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Date : 20051107

Dossier : IMM-2125-05

Référence : 2005 CF 1513

ENTRE :

ROKSANA RAHMAN

SUSAHOSH RAHMAN

et OGGNI RAHMAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]         Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a annulé une décision antérieure qui reconnaissait aux demandeurs le statut de réfugié au sens de la Convention. La décision qui fait l'objet du présent contrôle est datée du 15 mars 2005.

[2]         Les demandeurs, une femme et ses deux enfants, sont citoyens du Bangladesh.

[3]         Le défendeur soutient que les demandeurs se sont vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention en faisant, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent ou une réticence sur ce fait et que, abstraction faite des éléments qui ont fait l'objet de la présentation erronée ou de la réticence, il ne reste pas « suffisamment d'éléments de preuve » pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

[4]         À l'appui de ses prétentions devant la SPR, l'avocate du ministre a invoqué la déclaration assermentée de Harold Shepherd, un agent d'audience du bureau des audiences et appels du ministère du défendeur à Toronto[1]. M. Shepherd a annexé à sa déclaration solennelle une documentation volumineuse, dont une partie provient des dossiers de l'ambassade du Canada à Dhaka, au Bangladesh. La documentation révèle notamment que la demanderesse adulte a déposé à l'ambassade, vers la fin de 1998, une demande de visa de visiteur pour elle-même et pour ses enfants, conjointement avec une demande semblable déposée par une personne qui se présentait comme l'époux de la demanderesse; or, il ne s'agit pas de la personne que la demanderesse a désignée comme son époux dans sa demande d'asile. La demande de visa comprend les photos de trois personnes qui seraient les demandeurs. M. Shepherd a déclaré :

[Traduction]

Les photos transmises par courrier électronique depuis Dhaka confirment que la demande de visa a bien été présentée par les intimés [les demandeurs en l'espèce].

[5]         Dans ses observations finales à la SPR concernant la demande d'annulation, l'avocate du ministre a fait remarquer :

[Traduction]

L'identité des [demandeurs] de visa a été établie en effectuant une comparaison au moyen de photos, comparaison que l'on retrouve aux pages 52, 55 et 56 de la pièce h). Il ressort de cette comparaison que le défendeur Susahosh Rhaman, né le 20 janvier 1985 au Bangladesh et la personne dénommée Shahosh Rehan, née le 29 décembre 1985, qui a demandé un visa sont une seule et même personne; de même, l'intimée Oggni Rahman, née le 1er septembre 1993 et la personne dénommée Agnita Rehan, née le 1er juin 1992, sont aussi une seule et unique personne. L'intimée principale [la demanderesse adulte en l'espèce] s'est d'abord identifiée comme l'épouse de Masadoor Rahman, né le 1er août 1952, mais la demande de visa la désigne comme l'épouse de la personne connue sous le nom de Mohan Rehan, né le 10 août 1956 à Serajong, au Bangladesh[2].

L'avocate n'a pas procédé devant la Cour à l'exercice de la « comparaison au moyen de photos » dont il est fait état dans cet extrait, et la Cour n'a pu trouver à son dossier aucun élément qui aurait pu contribuer à une identification photographique.

[6]         Les motifs au soutien de la décision de la SPR d'annuler la reconnaissance du statut de réfugié font référence aux photos à trois reprises. La première mention est la suivante :

Des photos des intimés remises au bureau des visas ont été jointes [3].

[7]         L'extrait précédent traite des photos annexées à la demande de visa déposée à l'ambassade du Canada à Dhaka en décembre 1998. La SPR n'explique pas pourquoi elle conclut que les photos représentent bien les « intimés » (demandeurs en l'espèce), si ce n'est les remarques suivantes qu'elle fait trois pages plus loin, après avoir relevé que les intimés (demandeurs en l'espèce) ont nié toutes les allégations soulevées contre eux :

Elle [la demanderesse adulte] a reconnu sa photo et celles de ses enfants dans les pièces divulguées par le ministre, n'a pu reconnaître les individus sur les deux autres photos, dont un était supposément son mari, et ne pouvait expliquer de quelle façon les photos ont pu se retrouver entre les mains des autorités de l'immigration canadienne au Bangladesh[4].

[8]         La SPR écrit enfin ce qui suit, au sujet des photographies :

Les photos des intimés [les demandeurs en l'espèce] ont été fournies à l'appui des demandes présentées en 1998 par Mohan Raihan au nom de Roksana Lais, de Shahosh Raihan et d'Aggnita Raihan. Il n'existe aucun raisonnement ni aucune explication de bon sens susceptible de justifier leur présence dans les dossiers de CIC autre que leur remise dans le cadre des demandes de visa de 1998. Il existe une preuve prima facie que ces intimés ne sont pas les personnes qu'elles prétendent être, comme c'est aussi le cas de leur agent de persécution[5].

[9]         La conclusion de la SPR selon laquelle les photos représentent bien les demandeurs repose manifestement sur son affirmation que la demanderesse adulte a reconnu sa photo et celle de ses enfants. Je suis convaincu qu'il s'agit là d'un élément essentiel de sa décision d'annuler le statut de réfugié au sens de la Convention reconnu aux demandeurs, une décision d'une importance capitale pour les demandeurs.

[10]     Une lecture attentive de la transcription de l'audience d'annulation devant la SPR ne permet de retracer aucune reconnaissance ni aveu de la part de la demanderesse adulte ni de quiconque, d'ailleurs, que les photos en question sont bien des photos d'elle et de ses enfants. L'avocat de la demanderesse n'a pas demandé à cette dernière si elle se reconnaissait ou si elle reconnaissait ses enfants sur les photos, et elle-même n'a fait aucun aveu de la sorte. Lorsque la Cour, dans le cadre de l'audition de la présente demande, a interrogé les avocats des parties, ni l'un ni l'autre n'a pu désigner un autre contexte dans lequel cet aveu aurait pu être fait.

[11]     L'avocate du ministre a reconnu ce qui suit, dans les observations qu'elle a formulées à la fin de l'audience sur la demande d'annulation devant la SPR :

[Traduction]

Il incombe au ministre d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que l'intimée [en l'espèce la demanderesse] a directement ou indirectement fait une présentation erronée sur son identité ou sur un fait important quant à un objet pertinent ou a fait preuve d'une réticence sur ce fait dans le cadre de son audience pour l'obtention de l'asile[6].

[12]     Étant donné qu'aucune preuve substantielle n'établit un lien entre les photos incluses dans la preuve du ministre et les demandeurs, je suis convaincu que le défendeur ne s'est pas acquitté de son fardeau de preuve devant la SPR. En fondant sa décision sur une prétendue reconnaissance par la demanderesse adulte du fait que ces photos étaient bel et bien des photos d'elle et de ses enfants, la SPR a commis une erreur susceptible de révision. Comme l'a fait remarquer la SPR, les demandeurs, à tous autres égards, ont nié les allégations du défendeur. Les noms figurant sur la demande de visa sont différents des noms des demandeurs. Les dates de naissance diffèrent. La personne identifiée comme l'époux de la demanderesse sur la demande de visa n'est pas celle que la demanderesse affirme être son époux, du moins en ce qui concerne son nom.

[13]     En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la Section de la protection des réfugiés qui fait l'objet de la demande sera annulée et l'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour réexamen.


[14]     Les avocats disposeront respectivement de dix (10) jours à compter de la date des présents motifs pour échanger et pour déposer à la Cour les observations qu'ils souhaitent formuler quant à la certification d'une question. À la suite de la réception des observations ou, en l'absence d'observations, à l'expiration du délai de dix (10) jours, une ordonnance sera rendue.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 7 novembre 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                         IMM-2125-05

INTITULÉ :                                        ROKSANA RAHMAN, SUSAHOSH RAHMAN

et OGGNI RAHMAN

demandeurs

                                                            et

                                               

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 2 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :    LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                       LE 7 NOVEMBRE 2005         

COMPARUTIONS :

John H. Guoba                                      POUR LES DEMANDEURS

Margherita Braccio                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Guoba                                      POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général

du Canada                                             POUR LE DÉFENDEUR




[1]               Dossier du tribunal, aux pages 117 et suivantes.

[2]               Dossier du tribunal, pages 417 et 418.

[3]               Dossier du tribunal, page 10.

[4]               Dossier du tribunal, page 13.

[5]               Dossier du tribunal, page 14.

[6]               Dossier du tribunal, page 417.

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