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                                                                                                                                 Date : 20040630

                                                                                                                    Dossier : IMM-1942-03

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 921

ENTRE :

                                                              DEV SINGH GILL

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a tranché, en date du 10 mars 2003, que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une « personne à protéger » , selon les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[2]         Dev Singh Gill (le demandeur) est un Sikh Jat et un citoyen de l'Inde qui prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait des opinions politiques qui lui ont été imputées. Il allègue également avoir qualité de personne à protéger.


[3]         La Commission a jugé que le demandeur n'avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger parce que ses prétentions n'étaient pas crédibles.

[4]         Après avoir examiné la preuve, j'estime que la Commission a fait de nombreuses inférences à partir d'une interprétation erronée de la preuve.

[5]         Premièrement, la Commission a estimé que le demandeur n'était pas crédible parce qu'il avait omis d'inclure certains détails dans l'exposé des faits de son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Particulièrement, la Commission souligne que le demandeur a témoigné que la police lui avait demandé de lever les bras au-dessus de la tête lors de l'incident d'octobre 1999 et qu'elle avait fouillé son taxi. Toutefois, une lecture attentive de la transcription de l'audience révèle que le demandeur n'a jamais dit que la police avait fouillé son taxi. On peut lire ce qui suit dans la transcription de l'audience (à la page 294 du dossier du tribunal) :

[traduction]

Agent de la protection des réfugiés (s'adressant au demandeur)

Q.            Pouvez-vous nous dire ce qui est arrivé en octobre 1999?

R.            [...] Ils ont frappé à la porte, à ma porte et ils ont ouvert. La première chose qu'ils ont dit a été : « Mettez les mains sur la tête » . Ensuite, ils m'ont demandé mon nom, si mon nom était Dev Singh [¼]

Après cela, ils (inaudible), ils m'ont demandé quel était mon travail. Je leur ai répondu que je conduisais un taxi et que je travaillais aussi en agriculture. [¼] Ils m'ont demandé où était le taxi que je conduisais. Je leur ai dit où il était stationné.

Ils ont fouillé toute la maison, ils ont vérifié où se trouvait le taxi, ainsi que les papiers et documents. Durant ce temps, la police m'a harcelé, [¼]


[6]         À la lecture de cette partie de la transcription, on constate que le demandeur n'a pas déclaré que le taxi avait été fouillé par la police mais que c'est la Commission elle-même qui a fait cette inférence. Par conséquent, même s'il est vrai que le demandeur n'a pas mentionné dans son FRP que la police lui avait demandé de mettre les mains sur la tête, la conclusion de la Commission quant à la crédibilité était en partie fondée sur une inférence erronée faite à partir du témoignage du demandeur.

[7]         Deuxièmement, la Commission a estimé que, lors de son témoignage à propos du traitement qu'il avait subi durant sa détention en octobre 1999, le demandeur n'avait pas parlé, jusqu'à ce qu'on l'y incite, du lourd cylindre qu'on lui avait passé sur les cuisses. La transcription de l'audience révèle que, en réponse aux questions de l'agent de la protection des réfugiés concernant la torture dont il a été victime au cours de sa détention en octobre 1999, le demandeur a décrit très brièvement les sévices subis. Au moment où il décrivait le traitement qu'on lui a fait subir, l'échange suivant a eu lieu (page 302 du dossier du tribunal) :

[traduction]

Demandeur

Avec la corde, ils m'ont pendu la tête en bas. Ils ont continué de me torturer. J'ai continué de leur dire que ce n'était pas ma faute, mais ils n'ont pas cessé de me torturer. Ils arrêtaient cinq minutes puis recommençaient. Après un certain temps, j'avais tellement mal que je ne sentais plus la douleur.           

Agent de la protection des réfugiés (s'adressant au demandeur)

Q.             Vous avez écrit qu'ils ont utilisé un cylindre lourd. Qu'entendez-vous par cela?

R.            Premièrement, ils m'ont pendu la tête en bas et m'ont roué de coups. Le lendemain, ils m'ont attaché les jambes ensemble et m'ont abandonné sur le plancher pendant (inaudible), avec les pouces dans les orteils qu'ils avaient attachés avec une corde, avec un cordon. J'avais les mains attachés dans le dos. Je peux vous dire que c'étaient des policiers costauds, forts et de grande taille. Il a passé ses jambes dedans et l'a mis sur mon postérieur et m'a forcé à rester debout comme cela.

Vous parliez ensuite du cylindre en bois, il l'a mis sur ma cuisse¼

Interprète

Il indique du doigt sa cuisse.

Demandeur

Ils vous font tenir debout et ils le font rouler dans les deux sens. Une personne sur le côté aidait à le faire rouler dans les deux sens.

Agent de la protection des réfugiés (s'adressant au demandeur)

Q.            Qu'est ce qu'un cylindre? À quoi cela ressemble-t-il?

R.            C'est en bois et c'est rond.


Q.            Quelle grosseur a-t-il?

R.            Il est long comme cela et large comme cela.

[8]         Compte tenu de ce témoignage, je ne crois pas que la Commission pouvait raisonnablement inférer que le demandeur manquait de spontanéité. Il décrit le traitement qu'il prétend avoir subi lorsqu'il était en Inde; il expose en détail les incidents qui l'ont amené à demander l'asile au Canada. Alors qu'il décrit les incidents nerveusement, l'agent de la protection des réfugiés lui demande tout simplement d'en dire un peu plus au sujet du cylindre dont il avait parlé dans l'exposé des faits de son FRP. Même si le demandeur était très pris par la description des événements, la transcription de l'audience ne laisse d'aucune façon croire que, pour qu'il parle du cylindre, on a dû l'y inciter. Par conséquent, j'estime qu'il était déraisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur n'était pas crédible parce qu'il manquait de spontanéité.

[9]         Troisièmement, la Commission a jugé que l'affidavit du sarpanch ne fournissait pas certains détails. Particulièrement, la Commission fait allusion au FRP et au témoignage du demandeur où il a déclaré qu'il était possible qu'un mandat d'arrêt ait été lancé contre lui et que, au nombre des conditions de sa mise en liberté en novembre 2001, on lui a interdit de quitter la région sans la permission de la police. La Commission n'a accordé aucune valeur probante à l'affidavit du sarpanch parce qu'il n'y est fait aucune mention du mandat d'arrêt ou de cette condition de mise en liberté. La conclusion de la Commission relativement à ses omissions dans l'affidavit du sarpanch est sans fondement. On peut lire ce qui suit dans la transcription de l'audience, à la page 333 du dossier du tribunal :

Président de l'audience (s'adressant au demandeur)

Q.             Vous avez dit que si vous retournez en Inde, la police du Panjab vous cherchera encore. Y a-t-il un mandat encore valable contre vous?

R.           Il est possible qu'un mandat ait été lancé après cela. Ils ne m'ont pas traduit en justice. Ils m'ont gardé en détention illégale.


Q.            S'il y avait un mandat encore valide contre vous, ne pensez-vous pas que votre sarpanch l'aurait mentionné?

R.            Je ne peux rien dire à ce sujet. Je ne sais pas pourquoi. Je ne peux pas vous le dire.

[10]       Le demandeur n'a jamais affirmé qu'il existait un mandat d'arrêt contre lui mais, en réponse à la question de la Commission, il a dit qu'il se pouvait qu'il en existe un mais qu'il ne le savait pas. Il est déraisonnable de la part de la Commission de conclure à partir de cela que le demandeur a déclaré qu'il existe un mandat d'arrêt contre lui et que le sarpanch aurait dû mentionner ce fait dans son affidavit. En outre, le fait que le demandeur ait été mis en liberté en novembre 2001 à la condition qu'il ne quitte pas la région sans la permission de la police constitue un détail secondaire qui ne rachète pas l'erreur que la Commission a commise relativement au mandat d'arrêt. Par conséquent, j'estime que la conclusion de la Commission relativement à l'affidavit du sarpanch est complètement déraisonnable.


[11]       Quatrièmement, la Commission a estimé que la lettre du médecin ne corroborait pas le témoignage du demandeur parce qu'il n'y est pas mentionné qu'il avait été blessé au bras droit et au bas des jambes lors de sa détention en octobre 1999. Le demandeur a déclaré lors de son témoignage qu'il avait été hospitalisé parce qu'il présentait de l'enflure et de la douleur au bras, dans le dos, à la plante des pieds, au bas des jambes et aux genoux. Selon le médecin qui a rédigé la lettre, le demandeur [traduction] « a été traité pour de multiples blessures aux tissus mous, des ecchymoses et des érosions au niveau du dos et des cuisses, de la raideur dans les articulations, de la sensibilité sur la face plantaire des pieds, de l'inflammation aux organes génitaux » (page 49 du dossier du tribunal). J'estime que la Commission a tiré une conclusion déraisonnable à partir du témoignage du demandeur et établi une incompatibilité non fondée entre les déclarations du demandeur et la lettre du médecin. Cette lettre est ambiguë et les termes « multiples blessures aux tissus mous » et « raideur dans les articulations » peuvent être interprétés de manière à inclure les blessures alléguées au bras et aux cuisses. Par conséquent, j'estime qu'il était déraisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur à partir d'une interprétation microscopique et erronée de la preuve.

[12]       Même si la Commission fait référence à la preuve documentaire pour déprécier les allégations selon lesquelles le demandeur était pris pour cible par la police parce qu'il faisait censément partie des mouvements terroristes du Jammu et du Cachemire, cela n'en constitue pas la preuve au dossier. En outre, malgré le fait que la preuve laisse croire que le mouvement militant en Inde a atteint son apogée dans les années 1980 et au début des années 1990 et que, depuis 1995 ou 1996, la vie au Panjab est redevenue normale, cela ne met directement en doute les allégations du demandeur. Ce dernier a expliqué que malgré le changement de situation, ses problèmes découlaient des mouvements terroristes du Jammu et du Cachemire et du fait qu'il était la victime de la police.

[13]       Pour ces motifs, je suis d'avis que, malgré l'argumentation fort habile de l'avocat du défendeur, la Commission en est arrivée à sa décision sur le fondement d'un trop grand nombre de conclusions tirées à partir d'une interprétation microscopique, exagérée et erronée de la preuve. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur celle-ci.

                                                                                                                                    « Yvon Pinard »             

                                                                                                                                                     Juge                       

OTTAWA (ONTARIO)

Le 30 juin 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-1942-03

INTITULÉ :                                                                DEV SINGH GILL

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 8 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                               LE 30 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Ethan Friedman                                                             POUR LE DEMANDEUR

Ian Demers                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ethan Friedman                                                             POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


                                                                                                                                 Date : 20040630

                                                                                                                    Dossier : IMM-1942-03

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

                                                              DEV SINGH GILL

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a tranché, en date du 10 mars 2003, que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une « personne à protéger » , selon les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur celle-ci.

                                                                                                                                    « Yvon Pinard »             

                                                                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.

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