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     Date : 19990528

     Dossiers : IMM-966-98

             IMM-1625-98

ENTRE :


JALIL ALI AKBAR BAHRAMI,

     demandeur,


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW :

[1]      Le demandeur sollicite l'annulation de deux décisions. La première est une décision par laquelle un représentant du ministre a jugé, en vertu de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration (la Loi), que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada; la seconde est la décision d'un agent principal d'ordonner le renvoi du demandeur en Iran. Étant donné que ces deux décisions ont le même contexte factuel, les présents motifs s'appliquent aux deux.

[2]      Le demandeur est un citoyen de l'Iran né le 1er janvier 1966. Dans sa jeunesse, il a subi de très mauvais traitements, notamment de la part de son père. Il a vécu plusieurs expériences traumatisantes pendant son service militaire obligatoire avec l'armée iranienne, qu'il a débuté à l'âge de 18 ans. En 1985, désespéré des effets de la guerre entre l'Iran et l'Irak, il a déserté l'armée iranienne en s'enfuyant par un champ de mines en direction de l'Irak. Il a été arrêté et traité comme un espion par l'Irak et des mauvais traitements lui ont de nouveau été infligés.

[3]      En 1988, avec l'aide du Croissant-Rouge et du HCR, il s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention pour le motif qu'il était un militaire déserteur et un Kurde iranien. Il risquait alors d'être gravement persécuté s'il retournait en Iran. Le 19 octobre 1988, il est arrivé au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention.

[4]      Le dossier révèle que les expériences du demandeur en Iran et en Irak lui ont causé des séquelles psychologiques. À son arrivée au Canada, il n'a reçu aucun traitement et aucune aide pour régler ces problèmes, qui se sont aggravés. Souvent déprimé, il a déjà tenté de se suicider. Adolescent, il était alcoolique et, en 1991, il était devenu cocaïnomane.

[5]      Entre 1990 et 1997, le demandeur a été reconnu coupable de vingt infractions criminelles. Les plus récents éléments inscrits à son dossier sont deux condamnations à une peine d'emprisonnement de vingt-six mois chacune pour trafic de cocaïne, une condamnation à une amende de 500 $ pour possession de stupéfiants et une condamnation à quatorze mois de prison pour proxénétisme. Pour ce qui est des autres infractions, il été déclaré coupable de voies de fait, de possession de stupéfiants, d'avoir omis de se présenter en cour, de ne pas avoir respecté un engagement, d'entrave à la justice, d'avoir proféré des menaces et de possession d'armes. Pour ces infractions, il a reçu des peines variées allant des petites amendes à six mois de prison. Le dossier inclut certains détails sur les infractions les plus graves qu'il a commises de même que la transcription des motifs des sentences.

[6]      En 1994, le demandeur s'est marié. Sa femme et lui ont un enfant, âgé de quatre ans. En 1995, le demandeur a abandonné l'islam pour se convertir au christianisme. L'avocat du défendeur fait remarquer avec raison que le demandeur a commis des infractions criminelles après s'être converti (possession et trafic de stupéfiants). Toutefois, à mon avis, ce fait ne permet pas à lui seul de conclure qu'il n'a pas adhéré à la foi chrétienne. Aucun responsable de l'immigration n'a exprimé de doutes quant à la sincérité de la conversion du demandeur.

[7]      Le fait que le demandeur a été considéré comme un réfugié au sens de la Convention en 1988 signifie qu'il a réussi à convaincre les autorités compétentes qu'il était alors une personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou des ses opinions politiques, ne pouvait pas ou, du fait de cette crainte, ne voulait pas se réclamer de la protection du pays dont il avait la nationalité, c'est-à-dire l'Iran.

[8]      Les autorités compétentes ont dû, au même moment, juger que le demandeur n'était pas exclu de la définition d'un réfugié au sens de la Convention en raison d'activités criminelles passées de la nature de celles énumérées à la section F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés.

[9]      En vertu du paragraphe 46.04(3), un réfugié au sens de la Convention peut demander le droit d'établissement à certaines conditions. Entre autres, les fonctionnaires compétents doivent être convaincus qu'il n'a pas fait partie d'organisations criminelles ni commis d'infractions criminelles comme celles énumérés aux alinéas 19(1)c.1), c.2), d), e), f), g), i), k), ou l). Ils doivent également être convaincus que cette personne n'a pas été déclarée coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale, soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été infligée, soit passible d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans. En 1988, le demandeur semblait satisfaire à ces conditions.

[10]      Les infractions criminelles commises par le demandeur font intervenir l'article 27. Aux termes de cet article, l'agent d'immigration qui détient certains renseignements concernant un résident permanent doit en faire part au sous-ministre dans un rapport écrit et circonstancié. En vertu de l'ancien sous-alinéa 27(1)d)(ii)1, un tel rapport était exigé lorsqu'un résident permanent avait été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale, soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois avait été imposée, soit qui pouvait être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans.

[11]      Lorsque les condamnations du demandeur ont été connues, un rapport a été dressé comme le prévoit l'article 27. Une enquête a ensuite été tenue conformément au paragraphe 27(6). En l'espèce, l'enquête a mené à la prise d'une mesure d'expulsion, le 8 juin 1994, en vertu du paragraphe 32(2).

[12]      Le demandeur aurait difficilement pu contester la validité de la mesure d'expulsion. Dans l'affaire Chiarelli c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 711, la Cour suprême du Canada a examiné un certain nombre de décisions où une mesure d'expulsion avait été contestée. En s'exprimant au nom de la Cour, le juge Sopinka a dit, à la page 733 :

     Or, le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer. En common law, les étrangers ne jouissent pas du droit d'entrer au pays ou d'y demeurer: R. c. Governor of Pentonville Prison, [1973] 2 All E.R. 741; Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376.

     Le juge La Forest a répété ce principe dans l'arrêt récent Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), précité,      à      la p. 8342:

         Le gouvernement a le droit et le devoir d'empêcher des étrangers d'entrer dans notre pays et d'en expulser s'il le juge à propos. Évidemment, ce droit existe indépendamment de l'extradition. Si un étranger dont le dossier criminel grave est notoire tente d'entrer au Canada, on peut lui refuser l'entrée. De la même façon, il pourrait être déporté une fois entré au Canada.
                            
                             . . .
         S'il en était autrement, le Canada pourrait devenir un refuge pour les criminels et les autres personnes que, légitimement, nous ne voulons pas avoir parmi nous.

[13]      La Cour a statué que l'expulsion d'un résident permanent par l'effet combiné de l'alinéa 27(1)d) et du paragraphe 32(2) ne constituait pas un manquement aux principes de la justice fondamentale, car ceux qui sont expulsés de cette façon ont délibérément enfreint une condition essentielle qui leur a permis au départ de demeurer au Canada.

[14]      La Cour d'appel fédérale a adopté un raisonnement semblable dans l'affaire Hoang c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1990) 120 N.R. 193 (C.A.F.). Dans cette affaire, la question en litige était de savoir si l'expulsion d'un criminel reconnu qui était considéré comme un danger pour le Canada portait atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne garanti par l'article 7 de la Charte. En s'exprimant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a dit :

     Selon l'appelant, il y a lieu de faire une distinction, quant au résultat, dans les cas où la personne expulsée est un réfugié au sens de la Convention, auquel cas il faut présumer qu'elle sera persécutée à son retour. Sans doute, la personne expulsée se trouve dans une situation différente, quoique pas nécessairement plus catastrophique, que celle d'une personne livrée par l'extradition, comme l'a autorisé la Cour suprême dans les affaires Schmidt c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 500 et États-Unis d'Amérique c. Cotroni [1989]1 R.C.S. 1469. Toutefois, nous concluons que la distinction proposée par l'appelant est intenable dans la mesure où, suivant l'autorité des arrêts Hurd3 et Chiarelli4, l'expulsion pour avoir commis des infractions graves n'enfreint pas les droits garantis par l'article 7 ou par l'article 12, puisqu'elle ne doit pas être assimilée à une atteinte au droit à la liberté ni à une peine.

[15]      Dans l'affaire Hoang, la Cour d'appel fédérale a également statué que le Canada ne manquait pas aux obligations qui lui sont imposées par la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés du fait qu'il appliquait les dispositions de sa loi qui prévoient le renvoi d'un réfugié au sens de la Convention considéré comme un danger pour le Canada. Cela est logique puisque l'article 33 de la Convention prescrit le renvoi dans de telles circonstances. Il énonce :

     1.      Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.
     2.      Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pur la communauté dudit pays.

[16]      Il ressort clairement de tout cela que ni la Charte ni la Convention ne limite le droit du Canada d'expulser un résident permanent, y compris un réfugié au sens de la Convention, qui a perdu le droit de demeurer au Canada parce qu'il a commis un crime grave ou en raison d'autres circonstances, si le ministre conclut que sa présence permanente constitue un danger pour le Canada.

[17]      Une fois qu'une mesure d'expulsion est prise, l'article 48 exige qu'elle soit exécutée dès que les circonstances le permettent, sous réserve d'exceptions précises comme un sursis prévu dans la loi ou ordonné par les tribunaux (articles 49 et 50). Une mesure d'expulsion est imprescriptible (article 51).

[18]      En l'espèce, il a été sursis à la mesure d'expulsion par application du paragraphe 49(1) de la Loi, étant donné que le demandeur l'a portée en appel devant la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié conformément à l'article 70. Il n'a pas contesté la validité de la mesure d'expulsion, mais a prétendu qu'en vertu de l'alinéa 70(1)b), eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, il ne devrait pas être renvoyé du Canada. Il a ainsi invoqué ce qui est parfois appelé la " compétence en equity " de la section d'appel.

[19]      Un tribunal de la section d'appel composé de trois membres a tenu compte, entre autres, de la preuve concernant l'histoire du demandeur en Iran, en Irak et au Canada, les circonstances entourant ses condamnations au criminel et sa situation familiale (y compris la preuve fournie par sa femme). Le dossier inclut des rapports psychologiques récents et d'autres documents qui tentaient de prouver sa réadaptation. La section d'appel a statué que la preuve n'étayait pas la thèse de la réadaptation du demandeur, mais permettait plutôt de conclure qu'il était probable qu'il récidiverait. L'appel a été rejeté le 27 juillet 1997. Le demandeur n'a pas demandé le contrôle judiciaire de cette décision.

[20]      Les facteurs examinés par la section d'appel dans l'appel interjeté par le demandeur en vertu de l'article 70 sont ceux mentionnés antérieurement par la Commission d'appel de l'immigration, dans l'affaire Ribic c. MEI, (20 août 1985), 84-9623 (SAI). Un de ces facteurs est " l' importance des épreuves que l'appelant subirait en retournant dans le pays dont il a la nationalité ". Voici ce qu'a dit la section d'appel au sujet de ce facteur :

     [Traduction]

     Comme dans la plupart des cas d'expulsion, la vie émotionnelle de l'appelant et des membres de sa famille qui vivent au Canada sera affectée. L'appelant risque d'avoir de la difficulté à s'établir en Iran. Suivant son témoignage, il a perdu contact avec les membres de sa famille. Il n'existe cependant aucune preuve que les membres de sa famille ont quitté l'Iran.

[21]      La Cour d'appel fédérale a statué que la section d'appel ne peut pas, dans l'exercice de sa compétence dans le cadre d'un appel interjeté en vertu de l'article 70, examiner l'importance des épreuves que l'appelant subirait en retournant dans le pays dont il a la nationalité : Chieu c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] 1 C.F. 605 (C.A.F.); Al Sagban c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1998] A.C.F. no 1775 (Q.L.) (C.A.F.). Cela s'explique par le fait qu'au moment où l'expulsion est prononcée, le pays de destination n'a pas encore été déterminé. La décision relative à la destination est régie par l'article 52. Elle n'est pas prise avant que la procédure de l'article 70 soit terminée (voir la discussion plus bas). Par conséquent, la section d'appel pourrait bien avoir commis une erreur simplement pour avoir accepté de tenir compte de la preuve relative à l'Iran, mais cela n'est pas pertinent dans le cas de la présente demande. De toute façon, la section d'appel ne s'est pas exprimée au sujet de la menace que pourrait représenter le renvoi du demandeur en Iran pour sa vie ou sa liberté.

[22]      Le sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion prévu par la Loi a été levé après qu'une décision relative à l'appel interjeté en vertu de l'article 70 a été rendue et que le délai prescrit pour la présentation d'une demande de contrôle judiciaire a expiré sans qu'une telle demande soit présentée. Par conséquent, l'article 48, qui exige de procéder au renvoi du demandeur dès que les circonstances le permettent, s'appliquait de nouveau.

[23]      L'exécution d'une mesure de renvoi est régie par l'article 52 et, dans le cas d'un réfugié au sens de la Convention, par l'article 53.

[24]      En vertu du paragraphe 52(1), sauf instruction contraire du ministre, quiconque est frappé d'une mesure d'expulsion peut être autorisé à quitter le Canada avant l'exécution forcée de celle-ci pour aller dans le pays de son choix. Le dossier ne me fournit aucun indice qui me permettrait de savoir si le ministre a donné une instruction interdisant au demandeur de choisir son pays de destination, ou si le demandeur a décidé d'exercer son droit de choisir son pays de destination. Je présume donc que le paragraphe 52(1) n'est pas applicable en l'espèce.

[25]      À défaut d'un départ avant l'exécution forcée d'une mesure d'expulsion prévu à l'article 52(1), les paragraphes 52(2) et 52(3) reçoivent application.

[26]      En vertu du paragraphe 52(2), l'individu qui n'est pas autorisé à quitter le Canada avant l'exécution forcée d'une mesure d'expulsion et à choisir son pays de destination, est renvoyé soit dans le pays d'où il est arrivé, soit dans le pays où il avait sa résidence avant d'entrer au Canada, soit dans le pays dont il est le ressortissant, soit dans son pays natal. Ainsi, dépendant des circonstances, il peut y avoir plus d'un pays où l'individu pourrait être renvoyé. Dans le cas du demandeur, deux possibilités existent : l'Iran et l'Irak. Je présume que l'Iran est le choix le plus probable puisque c'est le pays dont le demandeur est le ressortissant et son pays natal.

[27]      Le paragraphe 52(3) prévoit que si aucun des pays auxquels il est fait référence au paragraphe 52(2) ne veut recevoir l'individu, le ministre peut choisir tout autre pays ou permettre à l'individu de ce faire. Je conclus que le paragraphe 52(3) n'est pas applicable en l'espèce parce que la seconde décision qui fait l'objet du présent contrôle est une décision relative au renvoi mentionnée dans une lettre, datée du 7 avril 1998, qui ordonne au demandeur de se présenter pour être renvoyé en Iran. Il semble donc que l'Iran est le pays choisi pour le demandeur conformément au paragraphe 52(2) et que ce pays acceptait de le recevoir. Le paragraphe 52(2) est donc la disposition relative au départ applicable en l'espèce.

[28]      Le paragraphe 53(1) déroge au paragraphe 52(2) dans certains cas pour empêcher l'exécution forcée du renvoi d'un réfugié au sens de la Convention dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. L'avocate du demandeur prétend que l'Iran est un de ces pays.

[29]      Il existe un certain nombre de cas où la protection spéciale prévue au paragraphe 53(1) contre l'exécution forcée d'une mesure d'expulsion prise contre un réfugié au sens de la Convention n'est pas offerte. Ces cas sont énumérés aux alinéas 53(1)a), 53(1)b), 53(1)c) et 53(1)d). La mesure d'expulsion prise contre une personne visée par un de ces alinéas sera exécutée de force en vertu du paragraphe 52(2), à moins que la personne soit autorisée à quitter le Canada avant l'exécution forcée.

[30]      Dans le cas du demandeur le seul alinéa pertinent est l'alinéa 53(1)d). En vertu de cet alinéa, un individu peut être expulsé dans un pays (l'Iran pour le demandeur), malgré le risque auquel il pourrait être exposé, s'il a été déclaré coupable d'une infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans (c'est le cas pour le demandeur), et que, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada.

[31] Le demandeur a été informé par une lettre, datée du 5 janvier 1998, qu'une demande serait présentée en vue d'obtenir un avis suivant lequel il constitue un danger pour le public au Canada comme le prévoit l'alinéa 53(1)d). Le 3 mars 1998, le représentant du ministre a donné un avis à cet effet. La première décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire concerne cet avis. L'avocate du demandeur soutient que le ministre n'a pas observé les principes de la justice fondamentale en donnant cet avis.

[32]      L'envoi au demandeur de la lettre mentionnée plus haut, datée du 5 janvier 1998, est à l'origine de la procédure qui a débouché sur l'avis de danger donné le 3 mars 1998. Cette lettre se lit en partie comme suit :

     [Traduction]
     Par les présentes, nous vous avisons que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) détient de éléments de preuve indiquant que vous êtes une personne qui constitue un danger pour le public au Canada. Nous avons l'intention de demander un avis à cet effet au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. S'il est donné, cet avis aura de graves conséquences pour vous suivant les explications qui suivent.
     Si le ministre est d'avis que vous constituez un danger pour le public au Canada, vous n'aurez pas, en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, le droit de faire appel d'une mesure d'expulsion devant la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et, tel que prévu à l'alinéa 53(1)d) de la Loi, vous risquez d'être renvoyé du Canada dans le pays à l'égard duquel vous êtes considéré comme un réfugié au sens de la Convention.
     Le ministre tentera de déterminer si vous constituez un danger pour le public en tenant compte des considérations humanitaires existantes dans votre cas. Pour ce faire, il va évaluer la menace que vous représentez pour le public au Canada et le risque auquel vous pourriez être exposé en retournant dans le pays d'où vous êtes arrivé, dans le pays dans lequel vous avez votre résidence permanente, dans le pays dont vous êtes le ressortissant ou dans votre pays natal.

[33]      La lettre énumère également une série de documents que le ministre pourrait examiner, y compris les rapports concernant le demandeur provenant des procédures antérieures en matière d'immigration, des agents de correction et des instances criminelles, ainsi que les rapports disponibles au sujet des conditions existantes dans certains pays. Le demandeur a été invité a présenter des observations en son nom personnel ou par l'intermédiaire de son avocate.

[34]      En réponse à la lettre du 5 janvier 1998, l'avocate du demandeur a présenté, le 19 février 1998, des observations au ministre qui traitent en détail du régime législatif applicable, des obligations du ministre à l'égard des réfugiés au sens de la Convention, de l'histoire personnelle du demandeur et de tous les points favorables au demandeur dans les nombreux rapports déposés au dossier.

[35]      Il n'y a pas eu d'audition orale de la cause. Cela est conforme à la pratique courante du ministre en ce qui concerne les avis de danger prévus à l'alinéa 53(1)d) et par d'autres dispositions semblables, par exemple, le sous-alinéa 46.01(1)e)ii).

[36]      Suivant une jurisprudence abondante, une audition orale n'est pas obligatoire en ce qui concerne les avis de danger. Je souscris à la décision du juge Rothstein dans l'affaire Bayani c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (24 septembre 1997), IMM-4250-97 et IMM-4251-97 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, il a déclaré que la procédure débouchant sur l'avis de danger prévu à l'alinéa 53(1)d) est constitutionnellement valide malgré l'absence d'une audition orale.

[37]      L'avocate du demandeur fait valoir que, même en l'absence d'une obligation générale de tenir une audition orale, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'impératif de la justice fondamentale exigeait une rencontre avec le demandeur, ou du moins qu'il ait l'occasion de corriger quelques erreurs contenues dans les deux rapports internes rédigés pour le ministre. Ces rapports sont datés du 23 et du 27 février 1998. Le demandeur n'a pas reçu de copies de ces rapports avant que l'avis de danger soit donné.

[38]      Le rapport du 23 février 1998 s'intitule [Traduction] " Rapport concernant l'avis du ministre ". Il résume très brièvement les documents déposés au dossier. Je présume, comme on me l'a demandé, que l'avis de danger est fondé sur ce rapport. L'avocate du demandeur allègue que ce rapport contient des erreurs.

[39]      Par exemple, suivant ce qui y est déclaré, le demandeur a été contraint à aider son père dans le commerce de la drogue (dans la jeunesse du demandeur en Iran). L'auteur du rapport du 23 février 1998 fait ensuite un commentaire tout à fait gratuit suivant lequel cela [Traduction] " semble très improbable puisqu'une personne risque d'être condamnée à mort en Iran si elle est impliquée dans des affaires de drogue ". Je ne vois pas pourquoi l'imposition d'une peine sévère par la loi iranienne rend moins probable le fait que le demandeur a été contraint à aider son père. Ce raisonnement comporte manifestement une erreur de logique.

[40]      L'avocate du demandeur fait remarquer que ce commentaire prouve que la crédibilité du demandeur a été évaluée négativement à cause d'un fait erroné, sans que l'occasion lui soit fournie de corriger cet erreur. Je ne peux pas conclure que ce commentaire est particulièrement important vu le contexte où il a été fait. Le rapport et l'avis définitif du ministre ne portent pas sur les événements qui se sont produits tôt dans la vie du demandeur. Ces événements ont seulement de l'importance pour son statut de réfugié au sens de la Convention, qui n'est d'ailleurs pas remis en cause.

[41]      La seconde erreur alléguée dans le rapport du 23 février 1998 concerne un commentaire suivant lequel le demandeur a été privé du droit de recevoir les membres de sa famille en privée lorsqu'il était à l'établissement Drumheller. L'avocate du demandeur prétend que cette déclaration est fausse. Cette déclaration semble avoir été fondée sur un rapport rédigé par un employé de l'établissement Drumheller en mai 1997. Toutefois, un rapport, en date du 15 février 1998, intitulé [Traduction] " Évaluation du risque pour la communauté " et rédigé par un travailleur social à la demande de l'avocate du demandeur laisse entendre qu'en décembre 1997 une telle visite s'est déroulée sans problème. Cette évaluation a été préparée par une personne qui n'était pas un employé de la prison, à partir de renseignements de source inconnue. Rien ne me permet de conclure que l'auteur du rapport du 23 février 1998 a commis une erreur en ne tenant pas compte des faits mentionnés dans l'évaluation.

[42]      L'autre rapport, daté du 27 février 1998, a été rédigé par une agente d'examen avec le concours d'un analyste principal. Ce rapport reprend le commentaire qui a été fait au sujet de l'interdiction des visites des membres de la famille. Encore une fois, rien ne me permet de conclure que ce commentaire n'est pas exact.

[43]      Le rapport du 27 février 1998 traite longuement des observations de l'avocate du demandeur relativement au risque auquel il serait exposé s'il retournait en Iran. Le rapport mentionne que le demandeur est un déserteur, un Kurde et une personne convertie au christianisme. Il résume les raisons pour lesquelles l'avocate prétend que chacune de ces caractéristiques permet de conclure que le demandeur fera face à un risque excessif s'il retourne en Iran.

[44]      L'agente d'examen a examiné les observations de l'avocate ainsi que les documents déposés au dossier concernant chacun de ces points et en a discuté. Suivant son évaluation de la situation, en Iran, on fait habituellement preuve de clémence envers les militaires déserteurs et aucun traitement cruel n'est infligé aux Kurdes, sauf s'ils sont membres de certains groupes activistes ou nationalistes. Elle affirme également qu'en raison de sa conversion au christianisme, le demandeur subirait de la discrimination, mais pas de la persécution. Elle affirme :

     [Traduction]
     ... rien ne démontre que le sujet serait, selon toute probabilité, exposé à un risque plus grand comme le risque de subir des traitements cruels ou inhumains. Étant donné le nombre de condamnations et la nature toujours plus grave des ses infractions, j'estime que le danger qu'il constitue pour la société canadienne dépasse n'importe quel risque auquel il pourrait être exposé à son retour.

[45]      L'avocate du demandeur me demande de présumer, comme pour l'autre rapport, que le ministre a fondé son opinion sur ce rapport. C'est ce que j'ai fait. Elle soutient que l'auteur de ce rapport à très mal interprété la preuve et a tiré des conclusions de fait abusives. Elle s'appuie particulièrement sur la conclusion que la conversion du demandeur au christianisme ne serait pas un motif de risque sérieux pour le demandeur. Elle attire mon attention sur le fait que suivant certains éléments de preuve fournis par le dossier, l'apostasie (abandon de l'islam pour se convertir à une autre religion) fait encourir la peine de mort. Toutefois, suivant d'autres éléments de preuve contenus dans le dossier, cette information résulte d'une mauvaise interprétation de la loi iranienne. À mon avis, l'auteur du rapport du 27 février 1998 pouvait raisonnablement tirer les conclusions qui y sont mentionnées.

[46]      Les faits énoncés dans ces deux rapports, qui se limitent à résumer les documents déposés au dossier, sont assez exacts sauf pour ce qui est de l'exception déjà mentionnée. Suivant l'obligation imposée par l'équité et l'impératif de la justice fondamentale, il n'était pas essentiel de rencontrer le demandeur ou de lui donner l'occasion de réviser ces rapports. Ce qui importe, c'est que le demandeur a pu examiner les documents qui ont servi à la rédaction de ces rapports et présenter des observations à leur sujet. Il ressort clairement du rapport du 27 février 1998 que les observations du demandeur ont été prises en considération. Le fait qu'elles ont essentiellement été rejetées ne constitue pas un motif de contrôle.

[47]      Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de la décision de donner l'avis de danger.

[48]      Une fois l'avis de danger donné, le demandeur se trouvait dans la situation visée à l'alinéa 53(1)d), et il devait être expulsé dès que les circonstances le permettraient (article 48). Après avoir pris la décision de procéder au renvoi du demandeur en Iran, un agent chargé du renvoi l'en a informé au moyen d'une lettre, datée du 7 avril 1998, dans laquelle il lui donnait la directive de se présenter le 14 avril 1998 aux fins de son renvoi. Le demandeur demande le contrôle judiciaire de cette décision.

[49]      L'avocat du défendeur affirme que cette demande de contrôle judiciaire est caduque. La mesure de renvoi n'a plus d'effet depuis le 14 avril 1998. Toutefois, étant donné ma décision en ce qui concerne l'avis de danger, il me semble raisonnable de prévoir qu'une nouvelle décision concernant le renvoi du demandeur sera rendue. La question générale des droits du demandeur relativement au renvoi est loin d'être caduque. Le refus de me prononcer sur la décision du 7 avril 1998 relative au renvoi entraînera simplement une demande identique lorsqu'une nouvelle décision sera prise. Pour ce motif, j'ai procédé au contrôle de la décision relative au renvoi, même si elle n'a plus d'effet.

[50]      L'avocat du défendeur prétend également qu'une décision en matière de renvoi n'est pas susceptible de contrôle judiciaire : Borhani c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (21 septembre 1998), IMM-4788-98 (C.F. 1re inst., le juge Pinard). Je ne suis pas d'accord. Une décision en matière de renvoi est prise en vertu d'une loi fédérale. Elle comporte un élément discrétionnaire quant au moment du renvoi et, dans une certaine mesure, quant à la détermination de sa destination. Je ne peux retenir la prétention que cette décision n'est pas visée par l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Cela voudrait dire qu'une décision erronée qui a pour effet d'expulser une personne dans un pays auquel il n'est pas fait référence au paragraphe 52(2) n'est pas susceptible de contrôle judiciaire. Cela est inacceptable.

[51] L'avocate du demandeur soutient que la décision d'exécuter la mesure d'expulsion, prise par l'agent chargé du renvoi, doit être annulée parce que la décision relative au renvoi a été prise sans qu'une évaluation séparée du risque que court le demandeur en retournant en Iran soit effectuée. Elle s'appuie sur l'affaire Farhadi c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1998] 3 C.F. 315 (1re inst.)(en instance d'appel), et en particulier sur l'extrait suivant des propos du juge Gibson dans cette affaire :

     La Convention contre la torture [...] ordonne d'effectuer une évaluation du risque, notamment du risque d'être soumis à la torture, avant de procéder au renvoi. Bien qu'elle ne soit pas incorporée dans le droit canadien applicable aux circonstances de l'espèce, la Convention contre la torture, qui fait partie des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne, éclaire l'interprétation de la Charte. Je suis convaincu qu'une évaluation du risque, et la possibilité de vérifier l'équité de cette évaluation, de même que son résultat, au regard des normes figurant aux articles 7 et 12 de la Charte, sont implicitement prévues dans ces dispositions du droit canadien.

[52]      Pour sa part l'avocat du défendeur cite l'affaire Saini c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1998] 4 C.F. 325 (1re inst.). Dans cette affaire, le juge Gibson explique que l'affaire Farhadi ne permet pas de soutenir la thèse qu'une évaluation du risque est toujours exigée avant qu'une décision relative au pays de destination puisse être prise dans le cadre d'une ordonnance d'expulsion valide. L'avocat du défendeur signale également qu'un argument comme celui du demandeur a été catégoriquement rejeté dans l'affaire Barre c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1998) 150 F.T.R. 257.

[53]      Je n'adhère pas à l'opinion qu'une décision relative au renvoi, même celle qui concerne un réfugié au sens de la Convention, exige qu'une évaluation séparée du risque en ce qui concerne le pays de destination soit toujours effectuée. Lorsque, comme en l'espèce, une évaluation du risque a été faite au stade de l'avis de danger, imposer une évaluation supplémentaire au stade du renvoi entraînera une répétition des tâches qui n'est pas justifiée par l'impératif de la justice fondamentale.

[54]      Il est possible que, dans certains cas, un réfugié au sens de la Convention soit sur le point d'être expulsé dans le pays à l'origine de sa revendication du statut de réfugié et, qu'à cause de la tournure des événements, la question du risque que comporte ce pays ne soit jamais examinée. Cela pourrait se produire, car le système n'est pas parfait. Je ne voudrais pas écarter le droit d'un expulsé au contrôle judiciaire dans ces circonstances. Toutefois, l'hypothèse qu'une telle situation se présente ne permet pas de conclure que chaque fois qu'un réfugié au sens de la Convention est expulsé, il est nécessaire d'effectuer une évaluation du risque au stade du renvoi. En l'espèce, une telle conclusion n'est certainement pas justifiée.

[55]      À mon avis, la personne qui a pris la décision relative au renvoi n'avait pas l'obligation d'examiner le risque auquel le demandeur pouvait être exposé en retournant en Iran. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la décision concernant le renvoi doit être rejetée.

[56]      J'ai différé le prononcé des ordonnances dans le cas des deux demandes pour permettre la présentation d'observations écrites quant à la certification d'une question. L'avocate du demandeur dispose d'un délai de dix jours à compter de la date des présents motifs pour signifier et déposer des observations écrites. Dans les sept jours suivant la signification de ces observations, l'avocat du défendeur devra signifier et déposer une réponse écrite. Il sera loisible à l'avocate du demandeur de signifier et de déposer une réplique écrite dans les trois jours de la signification de cette réponse.

     Karen R. Sharlow

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 28 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-966-98 ET IMM-1625-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      JALIL ALI AKBAR BAHRAMI

                     c.

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                      L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 14 AVRIL 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU :              28 MAI 1999

ONT COMPARU :         

Me LORNA K. GLADMAN      POUR LE DEMANDEUR

Me W. BRAD HARDSTAFF      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me LORNA K. GLADMAN          POUR LE DEMANDEUR

CALGARY (ALBERTA)

Me MORRIS ROSENBERG          POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR

GÉNÉRAL DU CANADA

__________________

     1      La même disposition, dont la modification n'est pas pertinente dans la présente affaire, se retrouve maintenant à l'alinéa 27(1)d) .

     2      [1991] 2 R.C.S. 779.

     3      Hurd c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1989] 2 C.F. 594 (C.A.).

     4      Supra.

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