Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20060310

Dossier : IMM‑3632‑05

Référence : 2006 CF 316

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

ENTRE :

MAHIN DAVOUDIFAR

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

LES FAITS

 

[1]               La demanderesse sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente), en date du 5 mai 2005, qui rejetait sa demande de dispense de visa fondée sur des considérations humanitaires.

 

[2]               La demanderesse est une Iranienne âgée de 62 ans. Elle travaillait comme enseignante en Iran. Elle est arrivée au Canada à la faveur d’un visa de visiteur le 18 août 1997 et a demandé l’asile le 29 décembre 1999, en alléguant une crainte de persécution fondée sur ses opinions politiques. Sa demande d’asile a été rejetée le 27 septembre 1999 et sa demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par la Cour le 27 janvier 2000. Sa demande ultérieure en vue d’être considérée comme membre de la catégorie des DNRSRC a été refusée, de même que sa demande d’ERAR, le 4 mai 2005.

 

[3]               Le 17 septembre 2004, la demanderesse a épousé M. Ali Edalat, un citoyen canadien âgé de 66 ans. M. Edalat n’a pas demandé à parrainer la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse parce qu’il n’est pas admissible au statut de parrain étant donné qu’il est bénéficiaire de l’aide sociale.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[4]               Comme il est indiqué dans les notes versées au dossier et se rapportant à la décision, l’agente a tenu compte de plusieurs facteurs pour arriver à sa décision.

 

Le risque

 

[5]               S’agissant du risque potentiel couru par la demanderesse au cas où elle devrait retourner en Iran, l’agente a admis que les forces de sécurité iraniennes se livrent à la torture et à d’autres violations des droits de la personne, mais elle a estimé que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était elle‑même exposée à un risque pour sa vie ou sa sécurité ou qu’elle connaîtrait des difficultés indues. L’agente a reconnu que la demanderesse avait été sanctionnée et suspendue de son poste d’enseignante en Iran en raison de ses activités politiques en 1980 et 1984, mais elle a relevé aussi que la demanderesse avait été autorisée à continuer d’occuper son poste et que celle‑ci n’avait pas fait état de mauvais traitements de la part des autorités iraniennes depuis 1984. L’agente a aussi admis que la sœur de la demanderesse l’avait informée en 1997 que les autorités étaient à sa recherche, mais, depuis lors, la demanderesse avait simplement « supposé » qu’elle courait un risque. L’agente a jugé que la demanderesse n’avait pas personnellement subi de préjudice et que, même si elle avait bruyamment exprimé son désaccord avec le régime politique en place en Iran, elle n’avait pas établi l’existence d’un risque suffisamment grave et personnalisé pour justifier une dispense fondée sur des considérations humanitaires. L’agente a relevé que, bien que les contrôles de sécurité à l’aéroport de Téhéran soient très stricts, la demanderesse avait sans difficulté réussi à quitter l’Iran de cette manière. L’agente a aussi considéré le rapport du docteur Lydia Kwa et admis que la demanderesse souffre d’anxiété et de stress en raison de l’incertitude de son statut au Canada, mais que cela ne suffisait pas non plus à établir le niveau requis de risque ou de difficulté.

 

            Les liens familiaux et les difficultés financières

 

[6]               S’agissant des liens familiaux de la demanderesse au Canada, l’agente a admis que la séparation de la demanderesse et de son mari serait une épreuve pour eux, mais que cela ne constitue pas en l’espèce une conséquence inhabituelle. En ce qui concerne l’impossibilité pour M. Edalat de parrainer la demanderesse parce qu’il est bénéficiaire de l’aide sociale, l’agente a estimé que « d’autres solutions financières » étaient possibles et n’avaient pas été sérieusement envisagées par la demanderesse. L’agente a relevé que, lorsque le couple s’était marié, la demanderesse était déjà sous le coup d’une mesure de renvoi. Elle a considéré que, s’agissant des perturbations affectives, la demanderesse a de la famille en Iran et son mari a de la famille au Canada. Pour ce qui est des difficultés financières, l’agente a constaté que le revenu de la demanderesse était de 350 $ par mois et que son mari [traduction] « recevait un soutien pécuniaire de la province depuis plusieurs années ».

 

            Le degré d’établissement

 

[7]               S’agissant du degré d’établissement de la demanderesse au Canada, l’agente a constaté que la demanderesse apporte une aide à deux personnes âgées, qu’elle occupe un emploi à temps partiel, qu’elle a suivi des cours d’anglais et qu’elle participe à des organisations et activités sociales et culturelles. L’agente a estimé que le travail à temps partiel (la demanderesse travaille 20 heures par semaine) [traduction] « ne constitue pas un emploi exceptionnel et ne prouve pas l’importance de son poste pour le médecin ». L’agente a aussi jugé qu’elle avait peu d’éléments de preuve montrant que les personnes âgées auprès desquelles la demanderesse passe du temps ne disposent pas [traduction] « d’autres solutions qu’elles pourraient explorer si la demanderesse était renvoyée du Canada ». L’agente a donc jugé que le degré d’établissement de la demanderesse était insuffisant pour justifier une dispense de visa fondée sur des considérations humanitaires.

 

[8]               Dans ses notes, l’agente énumérait les facteurs suivants :

 

            Facteurs appuyant une décision favorable :

1.      la demanderesse est mariée à un citoyen canadien

2.      elle a montré un degré d’établissement

 

            Facteurs appuyant une décision défavorable :

1.      le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été refusé en 1999

2.      le risque allégué est le même que celui qui a été entendu et évalué par la SSR et l’agent d’examen des risques avant renvoi

3.      la demande d’ERAR a été refusée

4.      le degré d’établissement de la demanderesse a été jugé comme un niveau attendu, et non un niveau exceptionnel

5.      sa famille réside en Iran

6.      elle‑même est bien établie en Iran

7.      son conjoint n’est pas empêché en permanence de présenter une demande de parrainage.

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

 

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

[9]               La demanderesse soulève les points suivants :

1.      L’agente a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale et aux règles de justice naturelle en ne tenant pas compte de l’âge de la demanderesse et de celui de son conjoint?

 

2.      L’agente a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable justifiant l’intervention de la Cour?

 

LES CONCLUSIONS DE LA DEMANDERESSE

 

            La norme de contrôle

 

[10]           Selon la demanderesse, la norme de contrôle qui est applicable en l’espèce est la décision raisonnable simpliciter.

 

            Le risque potentiel

 

[11]           Invoquant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la demanderesse soutient que les décisions relatives aux considérations humanitaires devraient être rendues avec un surcroît d’humanité dans le cas des personnes âgées, parce que ces personnes souffrent souvent davantage quand elles sont séparées de leurs êtres chers. La demanderesse invoque aussi la décision Ramprashad‑Joseph c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n° 2091, 2004 CF 1715, pour affirmer que les difficultés résultant de l’âge devraient être prises en compte par les décideurs, et elle fait valoir que, en l’espèce, l’agente n’a pas tenu compte de son âge et de celui de son mari et qu’elle n’a donc pas appliqué à son cas la règle du « surcroît d’humanité ». Selon la demanderesse, la preuve contenue dans le rapport du Dr Kwa montre que le risque potentiel de détresse psychologique est important et conduirait probablement à [traduction] « des troubles psychologiques irréversibles ». La demanderesse prétend que l’agente n’a pas tenu compte de cette preuve et que ce manquement constitue une erreur de droit sujette à révision.

 

[12]           Selon la demanderesse, l’agente a fait plusieurs déductions défavorables qui n’étaient pas autorisées par la preuve. Elle dit qu’il est absurde pour l’agente de s’être fondée sur le fait qu’elle n’avait eu aucune difficulté à quitter l’Iran, et cela parce que, en réalité, sa demande d’asile se fondait sur des menaces proférées contre elle après son départ de l’Iran. La demanderesse conteste aussi comme fondement de la décision la conclusion selon laquelle elle n’a pas elle‑même été inquiétée, parce que cette conclusion va à contre‑courant de la nature prospective des examens des risques.

 

            Le degré d’établissement

 

[13]           Selon la demanderesse, l’agente a rendu sa décision en se fondant sur la norme du « degré exceptionnel d’établissement ». Elle affirme que cette norme élevée ne repose sur aucune base juridique. La demanderesse soutient aussi que, vu la preuve, il était manifestement déraisonnable pour l’agente de ne pas conclure qu’elle dépassait en réalité les attentes en ce qui a trait à son degré d’établissement. S’agissant de son travail bénévole auprès de personnes âgées, la demanderesse soutient que l’agente a tiré une conclusion de fait erronée quand elle a dit qu’il n’était pas établi que les personnes âgées n’avaient pas d’autres possibilités de soutien. La demanderesse prétend que les lettres des personnes âgées en question sont la preuve qu’elles dépendent de son soutien.

 

[14]           La demanderesse conteste aussi la conclusion de l’agente selon laquelle son emploi n’est pas exceptionnel. Elle soutient que, eu égard à son âge et au fait que son éducation, sa vie professionnelle et sa vie tout court participent d’une culture très différente, son travail à temps partiel, son aide à la collectivité et ses aptitudes linguistiques sont en réalité exceptionnelles.

 

[15]           La demanderesse affirme donc que sa demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

 

LES CONCLUSIONS DU DÉFENDEUR

 

            La norme de contrôle

 

[16]           Le défendeur reconnaît que la norme de contrôle applicable en l’espèce est la décision raisonnable simpliciter, mais il souligne que la charge de la preuve incombe à la demanderesse et que, dans cette procédure de contrôle, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les facteurs applicables.

 

            Le risque potentiel

 

[17]           S’agissant de l’âge de la demanderesse, le défendeur dit qu’elle ne saurait être considérée comme une personne âgée ou de santé fragile, étant donné qu’elle a montré son énergie et son rôle auprès de la collectivité, et elle ne peut donc pas véritablement être considérée comme une « personne âgée dépendante ». Le défendeur dit que la demanderesse n’a pas expressément demandé que l’âge de son conjoint soit pris en compte, et il ajoute qu’on peut faire une distinction d’avec la décision Ramprashad parce que, dans ce précédent, le couple était plus âgé et que chacun d’eux comptait sur l’autre pour subvenir à ses besoins.

 

[18]           S’agissant du rapport de la psychologue, le défendeur fait valoir que l’agente a bien tenu compte du rapport dans ses motifs. Selon lui, si elle n’en a pas fait état dans la section relative aux liens familiaux, cela ne veut pas dire qu’elle l’a laissé de côté.

 

[19]           Le défendeur fait valoir que la demande d’asile présentée par la demanderesse en 1997 n’est pas une preuve de l’existence d’un risque et que sa demande d’asile ainsi que sa demande de contrôle judiciaire ont toutes deux été refusées.

 

[20]           Le défendeur dit qu’il était loisible à l’agente de tenir compte des difficultés que la demanderesse avait connues dans le passé au regard d’un examen des risques.

 

            Le degré d’établissement

 

[21]           Le défendeur soutient que l’agente n’exigeait pas un degré exceptionnel d’établissement, mais qu’elle a simplement estimé que l’établissement était un facteur important, même si ce n’était pas un facteur décisif.

 

[22]           Selon le défendeur, la demanderesse fait valoir en réalité que l’agente a mal apprécié la preuve. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve lorsqu’elle examine une décision ministérielle discrétionnaire.

 

[23]           Le défendeur affirme donc que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

 

ANALYSE

 

            Généralités

 

[24]           La demanderesse ne souhaite pas retourner en Iran. Vu son passé, sa situation personnelle et ses inclinations politiques, ce désir est tout à fait compréhensible. Mais ne pas vouloir retourner en Iran ne suffit pas pour pouvoir demeurer au Canada, et ceux qui ont pour tâche d’étudier son cas et de dire si elle devrait ou non rester ici n’ont pas carte blanche. Ils doivent exercer leur pouvoir et leur jugement d’une manière conforme au droit canadien, sans égard à leurs inclinations personnelles et sans se demander si Mme Davoudifar est ou non un être humain tout à fait admirable qui se sentirait beaucoup mieux au Canada. J’ai l’impression que la plupart des Canadiens pensent que les gens de n’importe où au monde se sentiraient mieux au Canada. Mais là n’est pas la question.

 

[25]           Si je fais cette remarque banale et quelconque, c’est parce que, lorsque la Cour est invitée à revoir une décision se rapportant à des considérations humanitaires, elle est souvent informée que la personne dont le sort est entre ses mains est un être humain méritant qui a le soutien de la population canadienne à laquelle elle s’est jointe. Je suis sûr que, de l’avis de la population, toute décision obligeant la personne en question à partir doit souvent sembler perverse. Mais, s’il en est ainsi, c’est parce que les lois du Canada ne disent pas qu’il vous est possible de rester au Canada dès lors que vous êtes une personne méritante et un membre apprécié de votre collectivité. Les circonstances de la présente affaire sont assez communes, en ce sens que Mme Davoudifar a développé des liens personnels et des liens avec la collectivité et qu’elle a gagné le respect de beaucoup de gens, et il est évident pour quiconque qu’elle serait beaucoup plus heureuse et se sentirait mieux au Canada et que ceux qu’elle aime et soutient seraient eux aussi plus heureux et se sentiraient mieux si elle restait au Canada.

 

[26]           Mais dans cette affaire, comme dans toutes les affaires portant sur l’existence de considérations humanitaires, l’agente devait accomplir une tâche particulière. Il lui incombait de rendre une décision conforme à la jurisprudence applicable. De nombreux précédents résument les principes de base qu’il convient d’appliquer lorsque la Cour est invitée à revoir une telle décision. Ainsi, dans la décision Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n° 607, 2003 CFPI 436, la juge Carolyn Layden‑Stevenson résumait avec beaucoup d’à‑propos l’approche générale que la Cour doit adopter :

 

8. Il est utile de rappeler certains des principes établis qui régissent les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire. La décision du représentant du ministre en ce qui concerne une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est une décision discrétionnaire : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (l’arrêt Baker). La norme de contrôle judiciaire applicable à ces décisions est celle de la décision raisonnable simpliciter (arrêt Baker). Dans le cas d’une demande de dispense fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, le fardeau de la preuve incombe au demandeur (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 94, [2003] A.C.F. no 139, le juge Gibson, citant les jugements Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 34 Imm.L.R. (2d) 91 (C.F. 1re inst.) et Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 36 Imm.L.R. (2d) 175 (C.F. 1re inst.)). La pondération des facteurs pertinents ne ressortit pas au tribunal appelé à contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh); Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.) (Legault)). Les lignes directrices ministérielles n’ont pas force de loi et ne lient pas le ministre et ses représentants, mais elles sont accessibles au public et la Cour suprême les a qualifiées de très utiles à la Cour (Legault). Les décisions relatives à des raisons d’ordre humanitaire doivent être motivées (Baker). Il serait excessif d’exiger des agents de révision, en tant qu’agents administratifs, qu’ils motivent leurs décisions avec autant de détails que ceux que l’on attend d’un tribunal administratif qui rend ses décisions à la suite d’audiences en règle (Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2001), 282 N.R. 394 (C.A.F.)).

 

[27]           Ces principes de base à l’esprit, j’examinerai maintenant les faits évoqués dans la présente affaire, ainsi que les points soulevés.

 

            Le facteur de l’âge

 

[28]           La demanderesse accorde ici beaucoup d’importance au facteur de l’âge. Elle dit que l’agente n’a pas suffisamment tenu compte des grandes difficultés que causerait à elle‑même et à son mari l’obligation pour eux de se séparer, ni tenu compte du fait que la demanderesse et son mari dépendront l’un de l’autre durant leur vieillesse.

 

[29]           La preuve ne donnait nulle part à entendre que la demanderesse et son mari sont de santé fragile ou sont physiquement dépendants l’un de l’autre. L’avocate elle‑même de la demanderesse dit que cette dépendance, si elle existe, ne dépasse pas le fait que [traduction] « Mme Davoudifar est aujourd’hui une femme de soixante et un an mariée à un citoyen canadien de soixante‑six ans qui compte maintenant sur l’affection et les soins de son épouse ».

 

[30]           Toute relation tant soi peu authentique et durable a généralement pour effet d’apparier et d’engager deux personnes qui comptent l’une sur l’autre pour l’affection et le soin dont elles ont besoin. Il n’y a donc rien de particulièrement probant dans la relation dont il s’agit ici.

 

[31]           L’avocate de la demanderesse a voulu accentuer le caractère probant de ce facteur en soulignant que [traduction] « le mari et la femme sont tous deux dans la soixantaine, ce qui rend leur dépendance l’un à l’égard de l’autre encore plus forte que ce ne serait le cas pour un couple plus jeune ». Mais la dépendance plus forte dont elle parle n’est pas établie, et l’importance que l’avocate accorde au facteur de l’âge (la demanderesse et son mari sont tous deux dans la soixantaine) n’est pas une vérité qui va de soi. Chaque relation génère son propre niveau de dépendance. L’âge peut être source de dépendance au sein d’un couple, mais il n’est pas établi en l’espèce que l’un ou l’autre est de santé fragile. D’ailleurs, d’après son propre témoignage, la demanderesse est un membre actif de sa communauté. Les précédents qu’elle invoque, des précédents où le facteur de l’âge avait influé notablement sur la décision, concernaient des couples plus âgés montrant la fragilité ou la vulnérabilité qui accompagne souvent un âge assez avancé. Tel n’est pas le cas ici.

 

[32]           La demanderesse tente ensuite d’appeler l’attention sur une vulnérabilité particulière en se référant au rapport d’expert d’une psychologue, le Dr Lydia Kwa, et en prétendant que ce rapport n’a pas été pris en compte par l’agente lorsqu’elle a considéré la détresse que causerait à la demanderesse et à son mari leur séparation :

[traduction]

Comme elle a le sentiment qu’elle court un risque accru en raison de son rôle politique dans les manifestations menées au Canada en faveur de la démocratie, et comme elle a conscience de sa vulnérabilité de femme dans la soixantaine, elle est aujourd’hui encore plus terrifiée à l’idée des épreuves qu’elle pourrait subir en Iran. Dernier aspect, mais non le moindre, son renvoi en Iran serait extrêmement pénible pour le couple puisque cela signifierait leur séparation et la fin de leur vie commune. Cette rupture serait génératrice d’un niveau appréciable de détresse psychologique. La perte d’autres liens importants, sans compter les liens professionnels et sociaux qu’elle a tissés ici au cours des sept dernières années, serait pour elle source de grandes perturbations et de grande détresse.

 

Toutes ces pertes, auxquelles s’ajouterait son renvoi vers un pays où elle craint de subir des représailles pouvant mettre sa vie en danger, conduiraient probablement à des troubles psychologiques irréversibles pour Mme Davoudifar.

 

 

[33]           Le Dr Kwa dit que la séparation serait « extrêmement pénible pour le couple » et « serait génératrice d’un niveau appréciable de détresse psychologique ». « La perte d’autres liens importants, sans compter les liens professionnels et sociaux […] serait pour elle source de grandes perturbations et de grande détresse. »

 

[34]           Mais, quand le Dr Kwa conclut que la demanderesse souffrirait probablement « de troubles psychologiques irréversibles » si elle était renvoyée en Iran, il ressort clairement que les troubles en question ne seront pas simplement le résultat de l’âge du couple et de sa séparation. Les troubles résulteront « de toutes ces pertes, auxquelles s’ajouterait son renvoi vers un pays où elle craint de subir des représailles pouvant mettre sa vie en danger […] »

 

[35]           La demanderesse dit maintenant que l’agente a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte du rapport du Dr Kwa lorsqu’elle a considéré son âge et sa séparation d’avec son mari. Mais le rapport lui‑même indique clairement que c’est l’ensemble de la situation qui conduira probablement à des troubles, notamment à des « représailles pouvant mettre en danger sa vie […] »

 

[36]           Et l’agente reconnaît dans sa décision que le rapport du Dr Kwa a été produit [traduction] « pour appuyer le caractère authentique de leur mariage et les conséquences psychologiques préjudiciables d’une séparation forcée de la demanderesse et de son mari ».

 

[37]           La demanderesse déplore que l’agente n’ait considéré le rapport du Dr Kwa que dans le contexte du risque couru par elle et des difficultés qu’elle connaîtrait si elle devait retourner en Iran. Mais s’il en est ainsi, ce n’est pas parce que le rapport n’a pas été pris en compte dans la décision globale (l’agente prend acte des raisons pour lesquelles le rapport a été présenté), mais parce que c’est là où il est logique de se référer expressément à un rapport qui parle d’un dommage psychologique durable résultant de « toutes les pertes », et uniquement si aux pertes en question s’ajoute « son renvoi vers un pays où elle craint de subir des représailles pouvant mettre sa vie en danger […] »

 

[38]           Si la crainte de la demanderesse de retourner en Iran n’a pas de fondement objectif, alors le rapport ne permet pas de conclure que la demanderesse souffrira de « troubles psychologiques irréversibles » dont il convienne de tenir compte expressément dans le contexte de sa séparation d’avec son mari. L’agente s’est exprimée clairement sur le sujet dans sa décision :

[traduction]

Je n’ignore pas que la demandeure d’asile ressent une crainte subjective de retourner en Iran, mais, vu la preuve objective que j’ai devant moi, et compte tenu de sa situation personnelle, elle n’a pas établi qu’elle est exposée elle‑même à un risque à son retour en Iran. J’admets que la requérante d’asile ressent de l’anxiété et de la douleur quand on lui rappelle son statut au Canada et son renvoi possible du Canada, mais, eu égard à mes conclusions sur le présumé risque qu’elle court, et puisqu’elle a de la famille en Iran, je ne crois pas que cela justifie une dispense fondée sur des considérations humanitaires.

 

 

[39]           L’agente dit aussi, dans l’analyse des liens familiaux de la demanderesse au Canada, qu’elle a lu l’évaluation médicale de la relation du couple et qu’elle comprend leur désir de rester ensemble au Canada :

[traduction]

Je reconnais que les difficultés liées à une séparation entraîneront certaines épreuves pour ce couple; cependant, le renvoi du Canada d’un demandeur d’asile n’est pas une conséquence inusitée pour quelqu’un qui n’a pas de statut légal au Canada et qui a épuisé les recours qui lui permettraient de rester au Canada.

 

 

[40]           Autrement dit, si la crainte de la demanderesse de retourner en Iran est dépourvue de fondement objectif, alors les passages du rapport qui parlent de « détresse » ne rendent pas véritablement inusitées les circonstances de la présente affaire. Comme le dit l’agente, « je reconnais que la demandeure d’asile est mariée à un Canadien, mais je suis d’avis que les difficultés entraînées par une séparation temporaire du couple ne se distinguent pas des difficultés que connaissent d’autres couples qui font leur demande en se prévalant des programmes d’immigration existants ».

 

[41]           Le rapport a donc été pris en compte, à la fois pour l’examen des risques et pour les liens familiaux, et l’agente dit clairement pourquoi il ne peut être concluant et pourquoi d’autres facteurs doivent être appréciés avant que la décision ne soit rendue. Il n’y a pas ici d’erreur sujette à révision.

 

            Autres moyens

 

[42]           La demanderesse soulève une foule d’autres moyens afin de convaincre la Cour que la décision de l’agente renferme une erreur sujette à révision. J’ai examiné successivement chacun des moyens en me référant au dossier. En définitive, il m’est impossible d’y voir une erreur sujette à révision. Dans chaque cas, tout ce que la demanderesse dit, c’est qu’elle ne partage pas les conclusions de l’agente, ni la manière dont l’agente a apprécié les divers facteurs en cause dans cette affaire. En définitive, il est fort possible que je souscrirais aux arguments de la demanderesse si j’étais le décideur. Mais il m’est impossible d’intervenir du seul fait que je partage le point de vue de la demanderesse à propos de l’appréciation des facteurs. J’ai examiné la décision tout entière. À mon avis, elle résiste à un examen assez poussé et on ne saurait dire qu’elle est déraisonnable. Les résultats pour la demanderesse sont regrettables et suscitent la sympathie. Mais l’agente faisait son travail comme le droit canadien lui demandait de le faire, et la sympathie pour la demanderesse ne suffit pas à justifier l’intervention de la Cour.

 

[43]           Comme l’écrivait le juge Paul Rouleau dans la décision Nazim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 159, 2005 CF 125, au paragraphe 15 :

La possibilité de présenter une demande fondée sur des considérations humanitaires a pour but de prévoir un recours en cas de difficultés inhabituelles, injustes ou excessives. Il ne s’agit pas de savoir si le demandeur apporterait ou apporte vraiment une contribution positive à la collectivité canadienne. En examinant s’il existe des considérations humanitaires, les agents d’immigration doivent déterminer s’il existe une situation particulière dans le pays d’origine de la personne et si un renvoi peut causer des difficultés indues. C’est au demandeur qu’il appartient de prouver à l’agent qu’il existe une situation particulière dans son pays et que sa situation personnelle eu égard à cette situation particulière justifie l’exercice favorable de son pouvoir discrétionnaire.

 

 

[44]           La décision de l’agente est largement tributaire des faits, et, comme l’agente est mieux placée que la Cour pour évaluer les faits portés à sa connaissance, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans l’évaluation du dossier de la demanderesse appelle un niveau élevé de retenue de la part de la Cour. En l’espèce, bien que la situation de la demanderesse suscite la compassion, la décision de l’agente n’était pas déraisonnable et il m’est donc impossible de la modifier.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3632‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   MAHIN DAVOUDIFAR

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 14 DÉCEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 10 MARS 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mojdeh Shahriari                                              POUR LA DEMANDERESSE

 

Kim Shane                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mojdeh Shahriari                                              POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (C.‑B.)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Bureau régional de Vancouver

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.