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Date : 20001005


Dossier : T-198-99

ENTRE:

     SA MAJESTÉ LA REINE

     Demanderesse

     - et -



     FERME AVICOLE KIAMIKA INC.

     FERME AVICOLE HÉVA INC.

     FERME PAUL RICHARD ET FILS INC.

     Défenderesse




     JUGEMENT


LE JUGE BLAIS

[1]      Il s'agit d'une action en recouvrement d'une créance au montant de $39,324.06 aux termes des articles 50 et 60 de la Loi sur la santé des animaux.

FAITS

[2]      Le 3 juin 1996, le Docteur Anderson du ministère Agriculture et Agroalimentaire Canada ordonna la disposition de toutes les poules qui se trouvaient dans les poulaillers nos 6 et 7 de la Ferme Avicole Paul Richard et Fils Inc. ainsi que celles dans les poulaillers nos 1 et 2 de la Ferme Avicole Kiamika Inc., et ce, avant le 12 juin 1996, parce qu'il les soupçonnait d'être contaminées par la bactérie Salmonella enteritidis de lysotype 4.

[3]      De plus, le 5 juin 1996, le Dr Anderson ordonna la destruction de tous les oeufs en coquille produits pendant la période du 17 mai 1996 au 12 juin 1996 par les pondeuses de ces poulaillers. Cette ordonnance fut ré-amendée le 13 juin 1996 sans toutefois changer sa portée.

[4]      Le 7 juin 1996, M. Jean Richard, au nom des défenderesses, demanda de reporter à une date ultérieure l'abattage afin de permettre l'élaboration d'un plan structuré. Cette demande lui fut refusée le 10 juin 1996.

[5]      Le 14 juin 1996, le Dr Anderson ordonna également la disposition de toutes les poules qui se trouvaient dans les poulaillers nos 23 et 45 de la Ferme Avicole Paul Richard et Fils Inc. et ce, avant le 23 juin 1996, ainsi que la destruction de tous les oeufs.

[6]      Réalisant que la date du 12 juin 1996 était passée sans que la disposition soit faite et réalisant que la date prévue à l'ordonnance de disposition visant la Ferme Avicole Paul Richard et Fils Inc. était sur le point d'être dépassée, le Dr Anderson décida alors de procéder lui-même à la destruction des poules, des oeufs et autres choses visées par les ordonnances. Le 20 juin 1996, il procéda à retenir les services de la firme d'extermination Maheu et Maheu Inc., lui octroyant un contrat pour un montant maximum de $95,308.00.

[7]      Maheu et Maheu Inc. n'ont pu procéder à l'exécution du contrat en raison d'ordonnances de sauvegarde (injonctions intérimaires) émises le 21 juin 1996 par l'honorable juge Louis-Philippe Landry et par Me Jean-Gilles Racicot, greffier de la Cour supérieure.

[8]      La demanderesse a dû débourser la somme de $39,324.06 pour les frais et dépenses déjà encourues par Maheu et Maheu Inc. C'est cette somme qu'elle réclame aux défenderesses.

[9]      Les défenderesses n'ont pas donné suite aux mises en demeure datées du 8 décembre 1998 et la demanderesse a intenté la présente action.



LES PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[10]      La demanderesse prétend qu'elle n'a pas à être tenue responsable des pertes, dommages ou frais entraînés par l'exécution des obligations découlant de la Loi et ce en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Santé des animaux.

[11]      La demanderesse soumet qu'elle est en droit de réclamer aux défenderesses le remboursement qu'elle a versé à Maheu et Maheu Inc. en vertu de l'article 50 et du paragraphe 60(1) de la Loi.

LES PRÉTENTIONS DES DÉFENDERESSES

[12]      Les défenderesses soumettent que le délai fixé par les préposés de la demanderesse pour détruire ses animaux n'était pas expiré.

[13]      Les défenderesses soutiennent que les ordonnances n'étaient pas accompagnées d'un plan d'abattage des animaux. Elles maintiennent qu'elles ont présenté un plan d'abattage mais n'ont obtenu aucune collaboration de la part du ministère quant à l'élaboration d'un plan d'abattage sécuritaire et les discussions relativement au plan d'abattage se poursuivaient, quand le ministère décida de confier l'abattage à une firme indépendante sans prévenir les défenderesses.

[14]      Les défenderesses soumettent que le 20 juin 1996, elles étaient en mesure d'établir que l'une des unités de production n'était pas contaminée et ont transmis les résultats des tests au ministère.

[15]      De plus, les défenderesses soumettent que l'abattage au CO2 prévu représentait un risque important pour la sécurité du personnel et du public et risquait d'être inefficace considérant que le CO2 est un gaz lourd et que les animaux étant suspendus, la méthode devait être rejetée.

[16]      Elles font valoir qu'elles ont agi avec prudence et professionnalisme et que la demanderesse a agi de façon déraisonnable, unilatérale, abusive et est responsable des pertes alléguées, passant outre aux droits légitimes et en signant des engagements abusifs et déraisonnables qui la rendent unique responsable des préjudices allégués.

RÉPONSE DE LA DEMANDERESSE

[17]      La demanderesse argumente que l'article 48 ne commande pas qu'un plan d'abattage accompagne les ordonnances de disposition.

[18]      Quant à la méthode d'abattage, elle allègue qu'elle était sécuritaire et que l'utilisation du CO2 constituait la meilleure méthode pour disposer des poules de façon humanitaire tout en étant sécuritaire pour les biens et le personnel. La demanderesse indique qu'une tente devait être construite, à l'extérieur des poulaillers où auraient été disposées les cages et que par la suite, le gaz CO2 aurait été relâché dans cette tente et les cadavres transportés vers un endroit pouvant les accueillir.

[19]      La demanderesse constate que la Ferme Kiamika, à la date prévue à l'ordonnance de disposition, a retenu les services de Maheu et Maheu Inc. afin d'abattre les poules et que la méthode du CO2 a été utilisée.

[20]      La demanderesse soumet que cette Cour n' a pas annulé les avis de disposition.

QUESTION EN LITIGE

[21]      La demanderesse a-t-elle le droit d'exiger des défenderesses les frais engagés par elle et liés aux mesures prises sous le régime de la Loi sur la santé des animaux pour un montant de $39,324.06?



LES ARTICLES PERTINENTS

[22]      L'article 48 permet au ministre d'ordonner la destruction des animaux. Il prévoit:

48.(1) Le ministre peut prendre toute mesure de disposition, notamment de destruction, - ou ordonner à leur propriétaire, ou à la personne qui en a la possession, la responsabilité ou la charge des soins, de le faire - à l'égard des animaux ou choses qui:

a) soit sont contaminés par une maladie ou une substance toxique, ou soupçonnés de l'être;

b) soit ont été en contact avec des animaux ou choses de la catégorie visée à l'alinéa a) ou se sont trouvés dans leur voisinage immédiat;

c) soit sont des substances toxiques, des vecteurs ou des agents causant des maladies, ou sont soupçonnés d'en être.

(2) Le ministre peut par ailleurs soumettre ces animaux ou choses à un traitement, ou ordonner à ces personnes de le faire ou d'y faire procéder, s'il estime que celui-ci sera efficace dans l'élimination de la maladie ou de la substance toxique ou la prévention de la propagation.

(3) L'ordre est signifié au propriétaire ou à la personne concernée, soit à personne, soit par envoi postal ou autre, sous forme d'avis en précisant éventuellement le délai ou les modalités d'exécution.

48. (1) The Minister may dispose of an animal or thing, or require its owner or any person having the possession, care or control of it to dispose of it, where the animal or thing

(a) is, or is suspected of being, affected or contaminated by a disease or toxic substance;

(b) has been in contact with or in close proximity to another animal or thing that was, or is suspected of having been, affected or contaminated by a disease or toxic substance at the time of contact or close proximity; or

(c) is, or is suspected of being, a vector, the causative agent of a disease or a toxic substance.

(2) The Minister may treat any animal or thing described in subsection (1), or require its owner or the person having the possession, care or control of it to treat it or to have it treated, where the Minister considers that the treatment will be effective in eliminating or preventing the spread of the disease or toxic substance.

(3) A requirement under this section shall be communicated by personal delivery of a notice to the owner or person having the possession, care or control of the thing or by sending a notice to the owner or person, and the notice may specify the period within which and the manner in which the requirement is to be met.

[23]      L'article 34 permet au ministre de contracter avec des firmes dans l'exercice de la Loi:

34. Le ministre peut, pour l'application de la présente loi, conclure un accord avec toute personne compétente pour l'exercice, aux conditions qu'il précise, de certaines fonctions.


34. For the purposes of this Act, the Minister may enter into an agreement with any qualified person to perform such duties or functions as the Minister may specify, on such terms and conditions as the Minister may specify.

[24]      L'article 50 est une clause de non-responsabilité de Sa Majesté:

50. Sa Majesté n'est pas tenue des pertes, dommages ou frais -- loyers ou droits -- entraînés par l'exécution des obligations découlant de la présente loi ou des règlements, notamment celle de fournir des terrains, locaux, laboratoires ou autres installations et d'en assurer l'entretien au titre de l'article 31.


50. Where a person must, by or under this Act or the regulations, do anything, including provide and maintain any area, office, laboratory or other facility under section 31, or permit an inspector or officer to do anything, Her Majesty is not liable

(a) for any costs, loss or damage resulting from the compliance; or

(b) to pay any fee, rent or other charge for what is done, provided, maintained or permitted.

[25]      L'article 60 permet à la Couronne de recouvrer les sommes dépensées en exécution d'une ordonnance:

60. (1) Sa Majesté ou toute personne ayant conclu avec le ministre un accord en application de l'article 34 peut recouvrer les redevances réglementaires et autres frais exposés par elle et liés aux mesures prises sous le régime de la présente loi et des règlements, notamment l'inspection, le traitement, l'isolation ou la mise en quarantaine, selon le cas, de lieux, d'animaux ou de choses, -- ainsi que les tests ou analyses afférents -- au titre de la présente loi ou des règlements, ou encore l'identification, le renvoi, l'entreposage, le transfert, la saisie, la confiscation, la rétention ou la destruction, au même titre, de ces animaux ou choses.

(2) Sont alors débiteurs solidaires de ces frais le propriétaire ou l'occupant du lieu, ou le propriétaire des animaux ou des choses et la dernière personne à en avoir eu la possession, la responsabilité ou la charge des soins avant les mesures en cause.


60. (1) Her Majesty, and any person who has entered into an agreement with the Minister under section 34, may recover from any person referred to in subsection (2) any prescribed fees or charges and any costs incurred by Her Majesty or the other person, as the case may be, in relation to anything required or authorized under this Act or the regulations, including, without restricting the generality of the foregoing,

(a) the inspection, treatment, segregation, quarantine, testing or analysis of a place, animal or thing, as the case may be, or the identification, storage, removal, disposal or return of an animal or thing, required or authorized under this Act or the regulations; and

(b) the forfeiture, disposal, seizure or detention of an animal or thing under this Act or the regulations.

(2) The fees, charges and costs are recoverable jointly and severally from the owner or occupier of the place or the owner of the animal or thing and from the person having the possession, care or control of it immediately before its inspection, treatment, segregation, detention, forfeiture, quarantine, testing, analysis, identification, storage, removal, return or disposal or, in the case of an animal or thing seized under this Act, immediately before its seizure.

[26]      Il est d'abord à noter qu'en vertu des dispositions de la règle 292 des Règles de la Cour fédérale, 1998, cette action a procédé suivant les dispositions d'une action simplifiée et les dispositions des Règles de la Cour fédérale, y ont été appliquées.

[27]      À cet effet, les différentes parties ont déposé les affidavits pour faire la preuve de part et d'autre et les témoins ont été disponibles pour répondre aux questions suivant les allégations mentionnées à leur affidavit respectif.

[28]      Le procureur représentant les défenderesses, Ferme Avicole Héva Inc. et Ferme Paul Richard et Fils Inc., a présenté une requête préliminaire en irrecevabilité pour le motif qu'au moment où les dépenses ont été engagées, le délai n'était pas encore expiré et que l'action de la demanderesse était irrecevable.

[29]      La Cour a considéré que cet argument était déjà présent dans l'argumentation quant au fond du présent dossier et que les défenderesses n'ont pas respecté les dispositions de la règle 298, alors qu'une pareille requête aurait dû être présentée à la conférence préparatoire, ce qui n'a pas été fait.

[30]      La requête est donc rejetée puisque tardive et la question sera, de toute façon, plaidée au fond.

[31]      Les procureurs des défenderesses ont également présenté une demande pour reporter l'audition de la présente cause, considérant l'ordonnance rendue par Me Richard Morneau, protonotaire, le 7 septembre 1999, ordonnant que la demande reconventionnelle en responsabilité déposée par Ferme Avicole Kiamika Inc., soit considérée comme une action distincte en responsabilité; ils concluent qu'il serait préférable que cette action soit entendue avant la présente action en recouvrement afin d'éviter des jugements contradictoires.

[32]      Les procureurs ont informé la Cour que cette question avait été soulevée lors de la conférence préparatoire devant l'honorable juge Hugessen et que ce dernier avait rejeté la demande. La Cour note, par ailleurs, que la décision du protonotaire Morneau n'a pas été portée en appel. La requête a donc été rejetée et les parties ont été avisées de s'en tenir à leurs prétentions, suivant leurs affidavits respectifs.

PREUVE DE LA DEMANDERESSE

[33]      La demanderesse a déposé l'affidavit du Dr William R. Anderson, daté du 25 juillet 2000, avec douze pièces y annexées et un affidavit de M. Martin St-Pierre, daté du 24 juillet 2000, accompagné de deux pièces, soit la répétition de la pièce P-8, déjà déposée au soutien de l'affidavit du Dr Anderson et la pièce P-13.

[34]      Les défenderesses ont demandé à interroger M. Martin St-Pierre sur son affidavit.

[35]      Il appert du témoignage de M. St-Pierre que les représentants d'Agriculture et Agroalimentaire Canada ont demandé à la compagnie Maheu et Maheu Inc. pour laquelle il travaille, de procéder à la destruction des poules des différents poulaillers concernés.

[36]      Il a été convenu, dès le départ, qu'il était lui-même responsable du dossier et qu'il devait pratiquer la plus grande discrétion afin d'éviter que les fermes concernées soient informées de l'opération prévue pour les 22 et 23 juin 1996. La première rencontre avec les autorités du ministère a eu lieu le 18 juin 1996 et il y en a eu une nouvelle le lendemain, soit le 19 juin 1996; et c'est à ce moment que Maheu et Maheu Inc. a présenté le plan de destruction aux autorités du ministère.

[37]      Dès le départ, M. St-Pierre a été informé du problème que pouvait causer la bactérie Salmonella enteritidis de lysotype 4 et il a également été informé qu'il devait prendre des mesures tout à fait spéciales pour assurer la sécurité et la protection des intervenants et d'éviter la propagation de la bactérie à l'extérieur du site.

[38]      Il se rappelle avoir reçu un certain nombre de directives de la part d'un vétérinaire d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, dont il ne se rappelle plus le nom.

[39]      Il s'agissait d'une première pour ce type de salmonelle, tant pour la compagnie Maheu et Maheu Inc. que pour Agriculture et Agroalimentaire Canada. Son entreprise avait déjà procédé à de la désinfection, mais ils n'avaient jamais procédé à l'élimination d'un troupeau, comme dans ce cas- ci.

[40]      Ils ont rassemblé quarante personnes pour effectuer le travail, lesquelles étaient réparties pour l'intervention à Kiamika, à proximité de Mont Laurier et pour les fermes situées à Malartic, près de Val d'Or.

[41]      Ils ont confié en sous-traitance l'engagement de personnel supplémentaire, soit l'entreprise Kelly, notamment pour engager les "pogneurs de poules".

[42]      M. St-Pierre mentionne avoir rencontré les gens qui devaient procéder à l'opération, avant leur départ de Longueuil, le matin du 21 juin 1996, et qu'il devait également tenir une séance d'information à Val d'Or et à Kiamika le lendemain, laquelle n'a pas eu lieu, suite à l'émission d'une injonction.

[43]      M. St-Pierre a mentionné que la Sûreté du Québec devait être présente pour pénétrer sur le site et pour les accompagner au moment où ils feraient le travail puisque les propriétaires des différents sites n'étaient pas avisés de l'arrivée de l'équipe.

[44]      Quant au transport et à la disposition définitive des carcasses des poules après l'exécution des travaux, bien que le contrat d'abattage pièce P-6, daté du 20 juin 1996, en fasse expressément mention, M. St-Pierre a mentionné qu'il n'avait pas à s'occuper de cette question et qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada devait s'occuper d'avoir les camions et de disposer des poules après leur élimination par gaz. Il dit ne pas être au courant de la façon dont le ministère devait le faire mais qu'il a été convenu qu'eux ne s'occupaient pas de cette question.

[45]      Il a finalement mentionné avoir appris en fin d'après-midi, alors qu'il était dans sa voiture en direction de Mont Laurier, qu'une injonction avait été émise pour empêcher l'exécution des travaux le lendemain et il a également appris, par téléphone, que les travaux d'abattage devant débuter le lendemain, étaient tout simplement reportés à cause de l'injonction.

[46]      À son arrivée à Mont Laurier, vers les dix-huit heures, il a averti les personnes qui étaient sur place qu'elles pouvaient retourner chez-elles ou encore demeurer, puisque l'hôtel était déjà payé. Il s'est rendu ensuite à Val d'Or où vers les onze heures du soir, il a finalement averti l'autre équipe qu'ils n'auraient pas à procéder et qu'ils pourraient s'en retourner chez-eux.

[47]      Questionné quant au paragraphe 11 de son affidavit, il a mentionné, qu'à sa connaissance, un certificat d'autorisation du ministère de l'environnement était nécessaire pour enfouir des carcasses de cet ordre. Cependant, il n'était pas au courant des mesures qui avaient été prises et il n'a vu aucun camion de la compagnie Lomex qui aurait pu procéder à ce transport.

[48]      Il mentionne que sa compagnie s'occupe particulièrement de gestion parasitaire et qu'il s'occupe régulièrement de l'élimination des parasites dans un établissement. Il mentionne qu'au départ il devait s'occuper de l'élimination des carcasses, mais que par la suite, c'est Agriculture et Agroalimentaire Canada qui a décidé de s'occuper de la disposition des carcasses. Il s'agissait de l'élimination de 110,000 poules et il n'avait jamais eu d'expérience de cette envergure.

[49]      Il témoigne ensuite avoir procédé deux semaines plus tard à l'élimination des 110,000 poules et qu'il a fallu dix jours pour compléter le travail avec sensiblement le même personnel, mais dans des conditions d'abattage différentes.

[50]      M. St-Pierre a expliqué comment les préposés de son entreprise devaient procéder les 22 et 23 juin 1996: ils devaient construire des bâches en plastique à l'extérieur et transporter ensuite les poules vivantes par l'entremise des "pogneurs de poules"; ils auraient procédé ensuite à l'élimination par gaz, et les "pogneurs de poules" auraient transporté les poules vers les camions ou les contenants prévus pour en disposer. Ils auraient monter plusieurs de ces bâches de façon à pouvoir procéder à la gazéification sur une base continue. Dans le plan qui a finalement été retenu au début de juillet 1996 pour éliminer les poules, ils ont aménagé à l'intérieur du poulailler un abri en bois qui était tout à fait étanche et ils ont placé les poules sur des supports pour procéder à la gazéification. Il prétend que cette méthode était beaucoup plus longue (l'opération a pris 10 jours, en fait) et il continue de prétendre qu'il n'aurait pas fallu plus que deux jours à toute son équipe pour procéder à l'élimination des poules, les 22 et 23 juin 1996 selon la méthode prévue au départ.

[51]      Il se rappelle avoir chargé environ $20,000 pour les trois fermes pour l'exécution des travaux sur la période de dix jours au début juillet 1996. Il mentionne que le prix prévu pour l'abattage de $95,000 pour les quatre jours de travail était tout à fait raisonnable dans les circonstances, il s'agissait de deux jours d'abattage, plus un jour pour se rendre sur les lieux et un jour pour revenir. Dans ce cas, il n'y avait aucune aide de la part du propriétaire qui était envisagée, alors que dans l'autre cas, où les coûts ont été de $20,000, il y a eu de l'aide de la part du propriétaire qui a fourni le personnel pour aider les employés de Maheu et Maheu Inc.

[52]      Il répète que la demande d'Agriculture et Agroalimentaire Canada était de faire le travail de façon autonome.

[53]      Quant à la description de la somme de $39,000 réclamée, M. St-Pierre a été longuement interrogé et il ressort que les sommes réclamées sont nettement exagérées. D'ailleurs, la demanderesse, dans ses représentations, à la fin, a réduit la réclamation de plusieurs milliers de dollars. En ce qui me concerne, il semble que plusieurs des fournisseurs de Maheu et Maheu Inc. ont abusé des circonstances et ont réclamé des sommes extravagantes, considérant les circonstances; le tribunal s'interroge également sur les sommes réclamées pour les "pogneurs de poules" qui ont dû se rendre sur place, dont l'un a témoigné n'avoir reçu que $30 en tout et pour tout, incluant son déplacement, alors que la facture totale pour la main-d'oeuvre en sous-traitance réclamée s'établit à $3,795.60. Il semble que ni Maheu et Maheu Inc. et ni Agriculture et Agroalimentaire Canada n'ont pris les dispositions pour vérifier le bien-fondé de toutes ces sommes qui auraient facilement pu être réduites de façon appréciable.

[54]      Par la suite, les défenderesses ont procédé à l'interrogatoire du Dr Anderson sur les allégations de son affidavit. Ce dernier a mentionné qu'il était responsable de l'application de la Loi sur la santé des animaux et qu'il avait les pleins pouvoirs pour intervenir dans des cas comme celui du présent dossier, non seulement sur les animaux, mais également les cages, les bâtiments et les incubateurs et tout le matériel dans l'environnement des animaux sont également sous sa responsabilité.

[55]      M. Anderson a témoigné qu'un seul autre cas de contamination de la Salmonella enteritidis de lysotype 4 avait été relevé antérieurement, soit à Arthabaska dans une éclosion. Il ne se rappelait cependant pas à quel moment, bien que ces faits se soient produits à peine quelques mois avant le présent dossier. Un incubateur était contaminé et il n'y a pas eu de quarantaine. Il n'y a eu aucune mesure de prise quant aux poussins non plus. Il prétend qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada a fait le suivi selon la procédure habituelle. D'après lui, il n'y a pas eu de maladie de déclarée après les échantillonnages sur l'équipement, et les mesures de désinfection ont été prises par le couvoir. Il n'y a pas eu de destruction, pas de quarantaine, pas de déclaration de lieu contaminé. M. Anderson a cependant mentionné que la Salmonella enteritidis de lysotype 4 est extrêmement dangereuse. Non seulement pour les animaux, mais également pour les êtres humains.

[56]      M. Anderson a mentionné qu'il s'agissait du même individu, M. Jean Dion, qui l'avait averti la première fois, lors de la première contamination à Arthabaska, qui est venu l'avertir le 17 mai 1996, qu'il y avait une nouvelle contamination sur les fermes touchées par le présent dossier.

[57]      M. Anderson a précisé que cette maladie Salmonelle enteritidis de lysotype 4 n'est pas une maladie à déclaration volontaire. Environ deux semaines plus tard, soit le 30 mai 1996, il a appris que certains décès étaient survenus dans un centre d'hébergement de la région. Il a donc décidé très rapidement qu'il faudrait prendre des procédures pour éliminer les troupeaux de façon sécuritaire; cependant, le ministère n'avait aucune procédure écrite pour procéder à cette élimination, il y avait seulement des généralités.

[58]      M. Anderson précise que l'élimination des troupeaux est la responsabilité des éleveurs. Il réaffirme qu'il s'agit du plus gros cas de contamination qu'il ait vu et que ce n'était pas un cas simple.

[59]      Il a dépêché immédiatement des équipes pour aller rencontrer les propriétaires pour les aider à se conformer à l'ordonnance qu'il a émise en date du 3 juin 1996. Il mentionne les noms de M. Jean-Luc Dubois, Madame Josée Trépanier, M. André Vallières, M. Denis Bouvier, M. Claude Goyer.

[60]      Il était au courant de d'autres méthodes de disposition et il se rappelait que certaines simulations avaient été faites avec des poules, mais jamais de cette envergure. Il savait qu'il y avait des expériences aux États-Unis avec des troupeaux nombreux. Il savait que de toute façon il fallait procéder rapidement et avec prudence.

[61]      Il prétend qu'il n'a fait aucun lien entre l'information reçue en mai 1996 et celle reçue à l'automne 1995, à Arthabaska, et d'après lui, il n'y avait aucune preuve de contamination par les poussins provenant du premier site de contamination. D'après lui, il s'agissait de deux éclosions différentes.

[62]      M. Anderson prétend que le délai donné dans son ordonnance du 3 juin 1996, afin que toutes les poules soient éliminées au plus tard le 12 juin 1996, était un délai raisonnable, compte tenu des circonstances et de la santé publique. Il mentionne avoir refusé un délai supplémentaire parce qu'il n'y avait pas d'indice que les propriétaires avaient l'intention de se conformer à l'ordonnance et de procéder à l'abattage des poules. D'après lui, les propriétaires étaient trop préoccupés par les coûts engendrés et par le besoin d'être indemnisés.

[63]      Il prétend que les propriétaires des fermes voulaient recevoir l'argent d'indemnisation avant de procéder à l'élimination, ce qui n'était pas possible.

[64]      M. Anderson, pressé de questions, a été incapable de fournir des détails quant au transport et à l'enfouissement prévus pour les carcasses après leur élimination. Il a cependant mentionné, de façon précise, que le transport et l'enfouissement sécuritaires étaient aussi importants que l'abattage sécuritaire des poules et que l'un ne pouvait aller sans l'autre. Il réaffirme que jamais Agriculture et Agroalimentaire Canada n'aurait procédé à l'abattage s'il n'avait pas été sûr que la disposition des carcasses soit faite de façon sécuritaire et conforme aux règlements.

[65]      D'après lui, ce sont certains de ses employés ou collaborateurs qui se sont entendus pour la disposition des carcasses avec la compagnie Lomex. Il affirme également qu'il est sûr qu'on a demandé aux gens de Lomex d'être aussi discrets afin de ne pas avertir les fermes visées de l'intervention projetée. Cependant, il n'a pas été possible de savoir qui avait réalisé cette entente et aucune trace écrite de cette entente n'existe et aucun camion n'a été vu sur place.

[66]      Il ne connaît absolument pas les sites d'enfouissement situés dans la région de Val d'Or, et bien qu'il sache qu'il faille une autorisation du ministère de l'Environnement du Québec pour l'enfouissement, il prétend qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada n'avait pas à se préoccuper de cette question, puisque ce sont les transporteurs et les fondoirs si nécessaires qui s'occupent d'obtenir les permis. Il n'est pas au courant que le seul site de la grande région de l'Abitibi-Témiscamingue serait celui de la ville de Val d'Or.

[67]      M. Anderson mentionne au paragraphe 63 de son affidavit daté du 23 juin 1996:

...le ministère de l'Environnement du Québec a informé notre ministère qu'il n'autorisera pas l'enfouissement d'oeufs frais en coquille et que pour pouvoir être enfouis ces oeufs devront obligatoirement être cuits durs. Il appert que l'enfouissement d'une grande quantité importante d'oeufs frais en coquille risque de polluer la nappe phréatique.

[68]      Madame Renée Lavigne, de son ministère, au paragraphe 25 de son affidavit daté du 20 juin 1996, mentionne expressément qu'il peut prendre jusqu'à un mois pour obtenir une autorisation du ministère de l'Environnement:

Par ailleurs, le ministère de l'Environnement du Québec a informé notre ministère que l'enfouissement d'oeufs frais en coquille pose problème en raison de la nécessité de procéder à une étude environnementale qui dure généralement un mois et que pour pouvoir être enfouis rapidement ces oeufs devraient obligatoirement être cuits durs. Il appert que l'enfouissement d'oeufs frais en coquille risque de polluer la nappe phréatique;

[69]      Questionné sur ces deux affirmations, M. Anderson a mentionné qu'il savait que les poules avaient des oeufs à l'intérieur d'elles-mêmes lorsqu'elles étaient éliminées et que l'enfouissement des poules impliquait nécessairement l'enfouissement des oeufs.

[70]      Cependant, M. Anderson a affirmé que le délai d'un mois mentionné dans l'affidavit de Madame Lavigne peut être réduit à quelques jours en situation d'urgence. Cependant, il n'a pu démontré que des mesures avaient été prises pour s'assurer des autorisations du ministère de l'Environnement.

[71]      Il a témoigné également à l'effet que les oeufs produits dans les différents poulaillers qui étaient en quarantaine, étaient éliminés à mesure, sous contrôle d'Agriculture et Agroalimentaire Canada et qu'il n'y avait aucun danger.

[72]      Interrogé par le procureur de la demanderesse, M. Anderson a réitéré que les discussions avec les autres ministères concernés avaient été maintenues tout au long du processus.

[73]      Pour contrer le témoignage de M. St-Pierre, les défenderesses ont fait témoigner M. René St-Pierre, non parent avec M. Martin St-Pierre, qui a été engagé comme "pogneur de poules", lequel était âgé de dix-sept ans. Il a mentionné qu'il n'avait jamais été engagé par M. Larue qui a facturé Maheu et Maheu Inc., il a mentionné ne jamais avoir reçu d'instructions de la part de M. St-Pierre et que finalement, ayant appris vers dix-huit heures qu'il pouvait s'en retourner chez-lui, il avait été informé qu'il pouvait quitter ou rester sur place parce que les hôtels étaient payés. Il prétend avoir reçu $30 pour son voyage. Il prétend que personne ne lui a parlé de la maladie, si ce n'est M. René Bergeron qui l'avait engagé la veille.

[74]      Il n'a jamais rencontré M. Martin St-Pierre de Maheu et Maheu Inc. et il prétend avoir été averti en arrivant sur place qu'il n'aurait pas à travailler.

PREUVE DES DÉFENDERESSES

[75]      Les défenderesses ont ensuite déposé leurs pièces, soit la pièce D-1 qui est l'affidavit de Madame Renée Lavigne et ensuite l'affidavit de M. Jean Richard avec cinq pièces y annexées et deux affidavits de M. Maurice Richard, l'un à titre de président de Ferme Avicole Paul Richard et Fils Inc. et l'autre à titre de président de Ferme Avicole Héva Inc.

[76]      Avant de procéder à l'interrogatoire, le procureur de la demanderesse a demandé de faire certaines modifications à l'affidavit de M. Jean Richard soit au paragraphe 9 où le mot "intempestivement" a été retiré de consentement, au paragraphe 19, de consentement, le bout de phrase "et de façon extrêmement imprudente" est retiré, le paragraphe 24 est retiré au complet, au paragraphe 26, la phrase "ce qui démontre l'empressement de la demanderesse à tenter de se faire justice elle-même quant aux autres fermes" est retirée, le paragraphe 27 est retiré dans son entier.

[77]      La demanderesse a ensuite procédé à l'interrogatoire de M. Jean Richard sur son affidavit. M. Jean Richard témoigne qu'il a été mis au courant du problème le 17 mai 1996, suite à des tests qui avaient été pris le 6 mai précédent.

[78]      Dès qu'il a su qu'il y avait présence de la bactérie Salmonella enteritidis de lysotype 4, ses préposés ont immédiatement cessé la commercialisation des oeufs du troupeau contaminé. Ils ont également décidé volontairement de cesser la commercialisation d'un autre élevage, par prudence.

[79]      Il semble que ce soit Madame Lavigne qui l'ait appris le 16 mai 1996 et qui ait informé M. Richard le lendemain.

[80]      M. Richard a témoigné sur la méthode d'abattage habituelle qui consiste à charger les poules sur un camion et de les transporter dans un abattoir. Il mentionne l'avoir fait plusieurs fois par an et ce, depuis sa naissance.

[81]      Il témoigne à l'effet qu'il fallait trouver un autre moyen puisque les normes de destruction de ces poules représentaient une tâche énorme et qu'il fallait trouver une autre façon de procéder afin de protéger la santé animale et la santé des personnes.

[82]      Il a travaillé étroitement avec Agriculture et Agroalimentaire Canada pour essayer de trouver une solution et a également été conseillé par Madame le Dr Martine Boulianne, dont l'affidavit est au dossier.

[83]      Sur réception des ordonnances en début juin 1996, ils ont dû agir très vite alors qu'il n'y avait aucune directive d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, c'est pour cette raison qu'ils ont fait appel à un vétérinaire de l'extérieur.

[84]      Il mentionne qu'entre le 17 mai et le 31 mai 1996, ils avaient obtenu des dates d'abattage, mais cependant, il s'est fait dire que ces bêtes étaient refusées à l'abattage parce qu'elles étaient considérées comme malades. Les poules ont donc été refusées à la fois par l'abattoir et à la fois par le vétérinaire d'Agriculture et Agroalimentaire Canada sur place.

[85]      Il semble que le rappel des oeufs sur le marché a été ordonné lorsqu'Agriculture et Agroalimentaire Canada a appris le décès de personnes, suite à la présence d'oeufs contaminés sur le marché.

[86]      Il mentionne que les négociations avec Agriculture et Agroalimentaire Canada ont été mauvaises et il a déposé une lettre qu'il a expédiée le 20 juin 1996 avant de savoir qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada avait décidé de procéder elle-même à la destruction, ladite lettre donnant le détail, de jour en jour, de ce qu'il a effectué comme démarche entre le début juin et le 21 juin 1996. Ladite pièce est déposée au soutient de son affidavit comme pièce A-F-1.

[87]      Il a appris le 20 juin 1996, par la mère de M. Martin St-Pierre qui travaillait avec sa belle-soeur, que ce dernier devait aller faire une intervention d'abattage massive en Abitibi. Son employé, M. Aubray, a également appris par un employé de Lomex, qu'il avait appelé pour s'informer des moyens de transport pour disposer des carcasses, qu'il était la deuxième personne à s'enquérir de la disponibilité de Lomex.

[88]      M. Richard prétend avoir collaboré avec les préposés du ministère jusqu'à la toute fin afin de trouver ensemble le moyen le plus sécuritaire et également le plus économique pour procéder à l'abattage et il a réalisé qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada ne savait pas non plus quoi faire dans les circonstances.

[89]      Il prétend qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada n'avait pas exigé de plan et que de toute façon, de très nombreuses hypothèses ont été élaborées entre le 17 mai 1996 et le 20 juin 1996, afin de trouver une façon d'abattre les poules. Il prétend qu'ils ont procédé à l'abattage des poules entre le 1er et le 10 juillet 1996, sans avoir reçu de compensation, même si des oeufs étaient détruits depuis de nombreuses semaines.

[90]      Il mentionne également que les oeufs ont été entièrement payés plus tard et que les poules ont été payées, mais d'après lui, à leur valeur dépréciée.

[91]      Il prétend qu'il a toujours eu l'intention d'obtempérer aux ordonnances dans les délais, mais qu'il n'a pas été possible de le faire avant qu'il ne procède à l'abattage lui-même entre le 1er et le 10 juillet 1996.

[92]      La demanderesse a procédé ensuite à l'interrogatoire de M. Maurice Richard. Ce dernier a simplement témoigné sur la teneur d'une lettre qu'il a expédié au Dr Anderson, datée du 17 juin 1996, par laquelle il soumettait un projet de compensation pour le poulailler no 6 de la Ferme Avicole Héva Inc. Cette lettre constituait par ailleurs une admission de sa part que l'avis du 14 juin 1996, de destruction des poules quant à la Ferme Avicole Héva Inc., avait bel et bien été reçu par M. Richard au nom de la Ferme Avicole Héva Inc.



ANALYSE

[93]      D'entrée de jeu, il semble important de mentionner que je n'ai aucun doute à l'effet que les ordonnances datées du 3 juin 1996 et du 14 juin 1996 pour la destruction des poules avaient été légalement émises et étaient tout à fait légitimes dans les circonstances. Il semble que les délais mentionnés à chacune de ces ordonnances étaient peut-être un peu serrés, mais de toute façon, je n'ai pas autorité pour décider de la validité des dites ordonnances et à mon sens, les défenderesses étaient tenues de s'y conformer au meilleur de leurs capacités.

[94]      À cet effet, les motifs quant au non respect des dites ordonnances sont plus ou moins pertinents dans les circonstances et les prétentions d'ordre économique soulevées par les défenderesses, bien que paraissant tout à fait légitimes pour des entreprises de cette envergure, ne sont pas acceptables dans les circonstances.

[95]      La loi est très claire, elle permet d'émettre des ordonnances visant la destruction des animaux, et particulièrement le décès des personnes survenu suite à la contamination, justifiait amplement le ministère de prendre des mesures rapides et efficaces dans les circonstances.

[96]      Qu'en sont-ils des moyens? La Loi précise que le ministre a trois possibilités: il peut soit émettre une ordonnance à l'effet que le propriétaire des poules procède lui-même à la destruction des poules, procéder lui-même à l'élimination des poules, ou encore demander à un tiers de le faire.

[97]      Dans un premier temps, le ministère a privilégié ce qui était normal dans les circonstances, soit d'ordonner aux défenderesses de procéder elles-mêmes à l'élimination des poules dans un délai déterminé. Il aurait pu également prévoir les modalités d'exécution, ce qu'il a choisi de ne pas faire.

[98]      En fait, c'est principalement là où se situe le problème: si les modalités d'exécution avaient été précisées dans l'ordonnance, tout aurait été clair. Cependant, comme les modalités n'étaient pas prévues et que les témoins de la demanderesse ont réaffirmé, à plusieurs reprises, tant dans leur correspondance que dans leurs témoignages oraux, qu'il revenait aux défenderesses de soumettre un plan d'abattage, cela remettait entre les mains des propriétaires, la responsabilité d'établir un plan d'abattage qui permette de disposer des troupeaux de façon sécuritaire et dans le respect de la santé des animaux et de la santé publique, mais en même temps, ce plan devait être approuvé par Agriculture et Agroalimentaire Canada.

[99]      Les dispositions de l'article 48, invoquées en l'instance, ne précisent pas qu'en l'absence de modalité d'exécution prévue dans l'ordonnance, les propriétaires des troupeaux contaminés doivent préparer différents plans d'abattage jusqu'au moment où les défenderesses trouvent elles-mêmes la solution et qu'elle soit finalement approuvée par Agriculture et Agroalimentaire Canada.

[100]      Cette apparente flexibilité a été en fait la cause du problème. Comme le temps passait et que le délai du 12 juin 1996 était maintenant passé, Agriculture et Agroalimentaire Canada s'est impatienté et son préposé a finalement décidé de procéder elle-même à l'abattage des troupeaux.

[101]      Encore une fois, cette décision est tout à fait légitime dans les circonstances; cependant, un certain nombre de points non éclaircis me préoccupent et m'amènent à conclure que la demanderesse a négligé de faire la preuve de certains faits essentiels devant moi.

[102]      En fait, M. Anderson qui semble par ailleurs très compétent et être bien au fait du problème posé par l'élimination des troupeaux dans le présent dossier, a mentionné clairement qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada n'avait pas la solution quant à l'élimination de ces troupeaux et qu'ils avaient eux-mêmes procédé un peu à tâtons dans les discussions entre les membres de leur personnel et les représentants des défenderesses.

[103]      Ce témoignage en soit démontre bien que si Agriculture et Agroalimentaire Canada qui est responsable de l'application de la Loi sur la santé des animaux et de la protection de la santé publique, en pareille circonstance ne sait pas comment procéder à l'abattage d'un pareil troupeau et qu'elle n'a aucune expérience en ce domaine, il était difficile de concevoir qu'en l'espace de quelques jours, les défenderesses pourraient elles-mêmes découvrir ce que les spécialistes eux-mêmes ignoraient.

[104]      Je mentionne au passage également que Maheu et Maheu Inc. qui sont des spécialistes de la gestion parasitaire et de l'élimination de parasites et d'animaux contaminés, ne savaient même pas comment procéder eux-mêmes en pareille circonstance.

[105]      Ceci étant dit, cela n'enlève rien à l'obligation qui était faite puisque le temps courrait et que certaines personnes étaient déjà décédées vraisemblablement suite à la contamination.

[106]      Un autre élément très important qui m'a préoccupé est celui à l'effet que le Dr Anderson a clairement mentionné que le transport et l'élimination des carcasses étaient aussi importants que l'élimination des troupeaux eux-mêmes. Il a mentionné, à plusieurs reprises, que jamais on n'aurait procédé à l'abattage si le transport et l'élimination des carcasses n'avaient pas également été prévus.

[107]      Cependant, la demanderesse a été dans l'impossibilité de fournir la moindre preuve à l'effet que des dispositions avaient été prises pour le transport et l'élimination des carcasses. J'ai été également surpris qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada n'ait pas prévu avoir du personnel sur place, du moins on ne m'en a absolument pas fait la preuve, pour s'assurer que l'exécution du travail était fait conformément à la loi et aux règlements.

[108]      Il a été longuement question de la nécessité d'une autorisation du ministère de l'Environnement du Québec pour l'enfouissement des carcasses des 110,000 poules, ce qui représente au bas mot plus de 110 tonnes de viande avariée dont on doit disposer, lesquelles contiennent des oeufs dont l'enfouissement semble représenter un danger pour la nappe phréatique.

[109]      Si cette question n'avait pas été réglée, il semble qu'on n'aurait pas pu procéder à l'abattage des poules le lendemain, et qu'à cet effet, les dépenses occasionnées par l'engagement de l'entreprise Maheu et Maheu Inc. auraient été en pures pertes et à cet effet, seul Agriculture et Agroalimentaire Canada devrait en être tenu responsable, et en aucun cas, les défenderesses.

[110]      Par ailleurs, un autre élément qui découle à la fois des faits et du droit, est encore plus préoccupant: la raison invoquée par la demanderesse pour ne pas procéder à l'abattage des poules, tel que prévu les 22 et 23 juin 1996, est l'émission de deux ordonnances d'injonction, l'une par Me Jean-Gilles Racicot, greffier de la Cour supérieure à Val d'Or, en date du 21 juin 1996, et l'autre par l'honorable juge Louis-Philippe Landry, juge de la Cour supérieure à Mont Laurier, en date du 21 juin 1996.

[111]      Cependant, à la lecture des deux ordonnances d'injonction, ces dernières ne couvraient qu'une petite partie du troupeau visé et qu'en fait, près de 80,000 poules visées par l'ordonnance de destruction pouvaient être détruites, alors que seulement environ 30,000 étaient visées par les ordonnances d'injonction; entre autres, l'injonction émise par Me Jean-Gilles Racicot, greffier de la Cour supérieure en date du 21 juin 1996, précisait que seul l'abattage au moyen de gaz dans les poulaillers (mon souligné), était visé par l'ordonnance dans le cas des poulaillers nos 6 et 7 à Rivière Héva. Comme l'abattage prévu devait se faire à l'extérieur des poulaillers, cela ne posait pas non plus de problème.

[112]      Au paragraphe 57 de son affidavit, M. Anderson précise et je cite:

Compte tenu des ordonnances de sauvegarde, des requêtes en injonction et des liens qui existent entre les défenderesses, j'ai demandé à Maheu et Maheu Inc. d'arrêter ses opérations et d'attendre que la Cour supérieure se prononce sur les requêtes en injonction.

[113]      La procureure de la demanderesse, en réplique à cet argument, a simplement mentionné que la raison pourquoi on n'avait pas procédé dans le cas des poules qui n'étaient pas couvertes par l'injonction était que, M. Anderson avait basé cette décision sur les liens qui existaient entre les défenderesses.

[114]      Comme la demanderesse a été incapable de préciser ce que voulait dire cette assertion, j'ai de la difficulté à croire pourquoi Agriculture et Agroalimentaire Canada qui avait investi près de $40,000 pour amener des équipes de personnes supposément fines prêtes à procéder à l'abattage, ne l'ait pas fait sous prétexte des "liens" entre les défenderesses, ceci n'est pas acceptable dans les circonstances.

[115]      En fait, Agriculture et Agroalimentaire Canada n'aurait sans doute pas besoin de justifier sa décision de ne pas procéder à l'abattage, c'est Agriculture et Agroalimentaire Canada qui est maître d'oeuvre; cependant, lorsqu'on présente une facture de $40,000 pour des frais d'une opération dont l'exécution a été décidée unilatéralement et pour laquelle la décision de ne pas procéder a elle aussi été prise unilatéralement, il est difficile de penser qu'on puisse imputer ces dépenses de $40,000, par ailleurs exagérées dans les circonstances, aux défenderesses qui n'ont participé ni à la décision de procéder, ni à la décision de ne pas procéder, si ce n'est pour une partie représentant moins de 30 pour cent du troupeau.

[116]      Pour des raisons évidentes, il n'apparaît pas utile de commenter les autres arguments présentés de part et d'autres, bien que la Cour prenne acte que la demanderesse avait réduit sa réclamation de la façon suivante, et me reportant à la page 5 de l'affidavit de M. Martin St-Pierre, la Cour prend acte des modifications aux sommes réclamées de la façon suivante: achat de bonbonnes pour le CO2, le chiffre doit se lire $627, soit une réduction de $1,000; l'achat de matériel (polythène, glacière, bidons, boyaux, contenants, bois, etc) est réduit à $1,177.06, soit une réduction de $2000; préparation/logistique avant les travaux, le montant de $5,500 devient $4,500, réduit de $1,000; administration, le paiement de $2,400 est réduit à $2,150, soit une réduction de $250; et les frais d'avocats sont éliminés complètement, soit une réduction de $1000 pour un grand total de $31,501.16 au lieu de $36,751.16, plus la TPS ramenée à $2,205.09, pour un grand total réclamé de $33,706.25.

[117]      Quant à moi, considérant la preuve faite devant moi sur la somme réclamée de $33,706.25, je considère que la somme devrait être diminuée encore sous d'autres chefs, notamment main-d'oeuvre en sous-traitance d'une somme de $2,000, préparation logistique avant les travaux réduite d'une somme supplémentaire de $2,000 et la main-d'oeuvre (personnel de Maheu et Maheu Inc.) devrait être également réduite de $5,000 et au niveau de l'administration on devrait soustraire un autre montant de $1,000, représentant une réduction totale de $10,000, laissant un solde de dépenses réellement approuvé de $21,501.16, plus TPS.

[118]      À la lumière de la preuve entendue, bien que la demanderesse ait prouvé le bien-fondé de l'émission des deux ordonnances, la demanderesse n'a pas réussi à démontrer que les sommes qu'elle a payées à Maheu et Maheu Inc. puissent être réclamées des défenderesses, en vertu des dispositions de la Loi sur la santé des animaux et notamment les articles 50 et 60 de la Loi.

[119]      Pour toutes ces raisons, l'action de la demanderesse est rejetée avec dépens.







                         Pierre Blais                          Juge


OTTAWA, ONTARIO

Le 5 octobre 2000

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