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Date : 20040809

Dossier : IMM-5279-03

Référence : 2004 CF 1086

Ottawa (Ontario), le 9 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                         BIBI WAJEELA HAFEEZ

ABDUL AZEEMUDEEN HAMID

ABDUL MOEEMODEEN HAMID

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 9 juin 2003 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger parce qu'ils n'avaient pas fourni suffisamment d'éléments de preuve crédibles.


FAITS

[2]                La demanderesse principale (la demanderesse) est une citoyenne du Guyana âgée de 38 ans. Ses deux fils, Abdul Azeemudeen Hamid et Abdul Moeemodeen Hamid, fondent leur demande sur la sienne. La demande de la demanderesse repose sur ses opinions politiques et ses origines raciales. Elle prétend craindre avec raison d'être persécutée par les partisans afro-guyaniens du African People's National Congress (le PNC), parce qu'elle est indo-guyanienne et qu'elle appuie le People's Progressive Party (le PPP). Elle exploitait une petite entreprise de transport au Guyana.

[3]                Elle soutient qu'elle a été victime d'agressions physiques et de vandalisme par les partisans afro-guyaniens du PNC, parce qu'elle a fourni ses véhicules de transport pour aider aux activités électorales du PPP. Elle allègue certains incidents particuliers, qu'elle attribue tous aux partisans du PNC :

(1)         le 10 avril 2001, son camion qui arborait des bannières du PPP et transportait des documents de campagne électorale a été brûlé et on a lancé des pierres contre sa maison;

(2)        en juin 2001, l'un de ses véhicules pour le transport de passagers a été endommagé à la gare routière de voyageurs; on lui a intimé, sous la menace d'un pistolet, de ne plus soutenir le PPP;

(3)        le 6 juin 2001, son fils aîné qui se rendait à l'école a été arrêté par des manifestants et battu;


(4)        en juillet 2001, alors qu'elle revenait d'un séjour au Canada, on est entré par effraction dans sa maison, on l'a violée et on a fouillé sa maison à la recherche de dépliants et de renseignements concernant le PPP.

[4]                Elle prétend également que la police guyanienne n'a pas donné suite à ses plaintes et n'est pas en mesure de la protéger. Elle est arrivée au Canada le 21 août 2001 et a demandé l'asile le même jour.

[5]                Après avoir entendu sa demande, la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas un témoin crédible, qu'elle n'avait pas soumis d'éléments de preuve corroborants pour établir le bien-fondé de sa demande et que son comportement ne correspondait pas à celui d'une personne qui craignait d'être persécutée au Guyana. Aux pages 3 et 4 de ses motifs, la Commission dit :

[...]

La jurisprudence révèle que le tribunal peut rejeter un témoignage non contredit s'il ne concorde pas avec les probabilités de l'affaire dans son ensemble. [...]

[...]

J'estime que ces énoncés conviennent en l'espèce. Dans la présente affaire, des documents manquent au dossier, documents qu'on aurait pu se procurer facilement ; six voyages ont été faits vers Toronto, soit en 1998, 1999, 2000, en janvier 2001, en mai 2001 et en juillet 2001, toutes choses qui posent un problème de crédibilité.

La Commission poursuit ainsi à la page 4 :


La demandeure a remis un rapport de police signé par un praticien et qui montre que son fils a été blessé [...] J'estime que le rapport montre que la demandeure savait qu'il lui incombait de fournir les documents en appui à ses allégations, si la demande est fondée sur la réalité. Pourtant, aucun autre document n'a été fourni. On a donné à la demandeure assez de temps pour qu'elle puisse expliquer comment, par exemple, elle n'a pas obtenu un rapport du médecin concernant le viol dont elle a été victime, étant donné que, selon son témoignage, elle a suivi des traitements médicaux après cette agression. Aucun document ne vient démontrer qu'elle a fourni son appui au PPP, que ce soit sous forme de lettres d'appui venant du politicien ou du parti pour lequel elle a prétendument travaillé, ou sous forme d'une carte de membre. Aucun rapport de police à propos de l'agression dont elle a été victime.

[6]                La Commission a tiré une conclusion défavorable des nombreux voyages que la demanderesse avait faits entre Toronto et le Guyana, et du fait qu'elle n'avait pas demandé l'asile à la première occasion. Aux pages 6 et 7, la Commission dit :

J'estime que les nombreux voyages qu'elle a faits à Toronto montrent que sa demande n'est pas fondée sur la vérité. La demandeure s'était déjà rendue à Toronto en 2001 avant que ne se produisent les prétendus événements d'avril 2001, soit quelques jours après son retour au Guyana. Elle s'est ensuite rendue à Toronto de mai à juin et est retournée au Guyana. Elle n'a pas expliqué pourquoi elle était retournée au Guyana après les événements d'avril. Selon son témoignage, elle a fait l'objet de plusieurs incidents de persécution durant son bref séjour en juin. En juillet 2001, les enfants l'ont accompagnée à Toronto ; elle est retournée au Guyana [...] Le dernier incident s'est produit le jour même de son retour au Guyana ; elle est revenue à Toronto trois semaines plus tard. Elle a fait sa demande d'asile quelques jours après. J'estime que les coïncidences chronologiques dans le déroulement de ces événements relèvent plus que du hasard.

ANALYSE


[7]                La question déterminante dans la présente demande est de savoir si la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse. La demanderesse soutient que la Commission n'a pas justifié ses conclusions quant à la crédibilité en renvoyant expressément et clairement à la preuve documentaire et aux autres éléments de preuve dont elle était saisie. La demanderesse prétend que la Commission a mal interprété ou omis de prendre en considération les éléments de preuve importants. La demanderesse maintient qu'il n'y a pas de contradiction importante dans son témoignage qui justifie une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[8]                Le défendeur prétend que la preuve documentaire objective n'est pas probante en l'espèce, compte tenu des réserves exprimées par la Commission quant à la crédibilité. Le défendeur soutient que la Commission a bel et bien tenu compte de la situation régnant au Guyana, mais qu'elle a conclu qu'il n'y avait pas de lien personnel entre la demanderesse et la situation décrite. Le défendeur affirme que la demanderesse ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de fournir des éléments de preuve crédibles à l'appui de sa demande. Le défendeur maintient que la Commission peut conclure que la preuve soumise par la demanderesse est insuffisante lorsque celle-ci omet de fournir les éléments de preuve disponibles à l'appui de son point de vue.

[9]                Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et de crédibilité tirées par la Commission est la décision manifestement déraisonnable. La Cour ne remplacera pas la décision de la Commission par la sienne, sauf si la décision de la Commission est manifestement déraisonnable. Voir les arrêts Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), et De (Da) Li Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F.).


[10]            Ayant examiné le dossier certifié, y compris la transcription d'audience et les motifs de la Commission, je suis incapable d'accepter que la Commission a mal interprété ou omis de prendre en considération les éléments de preuve importants soumis en l'espèce. La Commission montre clairement dans ses motifs qu'elle a rejeté la demande en raison de ses réserves quant à la crédibilité de la demanderesse. La demanderesse n'a produit presque aucun document à l'appui de ses allégations, bien qu'elle ait montré qu'elle était au courant de leur importance, parce qu'elle a pris la peine de produire le certificat médical relatif à l'incident mettant en cause son fils.

[11]            La Commission avait des motifs raisonnables de douter de la crédibilité de la demanderesse puisque celle-ci a continué ses voyages entre le Guyana et Toronto, même après que les incidents de persécution au Guyana eurent, selon les allégations, commencé, et n'a pas fait sa demande d'asile à la première occasion à Toronto.

[12]            Il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que les six voyages que la demanderesse avait faits à Toronto avant le viol dont elle aurait été victime en août 2001 minaient la crédibilité de son allégation qu'elle avait de fait été violée et que ce viol était lié à ses activités politiques. La demanderesse voulait se rendre à Toronto pour des raisons n'ayant rien à voir avec sa demande d'asile, avant le viol dont elle aurait été victime.


[13]            Il était également raisonnablement loisible à la Commission de conclure que la demanderesse aurait produit un rapport de police et un rapport médical à l'appui de son allégation de viol ainsi qu'un rapport de police et un rapport d'assurance à l'appui de l'incident d'avril 2001, où l'on aurait mis le feu à l'un de ses autobus, si ces incidents s'étaient réellement produits. En conséquence, je conclus que la demanderesse n'a pas établi que les conclusions tirées quant à la crédibilité étaient manifestement déraisonnables.

QUESTION CERTIFIÉE PROPOSÉE

[14]            L'avocat de la demanderesse a proposé une question à certifier, laquelle consiste à déterminer s'il y a lieu pour la Commission d'ajourner une audience pour donner au demandeur la possibilité d'obtenir les documents nécessaires à l'appui de sa demande lorsque celui-ci a fourni des éléments de preuve montrant qu'il a fait des efforts raisonnables pour obtenir les documents en question et qu'il a besoin de plus de temps pour ce faire.

[15]            Le défendeur s'oppose à cette question parce que la réponse à cette question dépend des faits propres à chaque affaire.


[16]            Je suis convaincu que la Commission est tenue d'accorder un ajournement si le demandeur explique qu'il a tenté d'obtenir des documents à l'appui de sa demande et qu'il a besoin de plus de temps pour les obtenir. En l'espèce, la demanderesse avait amplement de temps pour produire les rapports de police et le rapport médical; elle savait que ces rapports étaient requis; et, chose plus importante encore, elle n'a pas demandé d'ajournement ou la possibilité de produire ces rapports après l'audience. En conséquence, la question proposée n'est pas une « question grave de portée générale » n'ayant pas déjà été réglée, et, de toute façon, il ne s'agit pas d'une question déterminante en l'espèce parce que la demanderesse n'a pas demandé d'ajournement ou plus de temps pour produire les documents. Pour ces motifs, aucune question ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Michael A. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5279-03

INTITULÉ :                                                    BIBI WAJEEL HAFEEZ ET AL.

c.                                                                                 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 5 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 AOÛT 2004        

COMPARUTIONS :

Donald Greenbaum                                            POUR LA DEMANDERESSE

Lori Hendriks                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Donald Greenbaum                                            POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


                         COUR FÉDÉRALE

                              Date : 20040809

                              Dossier : IMM-5279-03

ENTRE :

BIBI WAJEEL HAFEEZ ET AL.

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                 défendeur

                                                          

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                         


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