Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

        

        



Date : 20000829


Dossier : IMM-3953-99


ENTRE :

     MAYURAN SHANMUGANATHAN

     Demandeur


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE BLAIS:


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié, en date du 20 juillet 1999, en vertu de laquelle, la Section a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


FAITS

[2]      Le demandeur, âgé de 10 ans, est citoyen du Sri Lanka. Il est un Tamoul de Kodikamam. Il est né à Colombo, tel que l'indique son certificat de naissance.

[3]      En 1995, la famille décida de déménager à Vavuniya, suite à la guerre. En 1996, la soeur du demandeur vint au Canada où on lui accorda le statut de réfugié.

[4]      Pendant les années 1997 et 1998, les membres du groupe People's Liberation Organisation of Tamil Eelam (PLOTE), un groupe tamoul appuyant le gouvernement a commencé à harceler le père du demandeur.

[5]      En juillet 1998, le demandeur allègue que des membres du PLOTE sont entrés dans sa maison, ont ordonné au demandeur et à son frère de lever les mains. Ils ont détenu et ont livré les parents pendant deux jours à des voies de faits.

[6]      En janvier 1999, la police et PLOTE sont venus à la maison pour voir les parents du demandeur. Comme ils n'étaient pas présents, ils ont endommagé les meubles et ont pris le demandeur à la station de police. Ils ont également dit à la grand-mère qu'ils le libéreraient aussitôt que le père le remplacerait. La police soupçonnait le père du demandeur d'avoir appuyé le Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE).

[7]      Le demandeur fut empoigné par la peau du cou lors de l'interrogatoire. Il fut libéré le lendemain, lorsque ses parents vinrent le chercher. Le père du demandeur fut arrêté, battu et détenu pendant trois jours.

[8]      Suite à ces événements, le demandeur était de plus en plus nerveux, ne voulant pas aller nulle part. Il refusa même d'aller à l'école. Les parents décidèrent de l'envoyer au Canada par l'entremise d'un agent. Il quitta le Sri Lanka le 31 janvier 1999. Il arriva au Canada le 6 février 1999, où il revendiqua le statut de réfugié le même jour.

[9]      Il allègue une crainte de persécution en raison de son appartenance à un groupe social et de ses opinions politiques.

LA DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT

[10]      Vu que le demandeur était mineur, il fut représenté par sa tante. Ayant consulté les directives pour les personnes mineures revendiquant le statut de réfugié, la Section était prête à lui accorder le bénéfice du doute.

[11]      Cependant, la Section n'était pas convaincue que le demandeur avait une crainte de persécution. Il ne fut détenu qu'une fois et pour une courte période de temps. Quand on lui a demandé ce qui était arrivé lors de la détention, il indiqua qu'il fut tenu par la peau du cou. La Section fut d'avis qu'il ne s'agissait pas d'un acte persécutoire.

[12]      La Section était d'avis que c'était le père qui était persécuté selon l'histoire du demandeur. Cependant, les parents demeurent toujours à Vavuniya. Le père travaille toujours au même endroit depuis que la famille a déménagé à Vavuniya.

[13]      La Section a conclu que le demandeur n'aurait pas de crainte de persécution, s'il retournait au Sri Lanka.

[14]      La Section était préoccupée par le fait que le demandeur alléguait que sa famille vivait à Kodikamam avant de déménager à Vavuniya en 1995, alors qu'il était né à Colombo. Le certificat de naissance du demandeur indiquait une adresse à Colombo. La Section n'était pas en mesure de conclure si la famille avait vécu à Colombo.

[15]      La Section refusa alors le statut de réfugié.

LES PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[16]      Le demandeur soumet que la Section a erré puisque la jurisprudence indique clairement qu'un revendicateur de statut de réfugié n'a pas à prouver une persécution passée mais simplement un risque de persécution future advenant un retour dans son pays d'origine.

[17]      Le demandeur soumet que le fait qu'il ait été empoigné par la peau du cou et détenu brièvement puisse paraître innocent ou peu important aux yeux de la Section; il doit être analysé en perspective que le demandeur n'était âgé que de dix ans lors de cet événement. Ce qui peut être sans conséquence pour un adulte, placé dans les mêmes circonstances, peut avoir une incidence beaucoup plus grande sur un jeune garçon de dix ans.

[18]      Le demandeur allègue que le fait que son père ait occupé son emploi jusqu'au dernier moment n'était pas en soi un élément pertinent sur lequel peuvent se baser les membres de la Section pour rendre leur décision.

[19]      Le demandeur maintient que malgré le fait que les parents du demandeur soient les cibles principales des autorités, il n'en demeure pas moins que le demandeur fut arrêté et détenu en lieu et place de ses parents, donc victime de persécution.

[20]      Finalement, en ce qui concerne le fait que le demandeur soit trop jeune pour être persécuté selon les membres du tribunal, le demandeur allègue que les membres se trompent compte tenu de la preuve documentaire au dossier qui confirme une forme de persécution pour les enfants de l'âge du demandeur.

LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[21]      Le défendeur soumet qu'il appartient à la Section du statut de déterminer si les actes dont le demandeur a été victime équivalent à de la persécution.

[22]      Le défendeur maintient que la conclusion de la Section du statut selon laquelle un seul incident de détention, de courte période, au cours de laquelle le demandeur a été tenu par la peau du cou, ne constitue pas de la persécution au sens de la Convention, n'est pas une conclusion manifestement déraisonnable.

[23]      Le défendeur soutient que le seul fait pour la Section de souligner que le demandeur n'a pas été victime de persécution dans son pays d'origine ne signifie nullement qu'elle a exigé une preuve de persécution antérieure.

[24]      Le défendeur attire l'attention de la Cour sur le fait que la Section a noté que c'était le père qui semblait être persécuté et non le demandeur. Ajouté à la preuve que la famille du demandeur vit toujours dans la même ville, le défendeur soutient qu'il n'était pas déraisonnable pour la Section de conclure, compte tenu de l'ensemble de la preuve, qu'il n'y avait pas de possibilité sérieuse de persécution pour le demandeur au Sri Lanka.

[25]      En ce qui concerne la prétention du demandeur qu'il a une crainte de persécution du seul fait de son appartenance à un groupe social particulier, soit sa famille, cette Cour a déjà rejeté un tel argument.

[26]      De plus, le défendeur fait valoir qu'il n'y a pas de lien entre la preuve documentaire sur l'enrôlement forcé des jeunes Tamouls par le LTTE et la crainte du demandeur d'être persécuté par la police au lieu et à la place du père. Le demandeur n'a en effet jamais allégué une crainte de persécution de la part du LTTE.

La Section du statut a-t-elle erré en refusant d'accorder le statut de réfugié au demandeur?

ANALYSE

[27]      La Section du statut devait déterminer si le demandeur avait une crainte de persécution en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, sa famille, tel que l'exige l'article 2 de la Loi sur l'immigration. La Section du statut était prête à lui donner le bénéfice du doute. Cependant, elle n'était pas convaincue qu'il avait établi une crainte de persécution.

[28]      La décision révèle les raisons de la Section du statut:

     The panel is not satisfied that the claimant established a well-founded fear of persecution should he return to Sri Lanka. Claimant has no previous examples of past persecution. Claimant detained for a brief period. However when asked what happened to him during this incident, claimant said at one point he was held by the scruff of the neck. The panel determined that this is not a persecutory act.

[29]      Bien que la jurisprudence ait établi que le demandeur n'a pas à prouver qu'il avait été persécuté lui-même dans le passé ou qu'il serait lui-même persécuté à l'avenir (Saliban c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 F.C. 250), il n'était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n'avait pas été persécuté ou du moins, que sa détention et les sévices subis ne constituaient pas de la persécution.

[30]      La Section du statut a considéré qu'une certaine forme de persécution était dirigée contre le père et que la détention du demandeur n'avait pour but que d'obliger le père à se présenter.

[31]      La Section n'avait pas à déterminer si le père ou la mère avaient été ou étaient l'objet de persécution.

[32]      Dans Sagharichi v. Canada (M.C.I.) (1993), 182 N.R. 398, le juge Marceau précise à la page 2:

     Les événements mentionnés par l'appelante dans son témoignage étaient sans doute malheureux, puisqu'ils constituaient selon toutes les apparences de la discrimination, ou même peut-être du harcèlement; cependant, dans leurs motifs respectifs, les deux membres font clairement savoir qu'à leur avis, ces événements n'étaient pas suffisamment sérieux ou systématiques pour être qualifiés de persécution, ou pour permette de conclure qu'il existait une possibilité sérieuse de persécution à l'avenir.
     ....
     Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

[33]      Dans l'arrêt Sheikh c. M.E.I., [1990] 3 C.F. p. 238, l'honorable juge MacGuigan ajoute à la page 246:

     Je dois aussi ajouter que je n'interprète pas l'allusion du premier palier d'audience à l'absence de persécution de l'appelant dans le passé comme exigeant ni plus ni moins la persécution antérieure pour lui permettre d'établir l'élément objectif de sa revendication de statut, c'est-à-dire de démontrer qu'il craint avec raison d'être persécuté; le premier palier d'audience ne faisait que souligner l'absence d'éléments de preuve pertinents.

[34]      Les deux parties s'entendent sur le fait que le demandeur avait une crainte subjective; cette dernière n'est donc pas mise en cause.

[35]      Quant à la crainte objective, le demandeur ne m'a pas convaincu que la Section a fait une erreur quant à la preuve qui lui a été présentée, qui puisse justifier l'intervention de cette Cour.

[36]      Bien que, comme les deux procureurs l'ont mentionné, le cas apparaisse bien sympathique, les critères visant à déterminer si le demandeur est un réfugié au sens de la Convention doivent être appliqués.

[37]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[38]      Le procureur du demandeur a soumis la question suivante:

     Est-ce que les critères à appliquer pour la détermination du statut de réfugié sont les mêmes pour un adulte que pour un enfant mineur?

[39]      Le procureur de la défenderesse a soumis qu'il s'agissait d'une question intéressante mais que d'une part le demandeur ne l'avait pas soulevé dans ses prétentions et que, de toute façon, cette question n'est pas déterminante.

[40]      Je souscris entièrement à l'argument du procureur de la défenderesse, et en l'espèce, j'en conclus qu'il n'y a pas matière à certifier la question.


                         Pierre Blais                          Juge



OTTAWA, ONTARIO

Le 29 août 2000

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.