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Date : 19990406


Dossier : IMM-2178-98

ENTRE :


AHMAD SHAH SAYAR,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS D"ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) selon laquelle la demandeur, Ahmad Shah Sayar, n"est pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur est un citoyen de l"Afghanistan et il soutient qu"il craint d"être persécuté tant en Afghanistan qu"en Slovaquie.

[2]      Le demandeur est arrivé au Canada en août 1996. À l"époque, il soutenait qu"il craignait d"être persécuté en Afghanistan.

[3]      Selon le formulaire du renseignements personnels du demandeur daté du 7 octobre 1996 et le récit qu"il contient, le demandeur est né en Afghanistan en 1967. Il a fait partie de l"armée de 1985 jusqu"à ce qu"il soit démobilisé, en 1987. Par la suite, il a été admis à la Faculté de médecine de l"Université de Kaboul, où il a étudié pendant un an.

[4]      En 1989, le demandeur s"est rendu en Tchécoslovaquie après avoir reçu une bourse d"études du gouvernement de l"Afghanistan qui lui permettait de poursuivre ses études. Il a été admis à la Faculté de pharmacie de l"Université Cominus, à Bratislava, une ville qui, à l"époque, faisait partie de la Tchécoslovaquie, mais qui, depuis 1993, fait partie de la Slovaquie. Il a terminé ses études en 1995, obtenant un diplôme qui, semble-t-il, équivaut à une maîtrise en pharmacie.

[5]      À la fin de ses études en 1995, le demandeur, ayant épuisé sa bourse d"études, ne pouvait plus poursuivre celles-ci. Il a trouvé du travail dans une pharmacie de Bratislava. Il y a travaillé à temps plein de juin à décembre 1995, alors qu"il est rentré en Afghanistan en raison de la maladie de mère. Il dit que la situation qui régnait alors en Afghanistan était dangereuse pour lui, vu les liens qu"il avait eus avec l"ancien gouvernement du pays. Il s"est enfui au Pakistan et, de là, il est venu au Canada.

[6]      Dans son formulaire de renseignements personnels, le demandeur dit qu"il n"a jamais obtenu le statut de réfugié. Dans le récit qui accompagne son formulaire de renseignements personnels, le demandeur dit qu"après 1995, il ne pouvait retourner en Slovaquie vu qu"il avait terminé ses études. Cette déclaration donne l"impression qu"il avait été permis au demandeur de demeurer en Slovaquie de 1989 à 1995 pour la seule raison qu"il était un étudiant à l"époque.

[7]      En fait, le demandeur a déjà obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention en Slovaquie, le 29 novembre 1994. Il a admis à l"audition devant la SSR qu"il savait que la Slovaquie avait accueilli sa revendication du statut de réfugié. Invité à expliquer pourquoi il avait déclaré dans son formulaire de renseignements personnels qu"il n"avait jamais obtenu le statut de réfugié, il a dit que l"agent qui l"avait fait passé clandestinement du Pakistan au Canada l"avait avisé que s"il disait la vérité, il serait renvoyé en Slovaquie.

[8]      Par ailleurs, le demandeur paraît avoir toujours été libre de retourner en Slovaquie. Voici une partie d"une lettre qu"un responsable de l"ambassade de la République slovaque a télécopiée à l"avocat du demandeur le 10 septembre 1997 :

         [TRADUCTION] [...] conformément à la Loi sur les réfugiés de 1997, une personne qui a obtenu le statut de réfugié dans la République slovaque a obtenu le même statut que celui d"un citoyen de la République slovaque, ce qui signifie que M. Sayar Ahmed Shah a le droit de s"établir dans la République slovaque en tant que résident permanent, qu"il a dorénavant le droit de retourner dans la République slovaque, et que son permis de résident permanent de la République slovaque peut être renouvelé n"importe quand.         

[9]      Le demandeur a soutenu à l"audition devant la SSR qu"il a été surpris par cette information quand il l"a reçue en septembre 1997, étant donné qu"en août 1996, alors qu"il se trouvait au Pakistan, on l"avait avisé à l"ambassade slovaque à Islamabad qu"il n"avait pas le droit de retourner en Slovaquie. Le demandeur ne connaissait pas le nom de la personne qui lui avait donné ce renseignement, mais il se souvenait d"avoir obtenu ce renseignement dans le cadre d"un entretien téléphonique qu"il avait eu avec une personne qui devait être en autorité car il avait dû attendre longtemps avant de lui parler.

[10]      Après que son statut en Slovaquie a été établi, le demandeur a revendiqué le statut de réfugié en invoquant un nouveau motif, soit la crainte qu"il avait d"être persécuté en Slovaquie par des " skinheads " et de ne pas bénéficier de la protection des autorités slovaques. Il a soumis un deuxième récit daté du 12 novembre 1997 pour étayer cette revendication.

[11]      La SSR a traité seulement de la revendication du demandeur relative à la Slovaquie et elle l"a rejetée. La décision est résumée de la façon suivante à la page 3 des motifs de décision :

         [TRADUCTION] Aucun élément de preuve crédible ou fiable ne permet d"étayer une conclusion favorable à M. Ahmad Shah Sayar en ce qui concerne la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention qu"il a déposée. La formation a conclu que le revendicateur, après avoir obtenu la protection internationale en Slovaquie en tant que réfugié, tente de s"établir au Canada en y revendiquant le statut de réfugié. Les réfugiés qui ont obtenu la protection de l"un ou l"autre des pays signataires de la Convention sont libres de s"établir dans tout autre pays pour des raisons de nature économique ou autre. La question relève alors de l"immigration et elle n"a rien à voir avec la protection internationale accordée aux réfugiés.         

[12]      La principale raison pour laquelle la revendication que le demandeur a déposée en ce qui concerne la Slovaquie a été rejetée est que celui-ci n"a pas été jugé crédible. L"appréciation défavorable de la crédibilité du demandeur ne contient aucune erreur.

[13]      Les membres de la formation de la SSR ont été grandement influencés par les déclarations mensongères initiales du demandeur à propos du statut de réfugié qu"il a obtenu en Slovaquie. Les réserves qu"ils ont faites à cet égard étaient justifiées vu l"importance de ce fait en ce qui concerne la validité de la revendication du demandeur relative à l"Afghanistan. Les membres de la SSR ont estimé qu"il n"était pas plausible qu"une personne bien instruite comme le demandeur soit induite en erreur par un appel téléphonique à l"ambassade slovaque à Islamabad ou qu"une telle personne suivrait le conseil d"un passeur selon lequel elle devait mentir concernant son statut en Slovaquie, même après avoir consulté un avocat au Canada. Ils ont conclu que le demandeur a délibérément passé sous silence le fait qu"il a obtenu le statut de réfugié en Slovaquie de sorte qu"il ne soit tenu compte que de la revendication qu"il a déposée relativement à l"Afghanistan. À mon avis, les motifs qu"ils ont exposés pour expliquer pourquoi ils n"ont pas cru le demandeur ne sont aucunement déraisonnables.

[14]      Les membres de la SSR n"ont pas non plus agi de façon déraisonnable en se servant de cette conclusion pour étayer leur conclusion selon laquelle le reste du témoignage du demandeur ne pouvait constituer une fondement fiable de sa revendication relative à la Slovaquie. Ils semblent avoir considéré que ses affirmations selon lesquelles il avait été attaqué en Slovaquie à plusieurs reprises étaient véridiques. Cependant, ils n"ont pas accepté que le demandeur avait établi que les attaques n"étaient pas que de simples attaques faites au hasard et des actes criminels, mais plutôt des attaques motivées par le fait que le demandeur appartenait à un groupe particulier. Ils pouvaient tirer une telle conclusion sur le fondement du dossier.

[15]      L"avocat du demandeur a soutenu que la SSR a omis de tenir compte du témoignage d"un témoin objectif, une femme slovaque qui connaissait le demandeur. Elle a témoigné que d"après ce qu"elle avait déjà vu, les " skinheads " slovaques s"en prennent aux Tziganes et à d"autres personnes dont la peau et les cheveux sont foncés et qui ne ressemblent pas physiquement aux Slovaques, et les autorités policières ne prennent aucune mesure en particulier dans de tels cas. Elle a également témoigné qu"elle n"avait jamais entendu parlé de l"arrestation d"un " skinhead " pour un quelconque motif. Il est vrai que la SSR n"a pas mentionné ce témoignage. Cependant, il ne s"ensuit pas qu"elle n"en a pas tenu compte. La SSR n"a pas commis d"erreur en y accordant peu de poids, voire aucun.

[16]      L"avocat du demandeur a également soutenu que la SSR avait commis une erreur en qualifiant de façon erronée la revendication du demandeur relative à la Slovaquie. La SSR a estimé que cette revendication était fondée sur une crainte de demandeur d"être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit celui des personnes " perçues comme étant des Tziganes ". En fait, il décrit le groupe dans sa revendication comme étant celui des personnes qui sont [TRADUCTION] " perçues comme étant des Tziganes ou qui sont des étrangers à la peau foncée ". Dans son témoignage, le demandeur attribue effectivement les attaques dont lui et d"autres personnes qu"il connaît ont fait l"objet au fait qu"ils appartiennent à ce groupe plus important. Cependant, je ne peux accorder aucune importance à cette diminution apparente de l"étendue de la catégorie des personnes visées. Même si la SSR avait correctement décrit cette catégorie dans ses motifs de décision, la décision qu"elle a rendue aurait été la même, vu les autres conclusions qu"elle a tirées.

[17]      La SSR n"a pas tiré de conclusion sur la question de savoir si la crainte du demandeur d"être persécuté en Afghanistan était fondée. L"avocat du demandeur a laissé entendre que cela indiquait que la SSR acceptait que la crainte de son client était fondée. Je ne suis pas d"accord que la SSR a accepté cela ni qu"elle a même considéré cette question. Il me semble plutôt que la SSR a conclu que le demandeur ne pouvait revendiquer le statut de réfugié au Canada parce qu"il craignait d"être persécuté en Afghanistan, même si sa crainte d"y être persécuté était fondée, vu son droit inconditionnel de retourner en Slovaquie et vu qu"il a le même statut que tout autre citoyen de ce pays.

[18]      Cette conclusion me semble fondée. Pour ce qui est de sa revendication relative à l"Afghanistan, le demandeur est visé par la section E de l"article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés , dont voici le libellé :

         Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.         

[19]      Cette disposition a été incorporée par renvoi à la définition de " réfugié au sens de la Convention " que contient la Loi sur l"immigration, de sorte que toute personne visée par cette description n"est pas, par définition, un " réfugié au sens de la Convention " au sens de la Loi sur l"immigration relativement à tout pays autre que le pays dans lequel elle a le droit décrit à la section E.

[20]      En l"espèce, cela est suffisant pour rejeter la revendication du demandeur relative à l"Afghanistan. Sa revendication relative à la Slovaquie n"est pas visée par la section E de l"article premier de la Convention, mais elle a été rejetée pour d"autres motifs auxquels j"ai déjà renvoyé.

[21]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune ordonnance ne sera rendue avant que la question de savoir si la présente affaire soulève une question méritant d"être certifiée ait été examinée.

[22]      L"avocat du demandeur pourra faire des observations sur cette question qu"il devra déposer et signifier au plus tard le 16 avril 1999. Toute réponse de l"avocat du défendeur devra être déposée et signifiée au plus tard le 21 avril 1999.


" Karen R. Sharlow "

                                         juge

Ottawa (Ontario)

Le 6 avril 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  IMM-2178-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          AHMAD SHAH SAYAR c. MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :              le 4 mars 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU :                  6 avril 1999

ONT COMPARU :

Rodney L.H. Woolf                              POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Rodney L.H. Woolf                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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