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Date: 19991108


Dossier : IMM-740-99


OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 8 NOVEMBRE 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM


Entre :



Emdad Hussain


demandeur


-et-


Ministre de la Citoyenneté et de l?Immigration


défendeur


ORDONNANCE

     Pour les motifs qui figurent dans mes motifs de l?ordonnance, la demande de contrôle

judiciaire est rejetée.



                                 ?Max M. Teitelbaum ?

                             _____________________________

                                     J.C.F.C.




Traduction certifiée conforme


Philippe Méla








Date: 19991108


Dossier : IMM-740-99



Entre :



Emdad Hussain


demandeur


-et-


Ministre de la Citoyenneté et de l?Immigration


défendeur



MOTIFS DE L? ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      Il s?agit d?une demande de contrôle judiciaire en vertu de l?article 82.1 de la Loi sur l?immigration , L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), d?une décision de la Commission de l?immigration et du statut de réfugié, datée du 12 janvier 1999, dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n?était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance annulant cette décision et la renvoyant pour une nouvelle audience.

[2]      Vu que le demandeur est de langue anglaise, l?original des motifs est en anglais de sorte qu'il puisse comprendre mon raisonnement.

LES FAITS

[3]      Le demandeur, un citoyen du Bangladesh, est né le 7 mars 1956. Il est arrivé au Canada le 5 octobre 1995 et a revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée.

[4]      L? audience du demandeur devant la Section du statut de réfugié s?est tenue le 30 novembre 1998. Il a alors allégué une crainte légitime de persécution causée par ses activités politiques passées.

[5]      Le demandeur a allégué qu'il était un partisan du Jatiya Party dès sa fondation en 1986 et qu?il en est devenu membre actif en 1989, au moment où il a joint la Jatiya Party?s Sunamgonj Upazilla Unit.

[6]      Le demandeur à cette époque était un homme d'affaires dans le domaine des transports et travaillait également dans différentes fonctions à des activités politiques pour le Jatiya Party.

[7]      En décembre 1990, il a été attaqué par des membres de l?Awani League (AL) et du BNP (Bangladesh National Party). Suite à cela, pendant la campagne électorale de 1991, le demandeur prétend que lui et cinq autres personnes ont été poursuivis et battus par des activistes du BNP.

[8]      Il a été élu Secrétaire général du comité de direction de la section du Union Parishad du Jatiya Party en janvier 1992, et plus tard cette année-là était victime de sévices exercés par des hommes de main du BNP.

[9]      Le demandeur prétend avoir été arrêté, interrogé et battu par la police en juin1993 et finalement envoyé en prison pendant trois mois en vertu de la Special Powers Act. Le demandeur prétend avoir reçu des menaces des hommes de main du BNP plusieurs mois après avoir été libéré.

[10]      Le demandeur prétend qu?en 1995 il a été victime d?extorsions perpétrées par des membres du Jathiothabadi Chatra Dal qui étaient soutenus par le BNP. Après cela, les hommes de main du BNP ont détruit trois traversiers qui appartenaient au demandeur.

[11]      Le 27 juin 1995, le demandeur a été impliqué dans l?organisation d?une grève ayant pour but de faire pression sur le gouvernement du BNP pour que celui-ci libère le président du Jatiya Party, Hussain Mohammad Ershad. Faisant partie de la grève, une manifestation a eu lieu pendant laquelle le demandeur été attaqué et blessé par des hommes de main du BNP, ayant pour résultat de le forcer à se cacher.

[12]      Le demandeur prétend que, au cours de la soirée de la manifestation, sa maison a été la proie de vandales et que son épouse a été menacée par des hommes de main du BNP, et que, le 29 juin 1995, la police a fait une descente dans sa maison dans le but de l?arrêter. Il prétend également que la police a fait d?autres descentes dans sa maison plusieurs fois au cours du mois de juillet 1995 et a interrogé les membres de sa famille pour savoir où il se trouvait.

[13]      Le demandeur prétend qu?en août 1995, des hommes de main du BNP ont attaqué ses employés et ont détourné trois traversiers. Cela a poussé le demandeur à décider de quitter son pays pour venir au Canada.

LA DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

[14]      La Commission a pris en considération le témoignage du demandeur et a conclu qu?il n'était pas un réfugié au sens de la Convention. L'essence de la décision de la Commision est contenue dans les passages suivants:

[TRADUCTION]
Le tribunal a examiné la question de savoir si, compte tenu des changements politiques qui sont intervenus dans le pays du demandeur, sa crainte de persécution était toujours fondée. Le demandeur a basé sa revendication sur un certain nombre d'incidents impliquant le BNP, qui était au pouvoir, et l?Awani League qui était le principal parti d'opposition. Depuis les prétendus incidents, le parti qui était au pouvoir au Bangladesh a changé. À partir de juin 1996, l?Awani League est au pouvoir. Le BNP n'est plus au pouvoir. Il n'y a rien dans la preuve documentaire qui pourrait amener le tribunal à croire que des membres du Jatiya Party sont persécutés par l?Awani League. En fait la preuve documentaire prouve que le Jatiya Party a signé une trêve et appuie l?Awani League. La pièce A-3, 10.19, à laquelle le demandeur a été confronté pendant l'audition est intitulée [TRADUCTION] ?Le JP appuie le gouvernement d'AL pendant 5 ans, Ershad ?. L'article de journal parle de l?engagement du président du Jatiya Party d?accorder l?appui de son parti à l'Awani League pendant une période de cinq ans. L?ACR a demandé au demandeur s'il avait eu connaissance de la promesse d?appui que le leader de son parti avait donnée, le demandeur a dit ? aucun de nos leaders n?a jamais dit cela ?. Sa réponse montre l?ignorance du demandeur qui peut être expliquée par le fait que le demandeur a quitté sa patrie avant que l'engagement d?appui ait été donné. Néanmoins la nouvelle association est la preuve que la situation politique a en effet changé au Bangladesh et que, si le demandeur devait y retourner, il ne serait pas en danger d?être persécuté.
Le tribunal croit que le demandeur, au moment de l'audition, ne serait pas persécuté s'il devait retourner vers sa patrie. Le tribunal a appliqué les critères exposés dans les affaires Yusefet Rahmanet a examiné les faits à la lumière des éléments de preuve. Le tribunal conclut qu?au moment de l'audition la crainte de persécution du demandeur n?est plus fondée.
Le tribunal a également examiné les allégations que le demandeur avait été et est toujours recherché par la police. À la question de savoir s' il y avait des chefs d?accusation portés contre lui, il a répondu que ? non ?. Le demandeur affirme qu?il craint d?être arrêté en vertu des dispositions de la Special Powers Act. Tout d?abord, cette allégation n?a pas été prouvée par le demandeur pendant l'audience. Ensuite, la preuve documentaire atteste que ?personne ne fait l?objet de menaces simplement en raison d?être membre d?un parti d?opposition ?et ?qu ?il n'y aurait pour une personne aucun motif de craindre d?être arrêtée à son retour au Bangladesh à moins que celle-ci n?ait été impliquée dans des activités criminelles ?. Le demandeur n'entre pas dans cette catégorie. En outre, la preuve documentaire précise que les personnes recherchées en vertu de la Special Powers Actont la possibilité de se défendre devant les cours de justice et ont les mêmes droits légaux que tous les autres citoyens. Les documents précisent également que le système judiciaire est relativement indépendant du gouvernement. Malgré le fait que le gouvernement utilise parfois la Special Powers Actpour harceler et intimider ses adversaires politiques, les cours de justice ont rejeté les chefs d?accusation dans la grande majorité des cas. Le tribunal rejette les allégations du demandeur et n?accorde aucune valeur probante à cette partie de son récit.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]      Les questions soulevées par la présente demande sont les suivantes :
(1)      La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en concluant qu'en raison de la situation actuelle au Bangladesh, la crainte du demandeur d?être persécuté n?était pas fondée?
(2)      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit dans sa conclusion que la crainte du demandeur d?être arrêté en vertu de la Special Powers Actn? était pas justifiée?

ANALYSE

Les changements fondamentaux dans le climat politique du Bangladesh

[16]      Commençant par la première question, soit les changements qui se sont produits dans le pays du demandeur, j?aborde les éléments de preuve sur lesquels la Commission a basé sa conclusion que le demandeur n?a plus aucun motif raisonnable de craindre d?être persécuté. Le demandeur, un citoyen du Bangladesh, est parti de son pays en 1995 et a immédiatement revendiqué le statut de réfugié au Canada.

[17]      Les conditions qui existaient au Bangladesh lorsque le demandeur est parti étaient très différentes de celles d?aujourd'hui. Moins d?un an après le départ du demandeur de son pays, le BNP a perdu le pouvoir et un nouveau gouvernement a été constitué par l?Awani League.

[18]      Cet important développement s'est produit en juin 1996 et demeure le motif principal de la décision de la Commission que le demandeur ne sera pas persécuté s?il retourne dans son pays aujourd'hui.

[19]      Examinant les éléments de preuve à l'appui de cette affirmation, la Commission a indiqué que le leader du Jatiya Party avait signé une trêve avec l?Awani League démontrant une association entre le parti au pouvoir et le parti dont le demandeur est membre.

[20]      La Commission renvoie au critère posé dans Yusuf c. Le Ministre de l?Emploi et de l?Immigration (1995), 179 N.R. 11 (C.A.F.), à la page 12, par le juge Hugessen :

Nous ajouterions que la question du ?changement de situation ?risque, semble-t-il, d'être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de droit, alors qu'elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s'il y a, au moment de l'audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits, et il n'existe aucun ? critère ?juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L'emploi de termes comme ?important ?, ?réel ?et ?durable ?n'est utile que si l'on garde bien à l'esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l'article 2 de la Loi : le demandeur de statut a-t-il actuellement raison de craindre d'être persécuté? Étant donné qu'en l'espèce il existe des éléments de preuve appuyant la décision défavorable de la Commission, nous n'interviendrons pas.

[21]      Appliquant ce raisonnement aux faits de l?espèce, la Commission a conclu que le demandeur n?avait pas pu établir au moment de l'audition qu'il y avait une possibilité raisonnable et objectivement prévisible qu'il serait persécuté à son retour au Bangladesh. Par conséquent, en réponse à la question posée par l?article 2 de la Loi, à savoir si la crainte d?être persécuté du demandeur est fondée, la Commission a conclu de manière négative.

[22]      Je crois qu'il est important de noter que la Commission a souligné que le demandeur a très bien pu avoir eu une crainte véritable d?être persécuté s?il retournait dans son pays; cependant, cela a pu provenir du fait qu'il n?avait pas eu connaissance de la trêve signée par son leader avec le leader du nouveau parti au pouvoir, l?Awani League.

La crainte du demandeur d? être arrêté en vertu de la Special Powers Act

[23]      Passant à la deuxième observation du demandeur, celle qu?il avait une crainte objective d'être arrêté en vertu de la Special Powers Acts' il retournait au Bangladesh, la Commission a renvoyé à la déclaration du demandeur qu?il n?existait aucun chef d?inculpation contre lui en dépit de son allégation qu'il était toujours recherché par la police.

[24]      Sur ce point, la Commission a soigneusement évalué la nature de la preuve entourant l'arrestation des personnes en vertu de la Special Powers Actet la procédure judiciaire suivie à la suite d?accusation portée en vertu de cette Loi. Je conclus que la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire en concluant que le demandeur n'avait aucune base raisonnablement prévisible de craindre d?être arrêté par la police en vertu de cette Loi. Le demandeur n'a pas été impliqué dans des activités criminelles et ne risque pas d?être arrêté du fait de son appartenance à un parti d'opposition. Ainsi, il n?y a aucun fondement à son allégation qu?il est toujours recherché par la police et qu?il est susceptible d?être arrêté en vertu des dispositions de la Special Powers Act.

[25]      Après avoir soigneusement examiné les motifs de la Commission et les éléments de preuve qui lui ont été présentés, je conclus qu?elle n?a commis aucune erreur manifestement déraisonnable, au sens de l?alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, en tirant sa conclusion de fait. Elle est bien étayée tant par le témoignage oral que par la preuve documentaire présentés à l'audience.

L? examen de la preuve par la Commission

[26]      Il est bien établi qu'une analyse détaillée des éléments de preuve est cruciale dans les affaires où des changements dans la situation du pays du demandeur sont en cause. Cela est nécessaire pour que l?on puisse s?assurer que les changements sont importants et suffisamment durables pour que la crainte du demandeur d?être persécuté soit considérée comme injustifiée.

[27]      Cela étant dit, la Commission n?a pas à renvoyer à toute la preuve documentaire qu?elle a examinée, pourvu qu?elle arrive à une conclusion raisonnable qui s?appuie sur les faits. En l?espèce, la Commission a renvoyé aux éléments de preuve présentés par les deux parties et les a soupesés en conséquence. Je suis convaincu qu'il n'y a aucun motif justifiant une intervention judiciaire dans cette affaire, particulièrement quand il est évident que la Commission s?est référée aux éléments de preuve - le Country Reports for 1997 - dans sa décision. Il n'est pas nécessaire de nommer le document quand il est évident d'où sont venus les éléments de preuve.

[28]      Pour ces motifs, la demande est rejetée.
[29]      Ni l'une ni l'autre partie n'a demandé la certification d?une question.


                                 ?Max M. Teitelbaum ?

                             _____________________________

                                     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 8 novembre 1999

Traduction certifiée conforme


Philippe Méla


SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  IMM-740-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          EMDAD HUSSAIN

                         c.

                         M.C.I.

LIEU DE L?AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L?AUDIENCE :              LE 3 NOVEMBRE 1999
MOTIFS DE L?ORDONNANCE PAR :      MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM
EN DATE DU :                  8 NOVEMBRE 1999

ONT COMPARU :                     

ME CLAUDIA GAGNON              POUR LE DEMANDEUR

ME MARIE-CLAUDE DEMERS          POUR LE DÉFENDEUR

                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     
ME CLAUDIA GAGNON              POUR LE DEMANDEUR

                            

ME MARIE-CLAUDE DEMERS

M. Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada         

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