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Date : 20000906


Dossier : IMM-4872-99


Ottawa (Ontario), le mercredi 6 septembre 2000

Devant Mme le juge Dawson


ENTRE

     KIN WAN CHAN

     demandeur



     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     JUGEMENT



     IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ QUE :

     La demande de contrôle judiciaire soit accueillie et la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 27 août 1999 soit annulée.

     L'affaire soit renvoyée pour nouvel examen à un tribunal composé différemment.

     La présente demande ne soulevant aucune question d'importance générale, aucune question ne soit certifiée.



                                 « Eleanor R. Dawson »

     Juge

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.









Date : 20000906


Dossier : IMM-4872-99



ENTRE

     KIN WAN CHAN

     demandeur



     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE DAWSON


[1]          Kin Wan Chan, le demandeur, a 35 ans et est un citoyen de la République populaire de Chine qui a demandé le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'il craignait d'être persécuté en Chine en raison des opinions politiques qui lui étaient imputées. Dans une décision datée du 27 août 1999, la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) a déterminé que M. Chan n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]          M. Chan présente une demande de contrôle judiciaire à l'égard de cette décision.

LE CONTEXTE FACTUEL

[3]          M. Chan a déclaré avoir créé en 1988, avec l'aide de son père, une entreprise, la Yang Xin Daily Products Chemical Factory, dans la ville de Fuqin. L'entreprise s'est apparemment développée et a prospéré. La demande pour les produits fabriqués par son entreprise ayant augmenté, M. Chan a demandé un prêt au fonds de développement du Bureau des entreprises. Ce Bureau faisait partie du gouvernement local.

[4]          M. Chan a également déclaré que, pour obtenir ce prêt, il a dû accepter les demandes que lui ont faites le chef et le chef adjoint du Bureau des entreprises, MM. Chen Xian Chai et Xu Shi Xiang, pour qu'il partage les bénéfices avec eux, à parts égales. Par la suite, à cause des demandes irrégulières que lui faisaient ces deux fonctionnaires du gouvernement, l'entreprise de M. Chan a fait faillite.

[5]          Le père de M. Chan est décédé en juin 1995. D'après M. Chan, après les funérailles de son père, les travailleurs de l'entreprise ont déclaré qu'ils ne reprendraient le travail que si celle-ci leur versait les salaires qu'elle leur devait. MM. Chen et Xu ont refusé que l'on paie les travailleurs.

[6]          En juillet 1995, M. Chan a découvert que MM. Chen et Xu avaient vendu les biens de l'entreprise, et s'étaient appropriés le produit net de la vente après remboursement du prêt consenti par le Bureau des entreprises. M. Chan a poursuivi MM. Chen et Xu devant le Tribunal du peuple de la ville de Fuqin pour essayer de récupérer ses biens.

[7]          M. Chan s'est vu alors signifier une citation à comparaître devant le tribunal pour répondre à l'accusation d'avoir « incité la population à saboter la production » . M. Chan a déclaré que MM. Chen et Xu l'avaient fait convoquer devant le tribunal sur de fausses accusations pour que M. Chan soit jeté en prison et l'empêcher ainsi de révéler leurs malversations.

[8]          Le 15 août 1995 ou vers cette date, M. Chan s'est caché. Il a finalement fui la Chine pour arriver au Canada le 28 août 1998. Il a présenté sa demande de statut de réfugié le 3 septembre 1998.

QUESTIONS EN LITIGE

[9]          L'avocat de M. Chan a soulevé trois questions à l'égard de la décision de la SSR :

(i)      La SSR a-t-elle commis une erreur de droit dans la façon dont elle a évalué la base objective de la revendication du statut de réfugié de M. Chan?
(ii)      La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en s'attachant à déterminer si M. Chan était motivé par une opinion politique particulière et non si les autorités lui avaient imputé une opinion politique?
(iii)      La SSR a-t-elle commis une erreur en fondant sa décision sur des conclusions de fait erronées, non fondées sur les éléments présentés?

[10]          À la fin de l'audience, j'ai informé l'avocat que la demande de contrôle judiciaire serait accueillie pour des motifs qui seraient rendus par écrit. Voici les motifs de ma décision.

ANALYSE

(i) La SSR a-t-elle commis une erreur de droit dans la façon dont elle a évalué la base objective de la revendication du statut de réfugié de M. Chan?

[11]          Il est bien établi que la personne qui demande le statut de réfugié au sens de la Convention n'est pas tenue d'établir qu'elle sera probablement persécutée. Il suffit qu'elle montre qu'il existe une possibilité raisonnable qu'elle soit persécutée si elle retournait dans son pays d'origine. (Voir Adjei c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration ), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.)).

[12]          Voici les passages pertinents des motifs de la SSR :

     [TRADUCTION]

         Lorsqu'il parlait de son père, du décès de son père et de la situation de l'entreprise, le demandeur donnait l'impression d'être très crédible. Toutefois, le tribunal avait des réserves concernant la vraisemblance de divers éléments dans le reste de son témoignage écrit et de son témoignage oral.
     ...
         Le tribunal est conscient du fait que le système judiciaire est très sévère en Chine comparativement à celui du Canada. Toutefois, il doit déterminer si la crainte de poursuite du demandeur aboutirait à des châtiments (s'il en est) qui constitueraient de la persécution.
     ...
     Même si son entreprise a été fusionnée avec le gouvernement, le tribunal ne croit pas que les préoccupations du demandeur et les plaintes d'injustice qui en ont résulté étaient motivées par des croyances politiques particulières.
     ...
         Si, en fait, il était reconnu coupable d'avoir « incité les travailleurs à saboter la production » , le demandeur n'a pas produit de preuve que la peine imposée par la cour serait déraisonnable selon les normes internationales et qu'elle serait considérée comme de la persécution. Le demandeur a tout simplement supposé qu'il pourrait faire l'objet de poursuites et, s'il était reconnu coupable, il n'a pas témoigné quant à la peine qui pourrait lui être imposée. Le tribunal croit que ce que craint le demandeur en Chine, ce sont des poursuites et non de la persécution.
     ...
     DÉCISION
         Le tribunal détermine que selon les circonstances de l'affaire du demandeur et compte tenu de la preuve présentée, le demandeur n'a pas de motifs valables pour prouver qu'il ferait face à de la persécution s'il devait être renvoyé en Chine. [Nos soulignés].

[13]          L'avocat du Ministre soutient que les motifs de la SSR pris dans leur ensemble ne démontre pas qu'elle ait appliqué une norme plus stricte que la norme prévue. L'avocat du Ministre fait remarquer que la SSR a utilisé pour la première fois le mot « would » (verbe au conditionnel) lorsqu'elle a examiné la crainte du revendicateur que les peines imposées constituent de la persécution. Le Ministre soutient que la SSR a utilisé le critère approprié.

[14]          J'ai soigneusement examiné l'ensemble des motifs de la SSR. La SSR ne précise pas dans ses motifs la nature du critère à appliquer. Étant donné que la SSR n'a pas précisé le critère approprié, qu'elle a continuellement utilisé le mot « would » (mode conditionnel), qu'elle a décidé que M. Chan n'avait pas de motifs valables « pour prouver » qu'il ferait face à de la persécution s'il devait être renvoyé en Chine, je ne puis me convaincre que la SSR a appliqué le critère approprié à la revendication dont elle était saisie.

(ii) La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en s'attachant à déterminer si M. Chan était motivé par une opinion politique particulière et non si les autorités lui ont imputé une opinion politique?

[15]          Il est important de noter que la SSR a déclaré que, lorsque M. Chan parlait de son père, du décès de son père et de la situation de leur entreprise, il donnait l'impression d'être très crédible. La SSR a également jugé crédible le témoignage de M. Chan selon lequel son entreprise a fait faillite parce que MM. Chen et Xu avaient exigé la moitié des bénéfices de l'entreprise. La SSR a toutefois mis en doute la vraisemblance d'autres parties de la demande de M. Chan.

[16]          Plus précisément, la SSR a déclaré que « même si son entreprise a été fusionnée avec le gouvernement, le tribunal ne croit pas que les préoccupations du demandeur et les plaintes d'injustice qui en ont résulté étaient motivées par des croyances politiques particulières. »

[17]          Au début de ses motifs, la SSR avait déclaré que le litige portait sur l'évaluation du témoignage de M. Chan qui « allègue une crainte fondée d'être persécuté du fait de ses opinions politiques » . Le tribunal n'a pas considéré que la question en litige portait sur des opinions politiques imputées. [Nos soulignés]

[18]          Cependant, M. Chan a déclaré que les accusations pénales qui ont été portées contre lui étaient inspirées par des motifs politiques et qu'elles étaient fausses. Dans son formulaire de renseignements personnels, M. Chan a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

8.      J'ai demandé au gouvernement de protéger mes biens. En juillet 1995, j'ai poursuivi Chen et Xu devant le Tribunal du peuple de la ville de Fuqin mais je n'ai pas obtenu gain de cause parce qu'ils avaient des relations avec des membres du tribunal, ce qui leur a permis de dissimuler leurs malversations. Craignant que je ne soumette l'affaire à la Cour supérieure et que cela ne révèle leurs agissements, ils m'ont accusé d'inciter les travailleurs à faire la grève, d'ameuter des foules pour faire du désordre et d'endommager la chaîne de production. En août 1995, ils m'ont cité à comparaître et voulaient m'envoyer en prison sur de fausses accusations.
     ...
B.11.      J'ai demandé l'aide des autorités lorsque j'ai essayé de poursuivre Chen et Xu. Je n'ai reçu aucune aide. Ces fonctionnaires corrompus ont amené les autorités à porter de fausses accusations contre moi et j'ai peur des autorités en Chine.

[19]          Devant la SSR, M. Chan a déclaré que les accusations pénales portées contre lui avaient une motivation politique. Voici son témoignage :

     [TRADUCTION]

     PAR L'AGENT CHARGÉ DE LA REVENDICATION :
     ...
     Q      C'est -- vous avez dit que des gens sont venus chez vous parce qu'ils vous recherchaient. Qui étaient ces gens?
     R      Les gens qui travaillent pour le Tribunal du peuple.
     Q      Très bien, est-ce que ces gens sont les mêmes que --
     R      On peut dire que ce sont des policiers qui travaillent pour les tribunaux.
     Q      Bien. Font-ils partie de la police de la fonction publique? Du Bureau de la fonction publique?
     R      Oui, c'est différent. Non, c'est différent. La police qui travaille pour le tribunal n'est pas la même que celle qui travaille pour le BFP.
     Q      Est-ce que ces services travaillent parfois ensemble lorsqu'ils recherchent la même personne?
     R      Cela arrive, oui. Par exemple, lorsqu'il y a eu meurtre --
         ...
     R      Cela est considéré comme un comportement violent et ils sont obligés de demander au BFP de contrôler la situation violente. Pour ce qui est de moi, nous ne sommes pas des gens violents. On nous considérait comme des politiques, le gouvernement, Shi et Chen voulaient me persécuter. C'est pourquoi ils ont eu recours au tribunal -- les policiers qui étaient au tribunal sont venus me chercher. [Nos soulignés]

[20]          M. Chan a répondu ce qui suit aux questions que lui posait son avocat :

     PAR L'AVOCAT :

     [TRADUCTION]

     ...
     R      J'ai donc essayé de m'enfuir. Je me suis caché.
     Q      Et pourquoi avez-vous fait cela?
     R      Parce qu'en Chine les gouvernements locaux sont corrompus et ils se protègent les uns les autres. C'est pourquoi il y a tant de corruption. Pour ce qui est de notre poursuite, nous n'avons pas encore eu de résultats à cause de cela -- ils ont des relations auprès du tribunal et ils veulent me voir mort. Ils auraient alors le champ libre. Le tribunal a des liens avec eux et c'est pourquoi ils couvrent leurs malversations. C'est là la raison. C'est pourquoi ils m'ont remis une citation à comparaître et voulaient que je comparaisse devant le tribunal pour m'envoyer ensuite en prison.
     Q      Très bien. Et pourquoi pensiez-vous qu'ils - que vous seriez emprisonné?
     R      Parce qu'il y a d'autres personnes à qui ce genre de chose est arrivé. C'est -- c'est à des gens comme nous qui n'ont pas de relations. Ce sont des gens comme nous qui n'ont pas de relations, d'appui, qui n'ont pas des gens qui les aident.

[21]          Je suis convaincu qu'étant donné que des fonctionnaires corrompus avaient porté de fausses accusations contre lui, il appartenait à la SSR de considérer si M. Chan avait établi le bien-fondé de sa demande parce qu'on lu avait imputé des opinions politiques.

[22]          Je constate que la SSR n'a pas considéré cet appel.

[23]          L'avocat du Ministre a reconnu que la SSR aurait pu être plus précise dans ses motifs mais il a soutenu que, pris dans leur ensemble, les motifs indiquent que la SSR n'a pas tenu compte d'aspects non pertinents et qu'elle a examiné comme cela lui incombait si M. Chan craignait de faire l'objet de poursuites ou de persécution en Chine.

[24]          Malgré les arguments avancés par l'avocat du Ministre, je conclus qu'en s'attachant à déterminer si « les plaintes d'injustice [formulées par M. Chan] qui en ont résulté étaient motivées par des croyances politiques particulières » , et non si l'on avait attribué à M. Chan des opinions politiques, la SSR n'a pas correctement appliqué la définition de réfugié au sens de la Convention.

[25]          Compte tenu de ces deux erreurs, il y a lieu de faire droit à la demande de contrôle judiciaire. Il est donc inutile d'examiner la troisième question soulevée par M. Chan.

[26]          Les avocats reconnaissent que la présente demande ne soulève aucune question grave d'importance générale et aucune question n'est certifiée.


                                 « Eleanor R. Dawson »

     Juge

Ottawa (Ontario)

6 septembre 2000

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DE GREFFE :              IMM-4872-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      KIN WAN CHAN

                     c.

                     MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 25 JUILLET 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MME LE JUGE DAWSON

EN DATE DU 6 SEPTEMBRE 2000


ONT COMPARU :

GUY RIECKEN                  POUR LE DEMANDEUR
VICTOR CAUX                  POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Legal Services Society              POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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