Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                           Date : 20011114

                                                                                                                             Dossier : IMM-6307-99

                                                                                                        Référence neutre : 2001 CFPI 1246

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                                      QIO JIAN BIN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


1.                    Il s'agit en l'espèce d'une demande présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications, dans le but d'obtenir le contrôle judiciaire visé à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) a refusé, le 14 décembre 1999, de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention au demandeur.

2.                    Le demandeur, un citoyen de la Chine, était âgé de 17 ans au moment où la SSR a rendu sa décision. Il prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social - sa famille - et de ses prétendues opinions politiques.

3.                    En juin 1999, le père du demandeur a eu un différend avec les autorités chinoises quand il a refusé de payer ses taxes municipales. Les autorités locales l'ont menacé et ont saisi un certain nombre d'objets appartenant à la famille. Le père a porté plainte auprès d'une cour locale, accusant le gouvernement d'imposer des taxes illégales, de se livrer à du harcèlement et de saisir illégalement ses biens. Aucune mesure n'a été prise à la suite de cette plainte. Le demandeur prétend que les autorités ont saccagé la maison de sa famille et ont proféré des menaces à l'endroit de celle-ci. Il s'est ensuite vu refuser l'accès à l'école.

4.                    Le 12 juillet 1999, le père du demandeur a été arrêté chez lui. Le demandeur et sa mère étaient alors absents. Le demandeur a été envoyé chez sa grand-mère et des dispositions ont été prises afin qu'il puisse quitter la Chine. Le père a passé près d'un mois en prison, au cours duquel il a été battu. Le demandeur a appris qu'il était lui-même recherché par la police.


5.                    Le demandeur a été emmené au Canada par des membres d'un groupe criminel organisé, les Snakeheads. Il est arrivé à Vancouver en août 1999. Après avoir passé deux semaines dans cette ville, il a été emmené à Toronto et enfermé dans une chambre d'hôtel. Le 2 septembre 1999, il a été placé en détention à la frontière canado-américaine après avoir été capturé avec neuf autres personnes en tentant d'entrer illégalement aux États-Unis.

6.                    En plus de prétendre craindre d'être persécuté à cause des problèmes fiscaux de son père, le demandeur soutient qu'il est un réfugié sur place parce que le gouvernement chinois considérera qu'il a exprimé une opinion politique en quittant la Chine illégalement et en revendiquant le statut de réfugié. Il prétend qu'il sera sévèrement puni s'il est renvoyé en Chine. Le fait que les médias aient parlé de son arrestation et de l'audience de la SSR accroît sa crainte.

7.                    En vertu d'une entente, des arguments ont été présentés dans neuf autres demandes de contrôle judiciaire qui ont été entendues en même temps que celle du demandeur. Des motifs particuliers portent spécifiquement sur cette question et sont joints aux présents motifs, à l'appendice A. La prétention concernant le statut de réfugié sur place a été rejetée.

8.                    La SSR a attaqué la crédibilité du demandeur à cause d'un certain nombre d'incohérences contenues dans sa preuve.

[Traduction]

-                 Le demandeur a indiqué dans son témoignage qu'il s'était réfugié chez sa grand-mère quand son père avait été arrêté. Or, il a dit plus tard qu'il était allé chez sa grand-mère lors de la libération de son père. Aucune explication claire n'a été donnée au sujet de cette divergence.

-                 Le demandeur a indiqué dans son témoignage que la police avait commencé à le prendre pour cible alors qu'il était toujours en Chine. Il a par contre dit un peu plus tard que la police avait commencé à s'intéresser à lui après son départ.

-                 Le demandeur a déclaré que les autorités étaient allées chez lui une fois seulement avant l'arrestation de son père. Or, il a affirmé plus tard qu'elles y étaient allées trois fois. Le tribunal a rejeté son explication selon laquelle il avait d'abord parlé de policiers en uniforme et, ensuite, de policiers en civil.


-                 Le demandeur a donné des réponses divergentes et a échafaudé des hypothèses lorsqu'on lui a demandé pourquoi il croyait que la police chinoise voulait l'arrêter. Il a aussi indiqué dans son témoignage que la police n'avait jamais dit qu'elle avait l'intention de l'arrêter. Selon les notes prises au point d'entrée (PE), il aurait dit à l'agent qu'il n'était pas recherché par la police. Après avoir écrit dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'il n'était pas recherché, il a ensuite modifié ce document pour écrire le contraire.

-                 Il est indiqué dans les notes manuscrites jointes au document rédigé au PE que le demandeur est venu au Canada pour travailler et pour étudier. Il n'est pas question d'une intention de revendiquer le statut de réfugié. À l'audience, le demandeur a expliqué que l'omission s'expliquait par le fait que l'agent d'immigration lui posait des questions au sujet de sa religion. Le tribunal était d'avis que de telles questions auraient dû amener le demandeur à faire part de son intention de revendiquer le statut de réfugié. Le demandeur a expliqué qu'on lui avait dit, quand il avait quitté la Chine, de suivre les instructions de ses passeurs. La Commission était d'avis que cela était incompatible avec une intention de revendiquer le statut de réfugié.

-                 Le demandeur avait convenu de produire les éléments de preuve suivants à la demande de la Commission : l'ordonnance lui interdisant d'aller à l'école, les plaintes écrites déposées par son père auprès de la cour locale et ses certificats scolaires. Or, il n'a produit aucun de ces documents.

9.                    Ayant relevé toutes ces contradictions, la SSR a conclu que le demandeur n'était pas un témoin crédible.

PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR


10.              Le demandeur prétend que la SSR n'a pas suivi les directives de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié intitulées Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié[1], en s'attendant de manière déraisonnable à ce qu'il se souvienne de détails précis se rapportant à sa revendication. Bien que le demandeur n'ait pas été en mesure de dire combien de fois les policiers ou les percepteurs de taxes étaient venus chez lui, il a donné une explication raisonnable en disant que ces personnes se présentaient parfois en uniforme parfois en civil et qu'elles étaient venues chez lui avant et après l'arrestation de son père, et également après son propre départ de la Chine.

11.              Le demandeur rappelle que les notes prises au point d'entrée (PE) indiquent qu'il avait l'intention de revendiquer le statut de réfugié. De plus, il prétend que la SSR n'a pas tenu compte de son explication selon laquelle ses passeurs lui avaient recommandé de ne rien dire aux autorités à son sujet.

12.              Pour ce qui est de la modification apportée à son FRP, le demandeur soutient qu'il a fourni une explication raisonnable en disant que ce n'est qu'après avoir rempli son FRP qu'il a appris que la police avait cherché à savoir où il se trouvait. Il prétend également qu'une erreur de procédure a été commise quand le représentant de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a rempli son FRP. N'eût été de cette erreur, il n'aurait jamais eu besoin de modifier son FRP et n'aurait pas éveillé les soupçons de la SSR.

13.              Le demandeur fait valoir qu'il était déraisonnable pour la SSR de tirer une conclusion défavorable de son incapacité d'obtenir les documents qu'elle avait demandés, compte tenu de la situation financière de sa famille et du contexte dans lequel celle-ci était persécutée en Chine.


ANALYSE

14.              L'arrêt Aguebor c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732, au par. 4 (C.A.) (QL), (1993), 160 N.R. 315, est généralement considéré comme l'arrêt faisant autorité pour ce qui est de la norme de contrôle applicable aux conclusions de la SSR concernant la crédibilité :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

15.              Les Directives sur les enfants prévoient ce qui suit :

En général, les enfants ne sont pas capables de témoigner avec autant de précision que les adultes au regard du contexte, du moment, de l'importance et des détails d'un fait. Ils peuvent être incapables, par exemple, de témoigner au sujet des circonstances entourant leurs expériences passées ou de leur crainte de persécution future. De plus, les enfants peuvent manifester leurs craintes d'une manière différente d'un adulte[2].

[...]

Lorsqu'il évalue la preuve présentée au soutien d'une revendication du statut de réfugié d'un enfant, le tribunal devrait tenir compte de ce qui suit :

1.              Si l'enfant a témoigné de vive voix, le tribunal doit évaluer la valeur de ce témoignage. Le tribunal devrait, à cette fin, prendre en considération la possibilité qu'a eue l'enfant d'observer les faits, et sa capacité de les observer attentivement, de faire part de ce qu'il a vu et de s'en souvenir. Ces facteurs peuvent varier suivant l'âge de l'enfant, son sexe et ses antécédents culturels, ainsi que la crainte, les problèmes de mémoire, l'état de stress post-traumatique et la perception de l'enfant concernant la procédure de la SSR, entre autres.

2.              Il se peut qu'un enfant demandeur du statut de réfugié ne puisse exprimer une crainte subjective de persécution de la même manière qu'un demandeur adulte. Par conséquent, il faudra peut-être accorder plus de poids aux éléments objectifs qu'aux éléments subjectifs de la revendication. La Cour fédérale du Canada (Section d'appel) a dit ce qui suit sur cette question :


[...] il répugne de penser que l'on pourrait rejeter une demande de statut de réfugié au seul motif que le revendicateur, étant un enfant en bas âge [...], était incapable de ressentir la crainte dont les éléments objectifs sont manifestement bien fondés.

3.              Il peut arriver qu'il y ait des lacunes dans la preuve. Par exemple, l'enfant peut indiquer que des hommes en uniforme sont venus chez lui, mais être incapable de préciser de quel genre d'uniforme il s'agissait, ou encore ne pas connaître les opinions politiques des membres de sa famille. L'enfant peut, notamment en raison de son âge, de son sexe, de ses antécédents culturels ou d'autres caractéristiques, être incapable de témoigner au sujet de tous les faits. Dans ces cas, le tribunal devrait déterminer s'il est en mesure de déduire les détails de la revendication du témoignage présenté[3].

16.              Il est vrai que les Directives exhortent la SSR à tenir compte de la capacité des enfants qui revendiquent le statut de réfugié de se souvenir de faits et de détails et de les présenter, mais il n'était pas déraisonnable pour la SSR de s'attendre à ce qu'un revendicateur de 17 ans soit en mesure de dire combien de fois la police est allée chez lui avant que son père soit arrêté. En outre, la Cour d'appel fédérale a déjà statué que les conclusions relatives à la crédibilité qui sont fondées sur des incohérences et des contradictions internes constituent « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » : Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 481 (1992) (C.A.) (QL), 143 N.R. 238, à la p. 239 (C.A.F.). Compte tenu de la preuve dont elle disposait, la SSR pouvait raisonnablement conclure que les explications données par le demandeur au sujet des visites, à savoir quand elles ont eu lieu et qui est allé chez lui, étaient incohérentes[4].


17.              En réponse à l'avocat du demandeur, la SSR a fait expressément référence aux notes manuscrites jointes au document rédigé au PE et au témoignage du demandeur, et non au formulaire lui-même, quand elle a déclaré que le demandeur n'avait pas précisé qu'il revendiquait le statut de réfugié. Le tribunal a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n'avait pas dit à l'agent d'immigration qu'il avait l'intention de revendiquer le statut de réfugié, et qu'il avait indiqué qu'il venait au Canada pour travailler et étudier. La SSR pouvait raisonnablement en arriver à cette conclusion en se fondant sur la preuve dont elle disposait.

18.              Un examen de la transcription révèle que le demandeur a effectivement déclaré que ses passeurs lui avaient recommandé [traduction] « de ne rien dire » [5]. Mais cette déclaration a été faite dans le contexte de son itinéraire entre la Chine et le Canada, et non pour expliquer pourquoi il n'avait pas dit à l'agent d'immigration qu'il avait l'intention de revendiquer le statut de réfugié. Je ne peux donc pas conclure que la SSR a eu tort de ne pas tenir compte de ce facteur.

19.              Pour ce qui est de la modification du FRP, la Cour a déjà statué que la SSR peut tenir compte de modifications apportées à la dernière minute lorsqu'elle évalue la crédibilité d'un revendicateur : Kutuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1754, aux par. 8 et 9 (1re inst.) (QL), le juge Simpson. Le demandeur a expliqué que ce n'est qu'après avoir déposé son FRP qu'il a appris qu'il était recherché par les autorités chinoises. Il était raisonnable pour la SSR de rejeter cette explication puisque le demandeur avait déjà donné des versions contradictoires au sujet du moment à partir duquel les autorités voulaient l'arrêter.


20.              Le demandeur prétend qu'il a dû modifier son FRP parce que la CISR l'avait aidé à le remplir et qu'il était donc injuste que la SSR se fonde maintenant sur ce fait pour mettre en doute sa crédibilité. Avec respect, cette prétention contredit son allégation selon laquelle ce n'est qu'après avoir rempli son FRP qu'il a découvert qu'il était recherché en Chine. Si cela est vrai, la nécessité de modifier le FRP n'avait rien à voir avec l'aide de la CISR, et le demandeur n'a subi aucun préjudice en conséquence.

21.              En ce qui concerne les documents que le demandeur devait produire, la Cour a déjà statué que, lorsque le récit du revendicateur a été considéré comme invraisemblable, l'absence de documents corroborant ce récit peut être un élément à prendre en compte dans l'évaluation de la crédibilité. Dans l'affaire Syed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 357, au par. 15 (1re inst.) (QL), M. le juge MacKay n'a relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans un cas où :

Le tribunal a [...] indiqué qu'il n'était pas convaincu de l'explication donnée par le requérant pour expliquer qu'il n'avait produit aucun élément de preuve documentaire, de journaux locaux au Pakistan ou de lettres de son épouse avec laquelle il avait maintenu le contact après son arrivée au Canada, particulièrement à l'égard du meurtre du médecin ou à l'égard du harcèlement dont sa famille a été victime après son départ pour le Canada. Le requérant avait apparemment cherché à retrouver les articles de journaux sur le meurtre ou sur le procès de ceux qui selon lui avaient été arrêtés, mais la formation a jugé qu'il lui aurait été raisonnable de demander à son épouse de lui faire parvenir ces coupures de journaux. Il n'en a présenté aucune. Bien qu'il eût prétendu avoir reçu quelques lettres de son épouse, il les a jetées. L'absence de tout document corroborant la version du requérant de l'agression contre le médecin et le meurtre de celui-ci ou de tout intérêt que continuait à lui porter les sunnites après son départ du Pakistan constituaient des facteurs sur lesquels le tribunal s'est fondé en partie pour conclure que le témoignage du requérant n'était pas crédible en ce qui concerne l'incident principal qui aurait entraîné son départ du Pakistan.

22.              En l'espèce, un certain nombre de contradictions et d'incohérences internes avaient jeté des doutes sur la revendication du demandeur. Par conséquent, la SSR pouvait tenir compte du défaut du demandeur de produire des éléments de preuve corroborant son récit lorsqu'elle a évalué sa crédibilité. En outre, il était raisonnable de s'attendre à ce que la famille ait en sa possession tous les documents demandés (certificats scolaires, ordonnance indiquant que le demandeur ne pouvait pas poursuivre ses études et copie de la plainte du père).


23.              À la lumière de l'analyse qui précède, la conclusion tirée par la SSR au sujet de la crédibilité ne justifiait pas l'intervention de la Cour. Les arguments du demandeur concernant le statut de réfugié sur place ont été rejetés dans des motifs séparés. Par conséquent, la présente demande est rejetée.

ORDONNANCE

Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Section du statut de réfugié le 16 décembre 1999, dont les motifs sont datés du 14 décembre 1999, est rejetée.

La question suivante est certifiée :

Lorsque le fait qu'un demandeur a présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est signalé dans les médias au Canada et que, en conséquence, le demandeur revendique le statut de réfugié sur place, est-il nécessaire, pour que ce statut lui soit reconnu, qu'il démontre :

a)          que les reportages des médias sont venus à l'attention des autorités du pays à l'égard duquel il prétend craindre avec raison d'être persécuté, et


b)          que les renseignements donnés dans les reportages étaient suffisants pour permettre aux autorités de l'identifier?

                                                                                                                                  « J. D. Denis Pelletier »      

                                                                                                                                                                 Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                                                                             Dossier : IMM-6307-99

                                                                                                                                            APPENDICE A

Réfugié sur place

24.              Les demandes de contrôle judiciaire présentées par dix demandeurs ont été entendues ensemble parce qu'elles soulevaient des questions identiques, notamment celle de savoir si les demandeurs étaient devenus des réfugiés sur place. Chacun des demandeurs avait revendiqué le statut de réfugié devant la Section du statut de réfugié (SSR) parce qu'il prétendait craindre avec raison d'être persécuté à cause de ses prétendues opinions politiques et de son statut de réfugié sur place découlant des reportages parus dans les médias sur son arrestation, sa détention et sa revendication subséquente du statut de réfugié. Des enregistrements sur bandes vidéo de reportages diffusés à la télévision et deux articles parus dans des journaux ont été présentés à la SSR. Les demandeurs prétendaient qu'à cause de ces reportages et de ces articles les autorités chinoises sauraient qu'ils avaient revendiqué le statut de réfugié au Canada et considéreraient les revendications comme des déclarations politiques contre le régime chinois. Les demandeurs soutiennent également qu'ils seront sévèrement punis pour avoir quitté la Chine illégalement. Ils n'ont produit aucune preuve démontrant que les autorités chinoises les traiteraient différemment par suite des reportages faisant état de leurs revendications du statut de réfugié.

25.              Les présents motifs s'appliquent à tous les demandeurs au regard de leur allégation selon laquelle la SSR n'a pas bien évalué leur revendication du statut de réfugié sur place.


26.              La SSR a indiqué que les questions suivantes étaient [traduction] « fondamentales » au regard du statut de réfugié sur place :

[traduction] La Chine serait-elle au courant de la présente revendication du statut de réfugié? Considérerait-elle qu'une personne qui quitte le pays illégalement et revendique le statut de réfugié exprime une opinion politique? Dans l'affirmative, quelles conséquences le revendicateur subirait-il[6]?

27.              La SSR s'est ensuite demandé si la peine que le gouvernement chinois infligerait aux demandeurs pour avoir quitté le pays illégalement équivaudrait à de la persécution au sens de la Convention. Elle a rappelé les principes énoncés dans l'arrêt Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 540, [1993] A.C.F. no 584 (C.A.) (QL), selon lesquels les lois ordinaires d'application générale sont présumées être valides et neutres et le demandeur doit démontrer que la loi en question revêt un caractère de persécution pour un motif prévu par la Convention[7]. La SSR a reconnu le principe voulant qu'une loi d'application générale puisse avoir un effet assimilable à de la persécution si la peine qu'elle prévoit est [traduction] « tout à fait disproportionnée par rapport à l'infraction commise » [8]. Elle a toutefois précisé qu'il faut que la peine disproportionnée soit liée à un motif prévu par la Convention pour que le statut de réfugié soit reconnu.


28.              Citant une Réponse à une demande d'information du 22 septembre 1999, la SSR a fait remarquer que les autorités chinoises disposent d'un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l'infliction de sanctions aux personnes ayant quitté le pays illégalement. Elle a toutefois souligné que le document n'indiquait pas qu'une peine d'emprisonnement de plus de trois ans pouvait être infligée et que la Chine pouvait considérer la sortie illégale du pays ou la revendication du statut de réfugié comme l'expression d'une opinion politique ou un facteur qui influerait sur la sanction. La SSR a cité le passage suivant :

[traduction] [...] le fait que les personnes qui sont rapatriées en Chine soient rarement emprisonnées s'explique par différents facteurs : l'importance du phénomène de l'immigration illégale de personnes de la province du Fujian, le nombre de personnes rapatriées en Chine après avoir vécu en Australie, au Japon, à Taïwan, aux États-Unis et dans d'autres pays, et l'influence considérable des Snakeheads[9].

29.              La SSR a aussi cité un extrait d'un rapport sur les pays publié en Australie en 1994 :

[traduction] En réponse aux reportages parus dans les médias selon lesquels les personnes rapatriées récemment dans la province du Fujian devaient payer des amendes élevées et fréquenter des centres de rééducation en cas de défaut de paiement, un représentant du Fujian a indiqué que ces personnes avaient été détenues dans un centre du BSP afin que leur identité et leur santé soient vérifiées. Elles seraient ensuite renvoyées dans la ville où elles habitaient, qui sont toutes situées dans la région de Fuzhou. De légères amendes leur seraient infligées. Même si le gouvernement les considérait comme des personnes ayant contrevenu à la loi, il était préférable de les voir comme des victimes du trafic illégal de migrants. Le représentant a reconnu que les récidivistes et les organisateurs ignobles seraient traités plus durement[10].


30.              Une autre Réponse à une demande d'information a été citée pour démontrer que les migrants qui retournent en Chine n'ont pas non plus de motifs objectifs suffisants de craindre d'être harcelés par les Snakeheads[11].

31.              La SSR a tiré les conclusions suivantes :

[traduction] En résumé, la loi chinoise régissant la sortie illégale du pays est une loi d'application générale qui, suivant les lignes directrices établies dans l'arrêt Zolfagharkhani, est présumée valide et neutre. Même s'il soutenait que le régime chinois est généralement oppressif, le revendicateur n'a pas réussi à démontrer que cette loi aurait sur lui un effet analogue à de la persécution liée à un motif prévu par la Convention. En conséquence, il importe peu que le revendicateur puisse être identifié sur les bandes vidéo produites en preuve et que la Chine soit au courant de la présente revendication du statut de réfugié[12].


32.              Les avocats des demandeurs prétendent que la SSR a commis une erreur lorsqu'elle a décidé qu'il importait peu de savoir si les demandeurs pouvaient être identifiés dans les reportages. M. Markaki a fait valoir que la SSR s'est seulement demandé si la peine prévue pour la sortie illégale était de la nature de la persécution, sans déterminer spécifiquement comment les revendications du statut de réfugié des demandeurs dont les médias avaient abondamment parlé allaient être considérées par les autorités chinoises et l'effet que cela pourrait avoir sur la peine qui leur serait infligée. Selon l'avocat, la SSR aurait dû examiner cette question [traduction] « même si elle ne disposait pas d'éléments de preuve documentaire précis, en se servant de ce qu'elle savait des conditions existant dans le pays et les documents généraux produits en preuve qui indiquent qu'un régime oppressif est en place en Chine et que celui-ci ne tolère aucune critique ni opposition politique de quelque sorte que ce soit » [13].

33.              Il existe peu de lignes directrices et de décisions judiciaires sur l'évaluation appropriée des revendications sur place. Selon le Guide du HCR, une personne peut devenir un réfugié sur place pour d'autres raisons que le changement de circonstances dans son pays d'origine :

Une personne peut devenir un réfugié « sur place » de son propre fait, par exemple en raison des rapports qu'elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tels ou des opinions politiques qu'elle a exprimées dans le pays où elle réside. La question de savoir si de tels actes suffisent à établir la crainte fondée de persécution doit être résolue à la suite d'un examen approfondi des circonstances. En particulier, il y a lieu de vérifier si ces actes sont arrivés à la connaissance des autorités du pays d'origine et de quelle manière ils pourraient être jugés par elles[14].

34.              Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, la Cour suprême a ouvert la porte aux opinions politiques imputées au revendicateur[15] :

[...] il n'est pas nécessaire que les opinions politiques en question aient été carrément exprimées. Dans bien des cas, le demandeur n'a même pas la possibilité d'exprimer ses convictions qui peuvent toutefois ressortir de ses actes. En pareil cas, on dit que les opinions politiques pour lesquelles le demandeur craint avec raison d'être persécuté sont imputées à ce dernier. Il se peut qu'étant donné qu'il ne s'exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d'être persécuté, mais cela ne l'empêche pas d'être protégé.


Le motif des opinions politiques semble donc suffisamment souple pour englober la revendication de réfugié sur place des demandeurs.

35.              À mon avis, le problème fondamental dans le cas des demandeurs vient du fait que la SSR ne disposait d'aucune preuve, documentaire ou autre, qui étayait leur revendication du statut de réfugié sur place. Ce problème ressort implicitement des propos suivants formulés par la Cour suprême dans l'arrêt Ward : « Il se peut qu'étant donné qu'il ne s'exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d'être persécuté » (non souligné dans l'original). Je suis d'accord avec M. Markaki quand il dit que la SSR a limité son analyse à la preuve documentaire traitant des peines applicables en cas de sortie illégale de la Chine. Par contre, je ne pense pas que la SSR aurait dû déterminer comment le gouvernement chinois pourrait considérer le fait de revendiquer le statut de réfugié, [traduction] « même si elle ne disposait pas d'éléments de preuve documentaire précis » . Il aurait fallu, si une distinction doit être faite au regard du traitement réservé aux personnes rapatriées qui ont revendiqué le statut de réfugié au Canada et aux autres personnes rapatriées, et si ce traitement équivaut à de la discrimination fondée sur de prétendues opinions politiques, que la SSR soit saisie d'éléments de preuve à ce sujet. M. le juge Nadon a d'ailleurs dit ce qui suit dans la décision Kante c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[16] :


Il est clair en droit que le fardeau de la preuve incombe au requérant, c'est-à-dire qu'il doit convaincre la section du statut de réfugié que sa revendication satisfait, à la fois, aux critères subjectifs et objectifs nécessaires à la justification d'une crainte de persécution.

36.              En l'absence de preuve documentaire démontrant que les demandeurs seraient persécutés en raison des opinions politiques qui leur seront imputées par suite de leurs revendications du statut de réfugié, il était raisonnable que la SSR ne tire aucune conclusion fondée sur la preuve de publicité. La SSR ne peut pas émettre d'hypothèses sur la question de savoir si cela est favorable ou défavorable aux demandeurs.

37.              Le principe suivant, qui a été élaboré par M. le juge Gibson dans la décision Biko c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1741 (1re inst.) (QL), m'est utile également pour analyser la décision de la SSR :

La décision de la SSR doit être interprétée dans son ensemble. J'ajouterais à cela qu'elle doit être interprétée comme un ensemble, compte tenu de tous les éléments de preuve dont disposait la SSR.

38.              Compte tenu du fait que la SSR ne disposait d'aucune preuve établissant les motifs objectifs de la crainte de persécution des demandeurs fondée sur leurs prétendues opinions politiques et que les demandeurs avaient le fardeau de la preuve à cet égard, j'estime que la SSR n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la revendication du statut de réfugié sur place des demandeurs.


39.              À la fin de l'audience, l'avocat m'a demandé de certifier la question suivante concernant le statut de réfugié sur place :

[traduction] Le fait qu'un pays ayant un caractère généralement oppressif sache que l'un de ses ressortissants a revendiqué le statut de réfugié fait-il de cette personne un réfugié sur place?

40.              À mon avis, cette question n'est pas particulièrement claire à cause de l'imprécision de la notion de « pays ayant un caractère généralement oppressif » . La question en litige en l'espèce était de savoir si le statut de réfugié sur place pouvait être reconnu en l'absence d'une preuve démontrant que la revendication du statut de réfugié de certaines personnes était venue spécifiquement à l'attention des autorités chinoises. À mon avis, la question suivante est plus appropriée, et je suis disposé à la certifier :

Lorsque le fait qu'un demandeur a présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est signalé dans les médias au Canada et que, en conséquence, le demandeur revendique le statut de réfugié sur place, est-il nécessaire, pour que ce statut lui soit reconnu, qu'il démontre :

a)          que les reportages des médias sont venus à l'attention des autorités du pays à l'égard duquel il prétend craindre avec raison d'être persécuté, et

b)          que les renseignements donnés dans les reportages étaient suffisants pour permettre aux autorités de l'identifier?


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-6307-99

INTITULÉ :                                                     QIO JIAN BIN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 11 septembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :                                             MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                     Le 14 novembre 2001

COMPARUTIONS :

Styliani Markaki                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Daniel Latulippe                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ebrahim, MacLeod et Gervais                                        POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]            Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration, le 30 septembre 1996. Voir http://www.cisr.gc.ca/fr/apropos/juridique/directives/enfantsref/EVD_ISS_f.htm (Directives sur les enfants).

[2]            Ibid., Troisième série de directives, « Obtention de la preuve » .

[3]           Ibid., « Évaluation de la preuve » .

[4]           Voir, par exemple, le dossier du tribunal, aux p. 311 et 312.

[5]           Ibid., à la p. 336.

[6]           Voir IMM-6306-99, dossier des demandeurs, à la p. 11.

[7]           Ibid.

[8]            Ibid., à la p. 13.

[9]           Ibid., à la p. 14.

[10]            Ibid., aux p. 13 et 14.

[11]          Ibid., à la p. 15.

[12]           Ibid.

[13]          Ibid., à la p. 108.

[14]            Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, Genève, janvier 1998, à la p. 22.

[15]           [1993] 2 R.C.S. 689, aux p. 746 et 747.

[16]          [1994] A.C.F. no 525 (1re inst.) (QL).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.