérience voulue dans la profession envisagée, il était inutile de tenir compte de sa personnalité puisqu'il n'aurait de toute façon pas obtenu un visa.

[41]            De plus, les notes que l'agent des visas a prises à l'entrevue le 20 septembre 2000 ne disent pas qu'il est inutile d'apprécier la personnalité. Elles ne disent absolument rien à ce sujet.

[42]            Même si l'entrevue n'a jamais été menée à bonne fin, et même s'il n'était censément pas nécessaire d'apprécier la personnalité parce que le demandeur avait déjà été jugé non admissible, l'agent des visas a rempli la section portant sur l'appréciation de la personnalité dans sa lettre de refus du 20 septembre 2000. Le demandeur a obtenu cinq points sur dix. Cette appréciation a été achevée sans que M. Noman fournisse des renseignements après l'entrevue interrompue.


[43]            À mon avis, on peut se demander si la personnalité a de fait été appréciée. En outre, le fait qu'il n'était pas possible de mener l'entrevue à bonne fin, de sorte que M. Noman n'a pas eu la possibilité de fournir des renseignements et des explications au sujet de sa personnalité, laisse planer un doute au sujet de l'appréciation, même si elle avait été effectuée. Pour assurer le caractère raisonnable de la procédure, pareilles appréciations doivent être claires et transparentes. Je conclus que l'appréciation effectuée par l'agent des visas pour ce qui est de la personnalité n'a pas été effectuée d'une façon équitable, de sorte qu'il est justifié pour la Cour d'intervenir.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision rendue par l'agent des visas le 20 septembre 2000 est annulée; l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                               IMM-5721-00

INTITULÉ :                                                              AHMED SHIBLEE NOMAN et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 31 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                      MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                                            le 12 novembre 2002

COMPARUTIONS :

M. Brian Lazanik                                                        POUR LE DEMANDEUR

M. Greg G. George                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Janet L. Bomza et associés                                       POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Ministère de la Justice                                                POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

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