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Date : 19990525


IMM-2908-98



E n t r e :


DAVINDER SINGH BAGRI,


demandeur,

     - et -




MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


défendeur.





MOTIFS ET DISPOSITIF DE L'ORDONNANCE



LE JUGE CAMPBELL


[1]      Le demandeur conteste, par voie de contrôle judiciaire, la décision en date du 22 mai 1998 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a conclu qu'il n'est pas un réfugié au sens de la Convention au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.


Genèse de l'instance

[2]      Le demandeur, Davinder Singh Bagri, est un citoyen indien âgé de 38 ans. Il fonde sa revendication du statut de réfugié sur sa crainte d'être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social déterminé, en l'occurrence une famille sikh dont certains membres ont été persécutés en raison du rôle qu'ils ont joué au sein du mouvement séparatiste. Le demandeur craint que la police du Pendjab ne les persécute lui et sa famille.

[3]      Au soutien de sa revendication, le demandeur relate en détail les faits suivants dans son formulaire de renseignements personnels :

[TRADUCTION]
"      Le 3 juin 1984, l'armée indienne a pris d'assaut le Temple d'or, le lieu de culte le plus sacré des sikhs. À la suite de cet événement, le frère de Davinder, Nirval, et beaucoup d'autres sikhs qui appartenaient à l'armée indienne se sont mis en route en direction du Temple d'or pour le défendre. Nirval a été arrêté, torturé et emprisonné par l'armée et n'a été remis en liberté qu'en 1990. Après sa remise en liberté, Nirval est devenu très actif sur le plan politique au sein de l'alliance de l'Akali Dal à la suite de quoi Nirval et Davinder ont été harcelés par la police à plusieurs reprises.
"      En février 1992, après avoir accompagné Nirval à un rassemblement où l'on exhortait les Sikhs à boycotter les prochaines élections provinciales, Davinder et Nirval ont tous les deux été arrêtés et battus par la police du Pendjab, à la suite de quoi la police a continué à les harceler.
"      Le 4 juin 1994, Davinder et Nirval revenaient d'un rassemblement organisé à l'occasion du 10e anniversaire de l'attaque du Temple d'or lorsqu'ils ont été arrêtés, détenus et battus par la police. Davinder n'a été relâché que sur versement d'un pot-de-vin par le conseil de son village. La police a nié avoir jamais arrêté Nirval. On a supposé qu'il avait été tué alors qu'il était détenu sous garde par la police.
"      Malgré les menaces de la police de ne signaler la disparition de Nirval à qui que ce soit, Davinder a, en janvier 1995, décidé de porter l'affaire à l'attention d'un groupe de défense des droits de la personne. Toutefois, avant de pouvoir mettre son plan à exécution, la police a effectué une descente chez lui, a arrêté tout le monde et a proféré d'autres menaces de mort à l'endroit de Davinder. Peu de temps après, la police a fait une nouvelle descente chez lui, a agressé sa belle-soeur en l'absence des autres membres de la famille, a saccagé la maison et a proféré de nouvelles menaces contre Davinder.
"      Le lendemain, Davinder Bagri s'est enfui avec sa femme et sa famille dans une province voisine où il s'est caché pendant environ deux ans. Le 2 janvier 1997, en rentrant chez lui, Davinder Singh a toutefois appris que la police du Rajasthan et du Pendjab avait fait une descente chez lui, qu'elle était à sa recherche et que sa femme et ses enfants avaient été arrêtés et emmenés au Pendjab. Ses parents lui ont conseillé de s'enfuir à l'étranger pour sauver sa vie.
"      Peu de temps après, il est parti pour Delhi, où il a rencontré sa mère et son beau-frère. Son beau-frère lui a dit que la police avait brutalement battu sa femme et l'avait agressée sexuellement et qu'à cause de ces événements, elle souffrait de maladie mentale. Son beau-frère lui a conseillé de quitter le pays sans attendre pour éviter d'être tué par la police.
"      Davinder a ensuite obtenu de faux documents et est arrivé au Canada où il a revendiqué le statut de réfugié.
"      À l'appui de sa revendication, le demandeur a soumis des extraits de registres concernant l'emprisonnement de son frère, ainsi que des rapports médicaux portant sur les blessures subies par lui-même et par sa femme.

Conclusions de la CISR au sujet de la crédibilité et de la fabrication de preuves


[4]      Dans ses motifs, la CISR a reconnu que le revendicateur avait subi un préjudice équivalant à de la persécution en 1992 et en 1994 en raison de son appartenance à un groupe social déterminé (sa famille), du fait des activités de ses frères1.

[5]      Plus loin dans sa décision, la CISR déclare toutefois qu'elle juge invraisemblable et, par conséquent, non crédible, la déclaration du demandeur selon laquelle il a été poursuivi par la police au Rajasthan en 1997 parce qu'il avait l'intention de signaler la disparition de son frère Nirval à un organisme de défense des droits de la personne2.

[6]      De plus, pour ce qui est des incidents survenus le 2 janvier 1997, la CISR a conclu que le demandeur :

[TRADUCTION]
[...] a fabriqué la preuve suivant laquelle les membres de sa famille avaient été ramenés au Pendjab par la police pour le forcer à se rendre et suivant laquelle sa femme avait été violée par la police. Un rapport médical signale que sa femme [TRADUCTION] " a été admise avec de nombreuses blessures et dans un état de dépression profonde ". Le revendicateur a témoigné que, dans sa culture, il n'est pas question de parler d'agression sexuelle. Vu l'ensemble de la preuve, le tribunal conclut que la preuve est insuffisante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que les membres de sa famille ont été arrêtés et ramenés au Pendjab et que sa femme a été agressée sexuellement3 [...]


[7]      Pour en venir à ces conclusions, le tribunal a examiné " et vraisemblablement rejeté " le rapport médical soumis par le docteur Ramesh Kumar qui avait traité Jagdish Kaur, la femme de Davinder, entre le 7 janvier 1997 et le 22 janvier 1997, immédiatement après les présumées agressions. Le rapport porte que Jagdish [TRADUCTION] " a été admise avec de nombreuses blessures et dans un état de dépression profonde " et qu'elle a par conséquent été soignée pour une dépression.

Erreur donnant ouverture à un contrôle judiciaire


[8]      J'estime que les conclusions tirées par la CISR au sujet de la crédibilité et de la présumé fabrication de preuves sont entachées d'erreurs donnant ouverture à un contrôle judiciaire.

[9]      Dans l'arrêt Maldonado c. Canada (MEI), [1980] 2 C.F. 302, la Cour d'appel fédérale a statué que lorsqu'un demandeur jure que certaines allégations sont vraies, ces allégations sont présumées vraies à moins qu'il existe des raisons de douter de leur véracité. La Cour a statué qu'un office agit de manière arbitraire en choisissant de ne pas ajouter foi au témoignage d'une demandeur lorsqu'il n'existe aucune raison valable de douter de sa véracité. Ainsi, bien qu'il soit loisible à la CISR, en tant qu'arbitre des faits, d'évaluer et d'apprécier la preuve, toute contradiction que la CISR découvre doit être appuyée par la preuve.

[10]      Dans l'arrêt Ahortor c. Canada (MEI) (93-A-237, 14 juillet 1993), le juge Teitelbaum a statué que la CISR avait commis une erreur en jugeant un demandeur non crédible parce qu'il n'était pas en mesure de fournir des preuves documentaires pour corroborer ses dires. Ainsi, bien que le défaut de soumettre des documents puisse constituer une conclusion de fait valable, ce fait ne peut servir à se prononcer sur la crédibilité du demandeur faute de preuve contredisant les allégations.

[11]      De fait, en l'espèce, la CISR a vraisemblablement conclu que le rapport médical soumis par le demandeur contredisait son témoignage, non pas pour ce qu'il disait, mais pour ce qu'il ne disait pas. Il est de jurisprudence constante qu'un rapport médical doit être examiné en fonction de ce qui y est dit. Or, à sa face même, le rapport appuie le témoignage du demandeur et ne le contredit pas.

[12]      Dans le rapport soumis à la CISR se trouvaient des renseignements provenant du docteur Cynthia Mahmood qui, suivant la Direction générale de la documentation, de l'information et des recherches (la DGDIR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, est une spécialiste bien connue en matière de militantisme sikh au Pendjab et qui renseigne régulièrement la CISR au sujet des militants et du militantisme sikhs. Le docteur Mahmood déclare que la police du Pendjab recoure fréquemment à des tactiques comme le viol carcéral, qu'il est impossible de trouver refuge ailleurs au pays pour la plupart des femmes en raison de facteurs culturels et qu'une femme sikh qui a eu des démêlés avec la police à quelque titre que ce soit au Pendjab aurait raison de craindre d'être persécutée4. Bien que cette déclaration ne vise pas directement le cas qui nous occupe, il appuie effectivement le témoignage du demandeur au sujet de ce qui est arrivé à sa femme alors qu'elle était détenue par la police.

[13]      À leur face même, tous les éléments de preuve contenus au dossier soumis à la CISR appuient le témoignage du demandeur au sujet des événements survenus le 2 janvier 1997 que son beau-frère lui a relatés. À mon avis, il n'était pas loisible à la CISR de ne pas tenir compte de cet élément de preuve sans invoquer des motifs limpides pour justifier son refus, ce qu'elle n'a pas fait.

[14]      Par conséquent, en vertu de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, je conclus que la CISR a rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[15]      En conséquence, la décision de la CISR est annulée et l'affaire est renvoyée à la CISR pour qu'une nouvelle décision soit rendue par une autre formation.




     " Douglas R. Campbell "

     JUGE

Calgary (Alberta)

Le 25 mai 1999.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     COURT FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :      IMM-2908-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      DAVINDER SINGH BAGRI c. MCI



LIEU DE L'AUDIENCE :      CALGARY (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :      Le 21 mai 1999

MOTIFS ET DISPOSITIF DE L'ORDONANNCE DU JUGE CAMPBELL

     EN DATE DU 25 MAI 1999


ONT COMPARU :

Me Rishma Sharif      pour le demandeur

Me B. Hardstaff      pour le défendeur


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Major Caron      pour le demandeur

Calgary (Alberta)

George W. Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)      pour le défendeur.

__________________

1      Motifs, p.2

2      Idem, p. 2.

3      Ibid.

4      Cynthia Mahmood, Information on the Current Situation in Punjab, DIRB, 21 mai 1997, aux pages 158 et 159 du dossier.

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